Thé et petits gâteaux sur une table basse. Les deux convives assis côte à côte sur un canapé d’osier. Elle très classe, lui très strict.— Vous comprenez bien, chère amie, que si j’accède à votre requête, la nature de notre relation s’en trouvera changée à tout jamais, sans possibilité de faire machine arrière. Nous aurons beau user de tout notre vernis social, ce qui se sera produit sera ineffaçable de nos mémoires.— Vous avez été très clair depuis le début sur ce point, j’en suis parfaitement consciente.— Et cela ne vous fait pas peur ?— Mais… je suis morte de peur mon excellent ami. Et j’ai bien d’autres raisons de frémir encore.— Alors ?— La peur n’est pas la plus forte, voilà tout. J’ai beau tourner sans cesse le dilemme en tout sens, l’attrait en sort toujours vainqueur. Ce n’est pas faute d’avoir tenté de résister à mon désir.— Et votre mari ?— Ce sera mon tourment, je ne puis faire autrement que de l’accepter.Il remplit de nouveau les tasses de fine porcelaine.— Je suis très ennuyé.— Vous n’êtes pas tenté ?La voix est frémissante.— Ma très chère, je ne vous ferai pas l’offense de croire cela. Au-delà du raisonnable, si cela peut vous réconforter. Non, c’est juste que je vous connais depuis longtemps déjà. Cela ne m’est jamais arrivé de cette façon, je suis troublé.— Cela ne vous convient pas ?— Écoutez, dans ce genre d’affaire, il n’y a qu’une façon de savoir s’il convient ou pas.— Si je n’avais appris, par le plus grand des hasards, je vous l’assure…— Tranquillisez-vous, je vous apprécie assez pour savoir que vous n’écoutez pas aux portes. Tout est ma faute, un oubli impardonnable, j’ai manqué de la plus élémentaire prudence.— En tout cas, cela a réveillé en moi un appel très profond. Je me suis vu pour ainsi dire comme en un miroir, nue.— Je sais ce que vous ressentez.Il y eut un silence, qu’elle brisa.— Je vous en supplie, rejetez-moi ou acceptez-moi mais ne me laissez pas dans cette antichambre !Il lui sourit.— Je ne désire pas vous faire souffrir. Pas de cette façon du moins.Le teint de la jeune femme s’empourpra. Son cœur battait fort. Les mots se bousculaient à ses lèvres mais elle réussit à garder son empire et à conserver le silence, pour rien au monde elle n’aurait voulu troubler la réflexion de l’homme. Elle savait que c’étaient les secondes où se jouait son sort.— Bien. Cela fait plusieurs fois que vous me harcelez. Je comprends qu’il n’est pas en mon pouvoir de vous dissuader. Vous n’entendez pas raison. C’est que vous êtes d’ores et déjà hors d’atteinte pour elle. Je vais accéder à votre demande.— Merci, fit-elle dans un souffle, ses paupières se pressant pour empêcher les larmes.— Ne me remerciez pas, vous ne savez rien, la reprit-il assez sèchement.— Pardon.— N’en escomptez pas.Elle se tut. L’atmosphère avait changé, l’air était plus froid.— Servez-moi à boire.Elle s’exécuta.Pour la première fois, il se tourna vers elle et la regarda droit dans les yeux. Jamais il ne l’avait regardée de cette façon. Elle comprit qu’il existait un autre homme à l’intérieur de celui qu’elle croyait connaître, un homme qui lui faisait peur et qui la fascinait, un homme qu’elle appelait de ses vœux, peut-être pour son malheur. Reculer était hors de question.— Je vais établir avec vous des règles très simples, que vous devez respecter sans discussion possible. Pour le moment, nous sommes encore en terrain civilisé et vous pouvez vous lever et quitter cette maison comme vous êtes venu. Je vous le conseille même encore. Lorsque vous reviendrez de la chambre d’ami, il sera trop tard. Le pacte que vous aurez alors signé, vous aura fait passer irrémédiablement de la lumière à l’obscurité, où vous attend ce que vous croyez désirer. Vous me comprenez ?