Ouf… Personne ne filtrait les entrées. Je me glissais parmi une petite foule d’invités mais je gardais toute fois le carton d’invitation à la main en essayant d’adopter un air complètement dégagé en suivant de près un petit groupe de personnes arrivées en même temps que moi. A vrai dire, comme cela me paraît encore aujourd’hui plus que surprenant de ma part, j’étais venu à ce vernissage auquel je n’étais pas du tout invitée. J’avais trouvé quelques jours plus tôt cette invitation sur la banquette d’un wagon du métro. La peinture reproduite sur celle-ci m’avait plu et je l’avais glissé dans mon sac à main sans y porter plus d’attention que ça. La reproduction de ce nu « pop-art » était depuis resté posée sur le petit meuble d’appoint dans mon entrée jusqu’à ce jour de ménage où sur le point de le jeter à la poubelle, je remarquais la date du jour même à 20 heure 30. Je n’avais guère réfléchis et m’étais décidée de m’y rendre, moi qui n’aimais pas sortir seule c’était bien étonnant, de plus, je ne me souciai absolument pas de ce monsieur personnellement invité et dont le nom était majestueusement manuscrit au dos de l’invitation. Mais, en y réfléchissant bien si je me prenais ainsi si soudainement par la main c’était peut être grâce à Sylvie. Elle trouvait mon célibat persistant et m’avait récemment et de façon très élégante mise en garde de ne pas finir par sentir le renfermé ! Oui, c’est bien grâce à l’épouse de mon ex petit ami et père de mon fils que j’allais faire ma surprenante rencontre.
J’avais aussi sans avoir longtemps réfléchis à ma tenue, enfilée la seule robe qui m’avait paru un peu « chic » et j’étais là, à ce vernissage, une « courge » qui voulait se prouver qu’elle pouvait sortir et croiser du monde, et pour le coup du beau monde, et j’étais bien mal à l’aise dans ma petite robe bleue marine. Une robe sage taillée un brin au-dessus du genou avec un large col bateau, resserrée à la taille par une large ceinture à gros nœud sur le nombril et chaussée de mes escarpins plats vernies. Acheté à pour le baptême de la petite Camille, la fille d’une amie. Camille était entrée cette année en CM1 dans la classe de mon fils. Cette robe n’avait pas bougée de mon armoire depuis dix ans ! Mais de quoi avais-je l’air avec cette robe affreusement démodée. Je me retrouvais ainsi en banlieusarde endimanchée au beau milieu de tous ces gens qui sentaient le luxe, habillés en tenue chic et « branchée ». Essayant de ne pas me retrouver isolée et donc trop visible je me rapprochais de quelques personnes qui venaient de se saluer et bavardaient devant une toile tout en dégustant des petit fours et du champagne. Je regardais la toile et faisais mine de m’y intéresser plus que de raison. Ce bouquet final d’un feu d’artifices aux couleurs flous, d’étoiles, de fleurs et de soleils jaillissant d’une épave d’auto me laissait perplexe. Je jetais enfin un regard aux alentours, découvrant à travers une lente foule en mouvement la grande salle et les nombreuses cloisons amovibles où étaient suspendues de nombreuses toiles et ce fut tout à coup dans un attroupement formé autour d’une personne que je devinai être l’artiste, qu’un homme attira très vite toute mon attention. A vrai dire, personne ne pouvait ne pas remarquer cet individu. Grand, les cheveux noirs ondulant jusqu’au bas de sa nuque brillant comme le plumage d’un corbeau. Il portait un étonnant et magnifique gilet à col châle de couleur ocre et orangé en brocart croisé à six boutons, une chemise à manches bouffantes à la hussarde. Son pantalon par contre était droit noir, des plus classique. Ce Monsieur avec sa touche vestimentaire de dandy romantique d’une autre époque ne pouvait pas simplement attirer un regard curieux et nullement provoquer un sourire amusé comme on aurait pu le faire en croisant un simple original, il se dégageait de cet homme une impressionnante présence. J’en fus un instant transie et pour rien au monde je n’aurais changé de place car je pouvais le regarder, le contempler sans me faire remarquer.
A ses côtés se tenaient deux hommes, dont un d’un certain âge en costume gris clair, l’allure très distinguée, il prenait légèrement appuie sur une canne à pommeau et l’autre beaucoup plus jeune portait une casquette irlandaise d’où s’échappait une longue mèche blonde dorée qui tombait de son front sur sa joue, c’était mignon. J’avais une seconde détourné mon regard pour ressaisir l’anse de mon sac à main tombée de mon épaule que tous autour de moi semblèrent s’être écarté. Je vis le dandy se tourner vers moi. Je ne bougeais plus, les yeux grands ouverts, ma respiration bloquée. Il porta sa flûte de champagne à ses lèvres et s’immobilisa pour me jeter un regard par en-dessous. Je frissonnais de tout mon corps. Il but une gorgée puis me considéra d’un air songeur, la tête penchée. Prise d‘une soudaine torpeur, je détournais et plongeais mes yeux sur la toile en face de moi. Son attitude ne me plaisait pas du tout, pourtant je ne voulais surtout pas lui échapper, en vain je le cru car en quelques secondes il disparu. Presque affolée je le cherchais du regard un long moment puis avançais inquiète dans la foule, fis quelques mètres en direction d’une autre toile pour me planter devant, les poings serrés de rage, la gorge nouée, lorsqu’une voix grave et traînante me demanda :
« Vous aimez ? »
Je tressaillis. C’était lui, cet homme, il était si près de moi que je pouvais sentir son souffle sur ma nuque et presque la chaleur de son corps tout entier le long de mon dos. Je me retournais à peine, lui adressais un coup d’œil qui tomba rapidement sur ses chaussures. Impeccablement cirées, celles-ci brillaient sous la lumière des spots. Je peux dire qu’en plus de sa tenue et de sa présence, son visage ne pouvait pas s’oublier, un visage « taillé à la serpe » entouré de cheveux qui dégringolaient sur ses joues. Oui, une tête, une gueule peut être à faire blêmir et baisser les yeux des plus arrogants et belliqueux mais qui pouvait tout autant faire rougir et baisser les yeux des plus fières, hommes comme femmes.
« Oui beaucoup. » Répondis-je enfin en regardant à nouveau le nu de femme désarticulée gisant dans une mare de couleurs éclaboussant toute la toile -Rose, vert, jaune, bleu, orange… Retourne toi, regarde le bon sang !
« Qu’est ce qui vous plaît tellement? »
Ma tête pourtant droite sur la peinture je ne voyais plus rien -Euuuuuh… Ben… – Fis-je comme je l’eus fais à neuf ans devant Monsieur Tachkine, mon sévère instituteur.
« Ce qui me plaît… Ce corps désarticulé de femme et toutes ces couleurs, c’est ça qui me plaît, ça me trouble car elle semble danser.
– Hum… Oui. »
J’avais dis n’importe quoi, enfin je le crus. En tous cas ma réponse l’interpellait et après un court silence, il me questionna à nouveau :
« Qu’est ce qui vous plaît le plus dites moi, le corps et les couleurs ? Ou bien… Le trouble que vous éprouvez ? »
Cette fois mes yeux contemplaient la peinture mais je ne pus répondre, le mot ne put sortir de ma bouche. Il se pencha, approcha son visage à la hauteur du mien.
« Dites-moi ? »
Il regardait mes lèvres se pincer, mes paupières cligner, j’en étais sûre, il sentait sûrement mon cœur soudainement battre trop fort et il prit son temps pour me débarrasser de sa question. Il ne fit qu’un pas pour se retrouver devant moi, de toute sa hauteur et m’annoncer :
« Le trouble. »
Je levais le nez, regardais autour de moi -Regarde-le idiote ! Ou dis quelque chose !
