Certaines femmes, quand elles sont dévastées, se transforment en flaque de chagrin. C’est leur manière de faire naître le minimum de compassion dont elles ont besoin pour passer un cap difficile. D’autres, plus fières, ou plus endurcies, se figent dans la douleur et cachent la lutte qu’elles mènent contre l’adversité derrière un paraître impénétrable.Lorsque Véronique s’assied dans mon taxi, le mélange entre sa troublante beauté et les ravages d’une nuit d’insomnie lui donne un air de mater dolorosa (1), sans aucun rapport avec son apparence de jeune citadine branchée qu’elle semble être en temps normal.Elle précise sa destination d’une voix lasse. J’essaie quelques phrases anodines, histoire de détendre l’atmosphère. Peine perdue, elle ne sort plus de sa bulle jusqu’à notre arrivée.Je me gare en double file et attends une réaction de sa part avant d’annoncer le prix de la course. Elle reste prostrée. Je découvre alors à quoi correspond l’endroit où nous nous trouvons. C’est une clinique privée, d’où les femmes enceintes ressortent le ventre cruellement vide.Je n’ai jamais partagé la vie d’une compagne face à un tel choix. En tant que mec, il m’est d’ailleurs impossible d’imaginer le dixième de ce que cela peut signifier. Je ne peux toutefois m’empêcher d’ouvrir ma grande gueule.— La vie ne vous laisse aucune autre solution ?— Le mot vie est particulièrement cynique à l’instant !— Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous blesser, c’est juste que…— N’importe quel mot m’écorcherait de toute façon. Mais finissez votre phrase. Au point où j’en suis, si un miracle doit se produire, pourquoi pas de la bouche d’un chauffeur de taxi.Qui suis-je pour engager ainsi la conversation avec cette fille, dans cet endroit, à ce moment ? Je ne peux qu’aggraver la situation. Je m’entends pourtant proférer un truc invraisemblable alors que les premiers coups de klaxon retentissent derrière nous.— Vous avez l’air d’être complètement paumée et assez seule. De mon côté, je suis complètement seul et assez paumé. On a peut-être des trucs à se dire. Donc… si vous avez la moindre possibilité de retarder ce rendez-vous, ne serait-ce que d’une journée, je voudrais passer les prochaines vingt-quatre heures avec vous.— Impossible ! C’est maintenant que j’ai assez de force, ou de désespoir ! Dans dix minutes, je n’y arriverai déjà plus.— Même avec une âme sœur à vos côtés ?— C’est insensé, pourquoi feriez-vous ça ? À moins que vous soyez un de ces fous de Dieu, à qui la foi dicte ce que JE devrais faire ! Et moi, comme une conne, je prends la douceur de votre regard pour une planche de salut. Dites-moi combien je vous dois et foutez-moi la paix.— Deux cents cinquante euros.— C’est pas ce qui est indiqué sur le compteur.— C’est ce que me coûtera la biture dont je vais avoir besoin pour me remettre.— Pour qui vous prenez-vous ?— J’ai pas envie de vous voir sortir de mon taxi. Pas envie de vous voir vous éloigner. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est ainsi.Je suis un zéro dans la comptabilité de son existence. Je ne peux lui être d’aucune aide, à plus forte raison juste avant qu’un chirurgien ne mette à sac son intimité. Et pourtant, je suis intensément là , avec elle. Nos esprits, nos corps même sont proches dans le huis-clos de tôle que son léger parfum a envahi. Par des voies détournées, le hasard fait de nous des inconnus intimes.En d’autres temps, dans d’autres circonstances, sans les émotions contradictoires que provoque ce qu’elle porte en elle, je tenterais à coup sûr de la séduire.À l’instant, les quelques mots échangés me désarment. Mais face à elle, face à l’immensité de ce qui se joue, je suis peut-être plus moi-même que je ne l’ai jamais été avec aucune autre femme.— Laissez-moi mélanger mes doutes aux vôtres l’espace d’une journée. Qui sait s’il n’en sortira pas quelque chose de plus serein.Elle enferme son visage entre ses mains. Quelques minutes plus tard, elle se redresse, sans même essuyer les larmes qui coulent sur ses joues.