Suite, ou plutôt version de Chlo.Voilà. C’est fait.Quand j’l’ai croisé, j’ai pas tilté. J’l’ai pas r’connu. Trop vieux. J’étais trop jeune pour m’en rappeler. Mais un truc. Un j’sais pas quoi. Un drôle de sentiment de déjà-vu. Un truc qui dit j’le connais, lui. Sûre et certaine que j’le connais, ce type. Mais qui c’est bordel ?Un client ?Non. J’le connais pas du taf. Depuis que j’suis à mon compte, j’les catalogue. J’m’en rappelle de tous. Ils aiment bien qu’on se souvienne d’eux. Ça les flatte. Faut toujours les flatter, les clients.Un fournisseur ?Ouais.Non.Fais chier. Sa tronche me cause, mais.Merde !J’avais quoi ? Huit ans peut-être.C’est r’venu. C’est lui. Sûre de certaine que c’est lui. Il a changé, le saligaud. Mais c’est lui.Même air absent. Ailleurs. Seul. Présent, mais loin de tout. De tous.Incroyable ! Après presque trente ans, j’emménage l’appart du même immeuble. Du même étage. C’est dingue !Il m’a pas reconnue. Pas vu. Comme avant.Il est bizarre. Pareil. Pas changé.Moi j’ai changé. Suis grande maintenant. Suis plus une fillette. Suis une femme. Patronne.J’ai morflé. Pas qu’un peu. J’viens d’divorcer. Pas larguée. C’est moi qui suis partie.M’abandonne pas, qu’il pleurait, c’couillon.Hé ! Connard ! T’as merdé grave. Et quand on merde, bah on assume.J’me suis barrée. Jurant qu’les mecs, c’est tous des cons. Des je pense qu’avec ma bite.C’était le premier. Gentil. Il m’a tout appris pourtant c’couillon. J’étais toute à lui. Il aurait pas merdé que ça aurait été l’bon.Je peux pardonner. Mais pas ça !Je t’aime, toi, qu’il disait.J’le croyais. J’le crois encore. Mais faut pas déconner, merde !Quand t’aimes, tu trempes pas ta queue n’importe où, si ?Il a été sage. Il a essayé de l’être. Mais quand t’es un queutard rien à foutre, tu l’restes !Alors j’me suis barrée. Pas de gosse. C’est plus simple.J’l’aimais pourtant. Mais lui ni plus ni moins qu’une autre. Et moi suis pas quelqu’un comme une autre.T’es pas une lumière, qu’on m’a dit toute ma vie. Mes vioques. Mes profs. Le lorientateur. Enfin un truc du genre qui dit toi tu vas faire ça parce que y’a de la place et qu’y a du débouché.Bande de cons !Lui il m’a jamais parlé. J’sais même pas s’il m’a jamais remarquée. Mais au moins il m’a jamais pris pour ce que je suis pas. Une débile.Pareil qu’il est. Tout pareil. Mêmes attitudes, mais avec trente piges de plus.Mystérieux. Grand. Dans sa bulle. Beau.Il était beau avant. Il l’est encore maintenant. Pas plus. Mais plus vieux. Plus viril. Plus seul.Dix fois j’l’ai croisé. Rien ! Il m’a même pas calculée.J’suis pas vexée. Il m’a jamais remarquée. J’sais même pas s’il m’a un jour regardée.Moi j’l’ai vu. Je l’ai suivi. Je l’ai épié. Analysé.Suis pas une lumière. Mais pas la dernière des connes non plus !C’que j’sais aujourd’hui, c’est qu’il vit seul. Pas d’amis. Pas de compagne. Il est comme avant. Bourré d’habitudes.La semaine il vit tranquille. Il sort peu. Il se fait livrer à domicile. Mais le week-end il se lâche. Il sort. Il boit. Beaucoup. Vache c’qu’il descend, le salaud ! J’le sais. J’l’ai vu.