« Oui, c’est ce trouble. »
Je l’aperçu sourire puis levais enfin les yeux et pus voir ses yeux « ambre », ses pupilles brillantes, couronnés de longs cils noirs et son léger sourire qui découvrait une rangée de dents bien blanches et parfaite. Il me captivait, m’envoûtait – Arrête, reprends toi, arrête de le regarder comme ça ! Tu es rouge comme une pivoine ! Tes jambes flageolent ! J’allais tomber dans ses bras et je n’y voyais aucun inconvénient en tous cas à cet instant. Il avait dans un geste lent de la main ramené une mèche de ses cheveux sur une oreille et je vis le bout de sa langue furtivement lécher sa lèvre inférieure. Ce simple détail et prise de frayeur je fus aussitôt prête à abandonner l’idée de faire connaissance avec cet individu et de m’enfuir au plus vite – Le loup va manger le petit chaperon-rouge et sûrement pas toute habillée ! – Je pris le temps de lui adresser un poli « bonsoir » avant de tourner les talons. Heureusement, il m’emboîta aussitôt le pas, effleura mon poignet hésitant à le saisir et je l’aurais amèrement regretté s’il ne l’avait pas fait…
« Attendez… Ne partez pas – Il me sourit d’un air délicat – Nous ne nous sommes pas présentés… Alexandre. » Sa main glissa jusque dans le creux de la mienne et il se pencha gracieusement pour à peine toucher de ses lèvres le dos de ma main.
Je fondis comme la glace sous un tison.
« Moi… C’est Klara… Avec un « K » » Lui répondis-je.
C’était bête, mais bête de me présenter ainsi !
« Ravissant – Se dit-il tout haut, il jeta un regard autour de nous et s’étonna – Qui ose vous délaisser ainsi ravissante Klara… Avec un « K ».»
Il se moquait de moi, évidemment ! Je me redressais un peu contrariée puis une petite voix me rassura bien vite – Oh c’est gentil…Il veut simplement te mettre à l’aise – Je relevais la tête :
« Personne, je suis seule . »
Je ne le surpris pas et un sourire accueillant se dessina sur ses lèvres.
« Klara, je vous offre une coupe de champagne ? »
– Oui, je veux bien.
– A la bonne heure… Ce champagne est excellent ! »
Il coinça une mèche de ses cheveux sur une oreille et me céda courtoisement le passage avec un geste du bras accompagné d’un petit mouvement de tête. Je sentis une de ses mains se poser légèrement sur mes reins, j’en frissonnai. Qu’il était grand, il me dépassait d’un peu plus d’une tête, il devait mesurer au moins un mètre quatre vingt cinq. Beaucoup de monde s’entassait devant le buffet mais sans mal les invités s’écartaient sur notre passage et sans qu’il n’eut à faire quoique ce soit un des serveurs vint le servir. Il se tourna vers moi pour me tendre une flûte et leva la sienne.
« A Ludovic, notre artiste! »
Nous bûmes une gorgée de champagne et il ajouta :
« Sans qui je n’aurai jamais eus le plaisir de vous croiser ! Vous connaissiez un peu les œuvres de cet artiste ?
– Oui… Euh… Non, je découvre – J’ajoutais bêtement – Monsieur.
– Oui ! C’est une très bonne idée Mademoiselle ! »
Pourquoi ce « Monsieur » ! Ce «Monsieur » soufflé d’une petite voix troublée. Il pouvait bien se moquer de moi à présent ! Je portais à nouveau la flûte à mes lèvres dissimulant tant bien que mal ma gêne puis avalai une grande gorgée de champagne qui ne tarda pas à me faire tourner la tête.
« C’est un jeune homme plein de talents ! Il faut connaître ! » Me morigéna le dandy pour parfaire le tout.
A ce moment approcha un jeune homme qui l’interpella froidement alors il le saisit par un bras et ils s’éloignèrent un peu. Cela tombait à pic, j’en profitais pour me ressaisir puis le contemplais à nouveau en avalant une deuxième gorgée de ce Champagne sans aucun doute très bon. Quel drôle d’homme, pas laid, pas beau non plus, mais doté d’un charme envoûtant. Un charme il faut bien le dire hors du commun. Il était calme devant ce jeune homme qui comme sur la défensive pourtant, agitait les mains, tournait la tête dans tous les sens. L’échange fut court, mais animé.
« Nous en reparlerons plus tard si tu veux bien François. » Lança-t-il, il revenant à mes côtés en souriant.
Un sourire qu’il avait perdu deux minutes plus tôt face au jeune homme qui maintenant tournait les talons l’air renfrogné. Il leva sa flûte vers moi, puis tout à coup inclina gracieusement la tête mais point à mon égard, son regard brillant répondait à une grande et magnifique femme blonde aux cheveux très courts. Elle était vêtue d’une longue et sublime robe de soirée noire fendue. Elle était parmi un groupe d’invités un peu plus loin sur notre gauche. Son immense sourire et son regard clair était emplis de convoitise. Je fus atterrée. Je n’étais pas la seule à être charmée et la lutte était bien inégale. Il s’intéressa de nouveau à moi mais ce fut juste le temps d’ouvrir la bouche car son attention fut à nouveau détournée pour se porter encore sur ce jeune homme qu’il venait de congédier. Contrarié, il posa une main sur mon poignet, presque une caresse, un petit contact physique déjà délicieux. Il me fit signe d’attendre et partit parler à un serveur qui lui trouva un bristol et un stylo. Il se pencha sur la longue table faisant office de buffet pour écrire de quelques gestes rapide, rendit le stylo au serveur et revint vers moi .
« Je suis ravi de vous avoir croisé Mademoiselle. Mais, je vais devoir vous quitter . »
Il prit délicatement main dans les siennes pour y glisser la carte pliée en deux .
« Faites le surtout »
Son regard se fondit dans le mien, une fraction de seconde puis il fit quelques pas en arrière presque cérémonieux et me tourna lentement le dos pour s’en aller en rejetant d’un mouvement de tête ses cheveux sur ses épaules. Je gardais la carte serrée dans le creux de ma main, figée, envoûtée. Je le suivais des yeux se frayant un passage parmi les invités, il en salua quelques uns au passage puis disparu derrière une cloison amovible. Je restais un moment à le chercher discrètement du regard dans l’espoir de l’apercevoir, juste l’apercevoir mais très vite je ne voulus plus rester dans cet endroit bruyant où commençait à s‘amasser beaucoup trop de monde, je voulais me retrouver seule, seule pour réaliser ce qui venait de m’arriver. Dans le calme de la rue je dépliais nerveusement le carton et découvrais un numéro de téléphone mobile et son prénom: « Alexandre » souligné. Les lettres étaient gracieuses longues et penchées. Rêveuse, je rentrais chez moi en serrant dans ma main toujours précieusement le petit carton plié et dès arrivée sans même me dévêtir je me hâtais d’enregistrer le numéro dans le répertoire de mon téléphone sous ce majestueux prénom : « Alexandre. » Dormir ? Il m’en fallut du temps pour y parvenir.
Le lendemain matin, j’étais sûre que je n’oserais jamais appeler cet Alexandre. Au magasin, les heures défilèrent comme à la routine, je m’affairais à mes tâches et j’en arrivais à ne même plus penser à cette rencontre. Ce ne fut que de retour chez moi que tout se précipita pour me revenir à l’esprit. Des pas en long et en large, dans le salon, la cuisine, le couloir, la chambre, j’hésitais – C’est trop tôt ! Trop précipité ?! Allez vas-y, ose, peu importe. Trouve une excuse ? Oui, voilà, j’ai peur d’égarer ses coordonnées, parfait – Je comptais, une, deux, trois sonneries. On décrocha. Émue et maladroite mes doigts nerveux tournicotant la pointe de mon chemisier, je m’annonçai mais il s’en suivit un silence puis un frottement dans l’écouteur et je distinguai vaguement des voix d’hommes résonner comme dans un grand hall – Ça commence bien, je me suis trompée de numéro – « Alexandre ? » demandai-je hésitante. Sa voix posée et presque traînante me salua mais pas tant aimable il semblait très occupé et notre échange fut bref, heureusement en un sens je n’eus même pas le temps d’invoquer mon excuse et cela m’évitais peut être bien de l’embarras dans un plus long échange. A ma grande surprise il m’invita le soir même à prendre un café à une adresse dans un quartier de la capitale et, sans hésiter, j’acceptai. Je raccrochai le cœur battant et bondissais de joie comme une gamine. Je me précipitai aussitôt pour prendre note de l’adresse et chercher sur un plan la station de métro la plus proche mais je fus vite envahie d’un trac fou à l’idée de revoir cet homme. Revoir cet Alexandre à peine plus d’une heure plus tard. Une douche, un zeste de maquillage comme à mon habitude, un jean, une marinière rouge et blanche, mes cheveux longs détachés, j’étais prête.
