Il y a quelque temps, j’avais écrit une nouvelle sur Rêvebébé que j’avais appelée « Inhumains ». Le but était de dénoncer la tendance de certains à considérer qu’on peut tout faire subir à un personnage de fiction du moment qu’il n’est pas humain. J’avoue que cette idée m’est venue un peu sur un coup de tête et que je n’aurais jamais publié ce texte si j’avais mis plus de temps à l’écrire. Je me suis laissé emporter par une idée de scénario, une histoire qui s’est écrite d’elle-même dans ma tête et qui s’est rapidement avérée trop longue pour que je la rédige jusqu’au bout sans abandonner en plein milieu ce combat dont, après tout, tout le monde se fout (ce qui est bien normal).Le résultat a été un texte assez moyen, qui n’intéresse pas grand monde sur le fond et qui n’émeut pas grand monde sur la forme. Cependant beaucoup m’ont reproché d’avoir fait un texte trop court et m’ont demandé une version plus longue, voire une série. Il m’a pourtant fallu attendre le mp d’un évaluateur pour me convaincre de faire cette suite. Je dois dire que je me suis bien fait taper sur les doigts, mais ça a été efficace puisqu’à présent ils s’activent sur ce clavier. Il a juste fallu que j’attende un peu que la douleur soit passée…Bref, nous voici de retour sur Vulcain – ou plutôt nous y serons bientôt, puisque l’action démarre dans une galaxie bien moins lointaine – et vous allez pouvoir en savoir plus sur cette planète et ses habitants. Néanmoins je tiens à vous prévenir tout de suite, je n’ai peut-être pas le talent d’un Atchoum ou d’un Maldoror, mais mon but avec cette série est bien de vous écÅ“urer, de vous filer la nausée, voire de vous faire vomir tripes et boyaux, et je ferais tout pour parvenir à mes fins (peut-être pas dès le début, l‘horreur est un plat qui cuit lentement). Si ce n’est pas le cas, ça signifiera soit que vous êtes blasés, soit que je ne suis définitivement pas un auteur border-line. Maintenant que vous êtes prévenus, libre à vous de lire la suite ou non.* * * * *20/11/2343, 23 h 30, Paris, France, Terra PrimaLéane regarda par la fenêtre. À cette heure-ci, Paris était presque plus illuminée qu’en plein jour. Les transurbains serpentaient entre les immeubles en vrombissant, et les avicycles et avimobiles planaient dans les embouteillages. Le bruit devait être assourdissant, dans les étages inférieurs. Mais ça faisait des années que Léane n’y avait pas mis les pieds. Elle était dans les centaines, et elle espérait ne jamais avoir à redescendre. Le bitume n’est pas un endroit où vivre. Plus on s’en éloignait, plus on avait peur d’y retourner. Dans les étages supérieurs, surtout au-delà du centième, la vie était plus facile.Non, pas plus facile. Plus compliquée, même. Léane était sans cesse sur une corde raide, elle savait qu’au moindre faux pas elle retomberait dans les entrailles de la ville. La vie était moins violente. Moins dangereuse. Plus confortable, aussi. Plus luxueuse, sans doute, quand on y portait un quelconque intérêt. Mais il y avait certaines choses que même les étages les plus élevés ne pourraient jamais apporter.Léane regarda le ciel. Pas d’étoiles, ce soir encore. En bas, on disait que ceux d’en haut pouvaient voir des milliers de soleils brûler chaque nuit dans l’infinie profondeur de l’espace, comme dans les siècles passés. Mais même ici, on ne pouvait en réalité voir les étoiles qu’en de rares occasions, et jamais plus de trois ou quatre. La pollution était trop forte. D’après ce qu’elle avait entendu dire, même dans les contrées les plus reculées et les plus sauvages, on ne pouvait à présent plus voir le dixième de celles qui brillaient par le