Depuis trois semaines que je suis rentré de ce week-end durant lequel ma promise m’a annoncé qu’elle me quittait pour une femme, Blanche, je me morfonds. J’ai quitté Paris en train et le long du quai, j’ai été attiré par le vide, aspiré par le néant. Anaïs était à jamais perdue et les images orgiaques de nos derniers moments ensemble, avec sa nouvelle compagne et un comparse anonyme, me revenaient comme des horreurs auxquelles j’aurais participé malgré moi, comme un cauchemar qui vous suit toute la journée et ne vous laisse pas dormir sereinement.Et puis j’ai bien dû me rendre à une évidence douloureuse. Ce n’était pas si horrible. Évidemment que c’était insupportable de me faire évincer ainsi, mais l’était-ce d’avantage parce qu’il s’agissait d’une femme ? Naturellement que de voir celle qui fut ma promise, prise par un autre et en jouir bruyamment était intolérable. Mais dans le même temps, il fallait bien que je reconnaisse que ça ne m’avait pas coupé la chique. Au contraire même, j’en avais été excité au plus haut point.Les cauchemars ont petit à petit cédé la place à des fantasmes plus ou moins réalistes, à des images diffuses, à des illusions euphorisantes. Il m’arrivait de me réveiller au beau milieu de la nuit, cherchant Anaïs à mes côtés. Dans mon rêve elle dormait avec moi après avoir passé sans moi ; mon cerveau nocturne n’en éprouvait aucune jalousie et même, au contraire, semblait l’apprécier. Mon nez était encore rempli de ses odeurs imaginaires, ma peau était encore chaude de son visage posé sur mon épaule. Mais elle n’était pas là . Et cette angoisse de l’absence était finalement bien pire encore.Anaïs m’a appelé. Il fallait bien qu’elle rentre pour retirer ses affaires de notre appartement. Elle ne savait pas encore si elle allait s’installer à Grenoble avec Blanche, ou rester à Paris avec elle, ou même vivre à Grenoble ou à Paris sans elle, mais quoi qu’il en soit, il fallait qu’elle prenne ses affaires. Pas grand-chose pour tout dire, il ne s’agissait que de vêtements, de chaussures, et de quelques objets qui lui étaient chers.Elle m’a proposé, si sa vue m’était par trop insupportable, de venir quand je serais absent. Elle me laisserait les clés sur la table avant de claquer la porte. Je lui ai communiqué mes horaires d’absence, puisqu’elle me les demandait, et quand nous avons raccroché j’étais déterminé à me tenir loin de mon appart lorsqu’elle viendrait, pour me réfugier dans un bar à l’autre bout de la ville et me saouler pour oublier.Durant notre entretien au téléphone, aucun reproche ne s’est insinué dans nos propos. Je n’avais pas le cœur à râler, et elle, pour sa part, n’avait pour ça aucune raison. On aurait pu croire à une discussion purement technique, froide, entre des gens qui se connaissent à peine. Des collocs qui ne se seraient pas accordés.Ce n’est que le lendemain matin, au réveil d’une nuit agitée, que j’ai ressenti un manque. Dans mon rêve elle m’avait appelé parce qu’elle voulait me voir. J’entendais son sourire au fil. Sa voix était gaie et chaleureuse. J’étais amoureux d’elle. Couvert de sueur et hagard, j’ai éprouvé un sentiment étrange, un mélange de déprime et de joie. Elle allait venir à Grenoble. Nous allions être proches l’un de l’autre. Je devais me tenir éloigné pour ne pas souffrir à nouveau de la perdre encore, mais la douleur qui aurait pu survenir en manquant son passage aurait été, je le sentais, bien pire.Devant mon miroir, alors que je me rasais, j’ai su que j’allais faire mon possible pour être là quand elle viendrait. Pour quoi faire ? Pour quoi dire ? Ces questions ne me sont pas venues. Je voulais simplement la voir, même si ce serait sans doute la seconde dernière fois. Alors je l’ai rappelée. Heureusement ça n’a pas sonné ; j’ai laissé mon mensonge sur sa messagerie.