« Sa voix était posée et pleine d’intonations. Ces manières et son attitude distinguée m’intimidaient aussi et ça ne m’était pas, non loin de là désagréable, au contraire, c’était… Voluptueux. »
– 17 heure 30 – Il était en retard. J’avais attendu à la porte cochère du bel immeuble Haussmannien durant une bonne demi heure, j’avais fais les cents pas impatiente et maintenant j’étais à nouveau terriblement troublée. La nuit commençait à tomber mais, même de loin, je le reconnu. Des épais dossiers sous le bras, il marchait vers moi contre le vent, les cheveux en arrière, son cache-col et les pans de son long manteau noir s’agitant autour de lui. Il arrivait, approcha et me sourit. Je ne sentais plus mes jambes. Il me salua, s’excusa brièvement de son retard et me proposa d’aller prendre un thé quelque part, mais avant, il me pria de l’accompagner jusqu’à son appartement pour y déposer ses dossiers. Il habitait là, dans cet immeuble. Nous traversâmes le porche pour monter les quelques marches d’un large escalier en pierre. Deux buis torsadés dans des grands baques en bois montaient la garde de chaque côtés de la porte vitrée à digicode. Je tournais la tête, le bruit puissant d’un jet d’eau s’était mis en marche. Un homme lavait les jantes d’une grosse auto noire garée dans la cour intérieure. Les deux hommes se jetèrent un coup d’œil et mon dandy poussa la porte. Je le suivi dans ses grandes enjambées jusqu’au troisième étage, nos pas feutrés sur l’épais tapis rouge. Ça sentait bon la cire à bois et le nettoyant à cuivre. La rampe, les barres du tapis et les poignées reluisaient. Poliment je restais à l’attendre au pas de la porte et surtout prudente, je n’étais pas de celle à dépasser le seuil de la porte d’un inconnu pour un premier rendez-vous. Une musique jouait en sourdine dans l’appartement, violons et clavecin.
– Il n’est pas seul ici ? Je fronçai les sourcils, intriguée. L’entrée était vaste devant moi sur une console surmontée d’un haut miroir trônait un énorme et magnifique bouquet de roses rouges -Une femme ? Marié le bougre ?! Il ne fut pas long et j’eus à peine le temps de me pencher pour apercevoir un peu de l’intérieur de ce grand appartement cossu. Je laissai de côté mon impression et le suivai à nouveau et il me conduit dans petit bistrot-tabac sans prétention à quelque pas de chez lui – Tiens, il passe prendre son journal tous les matins ici et même peut être vient-il y siroter un expresso avant d’aller à son bureau – je le voyais bien, un coude appuyé à ce comptoir, un journal dans une main plié devant lui et de l’autre prenant délicatement sa tasse pour en avaler quelques gorgées, sans trop traîner – Au fait, quelle boulot peut-il bien faire ? – Mon regard l’examinant discrètement j’essayais de deviner, mais je restais perplexe.
Il s’était approché d’une table près de la baie vitrée, avait tiré une chaise et ôtait puis posait son beau et imposant long manteau à gros boutons en métal gris sur le dossier de sa chaise comme je venais de le faire avec mon caban. Mon vieux caban un peu défraîchis, je le remarquais un peu gênée. Il ne portait pas de gilet cette fois mais un épais pull bleu chiné à torsades et à col châle fermé par quatre boutons en cuir tressé -Il lui va bien ce beau pull – Il remonta ses manches. Je vis ses mains glisser sur ses avant bras qui faisaient deux fois et demi la grosseur des miens et le geste ne me mis pas à l’aise du tout – On se prépare à quoi Monsieur, à m’intimider davantage, je ne le suis pas assez comme ça ?! Monsieur Tachkine faisait la même chose avant de désigner l’élève qu’il allait interroger sur les leçons de la veille et nous tremblions tous, perdions les pédales dès que son regard se posait sur nous, et parfois tout en vous regardant, il prononçait le nom d’un de vos pauvres camarades à l’autre bout de la classe. Monsieur Alexandre ne m’interrogea pas, pas pour le moment… Mais commanda un thé. Le serveur était déjà à nos cotés et je ne l’avais pas vu arriver. Sans hésiter je demandais à mon tour un café « latte ».
Il s’était assis de biais pour pouvoir à moitié allonger ses jambes et s’adosser confortablement dans sa chaise. Sa main droite à plat sur la table il pouvait presque me toucher. J’étais incapable de lui adresser la parole. Il me fixait du regard avec un petit sourire aux lèvres et je détournais adroitement le mien vers l’animation du dehors – Va-t-il enfin se décider à me parler ?! Non, il m’observa jusqu’à ce que le serveur revint nous apporter nos boissons, une longue et interminable minute. Les deux hommes s’échangèrent un regard amical puis le serveur tourna les talons un petit sourire en coin. Je ne me trompais pas, ces deux là avaient l’habitude de se voir.
« Vous n’êtes pas très bavarde dites moi. » Cette phrase tomba comme un couperet .
Je plongeai mes yeux dans ma tasse puis avouais tout bas :
«Je suis un peu intimidée.»
– Oooh…Ça va passer. » Me rassura-t-il.
Je suivais discrètement chacun de ses gestes. Il prit le temps de faire infuser le sachet de thé, d’y presser quelques gouttes de la tranche de citron et de remuer le tout avec un demi carré de sucre qu’il casse d’un coup sec entre ses doigts. Je trouvais qu’il avait de belles mains ni trop massives ni trop frêles , soigneusement manucurées, impeccables. Les miennes me firent soudainement honte, j’avais pour mauvaise habitude de manger toutes les petites peaux morts autour de mes ongles, c’était très moche j’espérais qu’il ne le remarque pas et essayais de penser à ne pas trop montrer mes mains. Il poussa sa tasse fumante sur le côté pour s’appuyer les bras croisés sur la table avec cette déstabilisante façon de me regarder par en dessous et m’annonça de sa voix grave et traînante.
« Tu me plais beaucoup Klara et j’ai très envie de m’occuper de toi.»
Mon cœur bondit dans ma poitrine – Quelle déclaration ! – Des frissons me parcoururent l’échine, cette fois j’avais le vertige. Il approcha encore plus près de moi et je vis juste sa main se lever.
« Regarde-moi Klara. » Me pria-t-il en soulevant doucement du bout des doigts mon menton.
– Le regarder ?! Mais, si je le fais je vais m’évanouir ! Je ne peux pas, c’est impossible – Je fermais les paupières puis confuse m’échappais de ses doigts. Je souriais et soupirais en me mettant à tripoter ma tasse :
«Je suis bête excusez-moi je… Bref.»
– Tu aimerais ? – Il recroisait les bras sur la table – Que je m’occupe de toi ? »
Mes yeux roulèrent un instant dans leur orbites puis j’annonçai tout bas sans vraiment comprendre ce que pour lui voulait dire s’occuper de moi :
« Oui… Je pense que j’aimerais. »
Il avait vu mon visage s’illuminer et cela le satisfaisait plus que ma réponse hésitante, il s’adossa au dossier de sa chaise coinça ses mains dans les poches de son pantalon et la tête penchée, la bouche entrouverte, il me contempla. Sa bouche semblait prête à me dévorer de baisers très très osés. Je n’osais imaginer les pensées qui lui venaient à l’esprit – Il faut qu’il arrête où de gênes je vais me disloquer sur le champs – Il bougea, se pencha pour attraper sa tasse, en boire lentement deux gorgées et la reposer.
« J’ai fais l’achat d’une peinture cette semaine. La peinture qui te troublait tant. J’avais en tête d’en prendre une autre, mais, on peut dire que ton coup d’œil m’a décidé pour celle là. »
J’en fus très flattée.
« Je pense qu’elle trouvera sa place dans le salon… Ou, dans la maison de campagne – Fit-il le regard dans le vague – Ludovic est un garçon plein de talent, mais – il grimaça et secoua la tête – Très bête. »
Sa remarque le déconcertait et je supposais que cette personne lui était proche malheureusement. Il venait de réussir à me mettre à l’aise et même à m ‘enhardir et me rendre curieuse.
« Vous avez une maison de campagne ? Quelle chance, ça doit être agréable ?
– Oui, plus que très agréable.
– Vous y allez souvent?
– Dès que je le peux.
– C’est dans un village ?
– En pleine campagne…Entouré de bois et de quelques prés.
– C’est dans quelle région?
– Pas très loin. Deux heures de Paris.
