Résumé du premier épisode :Lors d’un retour de boîte trop arrosé, une Clio fait une terrible sortie de route entre Andorre et Lancroix, un village de Cerdagne. Les pompiers, qui par hasard se trouvaient dans le secteur, arrivent sur les lieux juste à temps pour éteindre un début d’incendie. Dans la voiture broyée, une jeune femme, miraculeusement indemne : Sophie Hash, une enseignante de 28 ans, nommée depuis quelques mois au lycée de Lancroix. Le conducteur et l’autre passager ont été tués sur le coup. Bien que la vitesse et l’alcool aient été déterminants, les circonstances de ce drame restent mystérieuses : une « forme » fugace au milieu de la route, qui a incité le conducteur à braquer…Dans l’ambulance qui la conduit sur Perpignan, Sophie aperçoit un pompier. Il vient la revoir dans sa chambre d’hôpital, l’occasion pour elle d’apprendre qu’il s’agit précisément de celui qui l’a désincarcérée, convaincu que la Clio abritait encore un survivant. Deux semaines après l’accident, Sophie le retrouve par hasard dans la médiathèque du village. Marc Ginest, pompier volontaire à Lancroix, en est en réalité le conservateur. Elle accepte avec joie le dîner que lui propose son sauveur, un trentenaire au physique attrayant. Lors de ce dîner, Sophie tombe définitivement sous son charme. Il la ramène chez elle, mais, malgré ses appels du pied, n’en profite pas pour l’embrasser. Déçue, Sophie regarde cet homme un brin mystérieux s’enfoncer dans la nuit…15 mai 2009…Depuis plus de deux semaines, les mêmes images défilaient en boucle dans l’esprit de Marc Ginest. Chaque nuit, il revivait son arrivée sur les lieux de l’accident, juste avant que le réservoir de la Clio ne prenne feu et n’explose. Il se revoyait en train d’extraire Sophie de la carcasse fumante, l’accompagnant dans l’ambulance en direction de Perpignan, poussant la porte de sa chambre d’hôpital au moment précis où elle s’y promenait quasiment nue – comme par hasard…Diaboliquement présent, enflammant son désir et piégeant son âme, il revoyait sans cesse le corps de la séduisante brune, entraperçu avant qu’elle ne bondisse sous les draps. Il était obsédé par son visage, ses grands yeux verts, pétillants d’intelligence, sa bouche délicate et sensuelle, ses traits réguliers, à la beauté émouvante. Sophie Hash possédait ce petit quelque chose de virevoltant et déluré qui le rendait fou.Bien qu’il sût parfaitement quelles pouvaient en être les conséquences, il ne pouvait s’empêcher d’imaginer un futur avec elle. Il était définitivement accroché à présent, il n’y avait aucun moyen de lutter contre « ça » et il savait. Aussi, après l’accident, il avait tout fait pour ne pas la croiser dans Lancroix – une véritable gageure, vu la taille de ce gros bourg – l’évitant le temps de se construire une façade, de reprendre un semblant de contrôle sur ses émotions.Marc ne pouvait ignorer qu’un charme était à l’œuvre. Il en avait eu la confirmation éclatante quand Sophie était entrée dans la médiathèque. En voyant l’enseignante dans son antre, livrée à lui, innocente et sans défense, il n’avait pas pu maintenir sa garde. La présence de Sophie, si proche, avait renforcé le sortilège, annihilant toutes ses certitudes, ses objections, sa détermination à ne plus l’aborder.Qu’est-ce qui m’a pris de l’inviter à dîner ?Une nouvelle fois, il n’avait pas su résister à l’impulsion. Malgré ses craintes, c’est lui qui avait engagé cette relation, refermant lui-même le piège, les condamnant aussi sûrement que s’il appuyait sur la gâchette d’un revolver. Qu’il était donc faible ! Qu’avait-il cru, en la sortant au restau ? Qu’en la fréquentant en simple « ami », il arriverait à mieux maîtriser