« Désolé de te déranger j’ai oublié de te dire que j’ai changé le barillet. Ta clé ne fonctionne plus. SMS moi quand tu sais quand tu arrives que je m’organise ». J’ai pressé la touche rouge, en regrettant déjà . J’aurais dû dire ça, il aurait fallu que je termine par un petit mot doux… Mais c’était trop tard.La réponse d’Anaïs est arrivée assez vite. Elle passerait samedi cette semaine. Sans doute le matin. Dans un SMS assez long elle m’expliquait qu’elle ne savait pas encore où elle irait dormir, sans doute chez une copine, mais que de toute façon elle aurait réglé ça d’ici là . Pour le reste de ma journée, et pour les trois jours qui nous séparaient du samedi, je pense que ma fréquence cardiaque a explosé. Fébrile comme un gamin la veille de son anniversaire, la peur que j’avais de la revoir n’était plus rien face à cet amour immense qui m’habitait, quoi qu’il advienne, quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse.Quand j’étais petit, mes parents semblaient bien plus heureux quand je leur montrais mon bonheur. Il suffisait que je sois souriant pour qu’ils oublient leurs problèmes. À bien y réfléchir, même si l’amour filial n’est pas l’amour qu’on peut avoir pour une personne avec laquelle on imaginait passer sa vie, je me suis demandé si quand on aime quelqu’un vraiment, on ne doit pas mettre sa propre petite personne de côté quand le bonheur de l’être aimé passe par un autre chemin.Pour brutale qu’avait été la révélation de sa trahison, elle finissait par devenir une révélation pour moi aussi. La révélation qu’on peut être heureux du bonheur de l’être aimé, quand bien même nous ne serions pour rien dans ce bonheur. Il est clair que je cherchais mille prétextes pour lui pardonner, clair que je me faisais des nœuds dans la tête uniquement pour justifier, face à moi-même, un renoncement à ma colère. J’étais tout simplement toujours amoureux d’elle.Le vendredi soir, j’ai reçu un SMS d’Anaïs m’indiquant qu’elle arriverait par le train 17611 à 10 h 47. Je me suis mis à calculer le temps qui restait avant qu’elle arrive, presque en permanence. J’aurais voulu y être déjà , tout de suite. Le temps est long quand on le regarde passer.J’étais sur le quai à l’arrivée du TER. Guettant sa silhouette dans la foule qui se déversait, je l’ai vue émerger comme si toute la lumière du jour était braquée sur elle. Les sons avoisinants étaient devenus des murmures. Les gens autour n’avaient pas de visage ; ils n’existaient même pas. Son regard s’est illuminé quand elle m’a aperçu. Je me suis dirigé vers elle, souriant mais crispé. C’est elle qui a ouvert ses bras en grand pour se blottir contre moi. À cet instant plus rien n’avait d’importance. Je ne savais pas si cette sensation était partagée, mais j’avais l’impression que nous ne faisions qu’un, que son corps venait de fusionner avec le mien. J’aurais pu rester là des heures, j’étais bien. D’ailleurs ça a duré un peu puisque quand elle a desserré son étreinte, les quais étaient presque vides.Comme nous le faisions avant, j’ai pris sa main pour aller vers l’arrêt de tram. En attendant la prochaine voiture, nous avons peu parlé mais je l’ai beaucoup regardée. Elle voulait que nous restions amis. C’est le sens de cette étreinte sur le quai. Ou bien elle m’aime toujours. Ou encore, elle regrette de m’avoir fait du mal et en me montrant un peu d’une tendresse obligée, elle cherche mon pardon. Mais après tout qu’importe. Moi je l’aime, plus que tout, plus que moi-même peut-être.Elle monte les marches jusqu’au second étage devant moi. Elle marche lentement, appuyée à la main-courante. Son allure est toujours aussi gracieuse, ses fesses toujours aussi bandantes. Mais je ne l’aime pas pour ça. Je l’ai cru. C’est sa personnalité qui me manque, se joie de vivre, sa façon d’être bien tout le temps. Elle m’apaise en me rassure. J’ai besoin d’elle pour exister.Bien entendu elle a remarqué que je n’avais pas changé de serrure. Un sourire lui a suffi à me montrer qu’elle ne m’en voulait pas, et que peut-être même, elle n’était pas mécontente que j’aie souhaité être là .J’avais peur qu’elle se dirige directement vers la chambre pour ramasser ses vêtements. Une angoisse. Anaïs se dirige vers le canapé. Elle va accepter que nous parlions un peu. Je m’approche, m’agenouille devant elle, et prends ses mains.