passé dans le ciel nocturne. Par contre, ici, elles étaient remplacées par des panneaux publicitaires qui flottaient entre les immeubles pour vanter les miracles du nouvel aspirateur ou rappeler que la prochaine starlette serait élue d’ici quelques mois à l’issue d’un concours d’holoréalité.Léane fut tirée de ses pensées par une musique stridente. Sur son fauteuil, Valérie s’étira, éteignit l’holoviseur qui diffusait une série à l’eau de rose et alla récupérer sur une étagère l’appareil qui sonnait et clignotait. Elle appuya sur un bouton et le buste d’un homme d’âge mûr en uniforme militaire apparut devant elle en deux dimensions. D’après les décorations sur son uniforme, c’était un lieutenant.— Damoiselle Valérie de Hautetour ? interrogea l’homme.— Elle-même.— Lieutenant Hammer au rapport. Vous venez de recevoir un nouvel ordre de mission.— Je vous écoute.Léane reprit la tâche qu’elle avait interrompue pour regarder par la fenêtre. Elle commença à dévisser le canon de son arme et l’inspecta minutieusement. Pendant ce temps, la conversation continuait.— Vous êtes appelée à servir sur Vulcain, dans la ville de Nouvelle Bordeaux. C’est une colonie franco-britannique, aussi prenez garde à ne pas provoquer d’incidents. Vous recevrez prochainement toutes les informations nécessaires pour remplir vos fonctions. Vous prendrez demain le vol pour Kourou à onze heures.— Bien reçu, lieutenant, vous pouvez disposer.L’officier fit un salut militaire, puis son image disparut. Valérie retourna devant son holoviseur et reprit sa série où elle l’avait laissée. Léane enduisait l’intérieur du canon de son pistolet d’huile à laser. Il était indispensable de répéter l’entretien régulièrement si elle ne voulait pas que l’arme surchauffe, fonde ou se bloque. Elle devrait ensuite s’occuper d’autres éléments de l’arme, puis répéter les opérations sur son autre pistolet et son fusil. Cependant, la voix de Valérie l‘appela alors qu‘elle s‘apprêtait à s‘occuper de la gâchette.— Léane ?— Oui, Mademoiselle ?— J’ai envie.Léane s’interrompit et posa son arme démontée sur la table basse. Quand sa maîtresse désirait quelque chose, il était inutile d’essayer de l’en dissuader. Elle se tourna vers elle et l’observa. Valérie avait bien évidemment le même âge qu’elle, mais elle paraissait plus jeune. De longs cheveux blonds qui cascadaient dans son dos, des yeux d’un bleu limpide, une peau pâle constellée de taches de rousseur, des dents d’un blanc éclatant et parfaitement alignées, des lèvres pleines, des jambes interminables, des bras minces et une lourde poitrine qui tendait à craquer son tee-shirt blanc surmontant une taille de guêpe.Tout était faux. À l’origine, Valérie avait les cheveux noirs et les yeux verts, sa peau bronzait facilement, et si on l’avait laissée grandir normalement, elle mesurerait un mètre soixante-sept et aurait une poitrine aussi plate qu‘une vitre. Sa mère, d’abord, avait payé les meilleurs chirurgiens génétiques pour lui recolorer définitivement les cheveux et les yeux et modifier son organisme pour qu’il produise davantage d’hormones de croissance et moins de mélanine. À l’adolescence, Valérie s’était fait refaire 95 % du visage en cinq ans pour suivre la mode. À seize ans, elle s’était fait refaire les seins jusqu‘à ce qu‘ils atteignent la taille et la forme de deux pastèques mûres. Enfin, depuis l’âge de sept ans, elle se faisait régulièrement faire une antilipie, sans quoi elle ferait à ce jour dans les 200 kilos. Cependant, personne n’aurait pu se douter à la voir que ce corps était en si grande partie artificiel.Léane vint s’agenouiller devant elle et posa les mains sur ses cuisses.