ses obsessions ? Que cette proximité serait l’antidote au poison inondant ses veines ? Pure folie ! Ça ne pouvait que mal finir ; et encore une fois, ce serait lui le responsable.Après cette merveilleuse soirée et ce dîner enchanteur, après avoir résisté de toutes ses forces au désir brûlant d’embrasser Sophie, Marc avait eu bien du mal à s’endormir. Bataillant pour trouver le sommeil, il s’était tourné et retourné dans le lit froissé, jusqu’aux premières lueurs du jour. Les mêmes flashs s’imposaient sur l’écran de ses paupières, sans répit, encore et encore. Il émanait de cette fille un pouvoir d’attraction véritablement magnétique.S’il ne voulait pas finir timbré, il fallait qu’il la revoie.— C’est trop dangereux, murmura-t-il, enfouissant sa tête dans l’oreiller. La fréquenter, c’est la condamner à mort !Il ne voulait pas voir la vérité en face. Ça allait recommencer. Comme avec Laure, comme avec Manon. Il devait être plus fort cette fois, empêcher la malédiction de se reproduire. Il devait sauver cette fille. Elle était en danger à cause de lui, justement parce qu’il en était amoureux.— Mon Dieu, qu’est-ce que je m’apprête à faire ?– oOo–Le week-end arriva, puis passa, nonchalamment, presque trop long.Durant ces quelques jours, je repensais souvent à Marc, impatiente qu’il m’appelle, me proposant une nouvelle occasion de nous revoir. Pas de coups de fil, pas de messages sur mon répondeur. Je commençais à être accro et à cran, mauvais signe. Je me retins plusieurs fois de chercher son numéro dans l’annuaire, de me balader du côté de la caserne de pompiers.D’une, il était de garde. De deux, ce n’est en aucun cas à la femme de renouer le contact. Néanmoins, j’étais sur des charbons ardents, le désir de sa peau sur la mienne couvant juste à portée de caresses. Une envie de lui, de ses mains sur moi, qu’une simple satisfaction solitaire n’allait pas suffire à apaiser.Mais ce n’est pas pour autant que j’allais faire le premier pas, ni même le relancer, j’avais mon amour-propre, nom d’un chien ! Saleté de fierté à la con…Lundi matin, j’étais de mauvaise humeur en me rendant au lycée. Les élèves me paraissaient tous plus butés et bruyants les uns que les autres. À la pause de dix heures, je me réfugiai dans la salle des profs, me consolant d’une tasse de café bien chaud. Clotilde, une grande rousse un peu pétasse, prof d’anglais et grande cancanière à ses heures, se rapprocha de la cafetière fumante. Et incidemment de moi. Je finissais ma tasse en vitesse pour pouvoir déguerpir, quand elle me demanda :— Alors, il est comment, au lit, le pompier ?Je m’étouffai avec le café, manquant de vaporiser mon petit noir sur la face trop pâle de Clotilde.— Pourquoi… (toux paroxysmique)… me demandes-tu ça ?— Allez, fais pas l’idiote. On m’a dit que vous formiez un très joli couple, à l’Eden Roc, Marc Ginest et toi.— « On » ?— Roooh, tu sais bien comment c’est…Ah oui ! Ça, j’avais vite compris. Ici on ne peut pas faire un pas sans que toute la ville soit au courant. Par nature, le monde enseignant est petit ; au lycée de Lancroix, ça virait carrément au vase clos.— C’était un dîner amical. Marc est un garçon charmant et qui sait se tenir.— OK, pigé. Y s’est rien passé, si je décode bien, ricana la perfide rouquine. Cela dit, ça ne me surprend pas vraiment…Cette dernière remarque piqua ma curiosité. Je me demandais comment en apprendre un peu plus sans avoir l’air d’y toucher, quand Clotilde poursuivit ses confidences. Chez elle, le bavassage était une seconde nature.— Il paraît qu’il ne s’est pas encore remis du décès de sa fiancée.— Sa fiancée ?