Résumé de la 1ère partie : Olivier Carkanpois, modeste auteur vivotant dans le Chalonnais et mari de la belle et suave Sophie, se trouve pris dans un engrenage infernal : il doit livrer le scénario d’un téléfilm pour lequel il a déjà deux mois de retard et pas une seule idée valable. Alors que son agent le harcèle au téléphone, un étrange visiteur investit son bureau, prétendant que sa femme le trompe. Une suite d’aventures rocambolesques s’en suit (voir « Un merveilleux don », n°14466) qui amènent l’auteur à assister au déshonneur suprême : après un strip-tease débridé sur la scène d’un bordel, son épouse monte avec deux clients.Effondré, Olivier accepte alors de signer le pacte que lui propose son inquiétant guide, Konstantinos – échanger Sophie contre le don d’inspiration absolue, censé lui garantir gloire et fortune –. L’auteur en déshérence a deux jours pour tester ce fameux don, avant que le pacte ne devienne définitif. C’est justement le délai accordé par Offengluck, le producteur du téléfilm, pour qu’Olivier termine son scénario.Lorsque notre héros reprend conscience, il n’est plus le même homme. Olivier déborde à présent de talent… mais n’a aucun souvenir de ce qui s’est passé. Se mettant immédiatement au travail, il entame une œuvre qui se révèle, à sa grande surprise, magistrale. La qualité bluffante de son scénario émerveille Sophie, ce qui va permettre à leur couple de retrouver intimité et chaleur, malgré des liens quelque peu distendus. Deuxième partieC’était très étonnant, mais l’aiguillon du stupre n’avait pas entamé ma belle concentration. Au contraire, l’inspiration divine continuait d’étendre ses ailes protectrices sur mon travail, me permettant de produire avec une qualité et une vitesse réellement stupéfiante.Ma plus grande crainte, à propos de cet état de grâce, était qu’il prenne fin aussi subitement qu’il avait débuté, sans même que je n’en comprenne l’origine. Je n’avais qu’une seule certitude : tout cela avait commencé hier, juste après cet épisode léthargique dans mon bureau. Je me rappelais bien de rêves extravagants, mais sans pouvoir me remémorer le moindre détail… La fameuse évanescence des songes, qui parfois les rend inaccessibles au souvenir alors même qu’ils nous ont collés au mur, quelques minutes avant l’éveil !Je décidai de remettre ces introspections sans fin à plus tard et laissai libre cours à mon nouveau don, m’émerveillant de ce qu’il m’était enfin possible de faire. Les heures défilèrent, allongeant des ombres silencieuses autour de moi. Bientôt, il me fallut allumer pour distinguer les touches. J’avais tout oublié pour ne plus me consacrer qu’à l’écriture.Je ne sortis de cette sidération hallucinée qu’après avoir inscrit le mot « Fin » au bas de l’écran. Il était alors 3 h du mat’, j’avais zappé le repas et, plus grave encore, notre soirée. Quel triple con ! À cette heure-ci, Sophie risquait fort de ne rien trouver d’érotique à mon entrée titubante dans la chambre. D’ailleurs, elle dormait.Avant de sombrer à mon tour, je me fis une promesse solennelle : tirer parti de cette incroyable aisance pour limiter, désormais, mes journées de travail à 4 ou 5 h. Et profiter de tout ce temps libre pour reconquérir ma femme, lui montrer que je n’étais pas qu’un bloc d’indifférence…ooOOoo— Alors, qu’est-ce que tu en penses ?— C’est parfait, dit Sophie. Pas la moindre scène à corriger. Tout me va…Mordant distraitement dans un croissant, elle reposa la dernière page sur un tas de feuilles, non loin de son bol de café.Ce matin, aux aurores, je m’étais arraché du lit pour quérir quelques viennoiseries ainsi que du bon pain frais. La tête de Sophie, lorsque, émergeant en peignoir de notre chambre, elle avait aperçu ce somptueux petit-déj’! Je m’étais levé pour l’accueillir, le sourire aux lèvres.— Qu’est-ce qui se trame ? Aurais-tu quelque chose à te faire pardonner, par hasard ?— Excuse-moi, pour hier.— T’inquiète pas, va… À la longue, on finit par s’habituer.— J’étais tellement pris dans mon scénario… Voilà, en fait j’ai terminé, avais-je conclu platement.— Quoi ! ? En seulement deux jours ?