— Une seconde, fit Valérie en tendant une main devant elle.Elle ouvrit un tiroir dans le meuble à côté d’elle, en retira deux écouteurs qu’elle enfonça dans ses oreilles, puis attrapa son poket et sélectionna une musique. Elle ferma alors les yeux et se laissa aller en arrière en murmurant :Léane retira la culotte qui la séparait de l’intimité de la jeune fille, dévoilant une fine toison blonde qui poussait en triangle, et glissa sa tête entre ses cuisses. Valérie se tortillait et gémissait sous ses coups de langue, passait les mains dans la chevelure rousse de son jouet, comme pour la retenir, et faisait des grimaces caricaturales pour exprimer son plaisir. Sa compagne savait parfaitement comment lui procurer du plaisir, où et quand s‘activer pour obtenir l‘effet maximum. Elle finit par pousser un long et puissant hurlement de jouissance et renversa la tête en arrière dans un tourbillon de cheveux blonds.Elle saisit alors Léane par les joues et la tira à elle, pour déposer sur ses lèvres un baiser auquel sa compagne s’efforça de répondre. La langue de Valérie pénétra dans la bouche de la rousse et s’imposa en maîtresse absolue, écrasant celle de Léane et balayant son palais et ses lèvres pour recueillir le plus possible de salive et de cyprine. Elle mit enfin un terme à leur baiser mais garda la tête de sa servante dans ses mains et se mit à parler, la bouche à hauteur de ses yeux.— Léane, tu es à moi ?Léane pouvait sentir le souffle frais de Valérie sur son visage et son haleine parfumée dans ses narines. Ses dents blanches et parfaitement alignées et sa langue rose qui dansait sous ses yeux à chaque mot. Ses lèvres pleines qui esquissaient un sourire séducteur et prédateur.— Oui. Je suis à toi.— Tu resteras toujours à moi ? Tu ne feras jamais de bêtises, hein ? Tu me promets de toujours être gentille avec moi ?— Oui. C’est promis.Le sourire béat de Valérie était tout ce qu’elle voyait. Le même sourire qu’elle avait, enfant, quand elle jouait à la poupée. Léane se sentit tirée en avant. Sa tête s’enfonça dans la poitrine de sa maîtresse qui la serra fort contre elle.— Tu es un amour, Léane. Toi tu ne m’abandonneras jamais.Elle sentit une larme tomber sur sa joue et rouler jusque dans son cou. Elle savait comment ça allait se terminer. Quand Valérie la relâcha, elle se redressa et ôta ses vêtements. Quand elle se leva pour laisser son pantalon glisser le long de ses jambes, Valérie la regardait, le visage inondé de larmes. Elles s’allongèrent toutes les deux côte à côte, entièrement nues. Et la blonde maîtresse vint se lover dans les bras de sa servante. Elle s’agrippa à elle, l’entourant de ses bras et de ses jambes, et déposa ses lèvres sur son sein gauche. Bien que plus modeste, la poitrine de Léane était également imposante. Valérie l’avait fait refaire quand elles avaient dix-sept ans. Peu après la mort de sa mère.Les lèvres pleines et artificielles tétaient son sein avec application et gourmandise. La jeune maîtresse s’assoupissait peu à peu, alors que Léane passait la main dans ses cheveux pour la calmer. Enfin la blonde s’endormit. Après quelques minutes, la jeune fille se dégagea de son étreinte. Elle prit sa maîtresse dans ses bras, l‘amena dans son lit. La borda. Retourna s’asseoir devant la table basse. Et reprit l’entretien de ses armes. Elle trempait le hérisson dans l’huile à laser, l’enfonçait dans le canon et ramonait. Ses gestes étaient toujours les mêmes. Ils étaient intégrés à son quotidien, presque rituels.Une fois qu’elle eut fini, elle se rendit à la salle de bain et entra dans la cabine de douche. Les jets d’eau jaillirent sur elle, aspergèrent