— Il t’en a pas parlé ? Une fille de Mont-Louis. Elle s’est noyée l’été dernier, au lac de Matemale, quasiment sous ses yeux. Alors qu’ils se baignaient ensemble, assez loin de la rive, elle a soudain coulé à pic. On n’a jamais retrouvé le corps. Un truc inexplicable. Marc a même été suspecté, pendant un temps…— Mais c’est horrible !Une sonnerie stridente retentit, interrompant notre conversation. La reprise des cours.Je me dirigeai vers ma salle, songeant à ce que je venais d’apprendre. Je comprenais mieux l’attitude de Marc. Pas étonnant qu’il soit resté sur sa réserve, l’autre soir. Le pauvre garçon sortait à peine d’une tragédie. Il avait besoin d’un soutien, d’une écoute, pour pouvoir enfin tourner la page. Peut-être préjugeais-je de son attirance pour moi, mais j’avais envie d’être celle qui l’aiderait à passer le cap de cette horrible épreuve.– oOo–L’idée d’appeler Marc m’avait taraudée toute la semaine. Au bout du compte, j’avais fini par craquer. Le mercredi après-midi, un numéro de téléphone s’était soudain propulsé à la surface de mes pensées. J’avais composé ce numéro inconnu et – ô surprise ! – j’étais tombé sur le portable de Marc. Sûrement la magie de l’inconscient, qui enregistre tout à notre insu, au cas où…En remontant à mon chalet après mon dernier cours, je l’avais trouvé devant ma porte. Comme promis, il était venu. En voyant sa silhouette athlétique devant chez moi, j’avais failli me mettre à courir pour lui sauter au cou.— Eh bien, tu es ponctuel, toi au moins, dis-je, avant de lui faire la bise.Attirées comme par des aimants, nos lèvres se frôlèrent. Les miennes atterrirent maladroitement au coin de sa bouche. Il sourit. Je rougis.— Dix-sept heures trente précises. Au fait, c’est pas un peu tôt, pour un apéro ? demanda-t-il tandis que je farfouillais dans mon sac, cherchant la clé de mon logis.— On aura plus de temps pour discuter. J’ai vraiment apprécié notre dîner et j’avais envie de… eh bien, de te connaître un peu plus, voilà.Je débloquai enfin la porte et le fis entrer dans mon modeste F2, un chalet construit durant la période « grand boum du tourisme hivernal ». Il s’installa dans mon canapé Ikea tandis que je sortais les verres, deux, trois bouteilles, un paquet de cacahuètes. Marc me regardait d’un air interrogateur, attendant que j’ouvre le bal. Était-ce l’anticipation de ce moment tant attendu ou l’effet d’une timidité de dernière minute, mais je ne savais plus trop quoi dire. Je crois que j’aurais surtout eu envie de me lover dans ses bras et de laisser parler le langage du corps. Trop tôt pour ça, sans compter que j’avais choisi une autre approche…Nous avons donc échangé des paroles banales, nous accordant sans implication particulière sur des lieux communs. Je me sentais gauche, plutôt mal à l’aise. Où était donc passée la complicité de la semaine précédente ? Ce fut Marc qui me tira finalement de mon embarras.— T’as pris le temps de visiter la région, au moins ?— Pas vraiment, j’avoue. C’est la première fois que j’ai des terminales, et j’ai eu pas mal de préparations à faire.En réalité, depuis que j’avais quitté le lycée Gaspard Monge, à Savigny-sur-Orge, je m’étais investie sans compter dans la réécriture de tous mes cours, imaginant que la meilleure façon d’oublier Fred était de me noyer dans le boulot. J’étais fin prête pour assurer les dix prochaines rentrées sans ouvrir un seul manuel pédagogique. Pour autant, Fred rodait encore dans un coin sombre de mon cerveau, tel un vampire en sommeil.— Tu loupes quelque chose. Le massif du Carlit est vraiment fabuleux. Avec le printemps qui démarre, les prairies sont couvertes de campanules.— Il faudrait que j’aille un peu explorer, alors. Qu’est-ce que tu me conseilles ?