Le directeur de cabinet du Premier ministre venait de terminer son exposé et Aline Lecocke le regardait dubitativement. Carrée dans son fauteuil, elle lui faisait face et réfléchissait avant de lui répondre.— Si j’ai bien compris votre ordre, vous me demandez de perpétrer un assassinat.— Voyons, chère amie, quand la raison d’État est en jeu on ne parle plus d’assassiner, mais d’effacer un problème. Surtout que justement il ne faut pas que ce soit un assassinat. Un crime sordide, bien que borderline serait, in fine, acceptable. Mais RIEN qui puisse nous y associer.— Sans vouloir vous contrarier, Monsieur, vu la personnalité de la cible, il serait difficile de lui faire subir un « accident » sans que tous les médias et ses partisans crient au scandale.— Tout à fait… !— Et quelles sont vos préconisations ?— Je n’en ai pas, excepté que le Premier ministre a dit : pas de vagues ! — Certes, Monsieur, mais cela ne me dit pas comment faire.— Eh bien, cela vous regarde, et pour être un tantinet trivial, je dirai : démerdez-vous… !***Jean caressa une fois encore ce sein au velours si délicat. Il ne pouvait quitter sa compagne ainsi. Ils avaient fait l’amour une bonne partie de l’après-midi puis s’étaient assoupis tous les deux. Il regardait ce corps voluptueux fait pour l’amour, son amour.Sa main flatta cette poitrine dénudée, sa bouche retrouva ce téton précédemment cajolé. La belle émergea lentement de ses rêves pour replonger presque immédiatement dans un nirvana sensuel et charnel.Jean, par de petits baisers parsemant le visage, le cou et la poitrine de son amie, accompagna avec légèreté le réveil d’Annabelle. Un sourire de contentement apparut sur le visage de la femme. Elle se blottit contre ce torse viril et ne put contenir un :L’homme la serra fortement dans ses bras, comme pour la garder prisonnière, sachant très bien que dans une heure il devrait la libérer, la rendre à sa vie, la rendre à son mari. Il effaça cette idée de son esprit et regarda Annabelle avec un grand sourire. Il s’élança ensuite à l’assaut de ce cou gracile puis, par petites touches des lèvres, s’attaqua à cette poitrine si tentante.***Aline regardait ses subordonnés, tous assis autour de la table de réunion. De son fauteuil, elle en imposait, le cheveu court, la silhouette massive et cet éternel tailleur-pantalon lui donnaient un air hommasse. On lui prêtait sans aucune preuve des relations lesbiennes, mais dans le service tout le monde s’accordait à dire : « elle en avait… ! »La cheffe avait exposé à son service le problème posé par le gouvernement de la république. Elle attendait une solution ou tout au moins une idée, un brainstorming. Rien ne semblait en sortir. Qui admirant la tapisserie ou qui compulsant frénétiquement des notes qu’ils n’avaient sûrement pas prises, tous avaient cet air absorbé et pénétré qui sied si bien à ce genre de réunion. Tous, sauf un qui la regardait avec le sourire. Elle l’interpella donc :— Vous m’avez l’air inspiré, Casanova. Pouvons-nous partager vos réflexions ?— Oui, Madame, si nous voulons effacer « proprement » la cible, il n’y a qu’une solution.— Quelle est-elle ?— L’éliminer en la discréditant.— Certes, et vous voyez cela comment ?— Il n’y a que deux moyens efficaces, le fric et le cul, mais je pense que c’est ce dernier qui serait probablement notre solution.Évidemment, le cul, réfléchit-elle. Il est sûr que, s’appelant Casanova… !***Jeremy regardait le fond de son verre qui s’asséchait de plus en plus. Il en était à combien ? Trois, quatre verres de whiskies ? Il ne savait plus, l’ivresse le guettant, il voyait son environnement sous un rose idylliquement trompeur. De toute façon, il savait pourquoi il était là. Quand une main amicale se posa sur son épaule et que son possesseur lui dit :— Je vous offre un verre ?Il regarda la personne, la jaugea et répondit :Jérémy devisa quelque temps avec l’individu qu’il avait rencontré. De toute façon, ce genre d’endroit interlope était fait pour cela : une rencontre… ! L’homme avait l’air charmant et avait une conversation soutenue, intéressante. Il savait que son physique avait toujours attiré aussi bien les mâles que les femmes. Il n’avait jamais pris aucune initiative en la matière, et pourtant, il avait eu de nombreuses aventures… alors, pourquoi pas avec ce gars ? Il rejoindra son épouse après.