son corps avec force. Son visage. Sa poitrine. Elle resta une demi-heure sans bouger, à laisser simplement l’eau la purifier de ses souillures. Puis elle sortit de la cabine, le corps couvert de fines gouttelettes et alla se brosser les dents. Elle enfonça la brosse dans sa bouche et frotta avec frénésie. Elle la passa sur sa langue et sur son palais, la sentit plusieurs fois buter contre le fond de sa gorge. Des larmes commencèrent à rouler sur ses joues, mais elle continua, penchée sur son lavabo. Elle frotta à s’en arracher les mâchoires, avec une violence incontrôlée. Et elle recracha. Elle fit jaillir toute sa honte, tout son dégoût, sa douleur, sa rage et sa peur, toute son humiliation, toutes ses émotions qui se débattaient en elle dans le lavabo blanc et propre. Ouvrit le robinet. Se rinça la bouche. Le mélange de dentifrice et de salive écÅ“urante disparut dans les canalisations.Plus que toutes ses fantaisies et ses caprices malsains, c’était les baisers de Valérie qui l’humiliaient le plus. Cette manière de pénétrer en elle, d’imposer sa volonté et de prendre ce qui lui plaisait était si caractéristique de leur relation qu’elle sentait la bile monter à sa gorge chaque fois que leurs lèvres se touchaient.Léane leva alors le regard vers la glace. Un regard noir. Un regard de loup en cage, de prédateur sauvage enfermé dans une prison de verre et de papier. Elle avait été créée ainsi. Ses cheveux étaient d’un rouge sombre assez proche du brun, et ses yeux d’un noir d’encre. Sa peau était d’ébène, mais elle n’avait pas des traits d’Africaine. Ses lèvres étaient trop fines. Son nez trop aquilin. Il n’y avait pas de zones plus claires sur la paume de ses mains ou la plante de ses pieds. Elle avait été créée ainsi.Les arès étaient le fruit de manipulations génétiques. Des humains modifiés créés par la science. Plus forts, plus rapides et plus endurants, dotés de sens et de réflexes inouïs. Mais malgré tout si faibles. Des soldats et des esclaves, aussi dépendants de leurs créateurs que des bébés de leur mère. Son apparence permettait d’identifier tout de suite sa nature. Léane n’était pas sorti du ventre d’une mère de chair et de sang, mais d’un aquarium en verre rempli de liquide synthétique. Elle était une aresse. La race inférieure.Léane sut tout de suite que Valérie était réveillée en entrant dans la chambre, au rythme de sa respiration. Elles ne dirent rien, cependant. L’aresse se glissa dans les draps et vint se blottir contre sa maîtresse pour la réchauffer de son corps. Elle avait été conçue spécialement pour la servir et était née quelques secondes avant elle, vingt ans plus tôt. Elles avaient passé certaines parties de leur enfance ensemble, pour s‘habituer l‘une à l‘autre, mais quand Valérie allait à l‘école, Léane suivait un entraînement militaire ou apprenait à survivre dans les bas-fonds du rez-de-chaussée. En principe elles n’étaient qu’une maîtresse et sa garde du corps, accessoirement sa servante. Cependant leur relation allait plus loin. Léane détestait Valérie. Et l’aimait d’un amour passionné.* * * * *21/11/2343, 9 h 45, aéroport militaire de Paris, France, Terra PrimaLes deux jeunes femmes furent accueillies à l’aéroport par une escouade militaire qui leur fit une haie d’honneur devant l’aile privée des Hautetour. Léane surprit du coin de l’œil plusieurs hommes qui lançaient de discrètes Å“illades lubriques vers les hanches et les seins de sa maîtresse, et y mit un terme par un regard noir qui fit ravaler leurs fantasmes aux soldats.Il fallait reconnaître que Valérie était vêtue de manière assez provocante ; elle portait une robe à motifs tigrés