— Les lacs de haute montagne. La plupart se concentrent dans le Capcir. Si ça t’intéresse, je peux t’indiquer les meilleurs sentiers de randonnée. Y’en a vraiment des tonnes, dans la région.C’est peut-être débile, mais j’ai toujours eu peur de me paumer, en pleine nature. Paris, c’est pas trop ça pour acquérir le sens de l’orientation… Voyant que j’hésitais, Marc me proposa :— Je pars souvent le week-end, me balader avec une canne à pêche et un sac à dos. Pourquoi ne viendrais-tu pas avec moi ? Je te ferais découvrir le coin.Les yeux brillants d’excitation, il me fixait avec un sourire attendrissant. Sans nous l’avouer, nous avions tous les deux envie de passer du temps ensemble. Cependant, une sorte de retenue, de réserve inexplicable contrebalançait le désir électrique qui nous poussait l’un vers l’autre. Le fantôme de la fiancée décédée ?J’acceptai sa proposition avec enthousiasme. C’était l’occasion rêvée de mieux nous connaître, de prendre tout notre temps pour flirter et plaisanter en parcourant les chemins caillouteux, en remontant les torrents d’altitude, en scrutant les sous-bois à la recherche des premiers cèpes de la saison.– oOo–Le lendemain, je rendis visite au magasin Montagne-Loisirs de Lancroix, m’équipant selon les instructions de Marc pour cette première virée. Chaussures de marche, sac à dos de campeur, vêtements chauds, kit de premiers secours, j’avais tout. J’omis simplement d’acheter une tente, considérant que celle de mon pompier serait bien assez grande pour deux. Et si elle était un brin trop petite, ce n’est pas moi qui allais m’en plaindre…Le samedi arriva enfin, éclaboussé de soleil. Je me levai d’excellente humeur. Mon corps me semblait tout neuf, mes côtes ne me faisaient plus du tout souffrir – une récupération étonnamment rapide, selon le médecin. L’attente, la perspective de passer une bonne partie du week-end avec Marc, tout ça donnait à cette sortie une connotation acidulée de « rendez-vous galant », un côté romantique et démodé qui évoquait l’amour courtois, période moyen âge.Loin de la réserve d’une prude jouvencelle cathare, j’avais pris certaines libertés vestimentaires, les températures en nette hausse de cette fin mai n’encourageant pas à s’emmitoufler. Chaussée d’une paire de Meindl, à peine vêtue d’un T-shirt échancré et d’un minishort en stretch, j’exposais avec une indécence toute printanière le haut de ma poitrine, une bonne partie de mon ventre plat ainsi que mes longues jambes dorées. Particulièrement provocante – en tout cas, c’est l’impression que me donnèrent les coups d’œil admiratifs de quelques terminales croisés dans le village -, je me rendis au point de départ de notre trek.Marc m’attendait au début du sentier pour le lac de Bouillouses, son barda à côté de lui. Quand il me vit, il se leva, bouche bée. Ma tenue semblait pour le moins lui faire de l’effet. Je retins un sourire victorieux et m’approchai. Quand il me colla deux bises appuyées, je fermai les yeux pour mieux me laisser envelopper par son odeur : une fragrance musquée à laquelle se mêlaient des effluves d’eau de Cologne.— Heu… j’espère que tu as aussi un pantalon et un sweat dans ton sac ?— Pourquoi ? Ma tenue ne te semble pas adaptée ? demandai-je, redescendant sur terre.— Ça ira pour les premiers kilomètres. Mais dès qu’on va attaquer les tourbières et la plaine des lacs, tu vas te faire dévorer par les moustiques.— Pas de problème, j’ai mis de l’huile solaire à la citronnelle. Je peux donc bronzer sexy sans me faire importuner, glissai-je.