Le bateau accoste doucement à Paros. Ce sont nos premières vacances. Nous sortons ensemble depuis près d’un an. Un amour fusionnel, irréfléchi, comme il peut l’être à 20 ans. J’en ai juste un peu plus, Delphine juste un peu moins. On baise comme des lapins, beaucoup, partout, pour se prouver qu’on s’aime, qu’il n’y a que nous. Mais nos nuits ont été rares. Elle vit chez ses parents, moi aussi. Là, nous attend tout un mois à dormir ensemble, chaque nuit, avant la reprise des cours à la fac, mi-octobre. Nous allons enfin être un vrai couple…
La nuit précédente a été courte. Arrivée tardive à Athènes, un hôtel moche, du bruit dehors, lever tôt pour prendre le bateau. Nous descendons entre deux haies de Grecs qui crient « rooms, rooms ». Pas envie de suivre le premier venu pour trouver une chambre chez l’habitant. Il y a un café sympa, là-bas, qui donne sur le port. Quelques instants de repos nous feront du bien.
Nous posons nos sacs, nous asseyons, échangeons quelques mots, quand une voix nous interrompt :
— Bienvenue à Paros.
Nous nous retournons : une femme nous sourit. Brune, 35-40 ans, de grandes lunettes de soleil.
— Vous êtes Français, n’est-ce pas ? Moi aussi. Mais je vis au Danemark avec mon mari. Ça me fait plaisir de parler français.
Les présentations sont vite faites : Sophie, Delphine, Olivier. Je lui dis que nous sommes arrivés en Grèce la veille. Elle est là depuis le début de l’été :
— Mon mari a acheté une petite maison à Paros. Nous y passons chaque été depuis quatre ans. Il est professeur de littérature française à l’université de Copenhague. Mais le mois que je préfère, c’est septembre. Il y a moins de monde, et nos enfants sont repartis chez la mère de mon mari. C’est elle qui assure la rentrée scolaire. C’est bon de se retrouver seuls, pendant un mois. Au fait, vous savez où loger à Paros ?— Non, nous n’avons pas encore cherché. Mais nous n’allons rester que quelques jours, afin de visiter d’autres îles.— Alors venez chez nous. Il y a une chambre indépendante, au rez-de-chaussée. Vous serez tranquilles. Et Jan est un peu ours, toujours plongé dans ses livres. Je serai contente d’avoir un peu de compagnie, de vous montrer l’île, et de parler français.
Comment refuser ? C’est plutôt un coup de chance : à peine débarqués, rencontrer une Française qui connaît bien Paros et nous propose l’hospitalité.
Sophie se lève. Elle est grande, plutôt charpentée, avec un visage énergique. Mais je ne prête pas beaucoup d’attention à elle. Son corps est enveloppé dans une sorte de djellabah blanche qui en masque les formes. De toute manière, je ne regarde que Delphine. Sophie lui propose de prendre un de ses deux sacs, et le soulève comme une plume. Delphine n’est pas du même gabarit : petite, très mince, avec un corps d’adolescente. Mais j’aime ses petits seins, ses jambes minces, son ventre plat, ses reins creusés, ses fesses dures, son visage rieur et mutin, ses allures de Lolita avec ses cheveux courts et ses ballerines.
La maison de Sophie n’est pas loin. Blanche, comme toutes les maisons de l’île, donnant sur la rue, avec un étage. Elle nous montre notre chambre, au rez-de-chaussée, puis nous montons l’escalier. Là-haut, une vaste pièce, qui donne sur un jardin privatif, avec une véranda et une très belle vue sur la Méditerranée. Son mari s’est retourné, entendant du bruit dans l’escalier. Il est assis à un bureau, face à la mer, et nous regarde, curieux, à travers de petites lunettes de vue.
— Jan, je te présente des amis français, Delphine et Olivier. Je les ai rencontrés chez Stavros. Ils sont étudiants, viennent d’arriver à Paros et vont passer quelques jours sur l’île. Ils ne savaient pas où loger. Alors je les ai invités chez nous. Ça te sortira peut-être de tes livres…
Jan acquiesce et se lève pour nous serrer la main. C’est un colosse : un mètre quatre-vingt-dix, larges épaules, un peu de ventre, la quarantaine. Son accueil n’est pas hostile, mais manque de chaleur : un bonjour, quelques mots dans un excellent français prononcé avec un fort accent nordique, et il revient à ses livres. Sophie avait raison : un ours, le physique comme le comportement.
— Je suppose que vous avez envie de prendre une douche. Installez-vous, et si vous voulez, je vous emmène ensuite sur une plage que je connais. Jan n’aime pas la plage. Le soleil n’est pas son ami. Il préfère ses livres.
Une heure plus tard, départ dans la Méhari de Sophie. Elle est toujours en djellabah et en tongs :
— Je vous emmène sur une plage que ne connaissent pas les touristes. Un coin superbe, vous verrez.
Sophie n’a pas menti : une petite crique, une mer d’un bleu translucide, juste une dizaine de personnes. Je ressens un choc quand elle enlève sa djellabah : son corps est puissant, ample, ferme, doré par le soleil, ses jambes sont longues et musclées. On dirait une statue, avec quelques rondeurs – le ventre, les seins – qui la rendent douce. Je n’avais pas encore remarqué qu’elle était belle : une vraie femme.
Avec son physique menu, Delphine, à côté d’elle, ressemble à sa petite sœur, à tous points de vue. Le plus naturellement du monde, Sophie dégrafe le haut de son maillot. Ses seins sont pleins, lourds, avec de larges aréoles marron foncé. Ils tombent en peu, en s’écartant. Mais ils ont l’air conquérants, comme une promesse.
Du coup, Delphine enlève aussi le haut de son maillot et dévoile ses petits seins pointus, plantés hauts. Une dizaine de mètres plus loin, un couple s’embrasse, corps contre corps. Delphine les regarde, et se retourne vers moi, un sourire dans les yeux. Je sais à quoi elle pense. Elle aimerait faire comme eux. Moi aussi. Mais ça ne serait pas sympa pour Sophie. Alors, nous discutons. Je lui dis que je suis en deuxième année de droit, Delphine en première année de lettres. Sophie veut savoir ce que nous voulons faire plus tard, depuis combien de temps nous sommes ensemble. Elle nous parle de son enfance à Marseille, de sa rencontre avec Jan venu passer un an à Aix durant ses études, du Danemark, de leurs enfants, de son job de bibliothécaire à la fac de son mari.