***Olga se maîtrisa pour ne pas se retourner. Le reflet qu’elle avait vu dans la vitrine lui paraissait familier. Cet homme semblait la suivre. Examinant cette image, elle en jaugea la stature, la prestance. Tout à fait acceptable, se disait-elle. Pourquoi pas un petit intermède en milieu de journée ?Elle avisa une terrasse de restaurant, s’y installa et attendit.Olga, assise à cette terrasse, sirotait le café qui venait de lui être servi. Elle avait chaussé ses larges lunettes de soleil qui lui permettaient de tout épier sans se faire remarquer. L’homme avait fait semblant de fortement s’intéresser à son téléphone portable, simulant ou rédigeant réellement un message. Il mit encore quelques minutes avant de s’installer à l’autre bout de cette esplanade. Olga eut un petit rictus de dépit à la commissure des lèvres. Encore un grand timide, se dit-elle. Elle enleva ses bésicles et le regarda avec instance, puis lui fit un grand sourire. Ensuite, prenant ses affaires, elle se leva et s’installa délibérément à la table de l’homme.***Aline avait rassemblé dans son bureau ses adjoints directs ainsi que Casanova qui semblait bien être le seul à avoir une idée qui tienne la route pour satisfaire les desiderata du gouvernement. Après quelques jours de réflexions, elle attendait un plan d’action de son subordonné. Étaient aussi présents : Dubreuil du groupe politique, celui qui dit ce qui est politiquement correct, et Jonas du groupe « action » qui dit ce qui est matériellement possible… !— Alors, Casanova, commença Aline, pouvez-vous nous faire partager le fruit de vos cogitations ?— Oui, Madame, mais avant cela, me permettez-vous de resituer le problème ?— Faites, Casanova, faites… Nous vous écoutons.— Merci… Le problème posé est l’élimination d’Olga Ivanovna Makalina, fille unique d’Ivan Makaline dit « Ivan le terrible » pour toutes les exactions qu’il a commises quand il dominait son pays…— Bon, Casanova, vous n’allez pas nous refaire l’histoire.— Non, Madame, c’est pour représenter le contexte. Après la mort du tyran, sa fille a disparu, exfiltrée avec l’assistance de la DGSE. Le mouvement politique du père a encore une très forte influence, de nombreux partisans très actifs militent pour que la fille prenne la succession du père. J’imagine que ce nouveau gouvernement a demandé au nôtre l’élimination de…— Quant à utiliser votre imagination, interrompit la cheffe du service, je préférerais qu’elle soit au service de la résolution de notre problème plutôt qu’à des supputations politiques.Les deux adjoints, connaissant bien leur supérieure, eurent un sourire de connivence et de compassion pour le jeune polytechnico-énarque.— Venez-en à votre stratégie, Casanova… !— Oui, Madame. La cible est une jeune femme de trente-trois ans qui séjourne chez nous avec un passeport français au nom d’Anne Martin, généreusement offert par le Quai d’Orsay… !— Peu importe les errements de certains ministères, continuez.— Cette personne est néanmoins suivie par la DGSI et son dossier commence à être volumineux. Il en ressort surtout que son point faible, c’est le sexe. Depuis trois ans qu’elle est en France, elle a dû collectionner une cinquantaine d’amants. Elle fréquente aussi des établissements glauques aux pratiques à la limite du répréhensible.— Intéressant, poursuivez, Casanova.