— Donnez-moi votre main, je voudrais vérifier quelque chose.Elle la serre entre les siennes, désagréablement froides. Les paupières baissées, un peu moins sur la défensive, elle laisse couler ma chaleur en elle.Elle finit par me regarder droit dans les yeux, jusqu’au fond de l’âme. Ça palpite grave dans mon thorax quand elle retire sa main, d’une manière presque caressante.— Si vous avez le courage d’aller leur demander de déplacer l’intervention, et qu’ils acceptent, alors, peut-être que je…— Vous êtes inscrite sous quel nom ?— Véronique Dufaux.— Vous m’autorisez à passer pour le père ?— Au point où nous en sommes.Je préfère passer sous silence les tractations que m’impose la responsable du programme chirurgical. Dans ce genre de clinique, c’est juste un job comme un autre, et ils détestent qu’on vienne mettre le souk dans leur business. J’ose espérer qu’ils seraient un peu plus respectueux et compréhensifs avec la patiente. Sauf que, justement, ce n’est pas le genre de discussion que la patiente pourrait supporter à l’instant. Donc c’est moi qui suis là , que ça te plaise ou non, et tu me donnes un nouveau rendez-vous, sinon…Le clavier de l’ordio crépite avant que je monte sérieusement les tours. Dans ces conditions, la cheffe du planning peut éventuellement envisager quelque chose, mais je dois bien comprendre qu’il n’y aura pas de seconde chance, que ce genre de décision a été longuement discuté auparavant avec la patiente, et que le moment est particulièrement mal venu pour tout remettre en question.Je file annoncer la (bonne ?) nouvelle à Véronique.— Votre nouveau rendez-vous est après-demain, même heure. C’est le mieux que j’ai pu faire. Me permettez-vous une seule question ?— Non, mais je vous donne déjà une seule réponse. Oui, même au vingt-et-unième siècle, une fille comme moi peut se retrouver enceinte d’une aventure d’un week-end. Pour être plus précise, j’ai appris au même moment la négativité de mon test HIV et la positivité de mon test de grossesse. Appelez ce que j’ai fait comme vous voudrez, mais évitez de me faire la morale. Je me charge moi-même des reproches. Où voulez-vous m’emmener ?— À la montagne, ça vous va ?— Si je peux manger de la chasse et dormir à côté d’un feu de bois, roulez. Vous avez ça sous la main ?Grâce à un petit coin de paradis rustique que m’ont légué mes grands-parents, j’ai effectivement ça sous la main à deux cents bornes d’ici. Moyennant quelques aménagements, Véronique devrait pouvoir y lécher ses blessures dans le calme.En attendant de la découvrir un peu mieux, trop de questions se bousculent dans ma tête. J’ai peur de la blesser en engageant la conversation. Si la jeune femme veut partager quelque chose avec moi, qu’elle prenne l’initiative. Sinon, je me contenterai de l’entourer de manière agréable jusqu’à demain matin. C’est l’envie qu’elle me donne par sa présence. Je me retranche donc derrière un silence prudent.Après une centaine de kilomètres, sa manière de regarder dans ma direction et de jouer avec une mèche de cheveux laisse supposer qu’elle souhaite une pause. Ou qu’elle veut discuter avec moi. Ou les deux. Elle se lâche quelques kilomètres plus tard.— Vous ne vous arrêtez jamais de conduire dans la vraie vie ?— Il nous reste à peine une heure de route. Une envie particulière ?— Pisser et vous entendre parler de vous, pour être aussi concise que vous semblez vouloir rester.— OK pour la première exigence. Patience pour la seconde. Je n’en reviens toujours pas que vous ayez accepté ma proposition et je flippe à l’idée de vous blesser.— Si j’ai accepté, c’est que je suis prête à tout. Vous l’avez dit vous-même, la conjonction de deux chaos peut être à l’origine d’une illumination.Je m’arrête dans le prochain village. Elle m’avoue carburer au chocolat chaud en période de doute. Je la suis dans ce choix. Lorsqu’elle se lève pour aller aux toilettes, je ne peux me retenir de contempler son corps. Elle s’en méfie et se retourne vivement au moment où mes yeux s’attardent sur sa chute de reins. Pris en faute, et assez gêné, j’essaie de m’excuser de ma maladresse.