— Tu veux lire ? Il y a tout ce qu’il faut pour aller avec.Et elle avait lu, d’une traite, sirotant son café et tapant de temps à autre dans les croissants.— Olivier, tu te rends compte que tout ça vaut de l’or ? C’est presque dommage d’en faire un téléfilm…— J’écrirai d’autres scénarios. Encore meilleurs.— Eh bien, quelle modestie !— Je t’assure qu’il y a quelque chose de neuf en moi. Bon dieu, j’ai l’impression que je pourrais écrire cinquante romans dans la décennie, si je voulais !— Mais c’est que ça ferait presque peur ! D’où te vient donc cette inspiration diabolique ?Je ne rêvais pas : Sophie me scrutait comme si j’avais soudain des pouvoirs surnaturels ! La sonnerie du téléphone la tira de cette contemplation alarmée.— C’est pour toi, fit-elle avec un sourire, en voyant le numéro. Si j’en crois mon intuition, tu devrais répondre !Je décrochai sans un mot.— Allo, Olivier ?— Ah, c’est toi ! ?— Pourquoi, demanda mon agent, t’attendais un autre coup de fil ?— Non, non… Pas du tout.L’image d’un gnome barbu m’avait traversé l’esprit. Je n’allais certainement pas en parler à Eric, ça n’avait aucun sens !— Je viens de lire ton scénario et je dois dire que c’est… Ouah ! C’est géant !— Heureux que ça t’ait plu…— Bien plus que ça, vieux ! Excuse-moi de t’avoir un peu pressuré, hein… Je dois reconnaître que l’attente était justifiée.— Alors je suppose que ça va faire d’autres heureux.— T’as raison ! Je contacte immédiatement Offengluck ! Au fait, faudrait qu’on se fasse une bouffe chez moi, un de ces soirs, pour fêter ça…— Ouais, t’as raison… Bon écoute, dis-je en me tournant vers Sophie, je vais devoir te laisser, là. Je suis sur un projet qui exige toute mon attention.— Compris ! Allez, tchao… Et encore bravo, t’es le meilleur !Coupant la conversation, je balançai le combiné sur la table. Je n’avais plus qu’une idée en tête : extraire Sophie de son peignoir lilas le plus vite possible.— Tiens donc, « un projet qui exige toute ton attention » ! susurra ma belle tentatrice.— Me semble que t’avais une surprise pour moi, non ? Je crois que ce serait le moment idéal pour découvrir tout ça…ooOOooEt en effet, quelle surprise ! Tout spécialement à mon intention, ma femme avait pris des cours d’effeuillage !Elle avait tiré les rideaux, m’avait fait asseoir sur un fauteuil du salon puis s’était éclipsée. L’attente m’avait bien sûr paru interminable. D’autant qu’un sentiment mitigé – excitation et malaise diffus – s’était emparé de ma personne, sans que je n’en comprenne vraiment la raison. L’appréhension de découvrir une Sophie différente, peut-être, provocante voire dominatrice ? Oui, il devait y avoir de ça…Depuis la chambre, elle m’avait crié de ne pas regarder. Une chanson ô combien attendue avait alors envahi le salon : You can live your head on, de Joe Cocker. J’avais été proprement abasourdi en rouvrant les yeux : il n’y avait rien de commun entre la femme réservée qui partageait mon existence (un peu terne, il faut bien l’avouer), et la somptueuse courtisane s’appuyant contre l’embrasure de la porte !Je détaillais Sophie, fasciné, tandis qu’elle s’avançait vers moi, perchée sur ses escarpins vertigineux, ondulant sur le rythme chaloupé de la musique rock. Glissant sur le nylon sombre de ses jambes interminables, mon regard s’était brièvement arrêté sur son string tout mini, encadré par les fines jarretelles d’un ensemble résille (à s’en décrocher les mâchoires !) avant de poursuivre vers sa poitrine plantureuse, joliment exhibée par le maillage complice. Le changement était saisissant, y compris dans les plus petites nuances de son visage : un ovale plus volontaire, un noir ardent qui soulignait son regard, des lèvres pulpeuses, s’étirant sur un sourire fauve, une coiffure inédite avec ses longs cheveux blonds relevés sur les côtés, accentuant son côté animal, instinctif.Cette attitude impudique, ce maquillage provocant, cette danse hyper sensuelle… Ce n’était plus Sophie que j’admirais, en cet instant, mais une inconnue au corps souple et quasi dénudé, « LA » séductrice dont rêvent la plupart des hommes ! Effleurant sous les traits familiers de l’épouse modèle, je découvrais enfin la débauchée sans tabou, l’amante soucieuse d’assouvir toutes mes envies, bref, la femelle en rut.Moi qui avais dédaigné son corps durant des semaines, voilà qu’il me prenait l’envie de me jeter sur elle, d’arracher le cache-sexe qui me dissimulait sa motte, et enfin de me planter en elle sans plus d’égard !Je levai une main vers la poitrine qui frétillait tout près de ma bouche. Sophie me donna une tape sur les doigts.