— C’est justement ce point faible que je désire utiliser pour la faire exécuter pendant une de ces parties de jambes en l’air…***Jérémy en était maintenant à son dixième whisky et avait de plus en plus de mal à se concentrer sur la conversation. Cela lui convenait bien. Il préférait noyer le ratage de sa vie dans l’alcool plutôt que d’y faire face. Si son couple avait été un feu d’artifice en ses débuts, son éternelle passivité avait petit à petit érodé cette union. Il en était de même de ses nombreuses maîtresses et de ses nombreux amants. Tout le monde se lassait de sa veulerie. Le bout du bout avait été atteint aujourd’hui même avec son licenciement pour cette bête histoire de cul. Son épouse, pour une raison qu’il ne comprenait pas, le soutenait encore et toujours, malgré tous ses avatars.Jérémy était maintenant dans un état éthylique avancé et avait raconté ses déboires à son compagnon de beuverie. Étonnamment, ce dernier ne donnait aucun signe de faiblesse et le soutenait en sortant du bar. La proposition de continuer la soirée vint tout naturellement. Il laissa l’homme le conduire à sa voiture et l’y installer. Une fois le véhicule lancé, il interpella tout de même son conducteur.— T’as pas trop picolé ? T’as pas peur de te faire prendre par les flics ?— Les flics, je les emmerde, répondit l’interpellé avec un sourire en coin.Le passager regardait admirativement son conducteur. Il adorait les machos, sûrs d’eux et frimeurs, tout son contraire. Il savait qu’il allait passer à la casserole et attendait ce moment avec impatience.***L’atmosphère dans le bureau d’Aline devint de plus en plus tendue. Tous les regards étaient tournés vers le jeune énarque.— Précisez votre pensée, Casanova.— Pour que cela passe dans l’opinion publique, s’il y a meurtre, il faut un coupable, et de préférence un coupable crédible. Pour cela, il faut trouver un homme susceptible de plaire à la cible, qu’ils s’affichent publiquement ensemble et ensuite, après effacement de l’objectif, fournir sur un plateau à la justice toutes pièces qui permettront de le faire condamner.— Et ce pigeon, vous comptez le trouver où ?— Internet est plein de gens désœuvrés, il n’y a qu’à piocher dans ce vivier…— Combien de temps vous faut-il pour mettre au point cette opération ?— Une à deux semaines, tout au plus.— Des objections, demanda Aline en regardant ses adjoints ?Chacun ayant secoué négativement la tête, la séance fut levée.***Après s’être délibérément installée à la table de son suiveur, Olga se présenta.— Je m’appelle Anne, Anne Martin. À qui ai-je l’honneur ?— Euh, peu importe mon nom, mademoiselle, je heu…— Pourquoi me suiviez-vous ?— Je heu, je ne vous suivais pas, n’allez pas croire, je ne…— Je ne crois rien, Monsieur sans nom, je constate juste que vous me suiviez.Olga regardait maintenant son interlocuteur avec intensité. L’homme, lui, se rasséréna rapidement. L’effet de surprise passé, il se dit qu’un contact aussi franc et aussi direct ne serait pas plus mal. De toute façon, il aurait fallu un jour ou l’autre qu’une relation s’installe !— Pourquoi me suivez-vous ? reprit Olga.— Parce que j’aime regarder les jolies femmes, répondit-il, ayant maintenant retrouvé tout son aplomb.— Et vous ne faites que regarder les femmes ?— Je les regarde, bien sûr, mais je peux faire bien plus si elles le veulent… !— Vous êtes bien direct, Monsieur… !— Faut-il tergiverser, Madame ?***L’opération étant engagée, ne restaient dans le bureau d’Aline que Casanova et Jonas. Ce dernier supervisait les actions sur le terrain. Dans leur service directement rattaché au Premier ministre et qui n’avait de comptes à rendre à aucun autre ministère, la discrétion était de mise. Si l’activité principale concernait le renseignement, il arrivait que certaines interventions « physiques » soient nécessaires et Jonas était l’homme de la situation. Ayant débuté sa carrière dans les bérets rouges, il avait ensuite fait le tour de tous les services experts en la matière.— Alors, Casanova, donnez-moi le point d’avancement de notre affaire.— Oui, Madame, donc, nous avons trouvé le pigeon, il s’appelle Jérémy Métayer, c’est un technico-commercial qui vient de se faire virer de sa boîte pour agression sexuelle.— Rien que ça… !— Oui, une affaire un peu tordue. Il prétend que la nana avec qui il baisait quand il s’est fait surprendre lui avait sauté dessus. Le problème était surtout que ladite jeune femme couchait régulièrement avec son patron. Ce dernier, client de notre commercial, n’apprécia que moyennement la chose et fit des pieds et des mains pour le faire virer.