Puis Sophie va se baigner. Quand elle revient, nouveau choc : ses seins, raidis par le contact de l’eau, semblent la précéder et bougent au rythme de ses pas. On dirait une guerrière de l’amour, qui marche vers moi…
— L’eau est délicieuse. Allez, venez…
Delphine dit qu’elle est fatiguée et préfère bronzer. Sophie me tend la main pour m’aider à me redresser. Je la prends. Il me semble qu’elle la garde dans la sienne plus longtemps qu’il n’est nécessaire. Une légère pression, puis ses doigts se séparent des miens en caressant légèrement ma paume. Delphine n’a rien vu. Et moi, je me mets à rêver. Sans doute Sophie s’ennuie-t-elle, avec son mari toujours fourré dans ses livres. C’est peut-être pour ça qu’elle nous a invités si vite, sans même nous connaître. Un corps pareil, fait pour l’amour, a besoin d’être irrigué. Et les Danois ont la réputation d’être de mœurs libres. Son mari est plus âgé qu’elle. Il doit lui laisser faire quelques extras, surtout quand leurs enfants ne sont pas là…
J’aime Delphine, mais je n’ai jamais fait l’amour avec une femme, avec une vraie femme. Delphine aussi aime faire l’amour. Alors pourquoi pas un coup double ? C’est un de mes fantasmes : baiser avec deux femmes en même temps. Avec Delphine et une femme de 35 ans, ça serait encore mieux… Heureusement que nous sommes dans l’eau, car je commence à bander à cette pensée !
Mais si c’était une avance, Sophie en reste là. Il n’y a rien d’ambigu pendant notre baignade. Elle nage un crawl puissant, au point que je m’essouffle à la suivre, même si je suis plutôt sportif. De retour sur la plage, elle sort de l’huile solaire de son sac, s’en enduit le torse, le visage, et nous conseille d’en mettre en nous tendant son tube :
— Le soleil est traître, ici. Méfiez-vous, avec vos peaux blanches. Pour le dos, rien ne vaut des mains d’homme pour bien faire pénétrer l’huile.
Je prends cette dernière phrase comme une nouvelle invitation. Les deux femmes se sont couchées sur le ventre. Je commence par Delphine, en lui massant un peu les épaules, la nuque et les reins. Puis, je passe à Sophie, en laissant traîner un peu mes mains sur son dos. Je recommence à bander. Ces deux femmes, alanguies devant moi, la grande et la petite, avec la raie des fesses qui sort du maillot, offertes à mes mains. Je fais bien attention de ne pas aller trop loin avec Sophie, mais je me sens puissant, viril, j’imagine que je les ai baisées l’une après l’autre, qu’elles sont à moi…
Le même sentiment me reprend dans la voiture, au retour. La fin de l’après-midi a pourtant été calme. J’ai accompagné Delphine se baigner : elle m’a dit qu’elle voulait avoir la peau salée quand nous ferons l’amour, est venue contre moi dans l’eau, m’a embrassé avec cet air un peu perdu que je lui connais quand elle a envie de faire l’amour. Sophie nous a parlé d’elle, de son mari qui est un intellectuel qui passe trop de temps dans ses livres, mais a heureusement d’autres talents, a-t-elle ajouté en riant. À nouveau, j’ai décrypté dans ces mots un message discret : elle aime baiser, mais son mari ne s’occupe pas assez d’elle à son goût. Ne t’inquiètes pas, Sophie, tu vas être servie, à domicile en plus… Cerise sur le gâteau, elle s’entend bien avec Delphine. Tant mieux, ça simplifiera les choses.
C’est à ça que je pense quand Sophie nous ramène chez elle. Exprès, je me suis assis à l’arrière de la Méhari. Comme ça, je peux regarder le dos de mes deux femmes, enfin de celle qui l’est et de celle qui le sera bientôt. Bien sûr, ce n’est pas une certitude. Plutôt un fantasme, maintenant doublé d’un espoir.
Quand nous rentrons, Jan revient lui aussi de la plage. Il est allé se baigner juste devant la maison. Il est en maillot. C’est un faux gros. Son ventre déborde de son maillot, mais il est compact. On dirait un viking avec son torse velu. Seules ses petites lunettes déparent, sur un grand corps aussi massif. Comme d’habitude, Sophie prend la direction des opérations, puisque c’est visiblement elle qui porte la culotte dans ce couple :
— Bon, nous avons des invités, ça ne nous arrive pas souvent. Il faut faire les choses bien. Les garçons, allez prendre un verre sur le port. Delphine et moi, on s’occupe de tout. Laissez-nous deux heures, le temps qu’on fasse les courses, la cuisine, et de nous faire belles pour vous accueillir.
Delphine suit Sophie, enchantée de cette complicité avec une femme plus âgée qu’elle, qui nous considère comme des adultes. Jan m’emmène faire un tour dans Paros. Il en connaît les moindres recoins, salue beaucoup de monde. Sa conversation est plaisante. Il me parle de la culture grecque, des différences de mode de vie entre îles et continent, de ce pays morcelé. Mais une fois au bar, je suis quand même un peu gêné d’être assis à côté de l’homme dont j’ai envie de baiser la femme. Il n’est pas très drôle. Je ris quand même à ses plaisanteries. Tant qu’à être cocu, autant qu’il le soit par un homme qu’il trouve sympathique. Et vu son physique, je n’ai pas envie que le bon Jan me considère comme un ennemi.
Jolie surprise, quand nous rentrons à la maison à l’heure dite : la table est mise, sur la terrasse face à la mer, et surtout, les femmes sont très belles, maquillées, apprêtées, toutes deux en sandales à talons hauts, en jupe courte, entièrement vêtues de blanc, un tee-shirt évasé et serré pour Delphine, un chemisier largement ouvert pour Sophie. C’est bizarre, car je ne connaissais pas ces sandales chez Delphine, pas plus que cette jupe d’ailleurs. Et d’habitude, elle ne se maquille pas autant. Sophie dissipe le mystère :
— Delphine m’a dit qu’elle n’avait pas emmené grand chose. Alors nous sommes passées voir Birgit, qui fait à peu près sa taille, pour lui emprunter des affaires. Et c’est moi qui l’ai maquillée. Vous nous trouvez à votre goût ?