— On ne touche pas ! On se contente d’admirer… pour l’instant.Elle défit une pince, et, miraculeusement, sa chevelure blonde cascada sur ses épaules. Se penchant en avant, elle me caressa avec ses cheveux, sans cesser d’onduler. J’en avais des frissons ! Son manège dura encore quelques instants, jusqu’à ce qu’elle me sente suffisamment « tendu » pour se risquer à de nouvelles audaces. Alors Sophie se tourna, faisant glisser son string sur ses cuisses nerveuses, avant de secouer ses petites fesses sous mon nez. Des effluves irrésistibles, puissants et poivrés, exsudaient jusqu’à moi : la senteur indiscutable de son désir.Ne tenant plus compte de ses mises en garde, j’embrassai ce cul délicieusement velouté, tout en glissant un index inquisiteur entre les grandes lèvres charnues. Avec un calme apparent – que démentait la fournaise dans sa chatte – Sophie ôta mes mains de son corps tout en continuant d’ondoyer tout contre moi. Puis elle fit lentement descendre son joli petit derrière, jusqu’à frotter avec insistance sa vulve entrouverte sur la grosse bosse qui déformait mon jean.Toujours de dos et sans que je n’aie à intervenir, elle me déboutonna alors d’une main preste et fit jaillir ma bite hors de mon caleçon. Massant avec délicatesse mon membre bandé, elle le décalotta posément avant de l’engloutir tout au fond de son vagin. C’était bon, c’était chaud et surtout c’était trempé ! Mais, à peine avais-je eu le temps d’apprécier la moiteur de son con, qu’elle remontait hors d’atteinte, m’arrachant un gémissement de frustration.Elle se retourna pour s’asseoir sur moi, dans le fauteuil. À quelque centimètre du mien, son visage était écarlate, ses narines frémissantes. Indiscutablement, elle était en chasse… et moi, la proie dont elle allait faire son dîner ! Tout en pressant ses seins opulents contre mon visage, elle abaissa son pubis à tête chercheuse à la rencontre de ma pine bien dure, dans l’évidente intention de me gober tout cru.— Laisse-toi faire, m’intima-t-elle d’une voix rauque. Ne bouge pas !Je m’enfonçai en elle avec délices, glissant entre ses parois supra-lubrifiées tel un véritable gode de chair. Elle entama alors une sorte de danse sur mon sexe, des petits mouvements de bassin, parfois amples, parfois secs, évasant sa grotte humide en avant, en arrière et sur les côtés afin de mieux concasser mes corps caverneux.— Ça te plait, hein, de me voir faire la pute !Tout juste audibles sous les déferlements débraillés du crooner, ces mots déclenchèrent soudain un dédoublement nauséeux. Deux Sophie me faisait face, à présent : la « salope », en train de me violer en bonne et due forme, et en surimpression le fantôme d’une autre femme, une vraie prostituée celle-là. Sanglée dans un corset noir et or, cette créature exécutait un pole dance à la limite de l’obscène, suivi d’un simulacre d’accouplement dans un lit au cadre torturé.Durant une fraction de seconde, je me retrouvai ailleurs ; observant mon épouse se donner en spectacle dans une salle sombre et enfumée, devant des cow-boys à moitié saouls, chauffés à blanc. Broyant mon bras, une étreinte d’acier m’empêchait d’intervenir.— Chihuahua’s… exhalai-je, juste avant de gicler furieusement aux tréfonds de l’appareil génital de Sophie.ooOOooNotre rythme se ralentit peu à peu, notre souffle s’apaisa, la tension dans nos membres se relâcha. Nous redescendions sur terre, inéluctablement. À mon humble avis, la plus grande malédiction du désir, c’est la jouissance, nos mâles hormones ne nous portant jamais plus loin qu’un jet de sperme. Autant dire que n’importe quelle cramouille est en cela infiniment supérieure à une bite…Sophie se dégagea pour aller s’abattre dans le canapé. Maintenant que j’avais assouvi mes besoins, éreinté provisoirement mes envies, il fallait que je lui parle de mon rêve et de ses étranges réminiscences. Pourquoi ça ? Je ne sais pas, simplement ça me turlupinait grave ! Ce fut elle qui m’en fournit l’occasion.