— Oui.— Parce que je vous connais, parce que vous êtes mon amie, je vais vous accorder deux licences. Tout d’abord, si à tout moment vous comprenez que vous avez fait fausse route, que la voie dans laquelle vous avez cru pouvoir vous engager n’est pas la vôtre, vous n’aurez qu’un mot à prononcer et tout cessera.Ses yeux plongés dans les siens, elle sentait le pouvoir hypnotique de son interlocuteur, l’ascendant qu’il avait pris sur elle depuis ces deux minutes qui la bouleversaient plus qu’elle n’aurait su le dire.— Stop. Ou quoi que ce soit qui y ressemble, un mouvement, une attitude, un regard qui le signifieront. Ne vous inquiétez pas, je saurai reconnaître ce mot, même si vous ne pouviez le prononcer.— Je ne le prononcerai pas.— Orgueilleuse, nous verrons cela. Il ne tient qu’à moi de vous le faire hurler jusqu’aux clochers de la ville.Elle baissa les yeux devant son expression courroucée.— Quoiqu’il en soit, je suis adepte du dressage progressif, en ce qui vous concerne. Vous voir franchir un à un les paliers serait délicieux, si vous vous en montrez capable.Son air était à présent celui d’un gourmet devant un mets délicat et convoité. Elle se sentait défaillir.— Ce mot, si vous le prononcez, vous libérera. J’attire votre attention qu’il me libérera par la même occasion de mon engagement. J’entends par là qu’il est fort possible que vous me déceviez et qu’il ne sera plus alors question de vous adresser à moi pour la moindre supplique. Vous resterez mon amie, peut-être, mais je saurai de vous quelque chose que j’aurai préféré sans doute ne pas connaître, votre lâcheté. Tout dépend, je ne peux vous assurer de rien. Peut-être serai-je disposé à vous accorder éventuellement une seconde chance, plus tard. Je n’en sais rien moi-même. J’attire simplement votre attention sur ceci : tirer sur la sonnette d’alarme peut arrêter le train mais vous expose à un sévère mécontentement de la part du conducteur de train en cas d’utilisation abusive.— Je crois avoir parfaitement compris, vous l’expliquez on ne peut plus clairement. Je souhaite sincèrement vous éviter ce désappointement, qui serait aussi le mien. Ce serait une honte très profonde.— Bien. Comme vous êtes absolument novice, on peut tout imaginer de vos difficultés à affronter la situation qui vous réserve quelques surprises, y compris et surtout sur vous-même. Ma générosité ira donc jusqu’à un autre joker.— Je vous écoute.— Lorsque vous reviendrez de la chambre d’ami, puisque vous ne manifestez toujours pas de recul, vous serez respectueuse du silence que je vous impose. Vous n’aurez plus droit à la parole, vous ne parlerez qu’à ma demande expresse.Il la fixa et elle hocha la tête en guise d’assentiment.— Si, pour une raison ou une autre, vous éprouvez impérativement le besoin de me communiquer une information qui vous semble essentielle, qu’elle soit d’ordre matériel ou si vous n’avez pas compris ce que je vous ai demandé, je vous autorise, à titre exceptionnel, à lever la main ou à émettre un son caractéristique. Là encore je comprendrai et je saurai faire la différence avec un stop. Il va de soit que cette faveur n’est valable que pour cette première séance. Enfin, que décidez-vous ?— Je n’attends que votre autorisation pour me rendre dans la chambre d’ami, murmura-t-elle d’une voix toute de docilité sensuelle.