En riant, Sophie et Delphine se mettent à tournoyer devant nous, jupes relevées sur leurs cuisses tendues par les talons hauts. Jan acquiesce mollement. Je suis nettement plus enthousiaste :
— Vous êtes magnifiques, toutes les deux.
La soirée se présente décidément bien. Surtout que Sophie a visiblement séduit Delphine. Peut-être ont-elles eu une discussion intime pour afficher une telle complicité ? Jan a pris deux ouzos tout à l’heure au bar. Moi, un seul. S’il continue à ce rythme, il ne tardera pas à aller se coucher. Et à moi la fiesta !
Le dîner est léger : salade grecque, grillades, fruits. Je m’étonne qu’un colosse comme Jan s’en contente. Sophie mange davantage que lui, se ressert volontiers. Cette femme dévore la vie. Pas difficile d’imaginer son tempérament au lit. En revanche, Jan honore le Retzina, le vin local. Un peu aigre au début, mais pas désagréable. Il vient d’ouvrir la troisième bouteille. À vue de nez, il en a bu une à lui tout seul. Pour être honnête, personne n’a donné sa part aux chiens. Pas même Delphine, ce qui me surprend car elle se méfie de l’alcool. Mais Jan, que le vin a rendu volubile, la ressert dès que le niveau de son verre baisse.
Il a presque rugi de plaisir lorsqu’il a appris que Delphine était étudiante en lettres classiques, avec latin et grec au programme. Il évoque avec elle l’intérêt des langues mortes, injustement méprisées selon eux. J’essaie d’émettre un avis contraire : mieux vaux parler l’anglais que le grec ancien. Mais ils rejettent mon argument d’une même voix, disant que ce n’est pas incompatible, au contraire, et poursuivent en se délectant d’auteurs classiques dont je ne connais que le nom.
Cette discussion académique ennuie Sophie. Elle, le vin la rend sensuelle, son regard est tendre. Nous laissons Delphine et Jan à leurs auteurs classiques, pour parler de sujets plus légers : les femmes grecques de Paros, dont elle ne comprend pas qu’elles n’exposent pas leur corps au soleil ; leurs hommes, qui voient débarquer les étrangères comme si elles étaient des proies, surtout quand elles sont blondes et viennent du nord de l’Europe. J’en déduis que Sophie, brune et dorée comme le pain d’épice, souffre de n’être pas convoitée par eux comme son physique le mériterait pourtant. Je la flatte en lui précisant que je préfère les brunes. Elle m’en remercie en laissant dériver sa cuisse vers la mienne. Le contact de sa peau nue contre ma jambe m’électrise.
Delphine et Jan, tout à leur discussion, ne s’en aperçoivent même pas. Une sorte de partition s’est opérée à la table, en diagonale. Delphine, Jan et leurs auteurs classiques d’un côté, Sophie, sa cuisse baladeuse et moi de l’autre. Je surveille du coin de l’œil Jan pendant qu’il avale ses verres de résiné. Il ne va pas tarder à aller se coucher, celui-là. Et je sais combien l’alcool enflamme le sang de Delphine. Tout se passe comme sur des roulettes…
La nuit est maintenant tombée. L’air devient plus frais. Sophie sonne le signal du départ :
— J’ai envie de danser un peu. Rentrons à l’intérieur.
Nous la suivons. Elle sélectionne des chansons sur son i-pod. D’abord, un slow. Elle est maligne : elle se retourne vers son mari, histoire sans doute de ne pas lui mettre la puce à l’oreille. Je danse avec Delphine, qui s’abandonne dans mes bras. Un rock ensuite : Jan s’ébroue avec maladresse, Sophie et Delphine virevoltent, trouvent leur rythme et dansent face à face comme si elles voulaient s’offrir en spectacle, bras levés, cuisse contre cuisse, puis fesses contre fesses. Delphine ne se rend sans doute pas compte qu’elle est entrée dans le jeu de Sophie. Elles dansent devant nous comme deux guenons impudiques qui veulent exciter leur mâle. Je les regarde, les encourage en frappant des mains. Tout va bien pour moi, très bien même.
Fin du morceau. Sophie sélectionne un nouveau slow, et lance à Delphine :
— Changement de cavalier.
Elle vient vers moi. Son corps se colle progressivement contre le mien. Avec ses talons, elle est pile à ma taille. Je sens ses seins, la chaleur de sa peau, je respire son odeur de femme, je bande à nouveau. Elle ne peut ignorer cet hommage, puisque son bassin est contre le mien. Elle ne recule pas pour autant. De mieux en mieux… Un rapide coup d’œil vers Delphine : aucun danger de ce côté-là, la pauvre est engloutie dans le grand corps de Jan, qui repose sur elle.
Le slow s’arrête. Sophie remet une chanson plus rapide, et se tourne vers moi :
— Qui veut des rafraîchissements ? Olivier, viens avec moi en chercher à la cuisine.
L’invitation est à la fois franche et subtile. Une fois dans la cuisine, elle referme la porte du pied, ouvre celle du frigo, se penche pour prendre des sodas, croupe tendue devant moi. C’est le moment ! Je pose mes mains sur sa taille, me colle contre ses hanches. Elle se redresse lentement, pendant que je lui pose un baiser dans le cou. Mes mains remontent sur ses seins, elle frissonne, se retourne et m’embrasse à pleine bouche, les yeux fermés, corps planté dans le mien. Quelle femme ! Sensuelle, langoureuse, chaude. Elle est en manque, la vigueur de sa langue me le dit bien.
Je ne sais pas combien de temps dure ce premier baiser. J’en ai même oublié Delphine et Jan dans la pièce à côté. Sophie me rappelle leur présence, d’une voix devenue enfantine :
— Il faut qu’on retourne voir ce qu’ils font. Ils pourraient s’inquiéter.
