Rhapsody in blue– Dialogues –Après la copieuse fondue, nous avons échoué dans le bar où tu m’as emmenée le deuxième soir de mon arrivée. Gagnée par un brin de nostalgie, je me demande si tu nous as conduits ici consciemment. Finir là où tout a commencé (ou presque), c’est quasiment un moyen, somme toute virtuel, de boucler la boucle, n’est-ce pas ? Après l’intermède, on reprend sa vie d’avant ; après la pause-café, il faut se remettre au boulot. Après l’histoire, on continue sur la géographie… ou bien l’inverse, ça marche aussi.L’histoire d’une relation vouée à l’effacement, la géographie d’un corps qu’on prend puis qu’on rejette, le passage dans une ville historique et la déambulation physique dans la dite ville… Tout ça n’est qu’une affaire de goût, ou plus précisément, une affaire de sens. À notre rapport, on peut donner des sens différents. Me traiter de fille dissolue ou de vertueuse trahie, je l’ignore ; donner un sens et l’enlever, comprendre ou laisser tomber. Soit se dire qu’il y avait quelque chose à comprendre, soit être persuadée que le sens de cette histoire c’est davantage l’histoire du non-sens… un cours d’eau à mi-chemin entre la rivière et le ruisseau, une voie qui mène à tout, à soi, ou à rien.En tout cas, cette fois encore, je n’ai pas réussi à te placer dans une case ; ça, je n’y parviendrai jamais. Non pas qu’il soit bon de mettre des gens dans des cases, mais c’est une expression pour dire que je ne te comprends pas et que je ne te comprendrai pas ; il n’y a pas de case pour toi, pas de rôle de parfait méchant, ou au contraire, pas de place pour le bon samaritain de service, qui a besoin d’être consolé parce que ses bonnes actions ont été mal interprétées.Parlons-en, de tes bonnes actions.Le fait : tu as été quitté. La déduction : il y a toujours des causes, donc…Je le sais bien d’ailleurs, puisque moi aussi je suis passée par là … avant toi, en plus. L’amour est une chose bien curieuse : ça se pose dans les cœurs et les esprits on ne sait pourquoi, pour combien de temps, et tout paraît inexplicablement plus facile. Mais la rupture, ça c’est encore un autre problème ; la veille, on est encore amoureux, le lendemain, on s’aperçoit subitement que rien ne va plus – allons-y, mesdames et messieurs, faites vos jeux !Le phénomène de la rupture amoureuse est aussi difficile à comprendre, et par conséquent à expliquer, que le phénomène amoureux ; la manifestation d’un sentiment qui nous transcende, et la chute brutale dans l’enfer de la lucidité. À quel moment celui qui n’aimait pas aime soudain, à quel moment celui qui aimait comprend qu’il n’aime plus, tout cela fait entièrement partie des « mystères de la vie ».Or, tu as été largué ; moi aussi. Si j’ai depuis appris à comprendre les raisons de ma propre expérience, je ne peux pas être absolument sûre de celles qui ont poussé ta petite amie à mettre fin à une relation vieille de plusieurs années. Je peux seulement les esquisser. Il me suffit pour cela de te regarder…Pour on ne sait quel motif – un traumatisme ancien, qui sait ? – tu t’arranges toujours pour n’avoir aucune attache réelle dans ce monde, dans cette vie ; tu ressembles au mouvement perpétuel ; tu glisses dans le temps et l’espace tel une voile glissant dans le vent, sans jamais vraiment t’arrêter, et de ce fait, sans jamais vraiment repartir. Celui qu’on ne peut contrôler, celui qu’on ne peut retenir, qui vous glisse entre les doigts comme s’il était dépourvu de matière humaine ; celui qui se donne sans jamais recevoir.Cette idée pourrait paraître contradictoire, puisqu’il m’est encore arrivé récemment d’être certaine que tu ne voulais rien donner de toi ; mais je réalise que ce point était inexact. Tu donnes, au contraire. Tu te donnes sur l’instant et de tout ton être, mais il y a une condition implicite… ne pas trop en demander. Sous-titré : ne pas croire que tu as des sentiments si tu partages des choses sur l’instant, ne pas s’imaginer que tu puisses continuer à donner de ta personne, une fois qu’on ne sera plus sous ton nez, et surtout, ne jamais croire que ce que tu donnes appelle un retour de notre part, car c’est là tout le paradoxe.Tu donnes pour ne pas avoir à recevoir. Cette attitude aurait pu être louable et faire de toi un type bien, si elle n’avait pas caché l’horrible angoisse qui t’étreint : la réciprocité. S’il y a réciprocité, il y a échange, partage, symbiose, unité ; or, tu hais l’idée d’être relié, assemblé à quelqu’un, de faire un tout avec quelqu’un.