— Vous vous y déshabillerez et revêtirez la parure que j’ai choisie pour vous. Prenez votre temps, je ne suis pas pressé, aujourd’hui. Mirez-vous dans le grand miroir jusqu’à ce que vous jugiez obtenir l’effet optimum, qui est de me séduire. J’attache une grande importance aux détails et ce sera une première preuve de votre dévotion à mon égard. Ne laissez rien au hasard et apprêtez-vous avec le plus grand soin. Lorsque vous ferez cela, pénétrez-vous de l’importance de ce rituel. Dès cette seconde, tout est important, ressentez les choses jusqu’au fond de vous-même, accordez-vous à l’instant et à son déroulement, j’insiste sur ce point. La moindre inattention, je ne vous la pardonnerai pas. Je suis impitoyable et ne laisserai rien passer.— Je prendrai le plus grand soin de vous satisfaire et j’espère de toute mon âme y parvenir.— Il est bon de vous l’entendre dire. Ces mots m’enchantent. Je vous autoriserai peut-être à parler, un peu. Il eut un léger rire, un peu moqueur. Je sens votre impatience gronder.Elle rougit de nouveau, se mordant la lèvre.— Lorsque vous aurez fini de vous préparer, vous viendrez vous tenir debout ici, très droite, cambrée. Vous fermerez les yeux en prononçant cette dernière phrase : « Je suis prête ». Vous serez alors à ma totale disposition. Tout en faisant cela, vous tendrez vers moi une main qui tiendra la poignée de votre laisse.— Ma laisse ?— Allez maintenant, la coupa-t-il. Soyez parfaite, puisque c’est ce que vous désirez.Elle se leva et commença à s’éloigner. Il contempla sa démarche féminine et sa croupe ondulante.Sa main trembla lorsqu’elle la posa sur la poignée de la porte. Face à elle, un grand miroir dans lequel elle pouvait se voir en pied trônait près d’un grand lit. Elle découvrit la perruque : bleue, coupe mi-longue. La lumière provenant de la fenêtre la faisait luire de reflets électriques.Elle était dans un état second, ne sachant plus qui elle était ni où elle était, déjà pleine de désir pour un jeu dans lequel elle savait qu’elle allait se perdre totalement. Jusqu’où cela irait-il ? Jusqu’où l’homme assis dans le salon la mènerait-il ? Elle l’aimait et était prête à lui prouver.Lentement, avec un mélange d’appréhension et d’excitation, elle ôta sa robe qu’elle posa sur le dossier d’une chaise. Peur et attirance de l’inconnu irrémédiablement se bousculaient dans son esprit. Sous-pull et collants allèrent rejoindre la robe. Elle était à présent en sous-vêtements. Le miroir renvoyait l’image d’une jeune femme à la peau blanche qui tranchait avec le noir de l’étoffe en fines dentelles. Elle se tourna et se retourna, se mirant dans le miroir, épiant chaque parcelle de son corps qu’elle avait méticuleusement épilé avant de venir.C’est alors qu’elle aperçut la laisse. Un frisson la parcourut. « Que suis-je en train de faire ». L’espace d’un battement de cœur, elle eut envie de renoncer, de se rhabiller de s’enfuir de la maison. Mais son envie de goûter à « l’interdit », de tester et pousser ses limites était plus forte que tout. Elle s’empara de la perruque qu’elle eut un peu de mal à positionner afin d’obtenir un résultat satisfaisant. Encore une fois, elle se contempla longuement essayant de dompter cette nouvelle silhouette que renvoyait son reflet. Elle sourit nerveusement. Puis se rapprochant du miroir, elle entreprit de revêtir son beau manteau de fourrure. La panoplie se complétait enfin par des bas, noirs également.Elle avait les mains moites lorsqu’elle prit la laisse entre ses doigts. Elle la contempla, la tournant et la retournant dans tous les sens. Enfin, son fantasme prenait corps. Elle en avait rêvé de ce collier serti d’un anneau. En sortant de cette pièce, elle y laissera sa liberté à tout jamais. Une envie de rébellion s’empara d’elle. « Tu es folle, arrêtes ça tout de suite, reste libre ». Mais au moment où elle franchit le seuil vers l’inconnu, cette idée disparut aussi vite qu’elle était venue. Elle avait envie d’entendre Sa voix lui donner des