Je la suis, sans même me rendre compte qu’elle tient ma main dans la sienne, tant ça me paraît naturel. Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est que Jan recouvre maintenant Delphine. Ils sont allongés sur un des deux divans de la pièce principale, et Jan l’embrasse ! Delphine semble inerte sous son grand corps. Bizarrement, mon premier réflexe est de penser qu’elle s’est trouvée mal, et que Jan lui fait du bouche-à-bouche. Je n’ai même pas le temps d’être jaloux. Sophie a pris mon sexe dans sa main, à travers mon jean, et me dit :
— Tu vois, ils n’ont pas besoin de nous. Occupe-toi de moi, plutôt.
Elle me pousse sur l’autre divan, déboutonne mon jean, passe sa main dans l’entrebâillement de mon caleçon, et saisit mon sexe devenu dur. Si je n’avais pas eu la tête entre ses seins, j’aurais crié de plaisir : sa main est forte, impérieuse. Je déboutonne sa chemise, je n’arrive pas à dégrafer son soutien-gorge, alors de son autre main, elle le fait, et offre sa poitrine à ma bouche pendant qu’elle commence à me branler. J’en oublie Delphine. Seuls m’intéressent ses seins, doux, soyeux, et les ondes de plaisir qui partent de ma bite et me remontent dans tout le corps. Mes mains passent sous sa jupe, remontent ses cuisses chaudes et fermes, soulèvent la paroi de son slip : son sexe est trempé, elle halète, visage plongé dans mon cou. J’enlève mon jean qui me gêne. Elle fait glisser mon caleçon, enlève sa chemise, sa jupe, son slip, fait glisser mon tee-shirt au-dessus de ma tête. Nous sommes nus.
Un bref regard vers Delphine. Non, elle n’est pas évanouie. Jan la tient bizarrement : il a passé un bras derrière les siens. Son corps est en arc de cercle, torse tendu, l’autre bras de Jan sous son tee-shirt. Je ne vois pas son visage, mais elle semble répondre à ses baisers. Je n’ai même pas le temps de m’en inquiéter. Sophie m’attire vers elle, et je sombre dans l’ivresse de sa chaleur, de la douceur de sa peau, de son odeur forte de femme. Elle pousse ma tête vers la base de son corps, la dirige vers son sexe. J’ouvre ses lèvres et lape son vagin ouvert. Elle gémit, se tord sous la caresse de ma langue. Je remonte vers son clitoris, dur et dressé comme un petit obélisque. Ses parois sont douces. Elle guide les mouvements de ma langue en pressant sur ma tête. J’accompagne les ondulations de ses hanches en la pénétrant de deux doigts, jusqu’à la garde. J’entends un cri aigu, qui m’est familier : c’est Delphine. Mais seul m’importe le plaisir que je sens monter dans le grand corps de Sophie. Je suis sa progression, je ne la lâche pas, même quand l’orgasme éclate en elle et que son bassin est agité de soubresauts. Je bois son suc et je me redresse pour la regarder. Ma bite est dure comme du bois, elle est sous moi, abandonnée, sa tête roule d’un côté à l’autre, les yeux clos, comme si elle voulait dire non, mais ses seins se gonflent au rythme de sa respiration. Je me sens déjà victorieux de ce grand corps de femme, qui n’a pas encore goûté à ma bite.
Sur l’autre divan, le mouvement du bassin de Jan, et les jambes fines de Delphine nouées autour de ses reins sont explicites : il la prend, régulièrement, profondément. C’est étrange : la femme que j’aime se fait sauter à quatre mètres de moi, et je ne remarque que sa jupe blanche troussée, les grosses fesses de Jan qui a juste baissé son pantalon. La seule pensée qui me vient à l’esprit est de me dire qu’il la baise comme un gros soudard, sans même lui avoir enlevé sa jupe, ni ôté son pantalon. C’est le degré zéro de la réflexion. Mais je ne vais pas plus loin. De ses bras, de ses jambes, Sophie m’attire en elle.
Son sexe est brûlant. Je m’y enfonce. J’ai envie de la prendre violemment, de la faire crier. Ses jambes nouées autour de mes reins m’accompagnent, ses mains serrent ma tête au creux de son épaule. Un long cri, plus aigu, recouvre ses râles. Delphine vient de jouir. Mais je prends tellement de plaisir dans les bras de Sophie, dans le ventre de Sophie, que je ne perçois pas la portée de ce que nous sommes en train de faire. Je veux juste faire jouir Sophie, la faire crier encore plus fort que Delphine.
J’accélère mes mouvements quand je la sens proche de l’orgasme, puis les ralentit au moment où elle va jouir, pour regarder son beau visage pendant le plaisir. Je vais enfin savoir comment une vraie femme jouit, je me sens acteur autant que spectateur. Une ride barre son front, comme si elle se concentrait sur son plaisir, ses jambes se font pressantes sur mes reins, ses hanches viennent à la rencontre de mon sexe, ses gros seins sont agités de tremblements, ses lèvres sont serrées, et elle vient, longtemps, en plusieurs secousses successives qui remuent tout son corps, dans un murmure de plaisir qui n’en finit pas. C’est donc ainsi que les femmes jouissent… C’est terriblement émouvant.
Sur l’autre divan, Jan a maintenant retourné Delphine, et la prend en levrette. Je vois ses grosses fesses blanches trembler quand elle s’abattent sur le petit cul de Delphine. La femme que j’aime est appuyée sur ses avant-bras, tête relevée, bouche ouverte comme si elle cherchait de l’air. Jan ne la tient pas par les hanches, mais par les fesses, qu’il écarte de ses mains, pouces en dedans, vraiment dedans même, et une de ses mains semble accomplir un mouvement circulaire. Son pouce n’est quand même pas enfoncé dans son anus ? Ne sait-il pas, ce gros danois, que chez Delphine cette zone est tabou ?
Mais Sophie me fait basculer sur le dos, vient sur moi, et sa main file vers ma bite, qu’elle place devant sa chatte et engloutit d’un mouvement de reins. Elle est lourde, puissante, m’aspire en elle avec ses coups de reins, me tient par les épaules, fait coulisser son sexe le long du mien. Ses seins bougent devant mes yeux. Maintenant, c’est moi qui gémis et m’abandonne au plaisir.