— Pas de soucis. D’ailleurs, pour être franche, la gourmandise que je vois dans vos yeux me donnerai presque des envies d’impudeur. Ne retenez rien, c’est le meilleur moyen de me ramener sur terre.À son retour, elle commence par déguster le chocolat par petites gorgées sensuelles. Puis elle me regarde une nouvelle fois jusqu’au fond de l’âme et pose une main sur la mienne. Apparemment une manière pour elle de lire en moi. De me décoder, ou un truc du genre. Le contact de sa peau m’électrise. Cette fois, c’est d’elle à moi que la chaleur passe.Suivant une soudaine envie, je porte sa main à mes lèvres. Elle accepte l’attention en fermant les yeux. Puis conclut ce premier contact sensuel en caressant mon visage.Pour la première fois, un léger sourire éclaire son visage. Elle est encore dévastée, mais ce lâcher prise laisse une toute petite place à plus de vivacité, à une expression plus apaisée, qui lui donne un charme fou.Et qui touche bon nombre de coins secrets au fond de moi. Maintenant j’en suis sûr. Je veux les prochaines vingt-quatre heures avec elle. Toutes les prochaines minutes de toutes les prochaines vingt-quatre heures.Sauf qu’on ne peut pas passer la journée à se regarder dans le blanc des yeux. Et dans le verbal, je me sens très sérieusement déstabilisé. D’autant qu’elle engage la discussion avec une franchise désarmante.— C’est la première fois que nous sommes vraiment face-à -face. Ce que je vois me plaît. J’en profite pour vous remercier. J’apprécie le geste. Et votre discrétion me fait du bien. J’étais si mal ce matin, parce que je me sentais obligée de choisir entre deux impossibilités. Je ne trouve rien de rationnel sur quoi fonder ma décision. Cela m’a soulagée qu’un homme décide quelque chose à ma place. Un truc que je ne supporte pas d’habitude, je vous préviens ! Et vous, pourquoi êtes-vous là  ?— Aucune idée. Ou alors, le syndrome du Saint-Bernard. Ou encore, le besoin d’exorciser tout je que j’ai fait subir à d’autres femmes. C’est nul, hein ?— Pas tant que ça. En fait, votre question, tout à l’heure, c’était quoi ?— Une pensée typiquement masculine, et formidablement à côté de la plaque. Oubliez.— Je suis passée pro en matière de connerie de mec. Laissez aller !— Je me demandais comment se passait la relation entre votre tête et votre corps, depuis que vous savez ?— Une manière détournée, mais assez élégante de me demander si j’ai toujours envie de jouir. Pas moins que d’habitude. Mais je n’imagine pas avoir envie de laisser un homme chahuter mon ventre avant longtemps. J’ai perdu le contrôle parce que j’ai senti que celui que j’avais entre les cuisses cette nuit-là saurait me baiser comme j’en crevais d’envie depuis des mois. Je n’ai pas voulu rater cela. J’occultais juste son immense égoïsme et son manque de respect envers ses partenaires. Ce qui m’arrive est la conséquence d’une nuit jouissive, mais sans sentiments partagés. Le genre de truc qui change complètement la donne quand un avenir, voire deux en dépendent.— Et le lendemain ?— J’ai passé les jours suivants dans une totale inertie, qui ne me ressemble en rien et pour laquelle je n’ai aucune explication. J’ai apparemment succombé à une pulsion qui me dépasse, mais dont la conséquence me détruit à petit feu. La lutte entre mes tripes et ma raison m’a bouffé toutes mes forces.Je n’ose pas lui suggérer qu’en montagne, bien des pulsions inexplicables révèlent leur sens profond. Et qu’il ne me déplairait pas de lui servir de guide sur cet étroit sentier.Nous reprenons la route et arrivons dans le village de mon enfance en fin d’après-midi. Avant de nous installer dans le mazot savoyard qui nous servira de retraite, quelques aménagements sont nécessaires pour en faire un agréable pied-à -terre. Je propose à Véronique d’aller se dégourdir les jambes jusqu’à ce qu’il fasse assez chaud dans les deux pièces du rez-de-chaussée, là où se trouve la cheminée. Je lui prête une paire de chaussures de marche à sa taille, en espérant qu’elle a un minimum de sens de l’orientation.— En suivant le chemin qui monte à gauche, vous ne perdrez jamais complètement le village de vue. Et je suis sûr de vous retrouver dans une petite heure, le teint frais et les sens éveillés.