ordres, elle avait envie de Le sentir, elle avait envie de s’abandonner corps et âme.Lorsqu’elle referma la porte de la chambre, elle avait du mal à contrôler sa respiration. La tête lui tournait. Elle flottait presque en apesanteur.Se tenant à présent au milieu du salon, elle dévisagea l’homme qui l’attendait. Leurs regards se croisèrent. Elle baissa les yeux, se cambra et tout en fermant les paupières, d’une main fébrile, tendit sa laisse vers son nouveau Maître.Elle était revenue dans la pièce, qui s’était modifiée durant son absence. Tandis qu’elle prenait son temps à se changer, ainsi qu’il lui avait été ordonné, les lourds rideaux avaient été tirés. Une tenture rouge recouvrait le mur blanc, lui servant de toile de fonds. Il avait suffi de la dérouler depuis le plafond où elle était astucieusement roulée. Des miroirs complétaient le dispositif, permettant de la contempler sous divers angles, renvoyant son image à l’infini. Des candélabres aux bougies noires brûlaient. Lui était toujours assis à la même place, comme s’il n’avait pas bougé. Il fermait les yeux. Elle prit place, respira profondément, prit la pause et prononça le code.Il ouvrit les yeux. Le nouveau monde s’ouvrait. Son décor, son personnage, son drame. Il était le dieu de cet univers. Elle était sa marionnette, jouet, poupée. Bien sûr, il avait aussi des responsabilités vis-à-vis de sa créature. Il fallait lui donner souffle, l’animer, la faire vivre et vibrer. Nulle hâte. Il était le maître du temps. Celui-ci se déroulerait à son rythme. Ici, personne ne pouvait contrecarrer sa volonté. Il était seul avec le pouvoir. Elle patienterait aussi longtemps qu’il le désirerait.Il laissa la sensation d’énergie l’envahir, comme une drogue hallucinogène. Son mental s’éleva pour se mettre au diapason de son nouveau statut. Il devenait le Maître. Il capta l’attente de l’apprentie, sourit à l’évocation de tout ce qui devait se passer dans son esprit et dans son corps. Elle était tendue, excitée, effrayée, dans l’expectative. Elle était belle aussi. À sa convenance.— Que penserait ton mari s’il te voyait attifée comme une putain des boulevards ? Tu es tellement… vulgaire !Elle se cabra sous l’insulte, fouettée par la proximité du tutoiement. Il jouit de sa révolte, de sa dignité outragée. Elle n’avait pas imaginé qu’il puisse la rabaisser par une pique aussi ignoble. Il se permettait de la prendre en faute et de la juger, lui reprochait son infidélité alors que c’est à lui qu’elle en faisait l’offrande. Elle se sentait trahie et humiliée. Perdue dans un monde de ténèbres, ses paupières étaient closes, ses pensées filaient à toute vitesse.Elle était sûre qu’il lisait en elle. N’était-ce pas le moyen de l’éprouver ? Si elle prononçait le « stop » fatidique dès les premières secondes de la joute, elle ferait la preuve qu’elle ne méritait pas sa confiance, qu’elle n’était qu’une petite fille capricieuse. Elle ravala donc sa fierté et attendit la suite, ne sachant de quelle nature serait la prochaine attaque. Elle réalisait, mais un peu tard, que toute à son imagination enflammée, elle n’avait pas pris pleinement la mesure des risques qu’elle encourrait.Elle s’était bercée d’imagerie romantique et gothique, saoulée de clichés. La surprise était grande, la réalité toute autre, plus immense, nettement plus crue et intense. Elle se tint sur ses gardes, en proie à un vrai sentiment de danger. Elle comprit lentement qu’il lui permettait aussi de s’identifier à cette nouvelle personne qu’elle devenait. Elle était effectivement habillée comme une prostituée. Elle avait laissé choir son accoutrement d’aristocrate, habituée des salons mondains. Elle ne pouvait plus prétendre au respect dû à son rang, de sa propre volonté. Son époux aurait fait une syncope en la découvrant ainsi. Ou aurait-il apprécié le spectacle ? Tous les hommes étaient-ils ainsi ? En somme le meneur de jeu n’avait fait qu’énoncer un fait.