J’entends un nouveau cri, dont je ne connaissais pas le son, qui vient du divan voisin. Sophie me laisse un peu de répit en ralentissant le mouvement de ses reins, tourne mon visage en me prenant vers le menton, et dit :
— Regarde comme c’est beau…
Son mari tient d’une main son sexe maintenant dirigé un peu plus haut sur la croupe de Delphine. Il est à la mesure de son corps, gros, et plus long que le mien. Il appuie de ses reins, progresse lentement. Il la sodomise ! Pourquoi Delphine accepte-t-elle, alors qu’elle m’a toujours refusé cette pratique ? En plus, il lui fait du mal. Je réalise que son cri était un cri de douleur. Mais elle ne le refuse pas. Sa bouche est toujours ouverte, mais sa tête penchée vers le divan, comme si elle acquiesçait en silence, comme si elle acceptait ce sexe qui écarte son cul pour entrer lentement, toujours plus loin.
Sophie recommence à osciller des hanches, et le plaisir revient, même si je ne peux pas enlever les yeux des fesses de Jan, et de son sexe qui s’enfonce dans l’anus de Delphine. Brusquement, il progresse d’un coup, ses fesses viennent contre le cul de Delphine : ses chairs ont cédé, et elle accompagne ce renoncement d’un long soupir. Jan commence son va-et-vient dans les reins de Delphine, lentement au début, plus vite ensuite. Sophie, de sa main sur mon menton, détourne mon visage, pose sa tête contre la mienne, me masquant Delphine, et me dit :
— Ne t’inquiète pas, elle est heureuse, moi aussi. Ne pense qu’à nous.
Ses hanches ont recommencé à danser sur mon sexe, et le plaisir revient, lentement, sûrement. Un cri encore, aigu et long. Delphine jouit à nouveau. Sophie relève sa tête, pour me laisser regarder : Jan est courbé sur Delphine, le bras droit passé sous son ventre. Il l’a caressée de la main, jusqu’à l’orgasme, en même temps qu’il l’enculait… Sophie avait raison : c’est peut-être un intellectuel, mais il a aussi d’autres talents. Il se redresse, et pilonne le cul de Delphine, en la tenant maintenant par les hanches. Delphine a posé sa tête sur le divan, complètement offerte. Je ne l’avais jamais vue ainsi. Son visage n’exprime rien, sinon une infinie douceur. La morsure de la jalousie me saisit le cœur. Mais Sophie dissipe cette douleur. Elle pose à nouveau son visage contre le mien, m’empêchant de voir Delphine :
— À toi, maintenant.
Elle alterne mouvements longs et courts, lents et rapides. Je suis à elle, je dépends d’elle, je gémis quand elle le veut, comme elle le veut, Delphine et Jan n’existent plus, je ne suis plus qu’une bite, prise dans le fourreau de sa chatte. Je lui dis que je vais jouir, pour qu’elle continue, pour qu’elle ne s’arrête pas, surtout pas maintenant. Mais elle ralentit :
— Regarde-moi, je veux te voir jouir.
Son visage est grave, ses yeux sont plissés comme si elle faisait un effort. Elle ne bouge pas, et pourtant je sens son fourreau devenir un étau qui presse ma bite, la relâche, la presse à nouveau. Jamais une femme ne m’a fait ça. Une dernière pression, et j’explose en elle, je l’inonde de longues saccades de sperme qui semblent venir du plus profond de mon ventre. Elle s’abat sur moi, m’embrasse, me cajole :
— Viens, c’est bien, viens encore, je suis heureuse.
Je suis ailleurs, loin, très loin. Une sorte de grognement me fait revenir sur terre. C’est Jan. Je l’avais oublié. Il vient de jouir, lui aussi. Il se retire lentement des fesses de Delphine, son sexe semble interminable. Il est toujours dressé vers son anus quand il sort enfin, et Jan donne une petite tape sur les fesses de Delphine, comme pour lui dire qu’il est content d’elle, qu’elle s’est bien conduite. Après, il embrasse ses fesses, les écarte à pleines mains, et les tourne vers nous. Je ne vois pas bien, car Sophie s’est levée et passe devant moi. Je la suis du regard. Elle se dirige vers le buffet, ouvre le tiroir, et sort un petit appareil photo. Jan a maintenant posé son visage sur le côté des fesses de Delphine, qu’il tient toujours écartées, visage tourné vers nous. Il sourit. Et je découvre un trou au milieu des fesses de Delphine, qui ne bouge toujours pas. Un trou béant, large et rond : l’empreinte du sexe de Jan, qui lui a cassé le cul, l’a dilaté !
— Un petit sourire pour la photo, merci.
La voix de Sophie est joyeuse pendant qu’elle appuie sur le déclencheur de son appareil. Je suis tétanisé par ce que je viens de voir, incapable de la moindre réaction. Sophie va ranger son appareil dans le tiroir où elle l’a pris, et revient vers moi :
— C’est magnifique, un cul de femme ouvert après l’amour. Je trouve qu’il n’y a rien de plus beau. Ne sois pas choqué. On ne voit pas son visage. Et cette photo, elle est rien que pour nous, promis.— Mais… elle n’avait jamais fait ça, même avec moi.— Eh bien maintenant, elle le fera. Tous les hommes adorent ça. À toi d’en profiter.
Mais le pire est encore à venir. Delphine sort de sa léthargie. Elle se retourne vers Jan, n’a pas un regard pour moi, l’embrasse, se frotte contre lui comme une chatte qui ronronne de plaisir, son corps frissonne sous ses grosses mains. À voix basse, elle psalmodie des mots, toujours les mêmes :
— Tu m’as remplie, je t’aime, je t’appartiens.
Jan la prend par la main. Elle le suit, docile, les yeux baissés, avec sa jupe froissée qui retombe sur ses hanches. Ils sont disproportionnés. Le grand danois, avec son ventre et son gros sexe en avant, Delphine derrière lui avec son corps d’adolescente, qui marche comme une automate, obéissante et vaincue. Jamais je ne l’avais vue ainsi. La porte se referme. Je reste seul avec Sophie, dans cette pièce qui sent le sexe.
— Viens, on va dans la chambre du bas.
Je la suis aussi, mécaniquement. Mon esprit est figé. Je n’ai même pas mal. C’est au-delà. Je ne peux plus penser. Qu’est-ce qui m’est arrivé ? Qu’est ce qu’il nous est arrivé ? Le vin devait être drogué. Ce n’est pas possible autrement. Delphine n’a pas pu se comporter comme ça, lui dire ça, lui donner son cul.