— Oui, je pense que ce gugusse est crédible, surtout après ce genre d’incident. Autre chose ?— Oui, Madame, si nous ne voulons pas laisser de traces, il faudrait qu’aussi bien la DGSE que la DGSI ne surveillent plus notre cible.— Pas de problème, ce sera fait.— Une dernière chose, il faudrait que le tueur de Jonas intervienne au tout dernier moment pour ne pas se faire repérer, je prendrai personnellement la chose en main pour les faire se rencontrer.Aline regarda son subordonné avec insistance, puis elle reprit :— Premièrement, Monsieur Casanova, ici, il n’y a pas de tueurs. Certaines personnes exécutent certains ordres pour le bien de la nation. Deuxièmement, Monsieur Casanova, votre cursus est certes très brillant, mais pensez-vous que votre passage à Polytechnique puis à l’ENA vous prédestine à mener à bien ce genre de mission sur le terrain ?— Très certainement, Madame, car en parallèle à ces petites choses, j’ai poursuivi un doctorat en psychologie. Et je pense que dans cette affaire, de la psycho, il en faudra beaucoup.— Certes, certes, mais vous n’avez pas l’expérience du terrain si cela devait tourner court. Il ne faudrait pas que le Premier ministre soit impliqué.— Peu probable, car, dois-je vous le rappeler, notre service n’existe pas. D’après ma fiche de paye, je suis « juriste adjoint, sur la problématique du changement climatique auprès du ministère de l’Environnement ». Je me suis laissé dire que vous étiez vous-même « Attachée culturelle chargée de la Francophonie auprès du ministère des Affaires étrangères »… ! Comme Monsieur Jonas, ici présent, est « conseiller spécial auprès du ministère du Commerce extérieur », nous n’avons aucune raison de nous rencontrer, et d’ailleurs, nous ne nous connaissons absolument pas.Aline regarda son subordonné avec un petit sourire amusé. Puis, se tournant vers le troisième participant :— Avez-vous une objection, Monsieur Jonas ?— Objection, non, Madame, mais il faudrait que je sois informé au jour le jour de l’avancement de l’opération et il me faut un préavis de deux jours pour préparer l’intervention de l’agent finalisateur.— Cela pose-t-il un problème, Monsieur Casanova ?— Aucun, Madame.— Bien, la séance est levée, à la semaine prochaine.***Jérémy s’était laissé ballotter par les incertitudes de la route et les certitudes de son chauffeur. Maintenant devant la porte d’un cossu pavillon de banlieue, il savait à quoi s’en tenir. Il s’en réjouirait presque si sa journée n’avait été si mauvaise, avec son licenciement. Il était d’ailleurs temps de trouver une compensation, un réconfort, et cet homme allait le lui donner, il en était persuadé.Son hôte le fit asseoir dans un vaste canapé de ce salon aux formes vieillottes, mais qui respiraient l’opulence. Ils n’étaient qu’à un mètre de distance et se regardaient en souriant. Jérémy aurait bien bu un dernier verre avant de passer à la casserole. Peu importe si cet alcool ne venait pas, l’important était justement que cet homme le prenne dans ses bras, le cajole, le soumette, le baise.Oui, voilà, il voulait être soumis, ne plus penser à rien, juste lâcher prise. C’est à ce moment que l’homme sortit une photo de son portefeuille. Photo d’une magnifique jeune femme qu’il contempla d’un air concupiscent.***Olga ne put s’empêcher de sourire face au culot de son interlocuteur. Des machos, elle en avait connu et peu lui avaient déplu. Toutefois, la plupart de ces hommes y mettaient les formes, même s’ils étaient guidés par leur seul désir de la sauter.Cet homme lui proposait « cash » de coucher après juste trois phrases échangées, sans souci de préserver les apparences.Elle avait très envie d’accepter… ! La rudesse, la brutalité du propos décupla l’envie qu’elle avait ressentie en évaluant son suiveur.— Si je comprends bien, Monsieur sans nom, vous me proposez une partie de jambe en l’air ?