— Vous chaussez vraiment du 39 ou d’autres pieds ont habités ces souliers.— C’est la seule chose utile que j’ai gardée de cette personne. La réponse vous suffit ?Elle opine, et s’excuse de son indiscrétion par un très agréable baiser sur le coin de mes lèvres. Avant de disparaître dans le soleil couchant.À son retour, ses premiers mots concernent une envie de déguster de la chasse que l’exercice physique rend particulièrement redoutable. Elle me rappelle que c’était sa deuxième condition pour me suivre.Indépendamment des circonstances étranges qui nous unissent, nous passons un délicieux moment de complicité pendant le repas. Connaissant le restaurant, je ne prends aucun risque gastronomique. La table ne peut que satisfaire une connaisseuse comme Véronique. Seul bref rappel du choix qui l’attend tout prochainement, elle renonce au vin. Mais avec une moue éloquente sur la nature du sacrifice qu’elle consent.Nous nous préparons à quitter l’auberge après avoir parlé de tout et de rien, y compris plusieurs détails assez intimes, mais sans jamais avoir évoqué vraiment la raison de notre rencontre. Véronique paraît détendue, et soulagée de cette parenthèse bienvenue après une semaine douloureuse. Ce n’est que tout à la fin qu’elle revient sur l’origine de notre aventure.— Vous m’en voudriez, si j’essayais de revenir à haute voix sur ce qui s’est passé avec l’autre ?— Non, c’est peut-être même le vrai sens de ce que nous sommes en train de vivre, non ?— Avec lui, dès le début, je me suis trouvée dans une position de demanderesse dont je ne suis plus sortie. Mon désir se mélangeait à une crainte sourde de lui déplaire, de ne pas être à la hauteur et de le voir me refuser ce dont j’avais envie. D’une manière ou d’une autre, il m’a persuadée qu’il était le coup du siècle. Il m’a manipulée en me faisant croire que la moindre hésitation montrerait que je n’étais pas à ma place dans son lit. Je me suis réveillée lorsque le mâle repu, que j’avais laissé par faiblesse se répandre en moi, s’était endormi. Il était trop tard pour rembobiner le film. Depuis, je cherche comment cela a été possible. Ce qui en moi m’a poussée à tolérer ce jeu pervers. Pire, à en jouir sur le moment.Je laisse le silence s’installer entre nous. Nous sommes maintenant assez proches pour ne pas en être gênés. Après une longue réflexion, elle poursuit.— En faisant abstraction de ce qui m’arrive, pourriez-vous aimer une femme qui porte l’enfant d’un autre ?— Aimer, probablement. Envisager de partager sa vie, je ne sais pas. Je ne cesse d’ailleurs pas de me poser cette question depuis ce matin. Mais vous êtes trop présente. Je suis incapable d’imaginer quoi que ce soit dans l’absolu, de faire abstraction de votre réalité. Tout ce qui se passe dans ma tête se rapporte à vous.— Et ?— Il me semble que faire abstraction des circonstances n’est probablement pas la bonne attitude. Cette femme qui aurait décidé de garder l’enfant, il faudrait en même temps pouvoir découvrir sa personnalité profonde, mais aussi sa manière de vivre ce qui lui arrive. Il faudrait lui laisser assez de liberté, et de je ne sais quoi d’autre, pour s’ouvrir à une nouvelle relation, tout en vivant pleinement ce qu’elle aurait choisi de vivre à la suite de l’autre relation.— Mission impossible, non ?— À moins que la nouvelle relation soit fondée sur assez de respect et sans doute pas mal d’admiration. Une forme d’amour que j’imagine possible dans mes rêves les plus fous, mais que je n’ai jamais rencontrée.Nous parcourons le chemin entre le restaurant et notre refuge en silence. Se posent alors quelques questions d’intendance, qui prennent une importance amusante entre deux adultes consentants mais pas encore vraiment intimes. Du genre, où et dans quoi dormir, où et comment se doucher, comment sortir du lit en pleine nuit pour aller aux toilettes, que faire quand on n’arrive pas à s’endormir, ou qu’on a soif, voire des envies plus intimes.Le séjour n’est pas très grand, et la cuisine trop froide pour y séjourner agréablement. Nous voilà donc très proches physiquement jusqu’à l’aube, à portée de phéromones et de toutes sortes de stimulations sensuelles.J’essaie de gérer au mieux mes pulsions et l’effet que la présence d’une aussi belle femme me fait. Je lui propose le sofa, un peu plus loin du feu mais plus confortable. Puis je prépare du thé, et lui montre comment faire ses ablutions. J’ai bricolé cet après-midi une douche de fortune, avec un arrosoir et toute l’eau chaude que j’ai pu préparer sur le feu. Fine mouche, Véronique constate qu’il n’y en aura pas assez pour deux.