À long terme, ce don que tu offres déguise ton égoïsme : plutôt que de donner et de recevoir sur la durée et donc d’approfondir des liens, tu préfères donner à l’instant avec toute l’intensité dont tu es capable, ne rien demander à l’autre, et finalement, ne rien avoir à te reprocher au cas où chacun ferait ses comptes. À trop donner et trop attendre, on risque de perdre sa liberté, n’est-ce pas ?Ce n’est donc pas un don, mais un prêt.Parce qu’accepter quelque chose en retour te rendrait redevable. Ce qui ne présente bien sûr aucune commodité pour le style de vie que tu t’es choisi… Ne rien devoir à personne, perdre à la fois tout et rien lorsque tu t’en vas d’un lieu, pouvoir recommencer comme au point zéro là où tu atterriras, pas de point de départ, pas de point de fuite et pas de point de retour, tu vas et viens, et pourtant tu restes là , figé dans ton mouvement éternel de balancier…Ce qui te rend les choses plus faciles, car la mémoire en devient sélective. Avec un minimum de passé et d’avenir, tu conjugues ta vie au présent, pour ne pas te rappeler les choses, les gens laissés derrière toi, et redouter ce qui t’attend si tu continues ce chemin ; tout cela est beaucoup trop déplaisant.C’est lorsque l’on s’arrête que l’on peut prendre du recul, ce qui implique le fameux mouvement perpétuel, ce qui implique le fait que tu ne te poses jamais nulle part très longtemps. Trop dangereux ! holà , beaucoup trop dangereux !Si je puis me permettre une petite généralité, j’ajoute que les hommes, d’ordinaire, veulent un passé. Pour avancer. Pour s’améliorer. Pour se souvenir des erreurs, et faire en sorte de les éviter dans le futur. Pour faire tout le bien dont ils sont capables, ou du moins, pour essayer de sortir le meilleur d’eux-mêmes.Par quel affreux tour de magie t’es-tu transformé en non-humain ? Car tu es « exceptionnel », dans le sens où tu es une exception… Toi, tu veux un présent, pour être vierge comme une page blanche. Pas d’erreurs commises, ou du moins, pas le souvenir d’en avoir commises. Pas d’angoisse sur ce qui va arriver, à chaque journée suffit sa peine, demain est anonyme, imprévisible ; de toute façon, tu le vivras de la même manière que tu vis la minute actuelle, intensément. Comme si jamais tu n’avais vécu la veille.Et pourtant, tu as de l’ambition. Toi et ton ambition trônez au-dessus de tout et de tous, sans vous laisser aller à concevoir une vie à vivre un échelon plus bas, la masse dans laquelle tu pourrais te fondre, la réalité voilée qui t’entoure mais qui pourrait se déchirer et laisser entrevoir la vérité de ce monde… lucidité et frénésie, action et désespoir…Il me suffit de te regarder aujourd’hui, et j’ai l’impression de la comprendre mieux que quiconque, cette laissée-pour-compte qui te servait de fiancée, cette jeune femme qui devait compter les années alors que tu les effleurais seulement ; celle qui pensait sans doute constamment à toi, toi si loin qu’elle voyait si peu, toi qui te contentais de cette situation et qui même la voulais, tandis qu’elle devait attendre en rongeant son impatience le jour où vous pourriez enfin construire quelque chose de stable. Tu ne sais même pas combien de temps exactement vous êtes restés ensemble…Elle a dû en faire des concessions, la petite fiancée. Elle a dû en formuler des vœux. Elle a dû y croire, se forcer à y croire, puis enfin, faire semblant d’y croire, avec une telle force que ce désespoir t’est passé sous le nez, inaperçu, invisible dans ton regard de cow-boy solitaire.Avais-tu vraiment besoin d’elle autant qu’elle avait besoin de toi ? Non, je ne le crois pas. Arrive un moment fatidique où aimer un courant d’air devient trop douloureux. Tu la trompais. Tu l’imaginais. Tu lui parlais et entendais ses réponses, mais ne l’écoutais pas. Tu la voulais pour toi tout seul, mais à des centaines de kilomètres de toi. Tu l’aimais, mais de quelle manière ? Lui donnais-tu des preuves de ton amour ?Quand un amour ne se nourrit que de vent, de confiance et d’absence, on se demande où cela peut mener. Pas très loin, sans doute. Elle a dû aller aussi loin que possible, jusqu’à ce que l’amour se soit perdu en route. Dans le désert. Elle avait soif de reconnaissance, de présence, et au lieu de ça, tu ne lui étais même pas fidèle. Tu disais que ce n’était pas par manque d’amour si tu la trompais ? Tout cela est bien beau. Peut-être a-t-elle accepté cette situation, au début. Puis la certitude d’être aimée est partie, elle aussi.Quand on ne peut plus avoir confiance, que reste-t-il ? Il n’y a que l’absence, le vent, et les doutes, les incertitudes, les angoisses, les craintes… et la douleur. De déception en déception, elle a perdu la soif d’amour qui la dévorait. L’amour l’a rongée, privée de catalyseur, son énergie s’est dispersée, enfuie, définitivement. Il n’y avait sans doute plus que du vide dans ce cœur