— C’est un peu cela, madame, mais tout de même un peu plus compliqué.— Je ne vois pas ce qu’il y a de compliqué de me baiser par tous les trous et ensuite bye, bye… !— Disons que ce sera un peu plus romantique que cela.— Ah ? répondit Olga, légèrement interloquée.Il sortit son portefeuille et lui présenta une photo. Elle la prit d’une main, y jeta un regard. Toujours dubitative, elle demanda :— C’est qui ?— Un homme qui vous aime !— Ah, et pourquoi ne le dit-il pas lui-même ?— Il est d’une timidité maladive.Olga regarda encore une fois la photo et trouva l’homme vraiment mignon.***Aline, maintenant l’opération lancée, recevait Casanova seule à seul. La plus parfaite discrétion était de mise.— Bonjour, Monsieur Casanova, où en sommes-nous ?— Les choses fonctionnent comme je le pressentais et la cible va prochainement rencontrer notre pigeon. L’issue fatale ne pourrait arriver qu’à très brève échéance après cela.— Combien de temps ?— Une semaine au maximum.— Vous vous êtes beaucoup impliqué, Casanova. Comment envisagez-vous la chose pour passer en dessous des radars de la justice de notre pays ?— J’allais y venir, Madame, et je pense qu’un congé sabbatique, genre arrêt maladie pour surmenage, serait judicieux.— Il est sûr qu’un « juriste adjoint à l’environnement » a toutes les chances d’être surmené, reprit-elle d’un ton sarcastique.— Je pense que trois ans avec plein salaire seraient tout à fait justifiés.Aline regardait son subordonné avec une certaine admiration. Il était d’un cynisme absolu, et de plus, ne manquait pas de culot. Quelqu’un qui pourra aller loin dans les coulisses du gouvernement.***Jérémy regardait la photo de la femme. Blonde, svelte, élancée, elle avait de ce charme slave qui faisait craquer plus d’un homme. Interrogatif, il rendit la photo.— Elle te plaît ? demanda l’hôte.— Oui, bien sûr, il faudrait être difficile.— Tu lui plais aussi.— Ah… ?— Oui, elle voudrait te rencontrer.— Mais pourquoi ? Pourquoi moi ? C’est ta femme ? Tu es candauliste ?L’homme partit d’un grand rire et lui répondit :— Non, pas du tout, d’ailleurs je suis célibataire. Je veux juste rendre service.— C’est une amie, alors ?— Non, je suis payé pour organiser cette rencontre, et il faut que cela reste discret.— Elle est mariée ?— Oui, cela te dérange ?— Non, pas du tout.— Ce doit être quelqu’un plein aux as. C’est la femme d’un milliardaire ? Non, plutôt celle d’un ministre… ?— Ne te pose pas ce genre de questions, Jérémy. Profite seulement de l’aubaine.Le garçon pas tout à fait dessoûlé planait dans un nirvana où le libre arbitre n’avait plus vraiment sa place. Posant une liasse de billets de cent €uros sur la table basse, l’hôte poursuivit :— Voilà deux mille €uros pour les faux frais, il faudrait que tu réserves une table et une chambre à l’auberge de la forêt.— Je ne connais pas.— Je t’indiquerai. C’est élégant et très cher, en plus ils ont des chalets indépendants, tu demanderas le trois, c’est le meilleur.— Heu… !— Allez, prends ton portable et fais la réservation. Ils te demanderont ta carte bleue, mais ne t’inquiète pas, si tu as besoin d’argent, je compléterai.— Je suis un peu un gigolo… !— On peut le dire, mais est-ce désagréable ?— Non.***Olga, amusée, regardait son interlocuteur. La situation semblait surréaliste. Un homme qu’elle ne connaissait pas lui proposait de coucher avec un homme qu’elle ne connaissait pas plus. Sa situation de réfugiée politique clandestine l’avait habituée à la méfiance, mais sa libido l’invitait à l’audace.La circonstance était plus qu’insolite et l’incitait à oublier toute prudence. Ensuite, le mec était mignon… Et puis un timide, cela la changerait de ses goujats habituels. Elle rêvassait déjà aux diverses scènes avec un amant rougissant et effarouchable.— Et vous voyez cela comment, Monsieur sans nom ?— Disons que beaucoup de rencontres se concrétisent autour d’un bon repas.— C’est son idée ?— Oui, il vous propose l’Auberge de la Forêt.— Ouah, une très belle adresse !— Il y a aussi quelques chalets isolés à l’intimité absolue.— Oui, je connais.