— À moins d’y aller ensemble, remarque-t-elle avec amusement.— C’est pas ce que je…— Moi si. J’ai envie qu’on s’occupe de moi. Ça n’engage à rien.— C’est que le truc est très étroit, et…— On risque de s’effleurer ? Mais j’en attends même beaucoup plus de toi. Je ne pense pas pouvoir m’endormir sereinement sans avoir senti tes mains sur ma peau. Et avoir laissé courir les miennes sur la tienne. Ceci dit, si cette partie du programme te dérange, à ta guise. Je me contenterai du premier acte.Elle prend ainsi la main, en quelque sorte. Avant que j’aie fini de fixer correctement l’arrosoir lourd de ses vingt litre d’eau chaude, elle s’est déshabillée, et commence à en faire de même avec moi. Avec une dextérité qui en dit long sur son habitude des joutes amoureuses, elle pèle le fruit qu’elle convoitait, moi en l’occurrence.Elle s’amuse ensuite à alterner les surprises, en me parcourant de haut en bas jusqu’au plus intime, puis en m’offrant d’autres secrets de sa somptueuse anatomie. Elle soupire et gémit au rythme de mes caresses, s’ouvre et se ferme au rythme de son désir. Elle n’a cependant aucun geste réellement sexuel. Tout reste dans un registre sensuel et même assez ludique.En tant que mâle programmé sur un mode génital binaire, je ne peux cependant cacher mon excitation très longtemps. Elle s’en amuse en toute simplicité, se contentant de très tendres attentions qui ne font qu’augmenter mes tensions. Après quelques compliments et une longue série d’effleurements, elle me laisse seul avec le peu d’eau chaude qui reste dans l’arrosoir.Je la retrouve emmitouflée dans les couvertures que j’ai préparées devant la cheminée, dans l’idée d’y aller moi-même. Je vois à ses habits bien rangés sur une chaise qu’elle a choisi de dormir nue. Je le prends pour une preuve de confiance, et me couche sur le sofa.— Je suis agréablement épuisée. Pardonne-moi de ne pas résister au sommeil. Merci pour tout, c’était juste ce dont j’avais besoin, avoue-t-elle avant de me tourner le dos.Le traitement qu’elle m’a infligé m’empêche de m’endormir. Je reste longuement éveillé, me remémorant tout ce que nous venons de partager, l’attitude de Véronique, sa manière si touchante de retrouver un peu de joie de vivre, de partager ce qui la préoccupe. Et bien sûr, ce qu’elle m’a laissé découvrir de son corps et les émotions que sa spontanéité érotique a provoquées en moi.Les heures s’égrènent au clocher de l’église voisine. Je flotte dans une semi-inconscience, bercé par le défilement d’agréables images ou de bribes de conversation. Qu’y-a-t-il entre nous, comment une telle harmonie, fût-elle encore très superficielle, est-elle possible entre deux inconnus, comment Véronique arrive-t-elle à faire abstraction de sa réalité, suis-je un peu à l’origine de cette légèreté retrouvée ?Au petit matin, quelques mouvements me font sortir de ma torpeur. Il fait de nouveau plus froid dans la chambre et la jeune femme a remis une bûche dans la cheminée. Lorsque les flammes s’élèvent, je vois plus distinctement sa couche. Et les imperceptibles mouvements de son corps, sous une couverture qui met plus ses formes en valeur qu’elle ne les cache.De toute évidence, ce n’est pas seulement le froid qui l’a réveillée. Vivifiée par la chaleur du feu, elle a commencé à se caresser. Je suis en train de me demander à quoi ressemble l’objet de ses rêves érotiques, lorsqu’elle s’amuse à me provoquer.