– Ah ?! »
Je devais me contenter de cette réponse, c’était ainsi je le sentais et je n’osais pas insister, tout comme je n’osais pas le tutoyer, et aussi surprenant que cela pût paraître, il ne m’invita pas à le faire comme n’importe qui d’autre l’eut fait naturellement, mais cela ne me dérangeait pas au contraire ce vouvoiement me séduisait terriblement. Il y eut un moment de silence durant lequel il prit soins de m’examiner et de me mettre à nouveau des plus mal à l’aise mais je me décidais pourtant à parler de moi :
«Le père de mon fils et moi sommes séparés depuis presque trois ans. J’ai la garde de mon fils Julien, une semaine sur deux. On s’est arrangé avec mon ami, on s’entend bien… Malgré tout. »
Il avait croisé ses bras sur sa poitrine et avait joint ses index devant sa bouche, il m’avait écouté et en attendait davantage alors j’annonçais :
« Je travaille dans… Un supermarché… Caissière. » Avouai-je.
Je ne pouvais être très fière de ce petit job et je ne méritait pas mieux puisque j’avais toujours été une élève médiocre. J’avais finis par détester l’école et dès mes seize ans, quittée le collège. J’en baissais encore le front comme je l’avais toujours fais devant ma mère et les professeurs. Puis j’ajoutais avant qu’il ne reprenne la parole :
« Mais mes horaires me laissent du temps en soirée. »
– Et, que fais tu de ce temps… De libre?
– Je danse… Enfin j’apprends.
– Tu apprends quel genre de danse ?
– C’est de la danse rythmique. »
Il haussa les sourcils intéressé, le fait que je danse semblait lui plaire, je lui rendis son sourire et pourtant c’était bien loin – Quelle menteuse, ça fait plus de dix ans que tu ne t’es pas trémoussée sur le parquet de la salle de danse du conservatoire prêtée à cette association de quartier qui n’avait survécu que trois années de suite – J’avais suivis ces cours du mercredi soir durant plusieurs années avant la naissance de mon fils. J’étais très douée et j’en étais très fière mais le mensonge m’avait fais rougir. J’attendis qu’il me parlât de lui à son tour. En vain, je ne sus rien de plus sur lui. Il Jeta un coup d’œil à sa montre et m’annonça qu’il avait « quelques petites choses à finir chez lui ». Je pensais aussitôt à ces dossiers que nous avions déposé à son appartement. Il se leva pour chercher dans le fond de la poche de son pantalon un billet chiffonné et quelques pièces de monnaie qu’il jeta sur la table. Je me levais à mon tour et voyant qu’il enfilait son majestueux manteau J’enfilais à mon tour mon bien modeste caban.
« Nous allons nous revoir Klara. » M’assura-t-il.
J’acquiesçais timidement de la tête, mon cœur palpitait, puis tout à coup très déçue je lui signalais que je passais cette semaine en compagnie de mon fils, il comprit que je n’étais pas disponible . Il haussa les épaules en penchant la tête.
« Rien ne presse mademoiselle. »
Il me raccompagna à la bouche de métro située à quelques mètres de là. Il s’approcha face à moi, tout près, prit mon visage dans ses mains en coupe, dans son mouvement un léger parfum sucré s’envola de sa poitrine, j’attendais un long baiser osé et fermais les paupières, entrouvrais ma bouche.
Sur mon front je sentis ses lèvres délicatement se poser. Inattendu, tellement tendre, je fondis émue. Il se redressa doucement.
« Prends soin de toi.»
Il fit quelques élégants pas en arrière en inclinant légèrement le buste puis tourna les talons et s’en alla. Je ne pouvais le quitter du regard. Il ne se retourna pas et marchait d’un pas rapide, les pans de son manteau et ses cheveux noirs volant dans le vent. Ce moment avait été trop court, j’avais hâte de pouvoir être dans ses bras, de goûter ses lèvres, j’en rougissais.
Je passais comme toujours un agréable week-end en compagnie de mon fils, mais bien ordinaire. Cependant, une chose avait changé, je n’avais cessé de penser à cet homme, Alexandre, et je me sentais pleine d’entrain et passais ce samedi à m’occuper à faire diverses courses, à m’affairer à mes différentes tâches ménagères, pendant que Julien jouait dans le square de la cité avec des enfants du quartier et, le lendemain dimanche, même par un temps maussade je décidai d’emmener Julien dans ce parc non loin de l’avenue où habitait mon dandy. Nous empruntâmes ce même métro qui m’avait amené dans ce beau quartier de la capitale. Nous avions emporté un goûter pour passer l’après midi là bas. Julien un peu surpris n’avais pas été trop ravi de quitter ses amis en ce début d’après midi, puis finalement dans le parc il avait rapidement trouvé des enfants de son âge avec lesquels s’amuser. Assise sur un banc, mon magazine féminin dans les mains, j’avais souvent levé le nez pour scruter en vain les environs en espérant bêtement voir une silhouette dans un manteau noir – J‘en souris encore – Sur le chemin du retour, nous avions pris des hamburgers et étions passé au distributeur automatique de cassettes vidéo pour louer un film de science fiction, un nouvel épisode d’une saga dont Julien était fan. Tous les deux pelotonnés dans le canapé devant la télé, notre dîner sur un plateau, nous avions débuté notre soirée cinéma assez tôt. Julien avait englouti son repas en un rien de temps tandis que sans appétit, je n’avais mangé qu’une bouchée de mon hamburger et grappillé quelques frites. Le film ne m’avait pas du tout distrait, j’étais ailleurs, ailleurs avec qui vous savez, et au lit à la même heure que mon garçon, j’étais heureuse d’être enfin au calme et seule afin de pouvoir à loisir penser à ce monsieur Alexandre. Quel plaisir, je pouvais sentir encore son tendre baiser sur mon front. J’eus bien du mal à trouver le sommeil.
Un lundi venteux et pluvieux comme ce dimanche commençait cette semaine. J’accompagnais mon fils à l’école puis me rendais à mon travail. J’aurais tellement aimé pouvoir parler de ma rencontre avec ce si étonnant personnage, tout raconter, dans les moindres détails. Le sourire, le regard, la belle chevelure « ébène », le gilet magnifique, le charme incontestable de mon dandy. Malheureusement même si je travaillais depuis quatre ans dans le petit supermarché de mon quartier et avais toujours eus Jeanne pour collègue, une femme de quelques années mon aîné, une épouse modèle et mère de deux enfants, notre entente était juste courtoise, nous étions loin d’être assez amie et complice pour échanger sur ce genre de chose. De toutes façons, il était trop tôt pour le faire et à qui que ce soit, surtout avec cette exaltation puérile qui m‘emportait. Je gardais toutes ses émotions dans mon ventre qui ne se nourrissait que de ça car je perdis vite tout mon appétit. Je me mettais à table et une fois devant mon assiette je triturai mon repas du bout de ma fourchette et finissais par tout jeter à la poubelle. La semaine se traîna, sans que je n’eusse un seul signe de la part d’Alexandre. Ce vendredi avait été empreint d’une vive attente. J’avais gardé toute la semaine mon téléphone sur moi de peur de rater son appel. Mon cœur s’était mis à battre la chamade à deux reprises, la sonnerie de mon téléphone avait retentis à deux reprises, mais ce n’était pas mon dandy mais une fois le père de Julien puis la seconde fois ma mère. Maman prenait de mes nouvelles, parfois plusieurs fois par semaine depuis ma séparation, elle était inquiète pour sa fille unique et pour son petit fils, pourtant tout se passait très bien. Je lui rendais visite aussi souvent que possible. Elle logeait dans un petit appartement au sein d’un foyer pour personnes âgés. Elle y vivait bien, elle y était heureuse.
Ce fut ce vendredi un peu avant l’heure du déjeuner que mon téléphone annonça par une petite sonnerie la réception d’un message, enfin celui d’Alexandre.
-Bonjour Klara. Libre ce soir ? Chez moi. 21H30. 15A67.Demoncourt –
Un peu chiffonnée sur le moment car ce message était pour le moins très direct, mais mon cœur battait si fort ! Je renvoyai immédiatement une réponse pour accepter son invitation.