— Qu’est-ce qui s’est passé ?— Hein ? Il s’est passé quelque chose ?— Si t’avais vu ta tête ! Comme si tu n’avais plus eu envie, d’un coup.— Non ! C’est juste que… Bah, c’est rien.— C’est rien fait partie de ces expressions qu’un homme ne devrait pas lâcher à la légère. En général, ces trois petits mots-là suffisent pour que n’importe quelle femme commence aussitôt à baliser sec. Sophie ne fit pas exception à la règle.— Tu peux me parler franchement, va ! Je sais bien qu’à 38 ans, je suis moins désirable.— Mais qu’est-ce que tu vas inventer là ! ? Y’a des minettes qui tueraient, pour un corps comme le tien !Ce n’était pas un compliment gratuit. Avec ma brioche popote et mon taux de cholestérol vertigineux, le physique inaltérable de mon épouse filait des complexes au quadragénaire casanier que j’étais.— Inutile de mentir, renchérit-elle. Moi aussi je les vois, mes fesses !— Allons bon ! Et qu’est-ce qu’elles ont de spécial, tes fesses ?— Elles ont que j’ose plus me regarder dans une glace !S’il y a bien une constante féminine universelle, c’est la lente perte de confiance en soi qui accompagne le passage des années. Cet aveu de faiblesse – totalement injustifié à mon goût – me toucha, à défaut de me surprendre. Enlaçant mon épouse, j’entrepris de la rassurer.— Mais non, mon minou, t’as un très beau cul, je t’assure…— Si tu le pensais vraiment, tu crois pas qu’on ferait plus souvent l’amour ?— Ça n’a rien à voir, et tu le sais bien. Quand j’écris, je suis dans mon truc et… et voilà, j’ai tendance à oublier tout le reste ! Mais ça va changer, je te le promets.— Tu dis toujours ça. N’empêche que tu faisais une drôle de tête, tout à l’heure.— Heu… en fait, c’est ton strip-tease. Ça m’a rappelé un certain rêve que j’ai fait avant-hier, des détails qui m’étaient sortis de la tête… jusqu’à ce moment précis.— Et donc ? Vas-y, raconte !Je lui relatai alors mes aventures oniriques. Le gnome barbu, le succube dans le salon, le réveil en plein désert, ma surprise de la voir débouler sur la scène d’un bordel… Au fur et à mesure de mon récit, la figure de Sophie s’allongeait. De pâle, son teint devint livide, lorsque j’évoquai le parchemin ratifié avec mon sang.— J’y crois pas… Tu m’as vendue contre un rab d’inspiration, murmura-t-elle.— Voyons Sophie ! C’était une simple rêverie, une chimère ! Comme si le talent pouvait s’acquérir ou s’échanger via un quelconque artefact… Mais c’est vrai, cette symbolique semble avoir débloqué quelque chose, une sorte de limitation inconsciente ou je ne sais quoi. Belle allégorie quand on y pense, non ?Je me rendis soudain compte que je pérorais dans le vide. Sophie avait enfoui son visage entre ses mains. Puis elle releva le menton pour me fusiller du regard :— Espèce de gros con ! Konstantinos nous a baisé tous les deux !Entendre ce nom dans la bouche aimée tua en moi tout mouvement d’humeur. Comment pouvait-elle connaître le patronyme d’une créature fantasmagorique que je n’avais jamais, au grand jamais, nommé devant elle ?— Ça veut dire quoi, ça :— Konstantinos nous a baisé tous les deux ? m’enquis-je, avant de me rendre compte du ridicule de la situation. Bon allez, on arrête ! Je te rappelle que tout ça n’est qu’un rêve, une putain d’hallucination et rien d’autre !— Ton hallucination m’a proposé un marché…— Quoi !— Et oui, les incubes maléfiques ne s’intéressent pas qu’aux écrivains. Parfois, ils démarchent aussi les épouses qui leur servent de secrétaire.— On nage en plein délire, là ! Un « incube maléfique » ?— Tu devrais en parler à Mme Robert, si tu ne me crois pas, assena Sophie.— Qui c’est encore, celle-là ?— Une voyante, qui exerce à trois pâtés de maison d’ici.— Ah ! Parce que tu consultes les voyantes, maintenant ? Pourquoi pas les mages ou les astrologues, tant qu’on y est ?— Écoute Olivier, tu as rencontré Konstantinos toi aussi, non ? Alors, plutôt que de te retrancher derrière des sarcasmes, tu devrais plutôt te demander comment nous sortir de là !