— Puis-je lui dire que vous acceptez ?— Il s’appelle comment ?— Jérémy.***— Vous désiriez me parler, Monsieur Casanova ?— Oui, madame, l’opération se passe parfaitement bien, mais j’avais une demande à vous faire.— Je vous écoute.— Il sera inutile que l’agent finalisateur de Monsieur Jonas intervienne.— Ah, et vous voyez la chose comment ?— Je vais amener Jérémy Métayer à exécuter la cible lui-même.Aline regarda son subordonné dubitativement.— Vous croyez pouvoir manipuler le pigeon jusqu’à ce point-là ?— Bien sûr, Madame.— Comment ?— Tout est dans la psychologie, Madame. Je vous l’ai déjà dit, j’ai un doctorat en psycho et je me fais fort de mener cette opération à bien sans qu’aucun de nos personnels ne soit impliqué.— Il y a vous !— Certainement, mais personne ne pourra témoigner de nos rencontres et ensuite je disparaîtrai, n’avions-nous pas convenu d’un congé de trois ans après cette opération ?— Certes, répondit Aline en réfléchissant de plus belle.Elle pesait le pour et le contre. Il était toujours délicat d’utiliser les hommes de Jonas. C’était des subalternes qui pouvaient un jour ou l’autre retourner leur veste pour une contrariété. Casanova était un cadre sup de la fonction publique et promis à un bel avenir. Il avait tout à perdre et rien à gagner en parlant de cette affaire. De toute façon, il l’avait souligné lui-même, ils ne se connaissent pas… !— Vous avez mon accord, Monsieur Casanova.— Je vous remercie, Madame.Il se leva et s’apprêta à quitter le bureau quand elle lui dit :— Vous êtes un homme dangereux, Monsieur Casanova.***Jean amplifia le mouvement entre les cuisses largement ouvertes d’Annabelle. Sûr de lui, il la regardait. Il observait la jouissance lentement monter en elle, s’emparer de son corps. Il la connaissait depuis le temps qu’ils partageaient ces après-midi d’amoureux.Les yeux toujours fermés, elle tournerait la tête sur le côté, porterait par le travers l’index à sa bouche, y mordrait franchement en poussant un tout petit cri. Ce petit cri déclencheur de sa propre jouissance. Ils étaient à l’unisson, ils ne faisaient qu’un.Bientôt, elle n’exigera plus ce préservatif encombrant, bientôt elle sera entièrement à lui, elle lui appartiendra sans partage. Bientôt, la vie changera, il pourra enfin investir ce ventre librement, le féconder.Qu’Annabelle serait ravissante, enceinte !***Jérémy était déjà installé dans cet élégant établissement et attendait son invitée. Olga se présenta. Resplendissante. Naturellement grande, elle avait accru cet atout avec des escarpins aux talons surdimensionnés et une robe découvrant largement ses jambes. L’ensemble dégageait toutefois une impression de bon goût avec un haut très sage et très sobre.L’homme n’en croyait pas ses yeux ni sa bonne fortune. Un maître d’hôtel discret et stylé leur présenta la carte. Leur conversation fut badine, car l’un comme l’autre n’avait qu’une idée en tête, l’après-repas !L’un comme l’autre manifestait un tel état d’excitation que l’effeuillage commença dès l’entrée dans le chalet. Ce fut quasiment nus qu’ils arrivèrent au bord du lit. Olga l’y poussa, et après avoir vérifié ses bonnes dispositions, s’empala sur ce roide sexe désiré.Elle joua du bassin et sentant monter l’extase, elle ferma les yeux dans l’attente de sa jouissance.***Casanova enfila d’abord ses gants de chirurgien, puis déchira l’enveloppe de la combinaison stérile. Il s’en revêtit avec précaution. Doucement, il introduisit la clé dans la serrure, il en avait fait une empreinte plusieurs mois auparavant, au cas où… !Avant d’entrer, il passa ses surchaussures et mit un masque intégral. Il ne faudrait pas qu’il laisse la moindre trace d’ADN. Doucement, il se glissa à l’intérieur du chalet.Il entendait les gémissements du couple qui s’amplifiaient au fur et à mesure de son avancée. Il hasarda un coup d’œil et vit que la situation était parfaite.La jeune femme chevauchait son amant qui avait fermé les yeux. Elle tournait le dos à l’intrus, mais cette scène d’un érotisme torride laissait Casanova de marbre. Son