— Je sais que tu ne dors pas. Vas-tu rester encore longtemps sur ton sofa ? J’aurais besoin de ta chaleur et de la douceur de ta peau pour bien finir ce que j’ai commencé. De toute façon, c’est ta faute si je suis dans cet état.— Ben voyons ! Madame entre dans mon carrosse, m’impose une prise de risque insensée avec le monde médical, me séquestre en haute montagne et, en pleine nuit, pour couronner le tout, elle me reproche une soudaine envie de se caresser.— Je ne me caresse pas, je reconnecte mon ventre et ma tête !— Et ça fonctionne ?— Viens là , et tu verras toi-même, murmure-t-elle la voix un poil plus rauque.— Tu as remarqué tout à l’heure que je suis un mec assez fragile, sur certains points…— J’ai même apprécié à sa juste valeur, oui.Je la rejoins au chaud. Elle me prend entre ses bras, caresse mon visage, mon torse, puis m’embrasse légèrement sur la bouche. Finalement, après avoir précisé n’en avoir plus pour très longtemps, elle me tourne le dos, glisse ses fesses contre mon bas-ventre, et s’offre le plaisir qu’elle recherchait avant que j’intervienne. J’ai posé mes mains sur ses seins pour l’accompagner de mon mieux. Son orgasme est discret, mais la chaleur que dégage son corps laisse supposer que la « reconnexion entre son ventre et sa tête » est intense.Peu de temps après, elle me fait à nouveau face, avec une moue de petite fille prise en faute.— Pas trop frustré ?— Non, c’est bon de partager une telle envie tout contre toi. Nos corps se mélangent agréablement— C’est vrai ça, c’est tout fluide entre nous. C’est ce qui m’a donné envie de plein de trucs agréables avec toi tout à l’heure. Je n’avais pas décollé aussi vite depuis longtemps.— Quel genre de truc, si tu veux bien me mettre dans la confidence ?— Pour commencer, masser tes fesses. Longuement, à pleines mains. Après, glisser une main entre tes cuisses et m’emparer de tes boules. Pis, tant que j’y arrive encore d’une seule main, de ton sexe. J’adore accompagner le réveil de la bête.— Bête, sexe, des mots bien neutres pour un désir naissant, non ?— Au contraire, à ce stade de la découverte c’est un sexe, pas encore une queue ou une tige. Un sexe plein de promesses qui fait monter des trucs délicieux le long de mon échine.— Jamais de bite dans ton bestiaire érotique ?— J’aime pas trop le mot. Je préfère l’idée de sève ou de sang qui circule, qui fait gonfler, se tendre, réagir aux effleurements. Il y aussi l’idée de pulsations, de spasmes jouissifs. La bite n’a pas de vie propre, c’est juste un objet de plaisir. La queue, la tige ou la bête, en revanche, évoquent l’audace de jeux érotiques raffinés.— Continue, tu m’ouvre des horizons inattendus…— À ce stade, si l’effet que je fais sur le monsieur suffit à me rassurer, j’aime bien laisser glisser les choses et prendre le temps de répondre à ses envies.— Et s’il n’en a pas de très originales ?— J’invoque Lilith ! Elle ne m’a jamais laissée tomber.Que répondre à cela ? D’autant qu’à ce stade de nos caresses, ma tête se trouve sur sa poitrine. Je prends ses seins dans mes mains et les masse. Ils sont tendus, j’ai peur de lui faire mal. Je préfère les lécher.Peu à peu, une envie plus précise monte en moi. Je prends un bout dur et savoureux entre mes lèvres et le tète, doucement d’abord, puis plus explicitement. Véronique gémit, se met à respirer plus fort, mais me laisse continuer. Elle finit par prendre ma tête entre ses mains, pour diriger mes lèvres vers l’autre téton. Elle s’offre voluptueusement à mes caresses, s’entrouvre, n’étouffe pas le fragile désir, vient au-devant du mien, sans s’opposer à la valeur symbolique de mon geste.Cette forme d’intimité me fait démarrer au quart de tour. Je ne peux me retenir de bander, le membre rapidement à l’étroit contre sa cuisse. Je m’excuse vaguement pour l’incongruité de la situation. Elle m’octroie son pardon en m’embrassant à pleine bouche, longuement, profondément.Puis elle se met à caresser mon sexe avec une dextérité inattendue. À ce stade, ce n’est d’ailleurs plus un sexe, mais une tige. Non, une queue qui palpite. Sa caresse se fait de plus en plus précise. Véronique a un don incomparable pour donner du plaisir de cette manière. Ses doigts glissent