Je me hâtais de rentrer chez moi et, ôtais mon par-dessus me servais un grand verre de jus de fruit dans la cuisine puis allais m’affaler dans mon canapé en faisant d’un coup de pieds valdinguer mes chaussures et je lisais et relisais le message en sirotant ma boisson, puis me préparais un bain bouillant pour m’y prélasser un long moment dans l’eau parfumée et ses vapeurs délicieuses. Enfin je sortais de l’eau et tombais nez à nez avec mon reflet trouble dans le haut miroir de l’armoire. Je me trouvai très désirable. A ce point, je ne l’avais jamais autant remarqué. Mince, mes jambes étaient longues et bien galbées, mes seins en forme de pommes étaient bien ronds et fermes et mes mamelons tout petits en accentuaient encore plus la rondeur, de ce côté ci j’étais comblée, mais, il y a toujours un « mais », tournée de dos je grimaçai, même si j’avais pratiquer la danse durant plusieurs années les exercices n’avaient rien musclé, mes fesses étaient restées définitivement plates. Je haussais le épaules. Tant pis, je ne pouvais pas tout avoir! Je couvrais mon corps de lait hydratant, onctueux et parfumé et je ne pensais plus à mon derrière qui gâchait tout. Je me maquillais légèrement comme à l‘habitude : du mascara, du blush sur les joues et du rouge à lèvres. Je détachais mes cheveux longs relevés sur le haut de ma tête pour les brosser et les laisser tomber onduler sur mes épaules. Sur des sous vêtements sans dentelles ni rubans, j’enfilais un jean très ajusté, un pull boutonné façon gilet par de petits boutons à pression et j’étais prête.
La demi heure suivante me parut bien longue à tourné et viré dans l’appartement, impatiente, et lorsqu’enfin il fut temps de partir je restais perplexe devant le miroir dans mon entrée, je trouvais soudainement le décolleté en « V » de mon pull beaucoup trop aguichant. Je réfléchissais, passais en revue ma garde robe, mes quelques chemisiers et mes quelques pulls. Non, rien ne me plaisait. J’allais me mettre très en retard alors je trouvais un long foulard pour l’enrouler autour de mon cou les deux pans dissimulant pudiquement mon osé décolleté.
– 21 heure 30 – J’arrivais à la porte du porche sous la lumière blanche du haut lampadaire. Un homme arrivait derrière moi, ses pas alertes me firent brusquement tourner la tête. Surprise et maladroite je m’écartai de devant la porte d’un mouvement sur le côté. Le type portait des jeans, un blouson en cuir et chaussé, je ne pouvais ne pas le remarquer, d’une paire de santiags astiquée en cuir exotique rouges et noires sur lesquelles je jetais un regard indiscret malgré moi. Il sourit amusé, tapa le code, poussa le vantail de la lourde porte puis la tint courtoisement ouverte devant moi. J’entrai en le remerciant d’un gentil sourire un peu confus. Ses bottes étaient aussi brillantes que la grosse berline noire garée dans la cour – C’est lui l’homme au jet d’eau de la première fois ! Il traversa le porche, ses talons biseautés claquant sur les pavés et entra dans l’immeuble par une petite porte au fond de la cour. J’avais monté le large perron sur ma droite. Je retrouvai rapidement la sonnette au nom de : Demoncourt . Ce nom que je lisais tout bas, lentement et qui prenait tout une ampleur à me l’entendre prononcer. Mon index pointé, je reprenais mon souffle à nouveau prise d’un trac fou avant d’appuyer enfin sur le bouton. J’attendis un long instant puis le bruit strident de l’ouverture de la porte retentit cependant aucune voix ne provint de l’interphone .
Au troisième étage, il était là, m’attendait dans l’embrasure d’un des battants ouvert de la large porte de l’appartement. Son ample chemise était à peine boutonnée, les longs pans flottaient par dessus son pantalon noir, ses cheveux étaient mouillés et il était pieds nus. J’étais loin de m’imaginer le voir m’accueillir dans cette tenue et mon pas sur la dernière marche de l’escalier resta en suspend une longue seconde, cela le fit sourire et avec une courbette amusante il m’invita à entrer. J’avançais, entrais, passais tout près de lui, il faut l’avouer, un peu sur mes gardes. Il referma la porte et me pria aussitôt d’aller dans le salon et de me mettre à l’aise tandis qu’il tournait les talons et entrait dans une autre pièce. Je poussais un battant de la porte entrouvert sur ma droite d’où me parvenais en sourdine le son mélodieux et métallique d’une musique jouée au clavecin. La pièce était très grande baignée dans la douce lumière de quelques lampes posées à différents endroits. Cette lumière redessinait les belles ombres d’une magnifique rosace au plafond sculptée de fins reliefs végétaux. Il y avait quelques beaux meubles en bois ciré et des tableaux anciens superbement encadré mais aussi d’autres meubles, tableaux et luminaires contemporains qui s’accommodaient subtilement avec ces quelques antiquités. Je m’attardais sur une grande peinture aux couleurs sombres qui représentait une scène de chasse à courre. Un cerf tête basse les naseaux enflés soufflait sa rage sur les chiens à ses trousses qui bavaient rouge, leurs babines relevées. Sur les flans du cerf des entailles saignaient, tâchaient le sol sous ses pieds. En arrière plan un cavalier en redingote et coiffé d’un tricorne arrivait un long couteau à la main, il chevauchait un cheval blanc dans un trot digne. Le regard du cavalier était bien plus effroyable que ceux du malheureux cervidé. Ma bouche tomba en une virgule inquiète puis mes yeux s’échappèrent, la scène me mettait mal à l’aise.
Je fit le tour de la pièce, d’un pas lent, je regardais autour de moi, les épaules basses. Moi qui avais toujours vécu dans une petite loge de concierge cet endroit et toutes ces choses peu habituelles ne me mettaient guère très à l’aise. J’ôtai et posai mon caban sur un accoudoir du grand sofa d’angle lorsque mon monsieur Alexandre revint avec deux coupes dans une main et dans l’autre une bouteille de Champagne. Il me pria de m’asseoir, s’asseya à son tour et posa les coupes et la bouteille sur la grande et surprenante table basse ovale à gros pied central en bois vrillé. Le magnifique plateau en mosaïque reproduisait, je le sus plus tard, une peinture de Gustave Klimt*: « l’arbre de vie ». Il nous servit, s’installa confortablement dans l’angle du sofa ses bras allongés sur le dossier et ses jambes repliées en équerre sur l’assise. Il leva son verre :
« A nous, chère Klara. »
Je levais timidement mon verre et nous bûmes une gorgée. Il bascula sa tête en arrière pour reposer sa nuque sur le dossier et la bouche entrouverte dans un immense sourire, les yeux fermés, il soupira : « Que c’est bon de prendre un peu de temps pour soi !» Puis relevant la tête, il coinça une mèche de ses cheveux sur une oreille, baissa le menton en me regardant par en dessous. Son regard était lascif et gourmand d’un appétit auquel je n’osais tout à coup penser. Je m’étais assise timidement à l’autre bout du sofa, coincée contre l’accoudoir alors il me tendit sa main grande ouverte.
« Viens… Viens plus près… Je ne vais pas te faire de mal.»
Je vis briller son regard « ambre » et je fus prête à m’enfuir – Il veut me mettre, ce soir, dans son lit, peut être même par la force, fais quelque chose – Je me levais en balbutiant:
« Je crois que… Je crois que je me suis… Trompée, je suis désolée -j’attrapais mon caban – je vais partir.»
Il ne bougea pas, pencha juste la tête les sourcils haussés. Il sourit et je lui devinai un air un brin moqueur. Déstabilisée j’avançais et il annonça le plus audacieusement possible.
« Tu le crois seulement ?!»
Je m’arrêtai, interloquée devant tant d’impertinence. Il se redressa posa son verre sur la table et se leva lentement. Je ne bougeais plus. Il se leva, s’approcha, me frôla comme un chat pour se placer dans mon dos et sa main repoussa délicatement mes cheveux de mon cou sur ma nuque. Pouvait-il entendre mon cœur qui battait si fort ?
«Tu le crois seulement… » Murmura-t-il, son souffle tombait tout près, sous mon oreille
J’avalais ma salive bloquée et mes mains se resserrèrent coinçant mon par-dessus sur mon ventre.