Ça fait trois mois qu’j’habite à côté. Deux que j’m’éclate dans la même boîte que lui. Mais lui, il aligne les bières. Sans danser. Sans parler. Juste boire. Toujours au bar. Seul.J’ai réfléchi. Beaucoup. Longtemps. Pis j’ai agi.On a pas souvent une deuxième chance dans sa vie. Quand on l’a faut pas la laisser passer. J’pouvais pas la laisser passer. Alors j’suis passée à l’action. C’était l’heure.J’aurais pu lui dire : salut qu’est’ce tu fous là ? Tu t’souviens d’moi ?Mauvais choix. Il sait même pas comment j’m’appelle.Alors suis rentrée dedans. En pleine face. Sans salut comment qu’c’est. Sans bonjour ou bonsoir.J’ai gueulé. Y’a d’autres endroits moins chers pour boire un coup.Lui l’a pas bougé. Pas tourné la tête. Même pas sursauté. Il a regardé devant lui le barman se pointer. Dix fois au moins il en avait viré des qui lui parlait. Y’a même une fois les videurs en ont foutu un dehors.Je balisais. Mais c’était trop tard. J’l’avais ouverte ma grande gueule. Ça passe ou ça casse.J’sais pas comment il l’a arrêté l’pingouin qui v’nait à son secours avec sa tronche de t’inquiètes j’vais la virer.Oui qu’il a dit. Un oui et pas plus. Mais un oui. Il m’avait causé.C’était la première fois depuis trente piges que j’avais pas entendu sa voix.Posée. Sûre. Moins haut perchée que quand on était encore à l’école. Il a mué. Comme moi. J’ai des nichons maintenant.Enchaîner. J’avais fait l’plus dur.En plus tu danses même pas. T’sais pas ?Question conne. Sans réponse. J’sais bien qu’il danse pas. Ça fait deux mois qui bouge pas son cul du bar.Sais pas. Jamais essayé qu’il m’a répondu.Ben lui, ça !Petit déjà, il répondait sans réfléchir. La maîtresse avait laissé tomber l’affaire. Sauf quand personne savait. Elle l’interrogeait. Elle avait sa réponse. Elle souriait. Contente. Elle pouvait continuer à débiter son cours. C’est con les profs. Faut juste que ça finisse le programme.L’pingouin il semblait attendre. Quoi ? Sais pas. Mais j’avais soif. J’étais trempée. Je puais d’avoir dansé. Je l’aurais bien trinqué d’un verre d’alcool, mais je suis pas à sa hauteur. J’ai pris un coca. Ma drogue à moi. Mais un light parce que sinon j’ferai le double. Déjà que j’suis pas comme ces connes des magazines qui vous foutent des complexes !Faut essayer pour savoir, que j’lui ai dit.J’aimerais pas qu’il m’a dit.Pis si, je sais que j’aimerais pas, qu’il a répété.J’ai eu peur. Me suis dit t’as merdé. Trop directe. Rentre dedans. Tu l’fais chier. Mais quand l’pingouin m’a dit offert, j’savais qu’c’était gagné.Après sais plus ben ce qu’on s’est dit. Mais je l’avais gaulé. Il m’avait offert un verre. Le plus dur était fait. Fallait juste le laisser digérer.Moi quand j’abuse, y m’faut un jour. Deux parfois. Mais pas lui. Lui l’a besoin de plus. Il est pas lent à la détente. Au contraire. C’est l‘type l’plus intelligent que j’connais. Mais il a besoin de temps. De recueillement.Quinze jours j’lui ai dit. Même chaise même heure. Il a besoin de repères. D’habitudes. Faut pas brusquer un vieux solitaire sinon c’est cuit !J’l’ai plus suivi. Plus épié. Plus besoin. Il vit presque chez moi. Toute façon il a pas foutu le nez dehors. Il digérait. Ingurgitait.Moi j’suis pas comme ça. Moi faut qu’ça bouge.J’y suis allée en boîte. Me suis éclatée. Pour fêter ma première