Elle a les pieds petits. Ils ne sont pas beaux. La danse les a usés, fatigués, déformés, endurcis. Ils ont des cals là où on ne s’y attend pas. Ils semblent de cuir, de granit, de bois brut. Mais leur cambrure à elle seule est pour moi une raison de l’épouser.Elle ne les aime pas. Ce sont des outils dont elle prend soin, sans tendresse. Elle les couvre de gaze, les masse, les soigne. Elle fixe avec précision les rubans de ses chaussons. Mais elle ne les regarde jamais pour eux-même. Moi, si. Je regarde ses pieds et je m’émerveille, parce qu’ils lui permettent de voler.Les toucher, je ne peux pas. Il y a toujours, quelque part, une blessure, une fragilité. Je ne veux pas lui faire de mal. Elle semble si fragile qu’un souffle la briserait.Elle a des jambes de marbre, lisses, fortes et sans défaut. Des jambes de bête fauve, dangereuse, dont les muscles roulent sous la peau. Quand elle marche, la terre tourne grâce à ses pas. Quand elle danse, ses jambes sont l’axe de l’univers. Elles sont douces à mes mains, douces à ma langue, douces à mon cœur.Ces jambes sont sa plus grande arme de femelle. Montée en amazone, mon sexe fiché en elle, elle contrôle parfaitement l’angle et le rythme de mon plaisir. Elle peut, à sa guise, me maintenir des heures au bord de la jouissance, ou au contraire me faire partir en quelques minutes. Parfois, son sexe se détache du mien, puis d’un mouvement souple du bassin elle le happe à nouveau. S’il me vient le désir de reprendre le contrôle en imposant un tempo de mes mains sur ses hanches, je sais qu’elle m’en fera perdre l’envie dès qu’elle le voudra, tant elle peut me rendre fou d’une simple ondulation.Elle a des fesses petites et dures. Des fesses de marbre rose, aussi interdites que celles d’une statue. J’ai un jour rêvé que, devenu minuscule, je me faufilais dans la fente de ces fesses et passais la porte interdite. Les sensations en furent si fortes que je revins à moi le ventre poisseux.Je la réveillai en allant me laver, et elle manœuvra si bien que je ne pus faire autrement que de lui raconter. Elle hocha la tête, et sourit. Je faisais bien d’en rêver, me dit-elle, et son air mutin me laissa penser que je n’accéderais à cet endroit secret qu’en songes.Elle a le sexe lisse, petit et étroit. Il semble fait de cette porcelaine si fine qu’elle en est translucide. Parfois, je prends peur. Mon doigt semble déjà trop pour un objet si délicat. La moindre caresse ressemble à un viol, et pourtant je sais à quel point il peut être vorace.Lorsque je l’ai connue, elle portait encore une fine bande de poils couleur de châtaigne. Puis il y eut ce ballet, qu’elle dansait nue et maquillée sur tout le corps. Je fus si jaloux du maquilleur, qu’elle finit par m’inviter à assister à la cérémonie.D’abord en peignoir, elle se laissait masser le visage avec une crème grasse. Elle me dit que j’avais raison d’être jaloux, mais de ce moment-là seulement, le seul qui était pur plaisir. Elle avait elle-même passé cette crème sur le reste de son corps. Ensuite venait le fond de teint, travaillé jusqu’à la naissance des seins, la courbe des épaules et l’attache de la nuque. Il terminait cette étape en dispensant à l’aide d’une houppette plus grande que ma main un nuage de poudre qu’il atténuait en caressant la peau d’un pinceau. Puis le maquilleur traçait, avec une grande concentration, la série de lignes qui accentueraient les traits de son visage. Ce grimage peu à peu la transformait en une étrange poupée.L’air de chat satisfait qu’elle afficha après le massage, le glissement furtif du pinceau sur sa peau, le mouvement plus incisif des crayons ensuite, tout cela me plongea dans une excitation légère. Je rêve de posséder ses chaussons et d’être l’un de ses pinceaux.Elle se débarrassa ensuite de son peignoir d’un geste qui n’était ni aguichant ni impudique. Lorsqu’elle se prépare pour la scène, seule