Il continua, déroula le foulard de mon cou découvrant mon décolleté sur lequel je plongeai discrètement un regard gêné. Je sentis ses lèvres effleurer mon cou. Il y posa un baiser, deux baisers puis trois tout en faisant glisser mon pull et la bretelle de mon soutien-gorge. Il fit cheminer ses lèvres jusque sur mon épaule dénudée. Je me laissais faire, frémissais délicieusement, fermais les paupières emportée par ses doux, extrêmement doux baisers. Il me tourna vers lui, prit mon visage dans ses mains en coupe. Il approcha sa bouche et ses lèvres caressèrent les miennes plusieurs fois avant de m’embrasser délicatement, frôler longuement le bout de sa langue contre la mienne. C’était merveilleux – Cet homme que j’avais tant attendu et désiré m’embrasse et m’embrasse délicieusement – J’eusse aimé le serrer dans mes bras, sentir son corps contre le mien, mais je n’y arrivais pas, je le laissais faire et lâchais juste mon caban qui tomba à mes pieds. Sa main glissa de ma joue sur ma poitrine pour se poser sur mon sein. Son baiser devint plus intense comme sa caresse. Je me raidissais malgré moi alors sa main descendit prendre la mienne. Il s’assit sur la table basse, m’attira dans son mouvement et me tint face à lui debout entre ses genoux. Il chercha mon regard en penchant la tête, se mordit la lèvre et commença à déboutonner lentement mon pull par le bas. Un brin réticente, j’effleurais sa main mais il continua et mon pull ouvert, mon jolie soutien-gorge dévoilé et ses mains sur mes hanches il posa ses lèvres sur mon ventre. Bientôt il sortit sa langue pour dessiner le pourtour de mon nombril puis il fouilla et roula la pointe de sa langue sur le petit ourlet de la peau si sensible à cet endroit du ventre. Mes seins durcirent à ce voluptueux contact. Interdite je détournais les yeux, les joues enflammés. Il baissa la tête un instant, de ses deux mains il coinça ses cheveux sur ses oreilles et finit par un énorme baiser sonore sur mon nombril avant de reboutonner consciencieusement mon pull.
«Il est tard ma jolie Klara. » Soupira-t-il.
Il se leva, ramassa mon foulard de sur la table, me le tendit puis me présenta mon caban de façon à m’aider à l’enfiler. Il était sans doute très déçu et je le regrettais amèrement mais je n’étais pas prête, ni habituée à ce genre de démonstration. Il me troublait tant. L’ance de mon sac à main sur l’épaule je le suivis jusqu’à la porte d’entrée. Finalement c’était mieux ainsi, je ne voulais surtout pas me laisser aller et passer pour une femme facile. Pourtant je ne voulais pas le quitter si tôt, j’eusse tellement souhaité qu’il me parlât de lui, de sa vie. Au pas de la porte, il rectifia la position de mon foulard sur ma gorge, s’assura que j’étais bien couverte et posa un baiser sur mon front : « Prends soins de toi. »
Ces petits gestes m’attendrirent follement. Il ouvrit la porte, je sortis, me retournais subitement et j’osai demander, tout à coup inquiète :
« Quand est-ce-que nous nous reverrons ?
– Bientôt klara. »
Je devais me contenter de cette réponse, il refermait déjà la porte.
Au bas de l’immeuble, une grosse voiture noire était stationnée devant le porche et l’homme au blouson de cuir et santiags était là à côté de l’auto. Il m’interpella et me fit signe de monter en m’ouvrant courtoisement la portière arrière. J’hésitais, alors il annonça avec un large sourire :
«Mademoiselle, de la part de monsieur Demoncourt. »
Surprise et vigilante, je secouai la tête avec un petit sourire et continuai mon chemin, il insista :
«Ayez confiance je vous remmène chez vous. Mademoiselle…- me pria-t-il en ouvrant la portière arrière de l’auto – évitez moi gentiment de me faire engueuler. »
Son air m’amusa et me rassura. Je montai dans cette luxueuse berline anglaise noire, m’assis dans la confortable banquette en cuir et il referma lourdement la portière. Je découvrais stupéfaite l’intérieur somptueux et soigneusement entretenu de ce paquebot roulant. Le type ravi me demanda mon adresse, abasourdie je mis bêtement du temps à répondre. L’homme sourit amusé et démarra. Je restais rêveuse durant tout le chemin me laissais bercer par le ronronnement sourd de l’auto en regardant défiler les rues illuminées de la capitale. Voiture et appartement luxueux, tout ce faste m’éblouissait et me laissait bien songeuse, le regard perdu – Qui est donc cet homme ? Les rues défilaient à travers la vitre, feux tricolores, porches, fenêtres et vitrines de boutiques illuminées, bistros où s’attardaient des clients devant un verre ou un repas tardif. En une petite demi heure j’étais au bas de mon bâtiment. Heureusement mon retour tard en soirée évita la présence de voisins et de passants curieux. J’eus bien du mal à trouver le sommeil, agréablement embarrassée de pensées et de si vives émotions.
La journée du lendemain à la supérette passa très vite, comme souvent je n’avais pas cessé de bouger de ma caisse. Ici, tout le monde faisait un peu tout, que ce fusse Jeanne, moi, ou même Monsieur Rafic le gérant. Nous pouvions être aux caisses, au rayonnage, à la réception de la marchandise même au nettoyage parfois. Pas le temps de nous ennuyer, nous étions toujours à nous activer sur une de ces tâches et ça n’était pas plus mal pour moi, cela m’avait souvent évité de trop me tracasser lors des moments difficiles, et cette fois de trop penser à ce quelqu’un dont j’espérais tant avoir bientôt des nouvelles ce qui ce fit à ma plus grande joie, le jour même en début de soirée et à peu prés à la même heure. Je recevais le même message que la veille – Bonsoir Klara. Libre ce soir ? 21H30. 15A67- aussi direct.
Nerveuse, je m’étais préparée, m’étais douchée, coiffée, maquillée et habillée. J’avais pris soins de choisir des jolies sous vêtements, pour le reste je n’avais pas trop de choix. Un pantalon en jean et enfin, je m’étais décidée pour un chemisier que je pensais un peu chic.
Le cœur battant j’appuyai sur le bouton de l’interphone. Il y eut juste un souffle alors je m’annonçai mais personne ne répondis, ce fut une fois de plus un silence suivi du déclic de la porte. J’entrai, montai l’escalier. Je me demandais bien de quelle manière cette fois il allait m’accueillir. La porte de l’appartement était entrouverte. Je frappais, rien, je frappais une nouvelle fois bien fort, attendis un instant et poussai la porte.
« Monsieur ! Monsieur Demoncourt ?! Vous êtes là ? C’est Klara. » Aucuns bruits sinon toujours une musique en sourdine. J’entrai, refermai la porte et là attendis un bon moment sans bouger et finis par être très, très embarrassée – Il m’avait ouvert la porte du rez-de-chaussée mais, quand donc allait-il venir m’accueillir ? Finalement, j’ôtais mon caban, le posai sur le dossier du vieux fauteuil « club » en cuir casé dans le coin du hall, puis je fis quelques pas et tendis l’oreille vers la porte entrebâillée du salon. Une voix de femme, c’était bien ça, je perçu une voix de femme, basse et monotone. Je m’éloignais aussitôt dans un pas rapide et tombais assise dans le fauteuil club en cuir marron.
« Klara… Navré de cette attente. » Alexandre ouvrait la porte du salon.
Surprise, je me levai subitement. Il avait été silencieux comme un chat. Il me tendit sa main et me sourit son regard par en-dessous. Il portait un magnifique gilet long en brocart avec des poches à revers. Les boutons du haut n’étaient pas fermés mais le col de son ample chemise l’était par un soyeux foulard noué. Je lui souris et timidement pris sa main. Il m’emmena dans le salon où la musique jouait en sourdine : un concerto de Bach*. Totalement inconnu jusqu’à maintenant, le tintement du clavecin allait devenir familier et j’allais beaucoup l’apprécier. Il me fit asseoir sur le canapé. Une bouteille de champagne et deux coupes nous attendaient sur la table basse. Il me servit, s’assit près de moi, leva sa coupe et nous trinquâmes. Il resta muet, amusé ne joua que de son regard, de ses moues et de ses légers haussements de sourcils. Mal à l’aise je ne lui portais que quelques coups d’œils. J’avalais lentement deux petites gorgées de ma coupe tout en priant qu’il se décidât à parler. Enfin, il se pencha pour poser sa coupe sur la table et dans son mouvement prit délicatement la mienne en frôlant ma main. J’en eus des frissons, des frissons et je rougissais bêtement. Il posa les deux coupes sur la table puis s’approcha face à moi. Je baissais les yeux. Je pouvais sentir son parfum doux et sucré. Sa main repoussa mes cheveux de mon épaule se posa sur ma nuque qu’il caressa du bout des doigts. Il me dévorait du regard et je me laissai aller les paupières closent . Il vint tout près, me touchait presque, son nez dans mon cou, il me flaira comme un animal. Je ne bougeais pas terriblement gênée. Il approcha de mon oreille:
« Klara, jolie Klara. Que se passe-t-il, quelque chose te déplait ? Dis moi ?»