Le sac de Delphine est dans la chambre, ses affaires pendent dans le placard. Mais elle n’est pas là. Elle est là-haut avec un autre homme. Et moi, je suis avec une autre femme. C’est trop pour moi. Je ne trouve qu’une solution pour oublier ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu : m’abattre contre le corps doux, chaud et généreux de Sophie.
Ses lèvres s’attardent sur mes seins, sur mon ventre, puis descendent lentement plus bas. J’ai posé ma main sur ses cheveux. Et mon sexe, qui n’a rien compris, recommence à bander quand elle le prend dans sa bouche. Sa main se pose sous mes couilles, les serre. Son ongle descend le sillon de mes fesses, s’introduit doucement dans mon anus. Je gémis. Et j’entends, là-haut, Delphine gémir aussi, comme par écho. Je me redresse, je retourne Sophie, je lui écarte les fesses, et plante ma langue dans son œillet. Moi aussi, je veux la prendre par là, puisque Jan l’a fait avec Delphine. Je le lui dis. Elle me repousse gentiment :
— Non. C’est pour Jan, rien que pour Jan. Ça peut te sembler étrange, mais c’est comme ça. C’est mon mari…— Mais lui, il l’a bien fait avec Delphine.— D’abord, il ne lui pas pas demandé. Tu es jeune. Tu apprendras qu’on ne demande jamais ça à une femme. Il a fait en sorte qu’elle en ait envie. Et elle était d’accord. Moi, je ne le fais qu’avec lui. Mais il y a tant d’autres choses à faire. Tu vas voir….
Elle me fait asseoir sur le rebord du lit, jambes tournées vers l’extérieur, et se met à genoux face à moi. Elle écarte mes jambes, pose une main à plat sous mes testicules, et de l’autre commence à me branler. Soudain, la main qui court le long de ma hampe s’abat plus violemment, et compresse mes bourses remontées par son autre main à plat. Une onde de douleur traverse mon corps, bientôt remplacée par des ondes de plaisir quand sa main redevient plus douce et ses lèvres sucent mon gland, comme pour se faire pardonner cette maladresse.
Mais bientôt elle recommence, la main qui s’abat trop vite, trop loin, et heurte du tranchant mes testicules. La même douleur fugace, que des lèvres et une main redevenue douce et habile remplacent par du plaisir. Une fois, deux fois, trois fois, une pointe de douleur vient ainsi troubler mon plaisir. Je comprends que ce n’est pas de la maladresse : c’est un supplice délicieux et diabolique. Chaque fois que la main de Sophie est en haut de ma hampe, prête à s’abaisser, j’ignore si elle va me donner du plaisir ou un peu de douleur…
J’ai l’impression qu’elle tient tout mon corps et tout mon esprit avec ses mains. Je suis maintenant couché sur le dos, reins creusés, torse en arc de cercle, face à cette femme qui décide de mon plaisir et m’a rendu dépendant de ses gestes. L’attente et l’incertitude sont insupportables. Mais le plaisir se trouve dédoublé par le soulagement, jusqu’au prochain choc… Quand je sens venir la jouissance, je ne la retarde pas, au contraire, j’essaie de la hâter de crainte d’un nouveau choc sur mes testicules, qui heureusement ne vient pas. Ma jouissance est fulgurante : j’ai le sentiment d’avoir éjaculé jusqu’au plafond. Sophie se couche sur moi, provocante :
— J’espère que je ne t’ai pas fait mal— Tu es diabolique, et déloyale— Non, il n’y a jamais de déloyauté en amour. Chacun utilise ses armes. Moi, c’est l’expérience. Toi, tu es jeune, vigoureux. Montre-le moi…
Je ne sais pas combien de fois nous avons fait l’amour cette nuit-là. Quand je n’en pouvais plus, Sophie, avec ses mots, sa bouche ou ses mains, trouvait quand même une braise de désir, et l’attisait. Moi, je me lassais pas de son grand corps bâti pour l’amour. C’est encore sa bouche qui m’a réveillé le matin. Le jour filtrait à travers les persiennes. Quand elle a jugé le premier résultat encourageant, elle est remontée vers moi, et j’ai senti son pied taquiner mon sexe, puis le frotter. Elle m’a mis à genoux, s’est couchée sur le dos face à moi, a replié les jambes, et ses deux pieds se sont posés autour de mon sexe :
— Prends mes chevilles avec tes mains, serre-les, et fais l’amour entre mes pieds, oui, comme ça.
Ses pieds descendaient et remontaient lentement autour de ma hampe. De mes hanches, j’ai suivi leur mouvement. Bientôt, elle n’a plus eu besoin de bouger ses pieds. Les oscillations de mon bassin faisaient le même effet. Je me suis branlé entre ses pieds, jusqu’à l’éjaculation. Alors, elle m’a levé ses pieds vers ma bouche, pour que je les embrasse. Je l’ai fait, longuement, avidement, comme éperdu de reconnaissance. Puis elle est venue vers moi, et m’a attiré contre elle, sur le lit. Son corps était gluant de mon sperme. Elle s’est levée :
— Dors, il est tôt, je reviens.
Dans un demi-sommeil, je l’ai entendue grimper l’escalier, puis redescendre un moment plus tard :
— Ils dorment. Je suis juste allée prendre quelques affaires dans ma chambre. Je vais prendre une douche.
Je me réveille vraiment quand elle ouvre les volets. Le jour entre dans la chambre, elle tire les rideaux. Sophie est maquillée, coiffée, habillée, avec autant de soin que la veille au soir : une autre jupe, un autre chemisier ouvert sur ses seins, des sandales à talons, du rouge à lèvres, les yeux faits. Je comprends mal pourquoi. Je le lui dis.
— Tu sais, à 37 ans, une femme n’a jamais intérêt à ce qu’un homme la voie au saut du lit. Allez, habille-toi aussi. Jan et Delphine sont réveillés. J’ai entendu du bruit dans la cuisine.