victoire.J’ai ramé pour que l’pingouin il accepte. Mais il a craqué. Les mecs suffit d’savoir les prendre. C’est couillon un mec. Et moi pas mieux. J’ai bu. Trop. Quatre verres. Ça tournait. J’avais plus ma tête à moi.Le soir quand j’me suis couchée, y’a quelques trucs qui m’sont revenus. C’était flou mais j’me souviens qu’un type a profité qu’j’avais plus toute ma tête.J’aime danser. Mais pas les slows. J’déteste. C’est main au cul et bisous dans le cou. Beurk !Pas qu’j’aime pas ça mais faut pas pousser mémé dans les orties !Blablabla blablabla et hop je t’roule une galoche ni vu ni connu. T’as la bouche ouverte pa’ce que l’estomac en vrac et bingo, t’as une langue dedans !Baiser c’est pas ça !Un baiser c’est un signe. Je t’offre ma bouche. Tu la prends pas quoi. Merde ! Tu demandes pas mais t’sais quand c’est bon !T’es qui toi d’abord ? On s’connaît ? Et t’as pas l’temps d’réagir qu’la main qui t’pelote le cul, elle passe sous le string. En moins d’temps qu’il faut elle est d’vant. Et tu peux même pas parler, il t’bouffe la gueule en regardant d’un doigt si t’es aussi trempée dans le calbute qu’il a la queue dure.Je l’ai baffé ce gros dégueu. Ça a claqué grave.C’qui est sûr c’est qu’il s’est fait virer par deux armoires et qu’il est pas près d’y r’foutre les pieds. Interdit d’séjour.J’me suis promis deux choses. Un. Plus boire autant. Deux. Plus de slows. Trois. Il est pas comme ça lui mais s’il me fout sa langue en bouche j’la dévore. Et s’il ne le fait pas j’lui fous la mienne.Ouais. Le trois c’est pas vraiment le trois. C’est le zéro. Le plus urgent.Comme quand j’suis rentrée. J’en t’nais une bonne mais c’était bon. Ça faisait longtemps que j’l’avais pas fait. Pour l’occas j’ai un peu abusé.Trois fois. La première dans les chiottes de la boîte. La deuxième sur le banc en bouffant mon amerloc. Mais la meilleure c’était derrière sa porte.Putain le pied ! Y’a fallu que j’me morde la langue pour pas gueuler tellement j’ai joui !OoOoOIl a pas bougé d’la semaine.C‘est dingue ! J’lui ai donné rencart dans quinze jours et il attend.C’est pas humain ça. Personne fout sa vie entre parenthèses pour une fille, si ?Bah, lui, si. C’est pas l’hiver mais il a hiberné. Comme un ours.C’est mignon les ours. J’en avais un petiot. J’l’aimais bien. L’était doux. J’lui faisais plein de câlins. Le soir je m’endormais avec lui. Avant j’lui racontais ma journée. C’est pratique une p’luche. Ça dit rien. Comme lui.J’ai grandi. J’ai changé. J’aime plus les poils. Ça gratte. Surtout la barbe. Le corps encore ça va. Mais le bec. Beurk !Lui il est toujours rasé de près. Sûre qu’il est tout doux de partout. Et il sent bon l’cochon. J’le sais. J’l’ai senti.Il a passé la semaine comme d’hab. Réglé comme du papier à zique. Les murs sont trop épais pour que j’l’entende. Alors j’l’imagine.Pas d’réveil. Pas besoin. Il a pas d’horaire. Il bosse pas. Ou alors il bosse de chez lui. Mais tous les matins il s’lève à sept heures pétantes. Il déjeune. Des œufs. Il s’en fait livrer trois douzaines la semaine. Café. Sais pas. Pas vu. Thé peut-être. Du jus d’orange ça c’est sûr. C’qui est sûr aussi c’est qu’il boit pas que de la bière ou du pinard. Quatre packs de gazeuse. Jamais la même. Enfin si. Chaque semaine sa marque.Ils viennent à deux pour lui amener sa ration. Entre la flotte, la binouse et le paf, plus les sacs que j’sais pas c’qu’y’a d’dans, z’ont du taf les cocos.