— Qu’est-ce que cette voyante vient foutre là-dedans, en premier lieu ? C’est elle qui t’a branchée avec ce… ce personnage démoniaque ?Une longue pause. Puis, se jetant à l’eau, Sophie s’ouvrit à moi comme elle ne l’avait pas fait depuis des années, me livrant son sentiment sur notre relation de ces derniers mois, évoquant aussi des événements qui m’auraient fait sourire seulement quelques jours en arrière. Issu d’une longue lignée d’incrédules convaincus, de sceptiques bon teint et de mécréants, le surnaturel m’a toujours donné des boutons. Toutefois, en écoutant l’histoire que me rapporta mon épouse, je sentis mes convictions vaciller…ooOOooSon départ de la bibliothèque municipale de Chalons, il y a un an, avait marqué le début d’une période plutôt difficile pour Sophie. Son existence lui était soudain apparue vide et morne, mon indépendance pur désintérêt. Mon épouse s’était sentie délaissée, voire carrément abandonnée… Selon elle, je n’aurais pas su entendre ses doutes, ses inquiétudes, prenant ses remarques – parfois cinglantes mais toujours justifiées – pour une suite de jérémiades sans fin. Bref, je m’étais conduit comme un trou du cul égoïste et narcissique. Difficile à admettre, mais elle n’avait peut-être pas tort sur tous les points…Bref, c’était là qu’entrait en scène Mme Robert, Ludmilla de son prénom, une médium à l’extravagance décapante. Contre quelques billets, cette demi-folle avait joué les confidentes, rassurant Sophie sur mon attachement à son égard – à défaut de désir – et la dissuadant de demander le divorce. En quelques séances seulement, Sophie avait acquis une foi inébranlable dans les pouvoirs de cette bonne femme. Je cite :— Moins chère qu’un psy et nettement plus fiable. Et dire que c’était peut-être grâce à cette conne zodiacale, si nous étions toujours ensemble !Quand cette Pythie moderne lui avait proposé d’honorer le dieu Pan pour rebooster notre couple et accessoirement ma libido, Sophie avait sauté sur l’occasion. Une nuit de pleine lune, les deux femmes s’étaient donc retrouvées dans une clairière de la forêt de Fontenay pour un rite païen séculaire. Ludmilla avait fait déshabiller mon épouse – en plein mois de novembre ! – puis lui avait enduit les seins et les fesses d’une mixture infâme. Après quelques vagues incantations au clair de lune, Sophie s’était allongée sur un tapis de mousse et l’autre dingue lui avait alors tout bonnement léché la chatte…Je n’arrivais pas à le croire : cette goudou avait profité de la crédulité de Sophie pour lui brouter le minou, laquelle m’avouait en avoir retiré un certain plaisir, malgré sa crainte des voyeurs !Toujours est-il qu’un étrange bonhomme, assez petit et tout poilu, les avait surprises en pleine séance de cunnilingus sauvage. Il s’était présenté aux deux femmes comme « Konstantinos de Crête, génie de la virilité, pour vous servir ». Lorsqu’elle avait vu les pieds de bouc du nouvel arrivant et les petites cornes sur son front, Mme Robert avait frisé la syncope. Elle s’était vite reprise, heureusement, évitant à Sophie de devoir expliquer aux pompiers de Chalon ce qu’elles foutaient là, à minuit passé.L’esprit frappeur, exhibant un gourdin de taille respectable, leur avait alors suggéré de changer de jeu. Suggestion que les deux paganistes en herbe avaient poliment déclinée, précisant qu’elles n’étaient pas là pour la gaudriole. Puis la voyante avait introduit la requête de Sophie : obtenir de ce génie improbable que notre couple retrouve harmonie et complicité charnelle.— Désolé mes poulettes, avait ricané Konstantinos, mais ça, c’est pas dans mes cordes ! Bon, assez plaisanté… Bunga bunga, maintenant !Le supposé dieu de la fertilité avait alors fait preuve de manières fort déplacées envers mon épouse, tant et si bien qu’elle serait passée à la casserole sans la mixture qui lui enduisait le corps. Ce n’est d’ailleurs que d’extrême justesse qu’elle échappa au faune qui en voulait à sa fleur.— Stop ! avait hurlé la cartomancienne. Esprit dépravé, serviteur de la luxure, à malin, malin et demi, nous t’avons invoqué et tu dois te plier aux règles !