— Je suis heureux d’avoir pu être là .— Je suis heureuse moi-aussi que tu sois là .— Tu sais où tu vas habiter ?— Pas encore non. Ce soir je peux dormir chez Anna si je veux. Elle peut me garder avec elle quelques jours.— Tu n’es pas bien ici ? C’est aussi chez toi.— Je suis bien ici, oui. Mais il faut bien que je parte. On a rompu.— Tu as rompu.— Écoute Alain. On ne va pas se disputer. Tout est de ma faute. Mais il n’y aura pas de retour en arrière. Notre vie d’avant c’est fini.— J’ai compris ça Anaïs. Notre vie d’avant est terminée. Mais je ne veux pas te perdre.— Je crois que c’est trop tard. Tu n’y es pour rien. Mais c’est trop tard.— Tu es heureuse ?— C’est un peu tôt pour le dire. Des fois oui. Des fois je suis un peu perdue.— Perdue ?— Oui. J’aime Blanche. J’aime ce qu’on vit ensemble. Mais je sais que ça ne durera pas. J’ai quand même besoin de stabilité et avec elle, c’est la folie. Ça peut s’arrêter demain.— Et alors ? Ce que tu auras vécu personne ne te le reprendra. J’espère juste pour toi que tu ne seras pas malheureuse après, mais si tu l’es, je serai toujours là .J’ai de la peine à parler, à cacher les sanglots qui m’encombrent, à refreiner les émotions qui m’humectent les yeux et me crispent la poitrine. Anaïs a laissé un blanc. Je la sens émue, elle aussi. Ses mains sont moites. Ses yeux ne rient plus.— Tu es adorable avec moi. Tu l’as toujours été. Je suis désolée de t’avoir fait souffrir.— N’en parlons plus. Seul l’avenir importe. Je t’aime.— … J’aurais voulu t’aimer plus fort. J’aurais aimé ne pas te décevoir, j’aurais …— Je ne suis pas déçu Anaïs. Je ne le suis plus. J’ai été égoïste moi-aussi. Mais je t’aime toujours. Plus fort même. Je veux ce qui est bien pour toi. Si tu veux partir et ne plus jamais me voir parce que c’est bien pour toi, alors fais-le. Ça ne m’empêchera pas de t’aimer. Mais si tu veux rester ici avec moi, que ce soit juste un jour ou plus longtemps, et que c’est bien pour toi, alors reste.— Tu plaisantes ? Tu ne m’en veux pas ?— Je ne plaisante pas, non. Eh oui, je t’en ai voulu. Je t’ai vouée aux gémonies. Mais ça n’a pas duré longtemps. Tu me manquais trop. Alors tu peux rester ici, tu es chez toi.— Tu es gentil.— Non. Amoureux. Reste. Blanche peut venir ici tant que tu voudras. Si tu veux que je parte quand elle est là , dis-le-moi. Si tu veux que je reste, dis-le-moi. Je ferai ce que tu veux. Je serai présent ou invisible. Et même si je dois te partager avec elle et avec d’autres hommes, je ne veux pas te perdre.— Tu es fou.— Non. Amoureux. Mais je peux te demander quelque chose ?— Oui, bien sûr.— Quand tu étais avec ce mec et avec Blanche à l’hôtel, que je vous regardais, tu prenais vraiment du plaisir ou tu faisais semblant pour m’humilier ?— Non je t’assure. Je prenais du plaisir. Un truc énorme. Je ne peux même pas t’expliquer.— Et ce mec, il était important pour toi ?— Comment ça, important ?— Ça aurait pu être n’importe quel mec ou il fallait que ce soit celui-là pour que tu prennes du plaisir ?— Je n’ai pas réfléchi à ça… Non en fait, ce mec je m’en fous. C’est la situation qui est terriblement excitante.— Donc si Blanche n’avait pas été là , tu n’aurais pas couché avec lui ?— Sûr que non !— Et si je n’avais pas été là , tu aurais couché avec lui ?— … Je pense, oui. C’est Blanche qui voulait ce plan avec lui.— Et tu aurais pris autant de plaisir ?— … Alors là , je ne sais pas. Tu te poses trop de questions…— Mais quand même, tu me suçais quand il te baisait.— Oui, oui. On peut dire ça comme ça. Je vois où tu veux en venir. Le fait que tu sois là , que je puisse te toucher, que tu me voies jouir, ça a ajouté à mon plaisir.— Vraiment ?— Oui. Je crois.— Tu voulais me faire du mal ?— Je ne sais pas. Non. Enfin pas vraiment…— Mais ça t’a plu de jouir devant moi ?— Je dois l’avouer, oui. Devant Blanche aussi… tu m’embrouilles.— Désolé, je cherchais juste à comprendre. T’en fais pas.— Ok.— Tu restes ?— J’en ai très envie, oui. Il faudrait que j’en parle à Blanche.