À 8 h 30, c’est ménage. Il passe l’aspi. Après je sais pas. Je pars au taf.Quand je rentre y’a d’la zique sur le palier. Pas mon trip. C’est l’genre de truc que t’achètes au tabac pour 99 centimes le premier. Après t’arrêtes c’est trop cher et faut s’abonner.J’ai téléchargé une appli pour savoir c’qu’il l’écoute. Quand j’ai vu les noms j’ai halluciné. La neuvième de j’sais plus qui. Requiem de machin. Les quatre saisons de bidule. Du classique quoi ! Le genre violon et flûte et tout c’qui va avec.Au début je trouvais ça nul. Ça chante pas. Et quand si c’est ni en français ni en anglais. Pis à force j’y ai pris goût. J’ai même changé la station de mon radio réveil. C’est plus cool pour s’réveiller qu’les infos ou la météo ou l’horoscope.Suis une couche-tôt moi. J’ai un taf qui fatigue. Alors le soir j’sais pas à quelle heure y’s’couche lui. C’qu’est sûr c’est qu’moi j’pionce depuis des lustres.J’aime bien ses habitudes. Ça m’calme. Moi suis une pile. J’peux pas rester une minute sans bouger. Tout le contraire de lui.Bon. C’est pas l’tout mais faut que j’y aille. J’ai rencart ce soir. Avec lui.OoOo0J’suis arrivée plus d’une heure avant lui. Avant j’me suis fait un petit resto.J’savais qu’il allait venir. Il est réglé comme du papier à zique.J’me suis planquée. Aux chiottes. Dix minutes avant. Quand j’suis sortie il était au bar. À sa place. Il parlait. Pas normal. Il parle jamais ici. Il boit.L’pingouin il avait l’air coincé du cul.Ça m’est revenu. J’avais picolé sur son compte. Il me faisait pitié le pauvre. Il trinquait grave. Et il aurait pas lâché l’affaire. Qui qui qui, qu’il disait. Et l’autre il était bien dans la merde. Je pouvais pas le laisser comme ça l’pingouin. Il avait été sympa. Alors j’ai dit moi.J‘étais dans son dos mais j’l’ai vu se détendre. Pas l’pingouin. J’m’en tape de lui.Après on a causé un peu. Il avait l’air rassuré. Content même. Il m’a même offert un verre. Mais il parlait plus. Il attendait. Comme d’hab. Fallait pas qu’laisse tout foirer. J’lui ai dit mon prénom. Enfin une partie. Trop tôt pour qu’il se souvienne de moi. Même si j’sais pas s’il sait qui j’suis ! Mais rien. Silencieux.Quand on se présente c’est dans les deux sens non ?Lui non. Il attendait. Quoi ? Sais pas. Alors j’ai fait mon boulet.Paille. Mon cul oui !J’sais bien que c‘est pas ça son p’tit nom. Mais pas grave. Présentations faites.La tronche qu’il a faite en s’retournant.J’ai cru qu’il m’avait remise. J’l’ai bien remis moi. Pourquoi pas lui ?Mais non. Il était juste plus paumé. Ou j’lui ai tapé dans l’œil. J’suis pas un canon. Mais pas dégueu. Pis les mecs ils préfèrent les formes aux planches à pain. Ils aiment avoir la main sur un cul bien rond. Moi j’ai ce qu’il faut. Je parle même pas des loches.Suis pas grosse. J’ai c’qu’y faut là où y faut. Et pis surtout suis bien dans ma peau. Alors je mets valeur. Ça pas été toujours comme ça. J’en ai fait des régimes. Plein. J’ai perdu quelques kilos. Sur la