— Tu sais, il fait pas chaud en montagne, dit-il, avec un effort méritant pour conserver son regard au niveau de mes yeux.Il avait beau argumenter, je notai avec satisfaction qu’il matait en douce. Marc semblait fasciné par mon décolleté et plus encore par mon minishort s’arrêtant à la lisière des fesses. J’espérais bien lui montrer à quel point je savais me servir de mes atouts…Nous nous mîmes en route pour le col de l’Ours, notre première étape. À huit heures du matin, il faisait déjà chaud. Nous marchions tantôt en terrain dégagé, tantôt dans des sous-bois tapissés d’aiguilles de pin, croisant de petits ruisseaux glacés, nous élevant rapidement au-dessus du village. Marc n’avait pas exagéré. Le paysage était vraiment grandiose, les montagnes donnant une impression d’infini à portée de main. Avant de nous remettre en route, nous fîmes une pause au col. Bien que déjà un peu essoufflée, j’essayai de faire bonne figure. Marc me tendit une outre en peau et je bus à la régalade, laissant couler un filet frais dans ma bouche.— Ça va ? Ça attaque pas trop dur ?— Pour le moment, c’est bon…— Tant mieux ! On a encore huit kilomètres avant d’arriver au lac, avec un dénivelé important. On devrait y être d’ici deux ou trois heures. Si tu sens un coup de barre, tu le dis et on s’arrête pour souffler.— Oh, c’est pas pire qu’une journée de shopping à Paris ! Je suis sûre que dans le quartier des grands magasins, tu n’arriverais pas à me suivre !Nous reprîmes notre ascension vers les Bouillouses, ne croisant que peu de promeneurs. L’étendue sans limites des rochers et des sentiers nous était presque entièrement dédiée. Ce fut moi qui repérai le premier cèpe, une grosse boule indolente, poussant à l’ombre d’un pin. L’accompagnement idéal pour les truites que Marc comptait pêcher tout à l’heure. Un peu avant treize heures, nous arrivâmes au barrage qui était à l’origine de ce lac artificiel. À partir de là, le terrain était agréablement vallonné. Une demi-heure de marche encore et l’on s’arrêta dans une petite clairière, au milieu des pins.Marc étendit une couverture sur le sol, entre un bosquet de bruyère et de rhododendrons. J’avais une faim de loup et fis honneur aux sandwichs préparés par mon serviable pompier. Il n’était pas en reste.— Tu crois qu’on peut se baigner ?— L’eau du lac est plutôt fraîche, même en plein été. À cette époque, certains cours d’eau en amont sont encore gelés.— Mouais… mieux vaut faire trempette à la base nautique de Matemale, je suppose.Une ombre passa sur le visage de Marc. Silencieux, les traits durcis, les mâchoires crispées, il semblait revivre les scènes d’un passé douloureux. Je me rapprochai et pris une de ses mains entre les miennes. Son poing était glacé.— Tu es au courant, pour Manon, finit-il par dire dans un murmure.Manon. Ainsi, c’était le prénom de la noyée. Je frissonnai.— J’imagine à quel point ça a dû être dur pour toi… On n’est pas obligés d’en parler, sauf si tu le souhaites, bien sûr.— Non, j’en ai pas trop envie. Restons dans le présent ; tu es bien vivante, moi aussi, et c’est tout ce qui compte.Marc se libéra de mon étreinte et se leva d’un bond.— Et si on allait voir s’il reste des truites arc-en-ciel dans le lac ? Prête pour ta première leçon de pêche au lancer ?J’étais d’une maladresse crasse dans l’art de manier la cuiller, et c’était encore pire pour ramener la ligne en moulinant. Pitoyable ! Tant que j’eus la cane à pêche en main, la seule chose que nous avons attrapée, Marc et moi, c’est une bonne crise de rire. Au bout d’un quart d’heure d’efforts, je jetai l’éponge et retournai près des sacs, laissant mon bibliothécaire s’adonner à l’un de ses loisirs préférés.Étendue sur la couverture, j’observai la course des nuages dans l’azur du ciel. Je me sentais bien dans cette nature préservée, loin de toute source de pollution. Caressée par une brise dont la fraîcheur compensait idéalement le soleil radieux de l’après-midi, je me laissai doucement partir, déjà somnolente.