— Appelle-la !D’abord hésitante, Anaïs s’est levée pour s’isoler dans la chambre. J’entends sa voix, mais je ne sais pas ce qu’elle dit. Je ne sais pas ce que je cherche vraiment, mais j’espère qu’elle va rester. Je préfère souffrir près d’elle que de la savoir loin. Je me suis griffé les bras sans m’en rendre compte. J’ai mal au ventre. Mon sang bouillonne. Mon cerveau est comme un flipper, les balles partent dans tous les sens. Anaïs revient.— Alors ?— Alors elle est d’accord et je suis d’accord.— Génial alors. Tu restes.C’est elle qui maintenant est à genoux devant moi, mes mains dans les siennes. Je reste le dos au canapé.— Tu sais à quoi tu t’engages, Alain.— Pas bien, non. Mais je ne veux pas te perdre.— Blanche va venir chaque semaine, et peut-être décidera-t-elle de s’installer ici. Tu ne vas peut-être pas le supporter…— Je ferai avec, je te le promets— Des hommes viendront aussi sans doute. Son copain. Et d’autres. Ça tu ne vas pas le supporter ?— Je ferai avec ça, aussi.— Tu vas souffrir Alain. Je n’ai pas envie de te faire souffrir.Ses mains sont de plus en plus chaudes. Elle veut me protéger, mais pourquoi ? On dirait qu’elle veut rester mais qu’elle a peur d’un clash, de quelque chose d’insupportable pour moi.— Tu as encore des sentiments pour moi ?— Je crois, oui.— Tu crois où tu es sûre ?— Alain. Tu es un mec bien. Tu mérites une fille mieux que moi et d’avoir une vraie vie. Je t’aime bien oui, j’ai de l’affection pour toi, de la tendresse. De l’amour peut-être aussi un peu, mais pas au point de renoncer à Blanche.— Je ne te demande pas de renoncer à elle, mais de me laisser gérer ma jalousie. Je dois t’avouer quelque chose mais j’ai du mal.— Ah. Dis-moi.— Ça m’a évidemment mis en colère que tu me mettes devant le fait accompli. Et quand j’ai vu qu’il y avait aussi un mec dans la chambre, j’ai failli exploser. Mais j’ai bien réfléchi à tout ça. Je pense que ça m’a aussi excité de te voir avec lui. Enfin, avec lui, non, avec un mec. N’importe lequel d’ailleurs. Tu as dû voir que je bandais encore plus dur. J’en ai eu honte. J’ai même refusé ça. Mais c’est vrai.— L’humain est complexe. Tu es intelligent, mon Alain, assez pour te remettre en cause. Trop peut-être. Et tu dis ça mais tu pourrais mal le vivre.— Essayons.Les mains d’Anaïs ont quitté les miennes. Elle les insinue sous ma chemise pour me caresser doucement le ventre. J’ai des frissons partout. Mon cœur s’accélère. Je sais que nous allons faire l’amour. Je sais que je devrai la voir faire ça aussi avec d’autres, et laisser Blanche la posséder, mais plutôt que de me bloquer, cette pensée devient presque positive. L’image du cul de Blanche me traverse l’esprit, celle d’une queue qui pistonne Anaïs également. Je n’ai pas envie de cette tendresse maintenant, j’ai envie de la baiser. Pas une envie. Un besoin. Impérieux. Immédiat. Irrépressible.Mais je ne bouge pas. Un ouragan de frustrations me colle au siège, me vide les tripes. Cette douleur est féroce et incontrôlable. Plus je résiste à l’envie de la prendre par les cheveux, de la déshabiller et de la sauter tout de suite, plus je bous d’une rage positive, extatique et enivrante. Elle a saisi mon sexe pour me sucer, je ne bouge toujours pas. La frustration de ne pas voir derrière elle un anonyme monté comme un âne la défoncer va me faire jouir trop vite. Elle l’a peut-être compris et me suce de plus en plus profondément. Elle se trémousse comme si quelqu’un la baisait. Je n’en peux plus de ces images de luxure qui exaltent mes sensations. La bouche de Blanche me manque elle aussi. Je veux revivre ces instants en m’abandonnant à mon plaisir, un plaisir que je sais plus intense et profond si Anaïs s’éclate elle-aussi. Je me laisse pomper dans ce délire jusqu’à la dernière goutte en me cambrant. Anaïs me masturbe encore un peu jusqu’à ce que je ramollisse, repu.Ces images de Blanche et d’hommes sans nom qui la font grimper au rideau ne me quitteront plus, alors autant vivre d’autres épisodes comme celui-là , ou d’autres différents. Je suis incapable d’imaginer ce que nous ferons, ce qu’elle fera, ce que nous vivrons, ce que j’accepterai. Mon plaisir, ce sera le sien.