exactement là où j’ai envie de les sentir, pressent l’engin de la plus parfaite manière, vont et viennent au rythme attendu, indispensable. Celui qui me fait décoller en quelques minutes, sans espoir de retour.D’un tour de main, elle inhibe toute envie de rester raisonnable. Je sens aux ondulations de son corps contre le mien qu’elle prend plaisir à me branler et en attend le débordement avec impatience. Aux secousses de mon ventre trop agréablement malmené répondent les mouvements de son bassin contre ma cuisse. D’une certaine manière, elle me prend en elle et partage ce qu’elle m’offre avec un plaisir non dissimulé.Je ne vais plus pouvoir résister très longtemps. Me laisser aller me semble parfaitement déplacé, mais je ne suis déjà plus maître de mon plaisir.— Véronique !— Je sais. Laisse-toi aller !Sans cesser de m’exciter, elle descend le long de mon ventre et pose ma queue contre ses seins. Je craque lorsqu’elle renverse sa tête en arrière et me demande de me lâcher sur elle.L’orgasme est d’autant plus intense qu’elle accompagne chaque spasme, chaque giclée d’attouchements infernaux. Son cou et le bas de son visage sont rapidement inondés de mon sperme, dont elle enduit ses doigts et ses seins. Dans la pénombre, je peux la voir sourire, satisfaite de son ascendant sur moi.Comme pour parachever cette communion impie, elle me fait goûter sur ses doigts ce qu’elle suce comme une friandise. Je préfère lécher ses lèvres poisseuses de mon jus.Lorsque mon ventre finit par se calmer, elle se glisse entre mes bras et me serre contre elle, les mains bien à plat contre mes fesses.— Alors, mission impossible ?Nous nous endormons avant d’avoir retrouvé assez de force pour débattre de cette question existentielle.Le lendemain matin, nous déjeunons de bon appétit, avant de reprendre la route. Même si nous savons que cette aventure va se terminer dans quelques heures, nous ne cherchons pas à retenir les gestes de tendresse qui nous viennent spontanément.Le voyage de retour se passe sur un mode plutôt pensif. Je sens que Véronique se pose à nouveau plein de questions sur ses désirs de femme, son avenir, ses choix inéluctables. Parfois, sans doute au milieu de pensées qui me concernent un peu plus, elle se tourne vers moi et pose sa main sur ma cuisse. À deux reprises, elle vient même se blottir contre moi, les yeux fermés, goûtant simplement au plaisir de retrouver mon corps, et quelques souvenirs sensuels qui lui sont associés.J’avoue redouter un peu le moment de la séparation. Quelques rues avant l’endroit convenu pour la déposer, elle met fin très naturellement à notre voyage.— J’aime ta tête et beaucoup de choses qui s’y trouvent. J’aime ton corps et ce qu’il m’a offert. J’aime ta délicatesse à mon égard et ton regard sur moi. Tout cela m’a accompagnée, soutenue, guidée parfois. Mais par-dessus tout, cela m’a libérée de blocages insurmontables. J’ai retrouvé la force de prendre ce que je crois être MA décision. Celle qui me correspond aujourd’hui et j’espère jusqu’à la fin de mes jours.— Et toi, tu m’as offert l’intense. Une découverte inoubliable.— Je ne dis pas merci, parce que j’ai l’impression qu’à l’instant, ce serait comme fermer une porte. Or, en ce qui te concerne, je n’en ai aucune envie. Il me reste donc juste une question. Pour la course, je te dois combien ?— Deux cents cinquante euros.— C’est pas ce qui est indiqué sur le compteur.— C’est ce que me coûtera la biture dont je vais avoir besoin si je ne peux pas te revoir.— Pour qui te prends-tu ?— Un mec admiratif, qui n’a pas envie de te voir sortir de mon taxi. Pas envie de te voir t’éloigner. Je ne sais pas pourquoi, ni où ça mène, mais c’est ainsi.— Je sais que tu comprends mon besoin de solitude. Si quelque chose peut nous reconnecter, je te promets que j’en prendrai soin.Quand elles sont dévastées et face aux plus intimes incertitudes, certaines femmes font naître chez certains hommes des émotions déraisonnables. Peut-être que sans cela, l’humanité serait depuis longtemps éteinte.*****************(1) http : //materdolorosa. Hypotheses. Org/48