largement décolletée et laissant son dos nu, nouée derrière son cou, descendant à gauche jusqu’à mi-cuisse et à droite jusqu’aux chevilles, et des bottes de cuir noir qui s‘arrêtaient au-dessus des genoux. Pour sa part, l’aresse était vêtue d’un manteau noir dont les longues manches empêchaient de voir ses mains, décoré dans le dos des armoiries de Hautetour, et d’un hakama de la même couleur. Une fois entrées dans l’aile, elles allèrent s’asseoir face à face dans le salon et Valérie démarra le véhicule qui s’élança sur la piste de décollage et prit la direction de Kourou.— Ordre de mission, IA modèle G-2. 3, demanda la jeune fille.Une image holographique en trois dimensions apparut aussitôt entre elle et son aresse. Elle avait l’apparence d’une geisha japonaise vêtue d’un kimono à fleurs. Une voix langoureuse annonça :— Valérie Hautetour, Damoiselle de France, est appelée à servir à compter du 22 novembre 2243 et pour une durée indéterminée dans la colonie franco-britannique de Nouvelle Bordeaux sur Vulcain, en qualité de courtisane. Le climat de Nouvelle Bordeaux est de type océanique, et le sol riche en minerai. La faune locale compte une espèce animale appelée vulcaniens, dotée de certaines facultés physiques et mentales lui permettant d’être élevée dans le but d’accomplir diverses tâches.Une image en deux dimensions apparut, présentant une vue du dessus de Nouvelle Bordeaux, puis deux vulcaniens, visiblement un mâle et une femelle, et un humain pour comparaison. Les vulcaniens étaient légèrement plus grands, et plus larges d’épaules pour le mâle. Leurs mains étaient griffues et palmées et leur peau avait une étrange teinte gris-bleuté. Ils étaient dépourvus de nez, mais avaient deux trous au sommet de la tête, comme les cétacés, et une crête colorée surmontait leur crâne. En dehors de ça, ils étaient assez semblables aux humains.Le documentaire dura tout le temps du voyage, permettant à Valérie d’apprendre tout ce qu’elle avait besoin de savoir sur Vulcain, la Nouvelle Bordeaux et leurs occupants.Deux heures plus tard, elles arrivèrent au-dessus de la jungle amazonienne, qui fit bientôt place à un gigantesque bidonville boueux et désolé auquel succéda rapidement la cité spatiale. Le plus grand spatioport de l’Union européenne ne couvrait pas le dixième de la ville du tiers-monde qui l’entourait, mais sa splendeur était suffisante pour faire oublier au monde la fange dans laquelle elle baignait. Entre les bâtiments d’une blancheur immaculée, les gens se déplaçaient dans des véhicules que les deux jeunes femmes n’avaient encore jamais vus. Léane nota au passage que le spatioport ne possédait que deux pistes d’envol de navettes.Sitôt descendues du vaisseau, alors que leurs bagages étaient emportés par une paire de robots d‘un modèle inconnu, les deux jeunes femmes virent arriver une étrange machine, composée d’un petit holoprojecteur tourné vers le ciel qui se déplaçait grâce à des chenilles. La machine s’arrêta devant elles et l’image d’un homme d’âge mûr à l’allure austère apparut devant elles.— Bonjour, Damoiselle de Hautetour. Je suis Guillaume Sarin, secrétaire du directeur de cette piste d‘envol. Je suis chargé de vous guider jusqu’à votre caisson.— Mon caisson ? s’étonna Valérie.— Bien sûr, répondit le secrétaire d’un ton condescendant. Vous devez savoir que pour faire un voyage spatial sur une si longue distance, vous devrez passer un portail de téléportation, sans quoi le trajet prendrait des siècles. Or votre corps ne pourrait supporter l’opération à moins d’être placé en sommeil artificiel dans un caisson d’hibernation. Un corps éveillé ou en sommeil naturel ressortirait à l’état de bouillie de chairs et d’os sanguinolents. On a bien dû vous expliquer la procédure, lors de votre briefing, ou même lors de vos cours de physique au collège.Valérie observa un moment avec hostilité l’homme devant elle qui osait lui manquer de respect, puis finit par demander :— Et Léane ?