Éloge du toit et prière épistolaire pour un été moins cachottierMon toi, mon tout, mon amour d’homme,Tu m’écris souvent, je ne le fais jamais, comme si vivre sous le même toit et dormir dans le même lit me dispensaient de te donner de mes nouvelles, du plus loin de mes pudeurs stupides, du plus profond de l’amour que je te porte, pourtant. Comme si de nouvelles caresses ne méritaient pas de te surprendre ou te chatouiller, du bout d’une plume tendre ou coquine.Tu es ma boussole, mais aussi mon baromètre amoureux. Voilà des mois qu’il est un peu maussade : mes humeurs sont parfois en phase avec la lune, les tiennes sont sensibles à la météo. Ce n’est pas tant que tu haïsses le froid ou la pluie, c’est que tu détestes qu’ils s’invitent hors saison. Toi qui es volontiers bordélique, tu voudrais pour une fois que tout soit parfaitement rangé dans le calendrier de nos amours, et que rien ne perturbe l’azur dont tu rêverais qu’il nous couvre à présent. La lumière et la chaleur te manquent d’autant plus que les nuages s’accumulent sur tous les fronts. Tes soucis, tes doutes, ton travail, l’épuisement qui te guette à force d’accumuler leur charge, les jours qui défilent tous pareils, sans contraste, uniformément laborieux, gris et pluvieux ; on en perd le cap, on se contamine à l’immobilité si pesante. Ce n’est même pas la mélancolie, la tienne est douce et te va si bien, elle chante sur des accords sucrés-salés de bossa-nova, elle nous couvre et nous réchauffe de ta tendresse et ta bienveillance, elle me murmure ton désir, avec juste ce zeste d’amertume dans nos mélanges amoureux, comme si tu redoutais que tout s’érode sous les gouttes, même mes regards, même mes baisers, quand les tiens sont si avides de se poser sur moi tout en craignant de s’imposer, de n’être pas invités, d’être encombrants.Et puis l’été qui tarde toujours, et puis la pluie qui tombe encore, qui mouille tout de désenchantement. Tu dépéris, je te vois bouffé par l’impatience, je te vois seul, ténébreux, inconsolé, presque veuf, mon doux Prince d’Aquitaine à la Tour abolie, mon bel amour frigorifié.Moi qui suis si frileuse, je l’espère aussi, cette chaleur estivale, je l’attends de pied ferme, je voudrais qu’elle accompagne enfin tes doigts sur mon épiderme, mais elle n’est hélas toujours pas au rendez-vous ce 10 juillet.Rejoins-moi, serre-moi dans tes bras, que je te rassure, que je te prouve combien j’ai besoin de ta peau contre la mienne par tous les temps. Je ne vais pas pour autant te réciter nos quatre saisons du sexe en boucle, comme la musique d’attente au service clientèle de la banque. J’ai pourtant fait provision de souvenirs pour tracer chacun de leurs mouvements sur la partition. Rappelle-toi, nous les avons fait chanter à l’unisson, nos jeux amoureux sous l’averse, nos brûlantes étreintes enneigées, et même ce parfum de feuilles mortes et de mousse, coussin improvisé pour mes fesses nues dans un sous-bois, un jour que tu me voulus biche aux abois et que tu te fis chasseur au cœur tendre.Pour parler de sexe et d’été, il est rarement nécessaire de recourir au fantasme, la mémoire est si féconde. La saison est chaude à plus d’un titre, elle invite à la flânerie, aux rencontres et aux envies gourmandes, elle charge d’une intensité particulière les regards et les aimante comme dans la chanson sous nos courtes jupes de filles. Elle fait lever une moisson de souvenirs mûris par le soleil, et nous en avons engrangé assez de lumineux que pour survivre aux aléas et aux morsures du temps.Je le sais, j’y crois, l’été reviendra, et avec lui mon petit fantasme préféré. Comme tu le sais, il ne se décline pas nécessairement en « Sea, sex and sun ». L’amour à la plage, bof… Le fantasme est répandu, sa concrétisation pas si idyllique.C’est bien perchés sur le toit que nous avons décroché nos plus belles étoiles.