Je croisai son regard et son sourire en coin. Déstabilisée je cherchai mes mots.
« Dis moi ? »
J’avouais :
« Je ne suis pas à l’aise. Je n’ai pas l’habitude que les choses aillent si vite.
– Oh…-Étouffa-t-il- Les choses aillent si vite ?! Quelles choses ?! Je voulais juste sentir ton parfum. Tu n’en portes pas…C’est ton odeur, juste ton odeur que je sens. »
Il fut secoué d’un petit rire. Mes sourcils se froncèrent – Il se fout de moi – Il se recula, son regard se fondit dans le mien.
« Je comprends… – Son sourire tomba pour annoncer – Parfois le temps attise le feux du désir, mais il peut aussi, c’est un risque, le faire mourir. »
Il se laissa tomber dans le sofa prit sa coupe et but une gorgée. Je ne savais quoi dire ni quoi faire. Muette, je le regardais me dévisager. Sa tête était penchée sur son épaule, sa bouche entrouverte comme pour répondre à ma place. Le temps me parut une éternité. Il soupira et se leva :
« Bien Klara, j’ai du travail qui m’attend. »
J’étais soulagée. J’appréhendais trop ses ardeurs. Le peu que j’avais ressentis et ressentais chez cet homme était hors norme, je l’avais reniflé, comme il m’avait reniflé, cependant j’étais aussi très déçue. Déçue qu’il me congédiât aussi facilement sans avoir essayé de me mettre tout simplement à l’aise – On peut faire connaissance en bavardant un peu en buvant cette coupe de champagne ?! – Il me raccompagna à la porte, m’aida à enfiler mon par-dessus et debout devant moi, posa un baiser sur mon front :
« Prends soins de toi. »
Tout à coup j’eus horriblement peur, peur de ne plus le revoir. Je restais dans l’encadrement de la porte puis me retournai, m’approchais si près de lui mais, sans oser l’étreindre :
«J’aimerai vous revoir…Monsieur. »
Ses yeux brillèrent.
« Nous nous reverrons Klara… Attends dans la cour, Roger te remmène chez toi. Bonne nuit Klara. »
Je n’eus pas le temps de répondre, il refermait cette porte sur moi. J’étais rassurée et rentrais chez moi encore une fois conduite comme une invitée privilégiée par le courtois bonhomme aux santiags dans la luxueuse berline anglaise noire, pourtant une fois allongée dans mon lit, je ne le fus plus autant et à raison.
Ce monsieur Alexandre me laissa sans nouvelle, le lendemain et le surlendemain. Je m’impatientais mais lui trouvais des tas d’excuses, cela me rassura un temps, puis le troisième jour passant je ne cessais de me répéter qu’il m’avait dit que nous nous reverrions. Malgré tout, à force, je ne sus plus vraiment si je devais le croire. Ce vendredi soir j’allais chercher mon fils à la sortie de l’école pour entamer ma semaine de garde alternée, j’eusse tellement aimé le revoir avant et vivre tous ces prochains jours sereine car maintenant, il m’était impossible de me libérer, même pour un soir. Le week-end était pourtant bien gris mais je décidai sans mal d’aller passer ce dimanche après midi dans ce même parc que la dernière fois avec en tête, une seule et même idée, l’y croiser, lui parler ou même encore de tout juste l’y apercevoir. Julien dut être à nouveau convaincu de quitter les garçons du quartier et la petite air de jeux de la cité pour me suivre et j’insistais même si le temps était vraiment très moche. Julien trouva facilement un compagnon de jeux et s’amusa beaucoup. Quant à moi, tant pis, j’allais malheureusement vivre la même journée que la fois précédente, aucune silhouette au long manteau n’avait fais son apparition, évidemment. Julien était venu m’annoncer excité qu’il avait réussi à échanger à un jeune garçon du parc un superbe « yo-yo » contre une de ces cartes de supers héros à collectionner tandis que je me levais pour de mon côté lui annoncer que nous partions. Sur le chemin du retour Julien était agité, ne cessa de bouger sur le strapontin du wagon et de me bousculer puis s’était mis à jouer avec ce fameux « yo-yo ». Ce jouet s’illuminait en sifflant et ronflant. Il sifflait, ronflait et je le regardais qui montait et descendait ! Je n’en pouvais plus, je lui arrachai ce maudit engin des mains. Julien était resté paralysé comme sous le coup d’une gifle puis de retour chez nous me boudait encore. Affairée à préparer le dîner dans la cuisine mes gestes nerveux, je me rendis compte à quel point j’étais contrariée de pas avoir des nouvelles de cet Alexandre et à quel point j’étais idiote de me mettre dans un tel état pour un inconnu qui se foutait peut-être complètement de moi. Julien était assis par terre devant un jeu télévisé sans rien dire. Je m’agenouillais près de lui pour le prendre dans mes bras et lui rendre ce jouet qui était resté dans la poche de mon caban. Il me remercia d’un sourire puis ses yeux m’interrogèrent tristement, il comprenait que je n’étais pas bien alors je m’inventais un affreux mal de tête. La soirée commença tôt et s’acheva tôt. J’allais me coucher en même temps que Julien. Quel calme, les voisins du dessus n’étaient sans doute pas chez eux, mais j’eus du mal à trouver le sommeil.
Aucun signe de la part de ce Monsieur durant toute cette semaine. Si les journées passaient vite, les soirées étaient longues. Je m’en voulais, je me haïssais, haïssais ma foutue pudeur et cette timidité inouïe. A plusieurs reprises j’eus envie de lui téléphoner mais, non, impossible ! Ce prénom qui me faisait dresser les cheveux sur la tête défilait sur l’écran de mon téléphone et mes yeux restaient hypnotisés dessus – Alexandre… Alexandre… Alex…Et bien voilà, j’ai juste assez de cran pour y ajouter son nom ! Du bout de mon pouce j’appuyais sur le « D », le « e », etc… – De quoi me faire encore plus dresser les cheveux sur la tête.
Ce vendredi soir, désespérée, je me résignais à ne plus jamais le revoir. Je tournais et virais sans savoir quoi faire, puis ce fut lorsque je me décidais à me plonger et essayer de me détendre dans un bain chaud que soudain ma nuque à peine posée sur le bord, comme piquée par une aiguille à la fesse je sortais de l’eau, le corps ruisselant et savonneux pour accourir dans le salon et saisir le téléphone posé sur la table basse. L’appareil glissa de mes mains et tomba sur le parquet. J’étouffais un cri en le ramassant au plus vite mais trop tard, la tonalité retentit – Pauvre fille malade, ce n’est pas ton dandy ! C’est Régis, ton ex !- J’en eus presque pleurée en voyant son prénom défiler sur l’écran. Je tournais les talons déçue et frissonnante de froid les mains plaquées sur les épaules quant cette fois une sonnerie annonça la réception d’un message. Je bondissais pour à nouveau prendre le téléphone. Je lisai et sautai sur mes pieds joints comme un diablotin sortant de sa boite.
– Bonsoir klara. Libre ce soir? 21H00. 15A67
Folle je l’étais et pas seulement de joie.
La porte de l’appartement était entrouverte. J’entrais et m’annonçais. Un mouvement se fit entendre et il arriva du salon pour m’accueillir une nouvelle fois la chemise par dessus son pantalon, les cheveux humides et les pieds nus.
«Bonsoir Klara »
– Bonsoir Monsieur… Alexandre ». Je le fis sourire
« Mets toi à l’aise, laisses tes affaires ici. » Il désigna la fauteuil club où le fameux manteau noir était posé.