Ainsi, elle s’est faite belle pour moi, parce qu’elle craignait de me décevoir. C’est touchant. Je me lève, enfin un jean et un tee-shirt. Mon sexe, douloureux, me rappelle la séance entre les pieds de Sophie. Instinctivement, mon regard descend vers ses pieds, nus dans ses sandales. Et cette vision me trouble, profondément. Il y a maintenant un lien, physique, sexuel, entre cette femme et moi. J’aime son corps, je sais le plaisir que j’y ai pris, le désir sans cesse renouvelé. Jamais je n’avais tant fait l’amour en une nuit, jamais je n’avais éprouvé tant de plaisir, ni trouvé un corps si accueillant. Je suis sur un nuage. Je prends la main de Sophie et monte l’escalier le premier.
Delphine et Jan ne nous ont pas entendus monter. Ils sont sur la terrasse, debout face à la mer. Jan est habillé. Delphine ne porte qu’un tee-shirt qui lui tombe juste sous les fesses. Sans doute un tee-shirt de Sophie. Et rien dessous, comme la main de Jan le dévoile alors qu’ils continuent de regarder la mer. Elle aurait quand même pu avoir la décence de s’habiller normalement ! Mais elle a la tête penchée sur la poitrine de Jan, comme s’il était devenu son homme en l’espace d’une nuit. Eux aussi, ils ressemblent à un couple.
Ils se retournent quand Sophie et moi pénétrons sur la terrasse. Il y a un moment de silence, de gêne : Jan fixe sa femme, avec intensité. Delphine et moi échangeons des regards fuyants. Elle n’est pas maquillée, ses traits sont marqués, ses cheveux en bataille. Mais ce n’est pas moi qui lui ai fait cette tête de femme après une nuit d’amour. Et surtout, elle semble aimantée par le corps de Jan, qu’elle entoure de ses bras.
L’instant est étrange. Même la voix de Sophie me semble mal assurée quand elle dit d’une voix faussement joyeuse :
— Je fais le café, asseyez-vous.
Nous reprenons les mêmes places que la veille, Delphine face à moi, Jan face à une chaise vide que Sophie occupera bientôt. Il me tarde qu’elle revienne de la cuisine. La situation est inégale. Delphine est penchée vers Jan et ne regarde que lui. Je n’existe plus pour elle, comme si il lui avait fait subir un lavage de cerveau. Je la trouve terriblement belle, terriblement douce dans cette attitude docile et abandonnée. Alors, pour dissiper la morsure de la jalousie, j’ai besoin de la présence de Sophie contre moi, de la chaleur de sa cuisse contre la mienne. Je ne parviens pas à regarder Jan : il a baisé ma femme, j’ai baisé la sienne. Et j’évite les yeux de Delphine.
Sophie revient enfin, et pose la cafetière sur la table. Jan la fixe toujours aussi intensément. Elle le regarde aussi, droit dans les yeux, comme si Delphine et moi n’étions pas là. Jan se lève et lui dit :
— Viens
Sophie se lève aussitôt, son regard rayonne comme celui d’une petite fille comblée. Elle prend sa main et le suit dans leur chambre, dont la porte se referme. En un instant, je comprends pourquoi elle s’était maquillée et habillée sexy, ce matin. Ce n’était pas pour moi, mais pour lui !
Delphine aussi a compris. Elle se lève, comme piquée par un serpent :
— Il faut qu’on parte, tout de suite.
Elle dévale l’escalier. Quand je la rejoins dans la chambre, elle a enlevé son tee-shirt et enfile en vitesse les premiers habits qu’elle trouve dans la penderie. Son corps nu ne m’émeut pas. Il me semble étranger maintenant qu’elle l’a donné à un autre. Elle entasse ses affaires dans ses deux sacs :
— Je ne peux plus rester ici. On s’en va, loin, on prend le premier bateau. C’est notre seule chance, tu comprends. Ce sont des salauds, des prédateurs. Ils n’en ont rien à faire de nous. Ils nous ont utilisés. Il nous ont baisés. Reste si ça te plaît. Moi, je m’en vais. Mais si tu m’aimes, rendez-vous au port.
Elle file dans la rue. Les bruits qui viennent de là-haut laissent aisément deviner ce que font Jan et Sophie. Je me suis fait avoir, du début à la fin. Je repense à la manière dont Sophie regardait son mari ce matin, puis dont elle l’a suivi… C’est bien lui qui tire les ficelles dans leur couple. Et moi, j’ai peut-être perdu Delphine. Elle a raison : il faut qu’on parte, tout de suite, qu’on mette de la distance entre eux et nous. Je fais mes sacs, et descends vers le port.
Delphine est là. Elle me sourit, et agite deux billets qu’elle tient dans sa main :
— J’espérais bien que tu allais venir. J’ai pris des billets sur le premier bateau : Antiparos, dans une heure. Je ne sais rien de cette île. Mais je ne voulais pas attendre.
Elle s’assied sur le bord du quai, et moi à côté d’elle. Elle parle en regardant la mer, d’une voix ferme, me demande de ne pas l’interrompre. Je ne lui connaissais pas cette autorité, comme si elle avait grandi en une nuit :
— J’avais vu son jeu, à Sophie, sous ses dehors mielleux. Je ne t’ai rien dit, parce que je voulais savoir jusqu’où tu irais avec cette femme qui te faisait des avances devant moi. Mais je croyais que son mari était inoffensif. Lui, je ne l’ai pas vu venir. Et après, c’était trop tard. Je te voyais prendre du plaisir avec cette femme. Tu ne me regardais pas. Il était lourd. Il me tenait, il savait ce qu’il faisait. Je me suis laissé faire, moi aussi. Mais je ne me savais pas si faible. Excuse-moi pour ce que j’ai dit hier soir. Je ne sais pas ce qui m’a pris. C’étaient des mots, juste sur le moment. Ils ne comptent pas. C’était la première fois, tu le sais, qu’un homme m’a fait ça. Et ça m’a secouée, physiquement, dans la tête aussi. Après, j’étais désemparée. J’ai dit n’importe quoi, j’avais besoin de tendresse…
Un silence. Je ne trouve rien à lui dire. C’est elle qui reprend :
— Ils nous ont salis. Quels salauds ! Ils font ça pour mieux se retrouver ensuite, ça les excite. Je ne sais pas si on va s’en sortir. Mais j’aimerais qu’on essaie. Je t’aime. Je te préviens : il va falloir que tu sois très doux avec moi, et patient. On va refaire l’amour. Mais pas tout de suite. Laisse-moi un peu de temps.