⁂L’amour sur le toit, je l’ai découvert en vacances grâce à un beau jeune homme tendre. Je t’en fais la tardive confidence, tu n’es pas jaloux, tu aurais tort de l’être, ce garçon-là t’annonçait longtemps à l’avance, non pas comme un brouillon, mais comme un joli haïku, si bref et inattendu, à peine un baiser qui se pose et s’envole avec des grâces de papillon, sans même vous laisser de regret, juste une trace de fraîcheur sur les lèvres.J’avais reçu de maman la permission de deux heures, ce qui lui permettait au moins de sauver les apparences, puisqu’elle avait enfin cette année-là compris que son aînée n’était plus une petite fille, et avait jugé le moment venu d’aborder le sujet de la pilule. « Ça ne vaut pas encouragement », avait-elle précisé comme tu t’en doutes, tandis que la gynéco me tendait la prescription en souriant, ajoutant que cette protection-là ne me dispenserait pas forcément de l’autre.Maman avait rencontré mon petit flirt de vacances, l’avait trouvé charmant, adorable et digne de confiance, et ce fut plutôt attendrie qu’elle nous souhaita une bonne soirée, en me dispensant pour une fois des recommandations d’usage.Nous nous baladâmes main dans la main dans la station balnéaire, entre léchages de glaces, de vitrines et de museaux, et puis il me demanda si je voulais aller en boîte et je n’en avais aucune envie. Le temps nous était compté, j’avais envie de tout autre chose, je le lui ai fait comprendre de façon muette, et nous sommes montés un peu silencieux au sommet du bloc d’appartements un peu vieillot qu’il partageait avec des amis, dans une ruelle poussiéreuse. Le seul luxe était une terrasse assez large où ils prenaient leurs repas sur une table en plastique. Sur le côté, la plateforme suivait un décrochage, et quelques échelons ancrés dans la façade, cerclés à intervalles réguliers d’une ceinture de métal, permettaient de rejoindre un toit plat, ou il lui arrivait de dormir. Il y avait installé un large matelas pneumatique et son sac de couchage. Il est allé chercher de quoi boire, nous nous sommes apprivoisés sans hâte. Quand les échos du vacarme de la rue se sont un peu apaisés, ils ont laissé un peu d’espace à nos murmures et nos soupirs, et il m’a déshabillée lentement, avec une délicatesse infinie. J’étais si jeune encore, mais avais déjà connu le sexe, j’ajouterais presque, hélas. Mais c’est bien avec ce beau jeune homme que j’ai vraiment découvert ce que c’était de faire l’amour, et je lui suis encore reconnaissante de m’avoir guérie de ce faux départ et de son empreinte un peu amère. C’est peut-être pour ça que l’amour sur le toit m’est si doux : c’est grâce à lui que j’ai découvert sous le ciel combien le désir d’un homme pouvait être beau et respectueux, presque sacré. C’est la mort dans l’âme que je dus chaque fois quitter prématurément mon doux Roméo dans les bras duquel j’aurais tant aimé vivre le réveil. Et c’était d’autant plus con que Maman devait bien se douter que cet amour de vacances ne resterait pas longtemps platonique.Le petit fiancé s’en est allé, les serments éternels conjurant la distance ne le sont pas restés longtemps, ils étaient pourtant sincères. Mais la rencontre de ce garçon m’a élevée sur des altitudes dont je ne suis jamais vraiment redescendue. Disposer d’un toit, ce devrait être un droit universel, mais le comble du luxe n’est pas de s’y abriter, c’est bien de dormir sur sa couverture pour y toucher ses rêves.Plus tard, au cours de mes années d’études, j’ai connu des escapades amicales sur le toit, chez Fred, un copain qui logeait dans une chambre de bonne. Guidés par son bras ferme, nous passions successivement la tête puis le corps à travers la lucarne, un peu hésitants, nous débouchions alors sur le sommet du bâtiment, où tout semblait si libre et si léger, la ville y redevenait presque sauvage sous cet angle inédit, comme si nous la voyions pour la première fois en relief. Nous progressions prudemment jusqu’à une surface de zinc dont la pente était très douce. Nous y refaisions le monde en le dominant, et je soupçonnais Fred d’y emmener parfois sa copine pour des débats plus intimes. J’osai l’allusion, Valentine me répondit d’un clin d’œil, et c’est comme ça que je me découvris membre d’un groupe bien plus large que prévu, actif, mais volontairement discret, comme le pêcheur rechigne à partager ses meilleurs coins d’eau vive.J’ignore comment tu t’y