Je me hâtai, déposai mon sac à main par terre, ôtai mon caban et le suivis de près dans le salon où la musique jouait en sourdine et où le champagne et les coupes nous attendaient. Je m’assis sur le bord du sofa, les mains jointes calées entre mes genoux serrés. Il déboucha la bouteille et le bouchon céda dans sa main sans faire de bruit. Il nous servit et me tendit une coupe puis s’affala dans l’angle du sofa, plia ses jambes en équerre sur l’assise. Il leva sa coupe à mon attention et sans attendre but une longue gorgée. Je fis de même. Il baissa la tête et son regard brillant se leva vers moi. Ce regard me mettais mal à l’aise et je n’avais guère besoin de ça alors je portais la coupe à mes lèvres, m’attardais pour boire lentement une autre gorgée. Il me sourit et le mien se haussa timidement. Un concerto de Bach s’achevait pour laisser place à un autre. Des violons et violoncelles s’envolèrent dans une valse ponctués par les contrebasses tonnantes. Ravi, il se leva, posa sa coupe sur la table et vint devant moi pour me tendre ses mains, surprise je posai ma coupe. Il me fit me lever du bout de ses doigts dans un geste gracieux sans même me toucher puis prit mes bras pour les passer ensuite autour de sa taille et m’enlacer. Il m’emmena dans un lent balancement. La tête penchée, il souriait, m’invitait et j’osai doucement me laisser aller contre lui, ma joue sur sa poitrine.
« J’aime beaucoup.» Susurra-t-il en repoussant délicatement une mèche de mes cheveux sur mes épaules.
Il m’emportait dans son pas lent, sa danse langoureuse, son parfum suave et sucré émanant de sa chemise ouverte m’enivra. Ses mains glissèrent sur mes seins. Il me cala contre un mur, sa bouche se posa sur mes lèvres et il m’embrassa avec une fougue retenue pendant que sans précipitation, il déboutonnait puis m’ôtait mon chemisier et dégrafait mon soutien-gorge qui glissa de mes bras. Il sortit de leur corbeille mes seins comme des objets précieux et se pencha pour goûter à mes mamelons qui pointaient outrageusement. Je ne bougeais pas les mains plaquées sur le mur, j’adorais mais me raidissais malgré moi. Il se releva son nez chemina jusqu’à ma bouche et il commença à déboutonner mes jeans serrés. Mes mains se posèrent sur les siennes, prêtent à le ralentir mais il continua et fit glisser le pantalon le long de mes jambes. Il quitta mes lèvres, s’accroupit, leva la tête dégageant sa figure de ses cheveux d’un geste vif, arbora un sourire immense en me regardant droit dans les yeux tandis qu’il remontait ses mains le long de mes cuisses. Je frissonnais, fermais les yeux, serrais les lèvres. Il glissa délicatement ses pouces sous les élastiques de ma culotte. J’avalais ma salive bloquée, j’étais prête à stopper son entreprise mais je me retenais de le faire. Mes joues étaient en flammes et mon corps tremblotait tout entier. Ma fine et jolie culotte glissait sous ses mains, dévoilait mon intimité que contemplait mon dandy et il en avait plein les yeux, le bout de son nez à dix centimètres de ma toison . Enfin, il me fit lever les pieds, retira mes petites chaussures puis le pantalon avec la culotte qu’il jeta plus loin.
Il posa ses mains sur mes hanches, leva son regard et je détournai le mien. J’entendis le souffle d’un petit rire amusé puis je sentis le bout de ses doigts toucher mon sexe puis ma vulve et écarter mes petites lèvres, je me laissais faire tétanisée et bientôt sa langue titilla adroitement mon clitoris. C’était délicieux, et encore, mon intimidation, ma gêne m’empêchaient de savourer pleinement ses caresses. Il se releva, prit ma main, m’emmena pour doucement me renverser dans le sofa. Il s’allongea entre mes jambes, vint m’embrasser en dirigeant ma main sur sa braguette. Je n’osais qu’à peine toucher ce sexe gonflé, outrageusement gonflé. Il me dévisagea avec un sourire et une bouche ouverte gourmande et impatiente. Je retirai ma main alors il porta la sienne à sa bouche et cracha sur ses doigts. Je le regardais faire un brin décontenancée. Il se redressa, mouilla ma vulve de ses doigts trempés puis fini par les essuyer sur ma cuisse avant de déboucler sa ceinture et déboutonner son pantalon. J’étais restée paralysée. Il s’arrêta, haussa les sourcils en soupirant, se pencha au-dessus de moi appuyé sur les mains.
«Combien de temps vas-tu jouer à la pucelle effarouchée ?
– Je… Je ne joue pas Monsieur, je… Je ne me comprends pas.
– C’est moi qui me suis trompé Klara. Tu n’as pas envie de me connaître.»
Je ne pus faire quoi que ce soit. Il m’enjamba l’air décidé de me laisser en paix mais je le retint mes mains sur ses bras, mes yeux le suppliant de rester, de… continuer !
« J’ai envie de vous connaître. De vous plaire.»
– De me plaire… – Un petit sourire songeur se dessina sur son visage puis il se leva, reboutonna son pantalon – Rhabille-toi Klara.»
Consternée je m’asseyais sur le bord du sofa. Il but une gorgée de sa coupe et quitta le salon sans se préoccuper de moi. Je ramassais mes vêtements, enfilais mes sous vêtements et mon chemisier puis me perplexe restais assise dans le sofa. Je ne voulais pas partir, prendre le risque de ne plus le revoir !
« Tu n’es toujours pas habillée.» Il revint, son téléphone contre son oreille et tout en écoutant me fit un signe de sa main libre de me dépêcher.
Ce geste me fit très mal – Je ne l’intéresse plus, c’est fini !- Au bord des larmes, j’enfilais mes jeans et mes chaussures. Il raccrocha, posa l’appareil sur la table.
«Bien Klara – Il coinça une mèche de ses cheveux sur son oreille, fit une moue mobile et prit une grande inspiration – Il va falloir te mettre au pas très vite ou bien je risque de me lasser.»
Je sourcillais, c’était direct mais, je savais à quoi m’en tenir. Son regard par en-dessous me fit baisser les yeux.
«Te courtiser, t’offrir des fleurs… Je suis navré mais je ne suis pas… Celui-là ma belle.»
Pas fâché ni déçu, sa voix était posée et c’était pire. J’écrasai furtivement une larme inopportune sur ma joue.
« La voiture t’attend. »
Je le suivis dans le hall où il me présenta mon par-dessus. Je l’enfilai lentement et lâchais dans un souffle, malheureuse :
«Vous vouliez vous occuper de moi.»
Il s’approcha tout près, réajusta mon col.
« M’occuper de toi… Il me fit son regard par en dessous – Donne moi à nouveau envie.»
Je baissais les yeux, avalais ma salive. Il attendait, sa tête tombait doucement sur son épaule. Le cœur battant je me hissai enfin sur la pointe des pieds, approchai mon visage du sien, posai mes mains sur sa taille et mes lèvres touchèrent ses lèvres. Il ne bougeait pas et sans me laisser impressionner, je continuai, agrippai sa taille et l’embrassais, l’embrassais voluptueusement, amoureusement. Il se décida à accompagner mon baiser, délicatement, un long moment. Il poussa la porte et celle-ci claqua dans mon dos. Il prit mes joues dans ses mains, m’embrassa maintenant avec fougue. Il m’emmena dans un vif mouvement me caler contre le mur, il empoigna mes seins puis saisit fermement ma chevelure, me fit tordre le cou. Sa bouche parcourue ma gorge offerte. Il mordit plusieurs fois mon cou suffisamment fort pour me surprendre et sentir sa morsure. Mon souffle était court et je ne retenais plus les gémissements sourds d’un plaisir affolé. Peu à peu, mon corps se relâcha, je sentis mon sexe s’ouvrir dans des frissons d’appréhension. Il prit appuie les mains sur le mur, chercha mon regard, ses yeux brillant.
« Je vais m’occuper de toi Klara – il fit un petit mouvement de la nuque et ajouta – Mais je suis exigeant. »
Il caressa ma joue du revers de sa main. Il repoussa ses cheveux derrière ses oreilles et posa un petit baiser sur mon front. Il fit deux lents pas en arrière en me toisant du regard avec un petit sourire carnassier puis il m’ouvrit la porte.
«Prends soins de toi. File.»
La berline noire m’attendait en bas de l’immeuble et le type aux santiags aussi. Il m’ouvrit la portière arrière en me saluant avec un large sourire. Ce Roger sembla heureux de me revoir mais tous deux guère bavard il me reconduit chez moi dans le seul ronronnement de l’auto.