— Tu es une putain qui manque de métier. Tu en as les habits mais pas l’attitude. Pense que tu es sur le bord de la route, prise dans les phares des voitures qui passent et repassent, cherchant une viande à leur goût. Crois-tu que c’est ainsi que tu dégotterais le client ? Tu es ici pour gagner ta croûte et rapporter un max à ton mac. Si tu ne veux pas te prendre une dérouillée, il va falloir que tu fasses de la retape.Il frappa dans ses mains. Le déclic se fit. Elle tenta d’apprivoiser son personnage, de faire corps avec lui, actrice unique d’un théâtre privé. Elle quitta sa posture et se déhancha d’une manière qu’elle espérait tentatrice et de circonstance. Elle osa une main sur la hanche, écarta légèrement les jambes.— Souris ! Tu ne tiens pas à faire peur. Tu n’as pas le sida. Tu es là pour tailler des pipes et faire jouir des queues. Alors montre que tu es le bon numéro.Ce tutoiement qui l’avait saisie dès le départ, symbole d’une frontière définitivement franchie, l’aidait à présent à s’oublier, à se modifier, au gré des indications qui lui étaient données.— À présent, tourne ton visage vers ta droite. Tu vas ouvrir lentement les yeux et te découvrir dans la glace.Elle le fit et fut soufflée. Elle ne reconnaissait pas la femme qu’elle voyait. Elle sentit un rejet instinctif en son for intérieur, le besoin de faire marche arrière, de redevenir ce qu’elle était jusqu’ici, la personnalité qu’elle connaissait et qu’elle présentait au monde. Elle se cramponna pour ne pas perdre le fil, rester telle qu’il la voulait. Au fond, n’était-elle pas ressemblante à un de ces multiples fragments de verre brisé où sa psyché s’était reflétée ? N’était-elle pas un des possibles dont elle s’était grisée durant ces rêveries solitaires, ces phantasmes narcissiques où elle se perdait avant de mourir de plaisir ? Aimait-elle ce qu’elle avait sous les yeux ? En réponse télépathique, il reprit la parole.— Jolie salope hein ? Comme quoi… on ne se connaît jamais tout à fait.Ces mots exprimaient tellement la chose qu’elle se sentit fondre, et avec elle ses dernières préventions. Elle sentit qu’elle pouvait s’abandonner sans plus de retenue à cet homme qui semblait suivre pas à pas chacun de ces tremblements internes, qui la connaissait si bien qu’il anticipait chacun de ces pas. Ou qui connaissait tout bonnement le fonctionnement des femelles en chaleur dans son genre. Sans doute n’avait-elle rien d’original. Il avait dû en voir défiler des novices, toutes sur le même modèle et d’une banalité affligeante. Il suffisait de pratiquer et une psychologie primaire devait se dégager avec l’habitude.Évanoui, le mythe fabuleux. Elle préféra oublier ces considérations navrantes, qui risquaient de la rendre distraite, et se concentra sur le présent comme il l’avait prescrit. Son expérience était au moins unique à ses propres yeux. Et peut-être jouissait-il des infimes différences entre ses différentes partenaires ? Elle l’espérait.— Tu vas à présent tourner lentement ton visage vers moi, plonger tes yeux dans les miens. Je suis le client, tu veux me faire les poches. Je veux, dans ton regard, que tu me promettes tous les plaisirs du monde et plus encore, si j’accepte de mettre la main au portefeuille. Tu veux mon fric et pour ça tu dois passer par mes couilles. Je veux que tu les fasses doubler de volume.Elle n’eut aucun mal à jouer sa partie. Elle n’avait plus qu’une envie au ventre : faire jouir son maître. Son plaisir passait à présent par le sien, inextricablement lié. Elle voulait le mener à l’éjaculation afin de se délivrer elle-même. Elle savait qu’elle ne serait assouvie que lorsqu’elle ferait couler le jus dont elle devenait avide. Toute son âme se tendait dans cet unique but : exciter son maître, le satisfaire, être la parfaite solution à son désir, le fourreau adéquat de son extase, l’esclave idéale dans laquelle il se répandrait.