– oOo–Il faisait nuit noire.L’habitacle déformé emprisonnait mon corps rompu. Malgré mes fractures, je ne ressentais qu’une douleur lointaine, comme émoussée par un puissant anesthésique. Coincée entre le siège passager et ce qui restait du tableau de bord, je n’arrivais pas à bouger d’un millimètre. Un liquide clair ruisselait sur les cadrans explosés. De l’essence. Une lueur orangée déchira soudain l’obscurité. Les premières flammes embrasèrent la carcasse tordue, retournée sur le toit. La bagnole prenait feu. De toutes mes forces, j’essayai de crier. Aucun son ne franchissait le barrage de mes lèvres.Dans la voiture, je n’étais pas seule.Assis côté conducteur, empalé sur la colonne de direction, un homme tournait son regard surpris vers moi, un filet de sang au coin de la bouche. Cette fois, il ne s’agissait pas de Jean Axat. Fred tenta de dire quelque chose, avec pour seul résultat de baver un peu de mousse rosâtre. Une bulle sanglante pulsait à l’orée d’une de ses narines. Fascinée, je ne pouvais en détacher le regard. Une puanteur de chair grillée me parvint. Mes vêtements prenaient feu, ma chair grésillait sous l’assaut des flammes, ma chevelure flambait comme une torche. J’étais en train de brûler vive, sans personne pour me tirer de là…Je me réveillai brutalement, un spasme respiratoire bloquant mes cris au fond de ma gorge. Recouvrant peu à peu mes esprits, je cessai de me débattre. Un coup d’œil à mon poignet m’apprit qu’il était seize heures. Comment un cauchemar pareil avait-il pu s’immiscer dans une sieste de vingt minutes ? Je me redressai, m’asseyant sur la couverture et me recoiffant d’une main tremblante. Je n’avais jamais rêvé avec une telle intensité, une précision aussi absolue. Les fragments de verre, le sang, l’odeur d’essence, les flammes… Tout m’avait paru si réel, si « vrai » jusque dans le moindre détail !Je grelottais. La tramontane avait propulsé une sarabande de nuages gris devant l’astre du jour. Marc m’avait prévenu que le temps change extrêmement vite en montagne. Cette affirmation n’avait rien d’une légende. Je sortis de mon sac un sweat-shirt à capuche et l’enfilai sans perdre de temps. Pour le bas, je n’avais même pas une paire de jeans.Les rafales glacées et la proximité de toute cette eau aidant, ma vessie se rappelait à mon bon souvenir, me remémorant avec acuité le sens de l’expression « envie pressante ».Je cherchai Marc du regard, mais ne le vis pas. Il avait dû se déplacer un peu plus bas sur la berge. L’occasion pour moi de satisfaire un besoin qui, pour être naturel, n’en était pas moins source de tracas typiquement féminins. Je voulais un endroit suffisamment abrité des regards pour mériter que je m’y accroupisse, sans pour autant être trop éloigné des sacs, la proximité de notre camp de base me donnant l’impression rassurante d’être en terrain connu.Le problème, c’est que la zone environnante était découverte et ventée. Indécise, je me tortillais sur place, jetant de fréquents coups d’œil aux alentours. Avec mon short ridiculement mini et mon sweat trop juste, je devais avoir l’air d’une vraie cruche ! Espérant qu’aucun promeneur n’allait se pointer au moment crucial, je jetai finalement mon dévolu sur un large pin, qui me dissimulait un peu. Baissant d’un même geste short et culotte, je m’accroupis au pied de l’arbre pour uriner – en plein vent, ce n’est jamais une très bonne idée.Ayant pas mal traîné sur les plages nudistes, j’avais déjà eu l’occasion de me retrouver dans la nature, les fesses à l’air. Mais là, ce n’était pas