compte la danse à venir. Ma présence ne change rien à cela. Le reste du monde disparaît à ses yeux, et ce sentiment d’invisibilité m’émeut comme si, caché, j’assistais à la toilette d’une femme inconnue.Elle prépara elle-même la couleur de fond, enduisant son corps d’onguent coloré comme on enfile un vêtement. Elle enfila ses pointes, et les noua. Les rubans se fondaient dans la peinture de sa peau. Puis elle s’adossa à la coiffeuse, et le maquilleur travailla patiemment sur les pliures. Ses mains ont, très professionnellement, estompé le pigment sur le sillon des seins, au creux des aisselles, à l’aine et aux genoux. Elle a écarté les jambes, et muni d’une petite fiole, il a fait disparaître le corail de son sexe. Je regardais alternativement l’homme, à genoux devant elle comme pour la faire jouir de sa main, et son visage, lointain, comme perdu, sans que je puisse savoir si c’était dans le plaisir ou si la concentration lui donnait cette expression.Elle se campa sur ses pieds, et il estompa, de nouveau, le sillon sous les fesses et celui entre les fesses. Il travailla enfin à faire disparaître la démarcation entre le corps et le visage et la noya de nouveau dans la poudre, sans jouer du pinceau toutefois.Elle semblait, ainsi, vêtue d’un seul vêtement de couleur chair, plutôt que nue. Toutes les nuances de sa carnation avaient disparu. Je savais que sur scène, les mouvements feraient réapparaître sa sensualité sous une forme brutale, animale, mais tant que la danse ne la prendrait pas elle garderait un aspect de caoutchouc.Elle ne se couvrit pas pour gagner les coulisses. C’était inutile.Un jour je lui demandai pourquoi ce maquillage, plutôt qu’un vêtement. Elle haussa les épaules. Ce fut sa seule réponse.Elle a la taille fine et le ventre, au repos, très légèrement bombé. Elle est légère, si légère que je peux la porter sans effort. Un soir de spectacle, alors que je la rejoignais dans sa loge, elle se fit si câline qu’elle se retrouva juchée sur mes hanches, mes doigts puis mon vit jouant avec le sexe ouvert. Ses gémissements, puis les traces de maquillage sur ma joue et le col de ma chemise, nous valurent plusieurs remarques lestes. Elle les prit avec une légèreté qui me surprit.Dans la rue, ou dans un lieu public, c’est à peine si je peux l’embrasser. Effleurer son postérieur me vaut des remontrances, et elle se dérobe au moindre geste tendre. Une chanson paillarde la fait rougir, une gauloiserie lui fait sortir les griffes. Quand elle passe la porte du théâtre elle devient une autre personne, gouailleuse, coquine à l’occasion, et capable de dire les pires grossièretés avec naturel. Elle n’est pas la même. Elle n’a pas besoin de moi dans ce monde-là . Allez savoir pourquoi j’aime tant la suivre dans ces lieux où elle m’échappe.Elle a des seins petits, carrés, des seins d’homme musclé, d’où émergent des tétons couleur de fraise, qui donnent envie de les croquer. Lorsqu’elle se refuse, elle les cache, et ce geste est plus fort qu’un non. Ma langue sur ses seins peut la faire gémir, rougir et pousser des cris. Une simple caresse sur sa poitrine peut lui tourner la tête, pourvu que le lieu lui plaise. Je n’en use pourtant qu’avec parcimonie, car je sais qu’elle me reprocherait de jouer de sa faiblesse.Et puis j’aime passionnément sa manière à elle de me faire des avances, d’abord haussée sur les pointes pour atteindre mon cou, puis descendant, en déboutonnant ma chemise, semant sur son passage une myriade de baisers, ce jusqu’à mon sexe qu’elle aime voir tressauter à la rencontre de sa bouche.Elle a la nuque gracile, fière, et les oreilles finement ourlées. Elle a les cheveux fins et mousseux, et tous les artifices qu’elle déploie ne les empêchent pas de s’échapper de ses chignons. Elle a les yeux très légèrement bridés, le nez parsemé de taches de rousseur.Ce n’est pas ma danseuse. C’est ma femme.