— Un caisson individuel a été mis à disposition de votre… domestique. Vous la retrouverez sur Vulcain, à votre réveil.— Hors de question ! s’exclama la jeune damoiselle. Léane fait le voyage avec moi ! Je ne m’en sépare jamais !— Avec vous ? répéta l’homme, surpris par ce caprice. Mais c’est impossible, les caissons d’hibernation sont très étroits et…— Eh bien on se serrera !— Mais…— Guillaume Sarin, hein ? Avez-vous l’intention de remettre en cause la décision d’un membre d’une des plus grandes familles de la République ?Valérie défia l’homme du regard. Celui-ci essaya bien de résister, mais il ne tint pas longtemps. Léane ne se souvenait pas avoir un jour vu quelqu’un soutenir le regard de sa maîtresse lorsqu’elle était énervée.— Eh bien si ça peut vous faire plaisir… J’imagine que…— N’imaginez pas, ce n’est pas pour ça que vous paie la République. On a des artistes pour ça. Vous, contentez-vous de faire votre travail et guidez-nous à notre caisson.Le fonctionnaire se tut et la machine projetant son image fit demi-tour et repartit. Ils arrivèrent rapidement à une navette dont la forme rappelait vaguement celle d’un bonnet de bouffon posé à l’envers. Une fois en haut de la passerelle, ils arrivèrent dans un hall sur les murs duquel on pouvait voir des dizaines de couchettes alignées à l’horizontale, et des gens reposant à l’intérieur.— Vos compagnons de voyage, expliqua le fonctionnaire. En plus de vous et de trois autres Damoiselles de la République, ce vol transporte une cinquantaine de colons de la roture. Les voyageurs de haut rang feront le trajet dans la chambre des premières classes. Suivez-moi.Après avoir utilisé une plate-forme ascensionnelle pour se rendre au dernier étage, ils traversèrent un jardin oriental agrémenté de plantes exotiques et de fontaines ornementales. Au bout du couloir, ils pénétrèrent dans une vaste salle au plafond voûté. Au fond apparaissaient quatre caissons encastrés dans le mur, au-dessus desquelles on pouvait voir les armoiries des familles des occupantes, ainsi que deux autres caissons en dessous pour les arès. Valérie parcourut les armoiries du regard, tout en énumérant :— Une Rougelande et une Rochedeau ? Des familles mineures. Par contre, il y a aussi une Dieuleveult. Accompagnée de son aresse, qui plus est.— Un problème ? demanda le secrétaire.— Les Hautetour et les Dieuleveult se font la guerre depuis bientôt deux siècles. Vous avez bien dû en entendre parler un jour, non ?— Bien sûr, mais…— On dirait que je me suis déjà trouvé une rivale, sur Vulcain, et avant même de quitter la Terre.Après s’être approchée pour regarder le visage de la jeune fille à travers la vitre, elle ajouta :— Qui plus est plutôt belle. Ce sera un vrai plaisir de l’affronter.Effectivement, la jeune fille en question était sublime. De longs cheveux de jais étaient répandus autour de son visage noble et fier à la peau brune. Un grain de beauté pointait sous ses lèvres pleines et charnues, qui arboraient une étrange couleur noire, de même que ses paupières, probablement grâce à un bon chirurgien généticien. Sa silhouette devait être assez proche de celle de la Hautetour, bien que légèrement plus grande. Elle semblait même porter le même genre de robe, bien que la sienne ait des motifs de zèbre.— Un vrai plaisir, répéta Valérie avec un sourire féroce.