— Bien… c’est convainquant. Défais lentement la ceinture de ton manteau et entrouvre-le suffisamment pour me faire deviner ce qui se cache dessous.Elle obéit et écarta langoureusement les pans de la fourrure blanche. Il n’avait plus besoin de lui rappeler son rôle, elle était pleinement devenue cette putain des boulevards. La seule différence tenait dans le fait qu’elle ne désirait qu’un seul client et ne voulait pas de son argent, seulement qu’il se serve d’elle toute la nuit.— Avance-toi vers moi lentement, avec assurance et séduction, comme un mannequin de mode. Et ne quitte pas mes yeux un seul instant.Elle fit de son mieux. Il l’arrêta d’un geste, elle n’était plus qu’à un mètre de lui. Ses mains lui indiquèrent d’ouvrir plus largement le manteau. Il la détailla du cou jusqu’aux chevilles, elle sentait la caresse brûlante de ses prunelles, elle se demandait si l’abondante humidité qui perlait d’elle était visible.Jamais elle n’avait fait cela mais elle ne perdit pas de temps à se demander si elle serait ridicule. Elle fit aller ses hanches de droite et de gauche, suggestivement, puis imprima des mouvements de rotation, formant des huit avec sa croupe, telle une danseuse de cabaret oriental. Elle plia les genoux et descendit, ses mains prenant appui sur ses cuisses. Remontant, elle effleura son sexe, ses seins, l’allumant toujours de ses iris dévoyés, strip-teaseuse de peep-show.— Fais glisser ton manteau sur tes épaules.Elle se sentait divinement bien. Elle constatait qu’elle avait capté l’attention de son maître et obtenait son approbation. Ce qu’il voyait lui convenait et elle était la raison de sa satisfaction.Elle lui faisait l’amour par sa danse, et elle-même se sentait prête à jouir, il aurait suffi qu’il la touche pour qu’elle explose.— Passe la langue sur tes lèvres.Il la rendait folle, la maintenait au bord du gouffre. Elle avait envie de supplier. Qu’il la prenne, qu’il l’emplisse, qu’il la baise, qu’il se déverse en elle brutalement. Qu’il gicle sur elle, chaleur visqueuse, délectable, qu’il la laisse se couvrir de sa crème. Elle était une panthère en rut, réclamant une saillie. Elle n’était plus qu’orifices affamés.Enfin, il allait lui donner sa nourriture. Elle allait pouvoir communier avec l’hostie sacrée.— Tu sais ce que font les chiennes lorsqu’elles se mettent à genoux ?En prononçant ses mots, il avait saisi sa laisse et l’enroulait autour de son poignet. Il tirait légèrement sur le collier, provoquant une impression enivrante. Elle mourrait d’envie qu’il l’amène de cette manière jusqu’à sa verge, de force. Qu’il lui enfonce dans la bouche et qu’il se branle en elle. Qu’il l’agrippe par les cheveux et imprime les va-et-vient à son rythme. Dieu, comme elle désirait une giclée abondante, qui coulerait sur son menton et ses seins. Elle voulait sa gorge pleine, son visage maculé. Qu’il jouisse fort et longtemps.— Elles sucent, lâcha-t-elle dans un souffle, se pâmant à l’approche de sa récompense.Une gifle retentissante la fit valser sur le sol.