pris, après notre rencontre, après que je t’eus révélé mon petit secret aérien, mais tu trouvas plus d’une fois le moyen de nous faire jouer les chats de gouttière. Le cœur battait si fort : il y avait le goût du danger, assez relatif, les toits n’étaient pas si pentus, et nous n’en tutoyions pas les bords. Il y avait le vertige de ne jamais être certains de ne pas être vus. Et surtout il y avait toi, l’indispensable complément pour que l’expérience ne fût pas seulement fantasme, mais pur frisson. Après l’amour, blottie contre toi, mes yeux suivaient la trace clignotante d’un avion en survol, et je riais en imaginant les encartés au Mile High Club et leurs pauvres séances de baise bâclées à la hâte dans une chiotte de Boeing, quand nous avions pour nous toute la nuit, et à perte de vue les lumières de la ville pour illuminer nos émotions.⁂Bien sûr, il n’est pas toujours nécessaire de grimper si haut pour s’aimer à la belle étoile, mais laisse-moi te prouver que rien ne surpasse nos amours faîtières.Dormir sur la plage ? Je l’ai fait à 21 ans sur une île espagnole avec un groupe de copains et copines, et ça ne m’a pas davantage stimulé la libido qu’en plein jour. D’abord, j’y étais cette fois-là en célibataire. Ensuite, la soi-disant douce petite brise marine ne tardait pas à vous faire frissonner, vous obligeant à vous envelopper dans votre sac à viande comme une momie. Et puis l’endroit n’était pas très rassurant, puisque notoirement pas toujours bien fréquenté la nuit. Je me souviens avoir mentalement maudit, à chaque réveil nocturne, celui d’entre nous qui avait eu cette idée néo-baba à la con. Probablement le même que celui qui avait suggéré de faire précéder le sommeil du sacro-saint bain de minuit, une motion plébiscitée avec d’autant plus d’enthousiasme par les garçons qu’elle leur fournissait une bonne occasion de nous mater à poil.Le pis-aller du lit d’amour à l’extérieur, c’est le camping. Quand il est sauvage, il est rarement licite. Quand il est aligné en parcelles, il n’est pas très intime. Et puis dormir avec un amoureux sous la tente n’est pas très convaincant : non seulement y est-on privée du confort, mais on a l’impression de baiser non pas avec, mais dans la capote. Je ne me prononcerai pas sur les caravanes, je n’y ai jamais logé. Mais il y flotte une odeur de plastique que je trouve oppressante. C’est un peu la même que j’ai retrouvée dans la cabine étroite de ce voilier sur lequel nous avons navigué il y a quelques années, à l’invitation de ton beau-frère et de ta sœur. Un magnifique 40 pieds qu’ils avaient loué avec deux de leurs copains férus de voile.Le bateau était bien équipé et plutôt confortable, mais quand vint la nuit, et que je me blottis contre toi dans notre cabine exiguë, loin de me sentir protégée dans ce cocon amoureux, j’y gigotai nerveusement, comme un poisson pris à l’hameçon panique hors de son élément.Rien à faire : dès que vient l’été, j’ai le sommeil et la libido claustrophobes. Aussi, en tâchant d’être silencieux, nous avons déplacé la galette du matelas jusque sur le pont, et celui-ci avait beau ne surplomber que de peu la surface des flots, j’avoue qu’il formait pour moi bel et bien un toit, et un toit magnifique. Nous nous sommes allongés sur la plage avant, nous y avons goûté en silence cette émotion familière. Nous avons été sages, un peu trop à ton goût, peut-être. Je me suis réveillée tôt, très tôt, une lueur commençait à peine à manger l’horizon, et tu me regardais déjà en silence, un coude posé sur le pont pour soutenir ton visage tourné vers le mien. Un réveil de Belle au bois dormant, et bien sûr le prince chercha son baiser. Le premier fut tout doux, tu en réclamas un plus fiévreux, c’était sans compter sur mon éternelle petite phobie matinale.— Non, attends, pas avant la brosse à dents…— Même ici ?— Embrasser un homme qui pue du bec, c’est presque pire que sucer une bite un peu douteuse.— Carrément ! Tu as de ces images… Je pue du bec ?— Si tel avait été le cas, tu ne m’aurais jamais mise dans ton lit. C’est chez moi rédhibitoire. Et puis c’est plutôt pour ma propre haleine que je suis toujours inquiète.