revolver sur lequel il avait vissé un silencieux était chargé, prêt à accomplir son œuvre. S’approchant du lit, il appliqua l’arme contre la tempe de la femme, et tira. Plus que le bruit, c’est le poids et l’inertie du corps qui ramena Jérémy sur terre. Une peur panique mêlée d’incompréhension se lut dans ses yeux à la vision du genre de cosmonaute qui surplombait le lit.Le tueur profita de cette stupeur pour lui saisir la main, y placer le revolver et le diriger vers sa tempe. L’obliger à appuyer sur la queue de détente ne fut qu’un jeu d’enfant. Casanova se releva et contempla le spectacle. C’était parfait… ! La position des corps ne laissait aucune équivoque, les flics trouveraient de la poudre sur les mains du gars et il n’avait laissé absolument aucune trace. Il démonta délicatement le silencieux, car même si les pandores ne sont pas toujours très malins, là, ils pourraient se poser des questions.Un dernier coup d’œil pour être sûr de ne rien avoir oublié et il ressortit, prenant bien soin de refermer derrière lui. Il sourit intérieurement, les poulets allaient se retrouver avec un mystère à la Rouletabille. Après avoir retiré ses vêtements de protection et les avoir mis dans son sac, il enfila des chaussures de marche et s’en fut par un chemin forestier. Il avait plus de dix kilomètres à parcourir pour retrouver sa voiture garée sur un parking public, deux villages plus loin. Rien ne pouvait le rattacher à ces morts.Mission accomplie !***Un an après cette affaire, Dubreuil demanda audience à sa patronne. Habituée au personnage et à ces interventions qui prennent toujours « des plombes » avant d’arriver à son sujet, elle le brusqua :— Qu’est-ce qui vous amène Dubreuil, soyez bref, je n’ai que peu de temps à vous consacrer ?— Ce qui m’amène, c’est ceci, répondit-il en tendant un magazine « people » où, en arrière-plan d’une photo d’un jet-setter célèbre, était entouré, au feutre rouge, un couple étroitement enlacé.Aline prit le temps d’examiner la chose et un inhabituel sourire orna son visage.— Feriez-vous dans le potin mondain, Dubreuil ? Si Jean Casanova a envie de s’afficher en public avec sa dernière conquête, à partir du moment où le service n’est pas impliqué, je ne vois pas le problème.— Vous en verrez peut-être un avec cette photo, Madame.L’adjoint se leva à demi pour tendre cet autre cliché à sa supérieure. C’était une prise de vue pour un mariage où on distinguait parfaitement Jérémy et Annabelle Métayer, sa jeune épousée, dans leurs vêtements de noce. Charmant spectacle si ladite mariée n’était pas le portrait craché, avec quelques années de moins, de la dulcinée de Casanova.— L’enfoiré, lâcha-t-elle.Aline comprit à ce moment-là qu’elle avait été manipulée par son chargé d’affaires qui avait utilisé le service à des fins personnelles. L’élimination de Métayer était programmée depuis le début. L’opération avait parfaitement fonctionné. Pourtant, qu’un grand commis de l’état fasse ce genre de malversation était intolérable. S’il l’avait fait une fois, il recommencerait. Elle avait deviné que Casanova était dangereux, mais n’avait pas imaginé… !Une froide colère monta en elle et, après avoir congédié Dubreuil, elle décrocha son téléphone.— Jonas, venez dans mon bureau, immédiatement.***Deux jours plus tard, Aline lisait son quotidien dans son bureau et un entrefilet lui amena un sourire aux lèvres.La vague de suicides dans la fonction publique continue à faire des ravages. Hier soir, un haut fonctionnaire du ministère de l’Environnement qui était en arrêt de travail pour surmenage, Monsieur Jean Casanova, s’est jeté du cinquième étage de son appartement. Quand le gouvernement prendra-t-il des mesures en face de ce problème récurrent qui s’amplifie… ? D’un des tiroirs de son bureau, elle prit une photo et l’examina. Annabelle Métayer était vraiment une belle femme. Il faudrait qu’elle la rencontre… Après avoir été deux fois veuve, peut-être serait-elle sensible à une relation saphique ?Reposant la photo, Aline eut un sourire carnassier… !