— Retourne à ta place !Prise en faute d’elle ne savait quel crime, elle se releva et rejoignit le centre de la pièce.Pourquoi était-il si furieux ? Qu’avait-t-elle fait qui puisse le mécontenter à ce point ? Était-ce pure cruauté gratuite ? Elle tentait de retenir ses larmes, qui pourtant roulaient sur ses joues. Elle ne songeait plus à se rebeller, soumise à l’injustice, elle se sentait comme une enfant. Juste au moment où elle allait pouvoir lui témoigner son amour.— Ne t’avais-je pas dit d’être silencieuse ? hurla-t-il à son oreille.— Mais… hasarda-t-elle.— Et tu recommences !Il l’agrippa par le collier et l’étrangla en la secouant.— Mais tu n’es bonne à rien ! Malgré toute ton éducation, tu n’es pas fichue d’enregistrer une consigne aussi simple que de fermer ta gueule !Fou de rage, il enfourna sa main entre ses cuisses et la pénétra de ses doigts sans le moindre ménagement.— Ah, pour mouiller tu mouilles… une vraie truie ! Mais pour ce qui est d’obéir, il te reste du chemin !Elle éclata en sanglots tandis qu’il la ramonait sauvagement, la maintenant toujours par le collier de cuir noir aux pointes d’argent, elle suffoquait.Ses mains se portèrent à ses fesses, qu’elles ouvrirent au maximum, exposant l’entrée interdite de l’église. La tirant vers le bas par le collier, elle se plia en deux. Abandonnant son vagin douloureux, il se mit à la fesser à grands coups, lui arrachant des cris au milieu de ses pleurs. C’était une vraie punition à laquelle elle avait droit, un strict châtiment corporel. Elle ferait attention à tenir sa langue la prochaine fois, et ne l’utiliserait qu’à bon escient, quand on lui demanderait. Elle acceptait cependant. Elle aurait aimé lui appartenir dans la jouissance, mais elle lui appartenait pareillement dans la souffrance, à présent.Il lui fit exécuter un tour sur elle-même, la faisant virevolter, arrimé solidement au collier. Il plongea ses doigts dans sa bouche, les introduisant jusqu’à la gorge, les tournant en tout sens. Rien ne lui était épargné, elle était sa chose, ne pouvant esquisser un geste de défense sous peine d’encourir des sévices plus violents encore. Il pénétra son anus avec deux doigts qu’elle venait d’enduire de salive.— Tu t’es déjà fait enculée ?Elle gémit mais ne répondit pas.— Parle !— Oui, maître.— Baisse les yeux, petite salope. Demande-moi pardon pour ne pas m’avoir gardé un anus vierge.— Pardon maître, je ne savais pas, pleurnicha-t-elle.— Et tu as aimé ça, chienne ? Parle !— Oui, maître.— Tu t’es fait prendre souvent ?— Deux fois, maître.— Et ça, tu aimes ?Il lâcha le collier et enfouit trois doigts dans son sexe, la violant doublement. Elle crachotait, emplissant d’air ses poumons. Chavirant, molestée, elle n’avait plus de repère, d’attache, ballottée dans l’ouragan du maître qui exerçait sa rage, la dominant sans limite.— Je t’autorise à me dire que tu aimes. Je veux te l’entendre gueuler ! Ne t’arrête pas.Un flot de mots qu’elle ne contrôlait plus s’extirpa de sa bouche, entrecoupé de hurlements. Oui, elle aimait ça, elle ne voulait pas qu’il s’arrête, il lui faisait mal et elle était sa chienne, sa pute, sa salope, son esclave. Qu’il fasse d’elle ce qu’il voulait.Elle ne savait plus qu’elle parlait, elle ne savait plus qu’elle avait mal, elle était en transe, possédée, le cerveau disjoncté.Il se calma enfin. Soudainement, il cessa de l’embrocher et elle chuta, recroquevillée, à l’instant où il se retira d’elle.Lorsqu’elle entendit le bruit d’une fermeture éclair, elle leva un visage pathétique, ruiné de larmes. Elle reprenait espoir. Peut-être l’autoriserait-il à lui être agréable, après l’avoir sévèrement disciplinée ? Elle pourrait se faire pardonner en se montrant bonne lécheuse et suceuse. Sans doute, son aspect lamentable l’exciterait-il, preuve qu’il régnait sans partage sur sa soumise ?Elle s’apprêtait à s’agenouiller quand elle reçut un jet d’urine en pleine face. Le coup ultime, la dernière banderille plantée dans la dépouille agonisante du taureau. Il pissait sur elle, criblant son corps de cette chaleur acide, n’épargnant nulle superficie.