balance. Mais ça s’voyait pas des masses. Alors j’ai laissé tomber. On est c’qu’on est. Et moi on m’prends comme j’suis. Pas grande. Beau cul. Belle paire. Franc-parler. Tu prends ou tu laisses. Point barre.Lui l’avait l’air largué. Plus de repères. Sous le charme ou horrifié. Et moi aussi j’savais plus quoi penser. J’lui plais ou pas ?On allait pas rester des heures comme deux ronds de flans.Déçu que j’lui ai demandé ?Il a pas répondu. M’a juste souri.J’l’avais jamais vu sourire. Même gosse il avait toujours l’air sérieux. Pincé du cul.J’lui ai lancé une perche. J’aime bien jouer avec le feu. Et j’aime pas le mensonge. J’déteste. Repéré. Je t’ai repéré que j’lui ai dit.Abordé qu’il a répondu.J’ai rigolé.Normalement j’me contrôle. Mais pas pu. J’ai rigolé d’mon rire à la con. J’l’aime pas mon rire. L’est nul. À chier. Des fois j’arrive à l’contrôler. Pour le taf surtout. Quand t’es patron, tu dois maîtriser. Sinon t’es pas pris au sérieux. Une femme pire qu’un homme. J’en ai inventé un autre de rire. Pour paraître sérieuse. Mais là c’était pas le taf. Alors rire à la con.Il l’a trouvé charmant mon rire !Charmant !J’savais plus où m’foutre moi. C’est bien la première fois qu’on me disait qu’il est charmant mon rire à la con. Alors j’me suis barrée. J’ai dansé. Sans l’quitter des yeux. Lui l’est resté à picoler au bar. Il m’a même pas regardée.Pis ça été la série slows. J’aime pas ça. C’est pas d’la danse c’est du pelotage. Ça se colle et ça touche. Main sage au début. Mais pas longtemps. Ça caresse. Ça descend. Et hop la main au cul. Et qu’ça cause ou pas tout ce qu’ils veulent c’est te baiser ! En plus ils puent d’la gueule ces trouducs. Pourraient bouffer un bonbec avant, merde !Alors j’ai fuis. J’lai rejoins. Lui au moins l’est pas comme eux. Pis j’avais soif. Faut boire quand on sue sinon c’est la crampe.J’avais chaud aussi. Alors j’lui ai demandé s’il fumait.Ça m’arrive qu’il a dit.C’est pas une réponse ça !Soit tu fumes soit pas. Mais ça arrive pas comme ça, si ?Moi j’avais envie d’en griller une. Et quand j’ai envie, je fais.Il était beau quand il est venu avec mon verre de coca. Il m’a pas cherchée. Il m’a vue mais il a fait l’tour de la cour des yeux. Normal. Il a besoin de repères. Besoin de savoir où il est.C’est quand il a dit je marie pas les plaisirs en refusant la clope que j’lui donnais qu’j’ai su. Un d’ses plaisirs c’est la picole. Mais il n’avait pas de bière. Alors j’ai compris. Compris qu’c’était moi son plaisir. Plus qu’sa binouse. Plus qu’une clope.Un seul plaisir à la fois qu’il a dit.Si c’est pas une déclaration ça j’y connais que dalle moi !Fallait qu’je sois sûre. J’aime pas les plans sur la comète. Tu voles à dix mille mais quand t’atterris, ça craint grave. Tu t’écrabouilles. Fallait qu’je sache.C’qu’il m’a dit, ça m’a fait tilt. C’était l’heure. La bonne. Fallait pas la laisser passer. Pas avec lui sinon il aurait fallu tout recommencer depuis le début.J’lui ai pris la main. Il a pris la mienne. Il a fermé les yeux. Un seul plaisir à la fois. Après la vue, le toucher. C’était gagné. Fallait passer la deuxième. Accélérer.J’l’ai baladé jusqu’à la baraque à frites. J’avais la dalle. J’ai toujours