— Tu as bien tort.— Peu importe. J’y peux rien.Je suis allée chercher à pas de loup nos trousses de toilette et une bouteille d’eau et nous nous sommes lavé les dents. Tu m’as faire rire en prenant ta mine de petit garçon obéissant, et plus encore quand tu t’es allongé contre moi pour réclamer ton baiser de récompense bi-fluoré.Quelque chose te tracassait, pourtant, et je t’ai scruté d’un regard interrogateur.— Bon, maintenant, rassure-moi… Je refoule de la floche ?J’ai éclaté de rire, au risque de réveiller toute la flottille au mouillage.— Laisse-moi vérifier…Ma petite inspection fut consciencieuse et rassurante, couvrant de minuscules baisers ta belle érection matinale, offrant même un brin d’audacieuse toilette amoureuse à tes bourses. La température de l’aube a grimpé brutalement, ce qui a sans doute justifié que tu retrousses mon t-shirt et ôtes mon petit bas de pyjama, et tu n’as pas tardé à me prouver que tu n’attendrais pas le petit déjeuner pour satisfaire ton bel appétit.L’horizon n’était plus une simple lueur, le disque solaire montait désormais au rythme lent, mais obstiné de nos désirs, et nous avons fait l’amour avec précaution. Prudents et discrets, mais pas assez pourtant, parce que la voix de ta sœur a retenti, montant vers le cockpit et le balcon.— Ça va les amoureux, on a dormi à la belle étoile ?C’est là qu’elle a dû apercevoir ma croupe ondulant en vagues lascives sur la virilité de son frère cadet.— Oh pardon ! s’est-elle exclamée, avant de s’éclipser en riant dans la cabine.Tu as ri, toi aussi, tu m’as attirée vers toi pour me cajoler en me voyant saisie par la honte, mais ça nous a tout de même coupé l’élan.— C’est chiant, la voile, ai-je lâché.— Sois pas si négative.— On est condamnés aux étreintes clandestines ? Tu vas me baiser dans un placard toute la semaine, en collant ta main sur ma bouche ?— C’est ça, le dinghy, ou alors te baiser devant tout le monde.— J’en découvre de belles sur les mœurs de ta famille…— Non, mais ça va pas, tu vas rester polie ? Tu la veux, ta fessée ?— Je commence à comprendre.— Quoi ?— D’où viennent tes fantasmes polissons.— Non, ça, c’est juste la faute à ton beau petit cul.— Merci pour lui.— Et puis ne vas pas prétendre que tu n’aimes pas ça.— Quoi ?— La fessée coquine.— Parfois, à dose homéopathique. J’avoue. Tout dépend de l’humeur et du contexte.— Qu’est-ce que tu dirais du pont d’un voilier au soleil levant ?— T’oserais pas. T’es pas cap’.J’avais parlé trop vite. Ou peut-être avais-je envie de te provoquer. En tout cas, une paire de claques symétriques et sonores a successivement retenti sur mes fesses – pas de jalouses – y imprimant aussitôt un picotement un peu brûlant.— Aïe !— Trop fort ? Désolé.— Salaud ! J’aurai ma revanche.— Chiche !Contre toute attente, c’est avec une infinie douceur que tes mains se sont mises à consoler mon fessier, comme un prélude à la reprise des amoureuses hostilités.Des voix masculines se sont aussitôt animées sous le pont, s’échappant par les hublots, et tu m’as accordé cette concession :— Finalement, t’as raison, ma belle, c’est chiant la voile.— Qu’est-ce que je te disais ?On s’est resapés du minimum en vitesse, tu m’as prise par la main et nous avons rejoint la plage arrière où tu m’as entourée de tes bras. Mon beau-frère et ses deux potes ont émergé de la descente, bientôt suivis par ma belle-sœur, qui nous a tendu un mug d’affreux café soluble, mais bien chaud.« Vous avez loupé le lever du soleil. C’était un spectacle magnifique », a-t-elle ironisé en s’adressant aux garçons, avant de m’enlacer et me coller un gros baiser sur la joue, en me voyant rougir un peu. Je l’aime bien, ta sœur, et je crois que c’est réciproque.Je suis de mauvaise foi, bien sûr : ce fut une jolie semaine de plaisance, joyeuse et amicale. Et ce n’était pourtant pas gagné d’avance, parce que c’est périlleux, la voile, pour les couples comme pour les groupes. Tant que l’équipage est homogène dans sa compétence et son goût de la performance, on tient bon le cap. Mais ajoutez un béotien et sa touriste de gonzesse, et le ver est dans le fruit. Les uns voudraient plus