pareil ; j’éprouvais un net sentiment de gêne, à me livrer ainsi à cet exercice intime au vu et au su de tout le monde. Tandis que je propulsais mon jet chaud sur un tapis de mousse et de petites fleurs mauves, j’avais la désagréable impression d’être observée par une armée de voyeurs. J’espérais qu’aucun de mes élèves, au moins, n’était du nombre…J’entendis soudain un bruit, tout proche, suivi d’un cri rauque. Avec un hoquet de surprise, je me relevai, pantelante, scrutant les fourrés avec anxiété. Personne… Pourtant, je n’avais pas rêvé !Une sensation humide au creux des genoux me fit baisser les yeux sur ma petite culotte, largement inondée.— Et chiottes ! fis-je, laconique, constatant l’étendue des dégâts.Dans l’affolement je m’étais redressée un peu vite, oubliant les bourrasques…Je pris le parti de quitter mon short et ma culotte. Comment allais-je me sortir de ce mauvais pas ? Remettre cette pièce de lingerie trempée dans mon sac ? Bonjour l’odeur ! L’abandonner sur place ? Zut, les tangas Lejaby, ça pousse pas sur les arbres ! Ma meilleure option était de rincer l’objet du délit dans le lac, quitte à me balader sans tout le reste du week-end, en espérant que ça ne se verrait pas.Puis je réalisai avec horreur que le micro short, choisi tout exprès pour cette virée avec Marc, me serrait justement là, à l’entrejambe. J’imaginais l’effet, sans culotte. La vulve parfaitement moulée par le tissu en stretch, j’allais être indécente en diable !Cette inévitable impudeur me replongeait dans mon histoire avec Fred, me rappelant certains de nos jeux débridés : à de nombreuses reprises, ce salaud m’avait poussée à m’exhiber en public. Ce que mon ex adorait, dans ce genre de situations, c’était l’effet que ça provoquait sur moi. Être exposée ainsi aux regards m’excitait au point de lever mes plus profondes inhibitions. D’instinct, Fred avait compris le parti qu’il pouvait tirer – pour son plus grand plaisir – de ces avilissements à répétition…Évoquer ces souvenirs tumultueux, la fente à l’air et bien en vue, me troublait violemment. Des frissons remontaient dans mes reins, inondant mon ventre d’une douce chaleur, attisant l’envie de me faire jouir, là, en pleine nature. Un étrange état d’indolence avait pris possession de moi, me laissait sans défense face à mes pulsions, jusqu’à me faire oublier la plus élémentaire retenue. Cédant à ce conditionnement insidieux, je rejoignis la couverture.Allongée, cuisses écartées, je laissai glisser deux doigts vers ma motte soigneusement épilée avec toute la débauche dont j’étais capable. Ma main trouva bien vite le chemin de mon clito – je ne comptais pas m’éterniser. Et si Marc revenait, justement maintenant ? Que penserait-il du spectacle ? Au lieu de me freiner, cette pensée fit bondir mon excitation. Je fantasmai sur la réaction du pompier, l’imaginant en train de m’observer, avant de se dévêtir pour me rejoindre…J’en étais là de mes considérations, fermant les yeux pour mieux me concentrer sur mes caresses, quand un craquement sourd me fit me retourner.Debout derrière moi, à quelques mètres à peine, un homme m’observait. Je me relevai d’un bond, des picotements dans la nuque, les genoux flageolants. Je tirai instinctivement sur mon sweat, pour cacher ma toison perlée de mouille et d’urine – malgré mes efforts, j’étais bien loin des convenances.Je remarquai alors ce que ce type tenait à la main. Un poignard dégouttant de sang.Le cri rauque me revint en mémoire. Je hurlai aussitôt de terreur, vidant consciencieusement mes poumons au lieu d’employer cet oxygène à courir comme une dératée. Incapable de m’enfuir, brayant comme une dingue, j’étais scotchée sur place…À suivre…