— Si je veux ! avait objecté l’incube, sur le point d’embrocher Sophie, pour de bon cette fois. Lorsqu’on invoque Daemonis Silvarum Konstantinos, il faut être prête à en assumer les conséquences… !Sentant la pente glissante et la situation tout près de lui échapper, ma femme avait alors balbutié, en rougissant :— Ô grand génie viril, j’accepte d’être tienne pour la nuit… Mais seulement si à ton tour, tu daignes accéder à ma demande.De façon fort surprenante, le satyre avait relâché son étreinte.— Je ne puis exaucer ton vœu, belle blonde. C’est à contre-emploi de mes fonctions. Toutefois, je peux te procurer des plaisirs qui te feront oublier jusqu’à l’existence de ton mari.— Mais ce n’est pas ce que je souhaite ! avait fermement objecté mon épouse.— Réfléchis bien, mortelle. Ton corps est conçu pour l’amour, quiconque l’aperçoit en ressent aussitôt l’embrasement de ses sens… C’est pourquoi j’aimerais te proposer un tout autre marché.— Ne l’écoute pas, Sophie ! avait fulminé Mme Robert. Ce démon n’hésitera pas à causer ta perte !Ignorant les mises en garde de la voyante, ma femme avait laissé Konstantinos lui glisser sournoisement sa proposition à l’oreille.— Et en échange, je n’aurais qu’à…— Oui. À me consacrer une seule nuit, durant laquelle je prendrai l’apparence qu’il te plaira.— Tope-là ! avait aussitôt répondu Sophie, à la surprise générale.ooOOoo— Quoi ! m’exclamai-je. Tu as accepté de baiser avec ce monstre ? Et de ton plein gré, en plus !— Et alors ? Tu m’as bien vendue à lui ! À croire que tu me préfères ta tranquillité…— Je n’étais plus en pleine possession de mes moyens, figure-toi, après t’avoir vu faire la pute avec le naturel d’une traîne-bitume !— Impossible, répliqua froidement Sophie. Je n’ai jamais monnayé mon corps, même lors de mes ballades dans le multivers. Et puis quand bien même !— Le « multivers »… C’est quoi, ça encore ?Avec un long soupir, mon épouse entreprit de m’éclairer sur le marché passé avec Konstantinos. En échange du con promis, elle avait reçu la faculté de se téléporter dans le passé. Plus exactement, dans une série d’univers parallèles orbitant autour du nôtre à différentes époques. Parcourant les contrées et les siècles jusqu’à plus soif, Sophie avait vécu dans des palais antiques, succombé dans de sombres ruelles, participé à des orgies Romaines, rencontré tour à tour les personnages mythiques ou oubliés de l’histoire. Dans le multivers, cette dimension où jamais rien ne menaçait vraiment votre intégrité physique, elle avait goûté mille vies en ayant l’impression de vaincre la mort.— Tu ne me crois pas, bien sûr. Attends, je te montre !Et avant que je ne puisse répliquer, Sophie n’était plus là ! Elle venait de se désintégrer sous mes yeux… pour se rematérialiser, tout aussi soudainement, dans mes bras. J’en restai bouche bée !— Olivier, ça va ? T’es tout pâle !— Heu… oui. À part cette légère impression de devenir dingue…— En tout cas, pour ce qui est de ton « rêve », il s’agissait bel et bien d’un voyage temporel. Konstantinos a dû te catapulter en pleine conquête de l’ouest.— Et le succube ? piaillai-je alors, dans une puérile tentative de déni. Comment tu l’expliques, le coup du succube, hein ?— Même en passant tout ton temps dans ton foutu bureau, tu aurais fini par découvrir mes absences. Il me fallait donc une doublure…— Une doublure ? Je ne me suis pas marié pour vivre avec une poupée gonflable, moi !— Tu parles, ça te dérangerait pas de m’échanger contre Barbie, pourvu qu’elle te foute la paix ! s’emporta mon épouse, avant de secouer tristement la tête. Non, tu ne t’étais rendu compte de rien. La preuve que tu ne t’intéresses pas à moi…— En tout cas, je n’ai pas fait ce dont toi, tu m’accuses, tranchai-je. Et puis le pacte ne prendra effet que ce soir : il me suffit de rendre son don à cette charogne puante et nous serons quittes ! Il y a une clause résolutoire, et…— Tu m’as déjà dit tout ça, Olivier. Mais il est trop tard pour revenir en arrière. J’ai couché avec lui…Je la considérai avec la plus totale stupéfaction.— Quand, comment et pourquoi ?