souvent jeter l’ancre, les autres se plaignent de l’inutilité des poids morts, à commencer par celle de cette connasse qui ne pense qu’à se faire dorer la couenne sur le pont. Vous voilà alors plongée dans l’ultime confinement, celui où la distance sociale est impossible, et l’explosion probable à tout moment. Mais rien de tel cette fois-là : les marins communiquèrent un peu de leur passion à ceux qui ne l’étaient pas, et puis, rassurés, concédèrent bien volontiers des escales paresseuses pour explorer des criques sans trop d’égard pour la moyenne.Il n’empêche que de retour au bercail, nous avons trouvé l’accablement de la canicule, mais heureusement aussi le chemin du toit, cette île amoureuse où nous sommes cette fois seuls au monde. Il n’est chez nous praticable que sur une plateforme modeste, mais il n’en constitue pas moins mon balcon préféré donnant sur le plaisir.Le toit – c’est devenu entre nous un motif de plaisanterie – constitue désormais un critère important pour tout éventuel surclassement immobilier. Un jacuzzi ? Non merci. J’ai jusqu’ici très bien vécu ma sexualité sans recours au vibromasseur, alors quitte à plonger en bonne compagnie, je préfère la piscine à la friteuse et la main-d’œuvre du bon artisan aux jets d’air pulsés sur télécommande.Seul un bout de toit plat ou presque, même exigu n’est pas négociable.Depuis quelques années, nous ne vivons plus au centre-ville, après avoir longuement pesé le pour et le contre. Et c’est vrai que le toit ultime pour m’emmener au septième ciel reste urbain, il ajoute à l’expérience quelque chose de clandestin, il l’enveloppe des ronflements de la ville en demi-sommeil, parfois traversés par le miaulement d’une sirène. Mais de toute façon, ce toit-là ne nous était qu’exceptionnellement accessible, celui-ci l’est à volonté quand les nuits sont aussi brûlantes que nos sens. Nous y avons assemblé quelques palettes en guise de sommier, qu’il n’y a plus qu’à couvrir d’un matelas, d’une paire de draps frais, et tant pis pour la moustiquaire : nos plus jolis combats méritent bien quelques blessures.J’aime les voyages, le dépaysement, traverser d’autres paysages et entendre des langues qui ne sont pas la mienne, avec pour plus précieux bagage celui avec qui partager ces bonheurs-là. Mais la plus érotique de mes destinations n’est pas obligatoirement exotique. Regarde le magnifique album de ce photographe parisien* : voilà un décor qui m’inspire davantage de pensées coupables que la plage aux cocotiers. Tu y trouveras tout : les forêts d’antennes et les cheminées de fées, les plus fiers monuments qu’on ose désormais tutoyer, des puits de lumière d’où l’on peut être à la fois impudiques et indiscrets, et toute la magie d’une ville comme une maquette aux maisons de poupées, pour y jouer ensemble dans toutes les positions, les aériennes, les alanguies, les verticales, jusqu’au muret qui appelle la levrette.⁂La nuit tombe sur le toit et tout devient plus intime. Elle nous pousse à murmurer les mots et les choisir avec soin, pour qu’ils soient rares, parfois tendres et parfois crus, pour que tout se fonde dans l’obscurité de nos désirs inavouables, pour que tout soit permis et rien ne soit trivial, que j’y sois ta princesse ou ta pute, que tu sois mon tendre bourreau ou mon captif amoureux, peu importe, tant que nous goûtons sous ce décor éternel l’illusion fusionnelle de l’être aussi.C’est bien à toi que j’adresse ce petit texte somnambule, comme un préliminaire de papier, une prière profane.Vivement que reviennent les chaudes nuits d’été sur le toit, mon amour, celles où tu me déposes nue sur le matelas, comme si tu offrais mon cul en sacrifice à des dieux obscurs. Celles où les grillons se déchaînent, telle une armée de voyeurs excités par nos caresses et nos audaces. Qu’allongée sur le dos, je m’ouvre sous la lune aux marées de ton corps, pour que s’accomplisse le mystère du plaisir, pour qu’il aille du frisson à la fièvre, jusqu’à ce qu’emportée par les mouvements toujours plus sauvages de ta queue dans mon con, je jouisse les yeux perdus dans les étoiles.*https://www.alaincornu.com/art/sur-paris/