— Va te rhabiller, il y a une douche derrière le paravent.Il lui signifiait son congé. Pourtant, au-delà de l’effondrement de toute sa personne, elle ressentait encore le besoin vital de partager le plaisir de son maître. Elle se sentait incomplète, inachevée, indigne de sa nouvelle condition. Elle se hissa sur les genoux et tendit les mains vers lui.— Maître, je vous en supplie. Laissez-moi vous…— Il suffit. Disparais.Il lui tourna brusquement le dos. Elle lui savait gré de ne pas contempler la maladresse de son départ, humiliée et brisée, moralement et physiquement.Elle se lava longuement avec de l’eau très chaude. Elle n’avait que des marques légères, qui s’estomperaient vite et se maquilleraient aisément. Elle se rhabilla plus rapidement que la fois précédente. Ajustant sa robe dans le miroir, elle retrouvait son ancienne allure, sa physionomie habituelle, cette silhouette connue qu’on associait avec elle. Elle n’y voyait plus qu’un déguisement, un camouflage qui dissimulait à la société sa vraie nature, lorsqu’elle était à demi-nue dans le salon magique, à la merci du maître.N’osant pas réapparaître, hésitante, intimidée, elle toqua à la porte de la chambre avant de sortir. Elle fut la victime d’un enchantement. Rien ne s’était produit. Les rideaux étaient ouverts, donnant vue sur le jardin et la lumière d’une douce fin d’après-midi. Plus de candélabres ni de bougies, la tenture avait été repliée, les miroirs rangés.Une nouvelle théière fumante reposait sur la table basse, a ses côtés une nouvelle provision de gâteries au chocolat. Lui avait repris son flegme superbe, le gentleman habituel.— Prenez place très chère, qu’attendez-vous ?Elle s’assit et saisit la tasse qu’il lui tendait. Ils sirotèrent le breuvage à petits coups discrets, puis il s’enquit :— Eh bien, me direz-vous ?Elle cherchait les phrases appropriées, ne les trouvant pas elle ne sut que répondre :Il lui présenta l’assortiment de pâtisseries.— Et vous, mon ami ?Il la regarda et elle sentit une bouffée, un retour de flamme, en lisant dans ses yeux quelque chose de celui qu’il était vingt minutes auparavant.— Je suis positivement ravi.— Pourtant, dit-elle en baissant les yeux, je ne vous ai pas donné entière satisfaction.— Ce sera pour une autre fois.— Je… je faisais allusion à mon erreur regrettable.Il eut une moue d’amusement, comme devant une parole d’enfant.— Mais où irions-nous si les soumises ne faisaient plus d’erreur ma chère ? Nous serions privés de la moitié de notre bonheur.Elle se sentait soulagée. Ainsi donc, il ne lui tenait pas rigueur, il pardonnait sa faute. Elle s’enhardit à oser :— Je me demande ce que donne un dressage quand il n’est pas progressif ?Il sourit.— Ma chère, je vous avais prévenu. Je n’avais pas l’habitude de ce genre de connivence préalable à une première exploration.— En quoi cela modifie-t-il la donne, si vous voulez bien consentir à ma curiosité ?— Il faut croire ma douce amie que j’avais espéré un moment comme celui-là. Je me l’étais représenté, maintes fois. Vous m’attiriez. Je ne me serais jamais permis de vous proposer une telle chose bien sûr, je vous respectais trop. Mais… oublier de bien fermer une porte et laisser le destin choisir que vous passiez par là au moment opportun. Laisser se faire les choses, voir si vous tomberiez dans ma toile…— Et… vous ne me respectez plus ?— Plus du tout.Ils éclatèrent de rire.— Dans l’intimité, cela va sans dire, ajouta-t-il pour se faire bien comprendre.