— Avant-hier, il est venu me retrouver à Saclas, en pleine Gaule Celtique. C’est là qu’il m’a demandé d’honorer ma part du contrat… Il a bien fallu que je le fasse, ajouta-t-elle d’une voix blanche.Cette crevure de Konstantinos avait décidément tout prévu ! J’allais lui faire la peau, moi, tout incube qu’il était ! Et dès ce soir ! Puis le souvenir de sa main serrant mon bras comme une vulgaire guimauve me revint à l’esprit…Oh putain ! On était vraiment dans la merde !ooOOooLa voyante habitait une petite maison au toit brillant, ancrée dans un jardin juste assez vaste pour un potager. Un bien grand mot pour quelques semis de tomates et un carré de laitues, à moins que ce ne fussent les futures citrouilles rondes et joufflues de la mère Robert.J’enfonçai à contrecœur le bouton de la sonnette. Bras croisés, Sophie tapait nerveusement du pied, juste derrière moi. Emmitouflés comme on l’était, on commençait à avoir chaud à faire le pied de grue devant ce pavillon en briques rouges. C’est qu’il faisait plutôt bon, sous le fragile soleil de mars. Le rideau en crépon d’une des fenêtres s’écarta enfin pour laisser s’encadrer une large figure très pâle. Lorsqu’elle nous vit, un grand sourire éclaira cette face lunaire et le voilage retomba aussitôt. La porte jaillit de ses gonds et Ludmilla de sa demeure :— Sophiiiie ! Mais quel bon vent t’amène, ma chériiiie ! ?— Une bien mauvaise tempête, je le crains, répondit ma moitié.Le devin en jupon grimaça. Elle n’avait rien vu venir…— Entrez, entrez ! babilla toutefois Ludmilla. Tu vas me raconter tout ça… Ton mari, je suppose ? fit-elle, en me désignant du menton.— Non, moi c’est l’amant du matin. Celui de l’après-midi n’était pas disponible.— Très drôle, balança Sophie. Dommage qu’on ne soit pas là pour rigoler.J’emboîtai le pas aux deux femmes. Elles ne m’avaient pas attendu pour s’installer au salon. Ludmilla désincarcéra un service en faïence d’une vitrine, disposa les tasses sur un guéridon, avant de s’éclipser vers une petite pièce sombre (la cuisine, supposai-je).— Je ne sais pas si c’est une très bonne idée finalement, soufflai-je.— Ah oui ? Et à qui d’autre en parler ? Aux flics, peut-être ? Si quelqu’un peut nous aider dans cette histoire, c’est bien elle !Je me réfugiai dans un silence réprobateur, n’arrivant pas à croire que je me trouvais dans l’antre d’une voyante, et par ma faute en plus ! Quelques minutes plus tard, la mère Robert revenait avec un pichet fumant et quelques gâteaux secs. Elle termina d’encombrer la petite table avec l’entrain d’un chef d’état convié à une réunion du G8.— Bon alors, qu’est-ce qui se passe exactement ? attaqua la bonne femme, bien décidée à nous occire avec son café passé au micro-onde.— Tu vas pas le croire : encore un coup de Konstantinos…— Pas possiiible ! ! !Commençait à m’énerver celle-là, avec sa manie de tirer sur les « i » pour manifester ses émotions…— C’est l’horreur. Il a réussi à faire signer un pacte à Olivier, dans lequel il me cède à ce monstre contre un regain d’inspiration…— Noooon ! hennit la chiromancienne, avant de m’épingler d’un regard chargé de mépris.Sophie entreprit alors la narration détaillée de ma rencontre avec le funeste barbu, depuis son intrusion surprise dans mon antre jusqu’au Chihuahua’s show… Trempant de temps à autre les lèvres dans son café, Ludmilla l’écoutait sans poser de questions.— Si j’ai bien compris, résuma enfin la voyante, Konstantinos a trouvé un moyen de convaincre ton mari que tu le trompais. Et là, en échange de sa signature au bas d’un parchemin, il lui a proposé le « don d’inspiration absolue »…— Non, mais attendez ! protestai-je. Il n’était pas question que je rentre dans son jeu ! On avait convenu d’un simple essai, deux jours sans engagement…— Et bien sûr, tu as gobé ses promesses. Le pire, c’est que ce benêt a dû se croire très malin.— Comment j’aurais pu deviner, moi, que t’allais lui tomber dans les bras aussi sec ?— Ce fameux pacte, vous n’en auriez pas un double, par hasard ? coupa Ludmilla.— Figurez-vous que non ! Je me voyais mal lui réclamer une photocopie… D’autant que je me suis réveillé dans mon bureau l’instant d’après, persuadé d’avoir fait un cauchemar. D’ailleurs, j’avais tout oublié jusqu’à ce que…Je m’interrompis en remarquant l’empourprement soudain de mon épouse.