la dalle après avoir dansé. Il a voulu payer. J’ai refusé. Rien pour s’asseoir et manger. C’est vente à emporter. Je pouvais pas rentrer chez moi. Pas possible. Trop tôt.J’lui ai repris la main.Elles sont douces ses mains. Doigts longs. Fins. Ongles nickel. Il les lime. Comme les femmes. Pas comme tous les mecs au coupe-ongle. Il est pas comme eux lui. Il est unique dans son genre.Il m’a laissé piloter. Sans question.Y’a pas que lui qu’a des habitudes. On en a tous. Bonnes ou mauvaises. Moi après avoir dansé j’mange un américain. Toujours sur l’même banc. J’commence toujours par les frites. Pa’ce que les frites froides c’est pas bon. Et bien salées. C’est meilleur. Et grasses. J’adore. Faut qu’elles baignent dans la mayo. Pas top pour la ligne mais j’m’en tape. Un gramme de graisse en plus passera inaperçu. D’toute façon ça fait des années que j’fais le même poids. Suis ronde. Mais stable. J’mange pas équilibré. Pas cinq fruits et légumes comme dit à la téloche. M’en fous. J’aime les choses simples. Grasses. Bonnes.Et quand j’ai la dalle, j’dévore. Pas du bout des dents. Pas comme toutes ces pimbêches qui font des manières. Qui s’essuient la bouche à chaque bouchée. C’est pas un manque d’éducation. C’est la faim.Il les a regardées. Frites après frites. C’était bizarre. C’est la première fois que quelqu’un me regardait comme ça. Au début c’était gênant. Il disait rien. Il buvait des p’tites gorgées. Mais j’ai bien vu qu’il était pendu à mes lèvres. J’faisais que manger mais on aurait dit qu’il trouvait ça super bandant.J’ai voulu partager. Mais il a pas voulu d’ma frite. Alors j’l’ai mangée. Pas grignotée comme les autres. J’l’ai sucée. J’ai cru qu’il allait tomber dans les vaps. Il fixait ma bouche. Le coin.J’sais pas manger propre. J’m’en fous toujours partout. J’avais bien une serviette en papier mais j’aime pas. Ça gratte et ça absorbe rien ces trucs.La tronche qu’il a faite quand j’ai passé la langue sur mes lèvres ! Ses yeux ils ont fait comme dans les dessins animés. Quand ils sortent de leurs orbites. Alors j’ai recommencé. Plein de fois. Pour être sûre. Pis j’lui ai souri.Ça été pire. J’aime moyen mes dents. Pas qu’elles soient moins belles que d’autres. Elles sont blanches. J’me brosse avec un dentifrice spécial blanc. Pour enlever toutes les saloperies qu’y a dans les clopes. Et le coca. Alors ça aussi. Mais j’ai les dents du bonheur. J’ai longtemps été complexée. J’mettais la main devant la bouche quand j’rigolais. Pis avec le temps j’ai fait avec. C’est bien le temps. Ça efface un peu ses complexes. Maintenant j’ai presque plus besoin d’les cacher. J’souris pas beaucoup. La vie c’est pas toujours drôle. Mais avec lui j’étais bien. Heureuse. Alors pas besoin de les cacher mes dents du bonheur.Il était comme en extase. Ça fait bizarre quand quelqu’un est en admiration d’un truc qui vous a gâché la vie pendant des années. J’crois qu’il les aime mes dents du bonheur. Du coup j’crois qu’moi aussi j’les aime maintenant. Depuis lui. Grâce à lui.Le sentir m’épier comme ça m’a coupé la faim. J’avais une boule au ventre. Comme quand l’estomac est plein. Mais pas pareil.J’ai mangé que le steak. J’aime pas