Je n’ai rien à rajouter. Quoi lui dire : que j’ai honte, que je regrette ? Que j’ai probablement prononcé durant la nuit les mêmes mots qu’elle ? C’est inutile. Je lui prends la main. Je veux l’embrasser dans le cou. Je me retire. Elle sent le sexe, elle sent cet homme. Elle est partie trop vite pour avoir le temps de prendre une douche ce matin. Je suis dans le même cas : moi aussi, je dois porter l’odeur de Sophie sur la peau. Alors, nous restons ainsi, main dans la main, comme des enfants.
—oooOooo—
J’ai été doux et patient. La journée, durant ce mois passé en Grèce, Delphine était plus amoureuse que jamais. Trop, même. Ses élans, ses mots, ses regards, semblaient factices. Ou plutôt, un échelon trop haut pour être vraiment naturels. Et le soir, elle me rejoignait au lit en slip et tee-shirt, alors que nous avons toujours dormi nus…
J’ai essayé de lui parler, de lui dire que ce n’était peut-être pas la bonne solution, que plus vite nous nous retrouverions physiquement, plus vite nous aurions une chance d’oublier. Échec. Toujours les mêmes mots : sois patient, sois doux avec moi, ça va revenir. Et un refus total de revenir sur ce qui s’était passé, même pour tenter de l’expliquer, le relativiser et l’expurger. Mentalement, c’était un blocage.
Physiquement, c’était peut-être différent. Elle m’a dit une fois qu’elle voulait qu’on recommence à zéro, progressivement, comme un couple qui découvre la sexualité. Elle n’était pourtant pas vierge quand je l’ai rencontrée. Mais c’était comme si elle voulait expier sa faute, notre faute, en nous imposant une période de chasteté, et refaire le chemin qu’elle avait déjà parcouru dans sa vie sexuelle, comme si nous étions redevenus deux adolescents amoureux de 16 ans. Je trouvais son comportement puéril, un refus de regarder la vérité en face. Mais j’ai respecté sa volonté : doux et patient…
Sont quand même venus, lors de ce mois en Grèce, des caresses, des fellations, des cunnis. Mais le plaisir ne provoquait pas l’enchaînement que j’espérais : dès qu’elle avait joui, elle refermait les jambes. Nous n’avons refait l’amour qu’à notre retour en France. J’ai même eu droit à ce qu’elle avait offert à Jan, et m’avait refusé. Pour un piètre résultat. Elle n’en avait pas vraiment envie, ne s’est laissée sodomiser que parce qu’elle ne pouvait pas dire non, après ce qui s’était passé en Grèce. Et moi, je l’ai fait comme pour me venger de Jan. Bref, nous l’avons chacun fait pour de mauvaises raisons. Et n’avons jamais recommencé.
Vu de l’extérieur, rien n’avait changé : toujours en couple, toujours amoureux, toujours tendres en public. Mais entre nous, il y avait quelque chose de cassé. Je me souvenais des mots qu’elle avait prononcés après que Jan lui ait fait l’amour, de l’état second dans lequel elle était. Elle m’avait sans doute vu dans le même état quand j’avais fait l’amour avec Sophie. Elle essayait de me faire l’amour à cheval sur moi, comme Sophie, agitait ses hanches dans tous les sens. Je n’ai jamais osé lui dire que le secret ne venait pas de là, que Sophie savait comprimer les muscles de son vagin autour de mon sexe. Depuis la Grèce, elle avalait mon sperme quand elle me faisait une fellation, alors qu’elle le recrachait avant. Je lui ai évidemment posé la question : elle m’a dit qu’elle l’avait fait pour la première fois avec Jan, au réveil, qu’il la tenait par la nuque, qu’elle n’avait pas osé dire non.
C’était cela qui nous séparait, au fond : j’étais persuadé, pour l’avoir vue baiser avec lui, que Jan lui avait donné plus de plaisir que moi, qu’il l’avait emmenée beaucoup plus loin, jusqu’à l’abandon, sinon elle ne lui aurait pas donné sa bouche et son cul. Et elle était sans doute persuadée que Sophie m’avait donné plus de plaisir qu’elle… Dès lors, puisqu’elle refusait toujours d’en parler, c’était foutu.
Les derniers mois, elle avait même trouvé une porte de sortie, qui ne la menait pourtant nulle part : le déni. Elle prétendait qu’elle avait bu, qu’ils l’avaient saoulée, et qu’ensuite elle ne se souvenait pas bien de ce qui s’était passé. Qui croyait-elle tromper ? C’était trop facile, c’était lâche. Elle n’était pas plus saoule que moi, se souvenait aussi bien que moi. J’aurais préféré qu’on en parle, une bonne fois pour toutes. Elle ne l’a jamais voulu.
Il aurait sans doute été plus simple de reconnaître à voix haute, en se regardant dans les yeux, que oui, ils baisaient mieux que nous, car ils avaient un âge et une expérience que nous n’avions pas. Que oui, ils nous avaient piégés, au début, mais qu’ensuite j’avais perdu pied durant cette nuit passée dans les bras de Sophie, et elle aussi avec Jan. Mais, honnêtement, je ne sais pas si ça aurait changé grand-chose. Car si nous avions tout déballé sur la table, il aurait fallu que je lui dise que chaque fois qu’on faisait l’amour, ou à des moments divers, même les plus incongrus, un déjeuner chez ses parents par exemple, des images, précises et cruelles, s’imposaient à mon esprit. Son cul ouvert, troué et dilaté par le sexe de Jan, qui le présentait en souriant à l’objectif de Sophie comme un trophée de chasse. Ou bien son attitude de femme baisée, complètement baisée et obéissante, quand elle avait suivi Jan dans sa chambre, les yeux baissés… Ces images, comment les oublier ?
Je crois, avec le recul du temps, qu’on était trop jeunes pour surmonter une telle épreuve. L’année scolaire a passé. Nous avons eu chacun notre examen. Ensuite, elle savait que j’irai faire ma maîtrise à Paris. Un temps, il avait été question qu’elle me suive. Juste après la proclamation des examens, je lui ai dit que je partirai seul.
Ça ne l’a pas surprise. Elle s’y attendait. On s’est quittés tristement, en peu de mots :
— C’est dommage, a-t-elle dit. Tout ça pour une nuit.— Oui, c’est dommage.
C’était même pire que ça…