— Jusqu’à ce que… quoi ?— Rien d’important, éludai-je.— Laissez-moi seule juge, voulez-vous ?— Jusqu’à ce qu’on fasse l’amour dans le salon, lâcha soudain Sophie. Et que ça lui rappelle la scène où, soi-disant, j’ai vendu mon corps à deux quidams pas très catholiques… Sauf que je n’ai jamais fait un truc pareil !Se pinçant les ailes du nez entre les doigts, la voyante ferma les yeux un long moment, donnant presque l’impression qu’elle s’était endormie.— Ça y est ! s’écria-t-elle soudain, dans un sursaut d’extra-lucidité. Je crois avoir compris !— Compris quoi ? nous exclamâmes en chœur, Sophie et moi.— Comment Konstantinos s’y est pris pour berner Olivier. Et ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle…ooOOooJe n’avais jamais rien entendu d’aussi stupide ! Les hypothèses de Ludmilla ne tenaient pas la route ! De la mauvaise science-fiction, rien de plus…— Je n’y crois pas une seule seconde ! m’écriai-je, vindicatif.— Tu m’étonnes, ricana Sophie. M’avoir abandonné pour étancher ta soif de reconnaissance, ton irrépressible besoin de réussite… Dur à admettre, n’est-ce pas ?Évidemment, cette version des faits arrangeait Sophie, vu qu’elle la dédouanait de toute responsabilité et me laissait seul fautif.— Vous ne pensez pas qu’il y a mieux à faire que de chercher un coupable ? trancha la voyante. Ce n’est pas ça qui empêchera Konstantinos de réclamer son dû ce soir ! Et de repartir avec !À ces mots, ma femme se tassa sur elle-même, pâle comme un cierge en train de fondre.— Votre théorie est délirante ! persistai-je.— Et pourquoi donc ?— Admettons, comme vous le supposez, que ce monstre ait la possibilité de voyager dans le temps. Alors quoi, il me projette dans un futur où il a déjà obtenu que je lui cède Sophie, un futur où, par-dessus le marché, il la prostitue, juste pour que je signe un document que de toute façon il est déjà censé détenir ?— C’est positivement retors, je vous l’accorde. Mais n’oubliez pas qu’à un moment ou à un autre, ce démon a besoin de votre signature. Alors, il décide de brouiller les pistes en vous mettant face aux conséquences de vos actes… avant même que ceux-ci n’aient lieu !— Ridicule !— Extrêmement malin, au contraire. D’ailleurs vous avez accepté son offre, non ?— On nage en plein paradoxe temporel !— Pour une entité qui se joue aussi bien du temps que des humains, ce n’est pas vraiment un souci, objecta la voyante. Sachez, Monsieur Carkanpois, qu’un incube ne lâche jamais prise. Surtout Konstantinos, obsédé qu’il est par votre femme depuis qu’il l’a vue nue dans les bois…J’envoyai valdinguer chaises, tasses et guéridon pour sauter à la gorge de Ludmilla. Sophie tenta de s’interposer, tandis que je nouais solidement mes doigts autour du cou de cette grosse truie.— Tout est de ta faute, putain de merde ! hurlai-je, en la secouant comme un prunier.Ça, c’est ce que j’aurais voulu faire. En réalité, je me contentai de siffler mon restant de café en réprimant des envies de meurtres… Pendant ce temps, le regard de mon épouse se perdait dans le vide.— Ça va, Sophie ?— Pas trop, à vrai dire. Je me sens un peu dépassée, là… Konstantinos a toutes les cartes en main et je ne vois pas ce qu’on pourrait faire pour l’arrêter.— Détruire le pacte, assena Ludmilla. C’est le seul moyen. Bien sûr, il faudra le bousculer un peu pour le lui reprendre.— Alors ça, ça nous aide vachement ! Merci ! Vous ne vous êtes jamais colletée avec ce type, on dirait…— Il nous faudra peut-être un coup de pouce, admit la voyante. J’ai justement un vieux bouquin, « Daemonum Invocatione », parfait pour s’attacher les services de puissances occultes supérieures…— Sauf votre respect, chère Ludmilla, vous ne pensez pas en avoir fait assez comme ça ?— Et vous, Olivier, ne croyez-vous pas qu’il aurait été plus sage, en temps voulu, de se contenter de votre propre inspiration ?— Il faut tout tenter ! nous pressa soudain Sophie d’une voix blanche. Tout, plutôt que de laisser ce vieux satyre poser à nouveau ses sales pattes sur moi ! [À suivre…]