gâcher. Mais trop grosse boule au ventre. Alors j’ai coupé le pain en petits bouts. Pour les oiseaux qu’j’ai dit. Pour pas qu’il croie que j’ai les yeux plus gros que l‘ventre. Pour justifier que je gâchais pas quoi.Après manger je fume. Toujours. Une habitude plus qu’un besoin.On avait pas parlé. Fallait pas qu’il retourne dans son monde à lui. Sans moi. Fallait que j’le ramène à la réalité. Avec moi. Vite.C’est pas l’genre de type à profiter d’la situation. Lui il attend plus qu’agir. J’allais pas le laisser comme ça. Pas si près du but. Alors j’ai fait un truc incroyable. Pas que j’en crevais pas d’envie. J’pensais qu’à ça depuis des mois. Qu’à ça en m’caressant quasi tous les soirs. Suis pas une grande adepte d’la branlette. J’dis pas qu’j’aime pas ça. Mais depuis lui c’est d’venu une drogue. Ma drogue.Il a rien dit. Normal. Il a fermé les yeux. S’est laissé faire.J’en menais pas large. Mais j’en crevais d’envie. C’était pas un manque. Enfin si un peu. Mais une envie. Un besoin. J’savais qu’il était dur. Pour moi. Alors j’ai forcé un peu la chose. Fallait faire vite. Le jour s’levait. La ville aussi.Vite mais pas trop. Pas bâcler. J’aime pas l’travail à moitié fait. Suis pas une perfectionniste mais j’aime faire bien les choses. Et quand j’commence un truc, j’arrête jamais en chemin. Dans l’taf j’suis comme ça. Fonceuse. Déterminée. J’me suis faite seule. Personne croyait en moi. Alors j’ai fait c’que j’ai toujours fait. J’ai pris mon destin en main. Et sa bite.J’en ai pas eu des masses en main. L’autre couillon qui la trempait à droite à gauche et qui préférait ma bouche à ma main. Et pas qu’la mienne de bouche. Connard. Pis un amour de jeunesse qu’a pas duré. Et la sienne.Difficile de comparer. Mais des trois c’est la plus belle. La plus douce. La plus dure. J’avais même pas besoin d’la tenir. Juste un doigt dessus. C’est comme s’il se branlait tout seul. Suffisait que j’pose mon doigt et elle bougeait. C’était marrant d’la voir. Bon d’la toucher. Surtout le bout.C’était la première fois que j’en voyais une cracher comme ça. J’avais déjà vu l’couillon jouir. Mais lui c’est pas pareil. Ça fuse. Ça coule pas.Il s’en est foutu partout en giclant. C’était bizarre d’la voir s’balancer. Encore dure. C’était beau. J’l’aurais bien regardé plus longtemps, mais c’était trop tôt. Lui c’est pas un type qui faut tout donner d’un coup. Faut l’faire mariner. Alors j’suis partie. En quatrième vitesse pour pas qu’il m’voie rentrer.J’sais pas ce qu’il a foutu pendant vingt minutes. C’est long vingt minutes. Mais j’ai tenu. Putain le pied quand l’ascenseur s’est ouvert. Quand j’l’ai vu par l’œil-de-bœuf. Ça faisait un moment que j’me r’tenais. J’ai jamais joui comme ça. Le front appuyé contre la porte. Debout. Il avait même pas ouvert sa porte que j’ai tout lâché.J’gueule pas normalement. Mais là y’a fallu que j’me morde les joues. J’étais KO. Il m’avait pas touchée et il m’avait mise HS. Limite si j’ai pas rampé jusqu’au lit. Bon. Top.C’soir, c’est le grand soir. Tout est prêt. J’ai eu une semaine pour tout organiser.Bon. C’est pas l’tout mais faut que j’me prépare.Elle pressa sur stop de son dictaphone. Fallait pas rater l’heure !