que tu avais attaché au tien mais sans lui donner volontairement de nourriture.C’est ce que je crois, sans certitude, sans formulation consciente, sans le dire. Peut-être une sorte de saisie intuitive. Voilà la cause probable de la désertion de Diana. J’espère que tu me mentais lorsque tu me disais ne pas la comprendre ; ignorer pourquoi, d’un seul coup, elle ne t’aimait plus. Le travail de sape avait commencé bien avant, des mois, des années avant peut-être. Tu aurais dû voir venir ce moment, mais impossible, n’est-ce pas, lorsque l’on parcourt toujours le chemin sans regarder derrière soi et sans anticiper ce qu’il y a devant, de l’autre côté de l’horizon ! Sur l’autre versant de son ambition !À trop avancer, on laisse tout derrière soi.Tandis que je sirote ma marguarita frappée à la paille, à demi allongée dans les coussins multicolores, mon regard se rive à toi. Je te croyais la tête ailleurs, mais ton regard fixe, posé sur moi, me pénètre comme un long jet brûlant et grave. Je soutiens ton regard sans un clignement de paupières, écoutant d’une oreille distraite les babillements sympathiques de Lisa.Songeant confusément qu’elle a l’air de bien m’aimer, et que je suis incapable de lui rendre ce sentiment. Mon cœur se serre trop à l’idée de peut-être vous voir un jour ensemble, tous les deux. Je ne parviens pas à l’apprécier comme je le devrais, c’est plus fort que moi.Pendant un moment, nous écoutons tous les trois en silence la musique larmoyante, qui me traverse comme une onde chatoyante. Je ferme les yeux, me laissant envahir, inonder, changer. De longues secondes s’écoulent, et quand je les rouvre, je croise une nouvelle fois ton regard, toujours fixé sur moi.Je reste impassible, cachant mon irritation. Je déteste cette façon-là que tu as de me dévisager, comme si une multitude de questions défilaient dans ta tête en me regardant. Parce que tu crois que je ne m’en pose pas, des questions ? Crois-tu que je suis complètement endormie dans ce canapé ? Je sais ce que tu penses. Tu te demandes si tu as bien fait de me laisser venir ici, ce que cette rencontre va t’apporter ou t’enlever, et surtout, tu te demandes ce que je suis en train de penser.Ce qui pourrait paraître complètement absurde, vu que j’ai passé la moitié de mon temps ici à me demander la même chose sur toi.En ce qui nous concerne, toi et moi, les choses paraissent toujours plus difficiles. Je trouve ça contradictoire, mais je ne peux rien y faire. Pourquoi les relations des autres me paraissent-elles aussi claires, alors que les miennes m’apparaissent brouillées comme une purée de pois au bord d’un quai londonien ?J’en reviens toujours à me demander si ce que nous avons vécu ensemble ces derniers jours a un sens. J’ai partiellement compris que je voulais te donner, me donner à toi peut-être, que j’avais toujours voulu le faire, et que, fidèle à toi-même, tu n’avais jamais rien voulu recevoir de moi. Pour les raisons évidentes que j’ai exposées. Tu m’as refusé comme on refuse un dessert chargé à la fin d’un frugal repas.D’un autre côté, j’ai compris que le problème principal, à savoir le malaise qui m’a saisie et ne m’a plus quittée, venait probablement de moi. À l’origine. Parce que je ne suis plus vraiment moi ? Bon, d’accord, ça paraît idiot, mais ça ne l’est pas. D’autres ont été beaucoup plus loin dans la théorie d’être étranger à soi-même. J’ignore si l’homme est constamment, et nécessairement étranger à lui-même, comme l’ont prétendu plusieurs philosophes existentialistes. J’ignore de surcroît si cela fait partie d’une sorte de malédiction pesante sur l’homme pour la seule raison qu’il possède une conscience.Je ne m’embarque pas dans des réflexions aussi périlleuses, car je ne les maîtrise pas.Le doute vient plutôt de mon expérience, de mon vécu, du regard que j’ai sur moi, du regard que tu as sur moi, du regard que les autres ont sur moi d’une manière générale. Une sorte de décalage qui m’empoisonne l’existence. Il faudra que je me penche sérieusement sur la question ; dès ce soir peut-être, quand j’aurai mon corps, mon esprit, pour moi toute seule ; autrement dit, lorsque tu dormiras.Un détail me revient soudain en mémoire. À l’époque où j’ai commencé la fac, je connaissais un barman très sympa, avec qui je m’entendais plutôt bien. C’était malheureusement après ton départ, donc pendant ma douleur de te perdre… de t’avoir perdu. Même si on ne peut pas perdre ce qu’on n’a jamais possédé, n’est-ce pas ?Un jour, il m’a parlé du perfide questionnement qu’il se posait sur moi, et peut-être que tout le monde se posait sur moi. Il m’a dit, dans une sorte de reproche étonné et sincère – comme s’il venait juste d’y penser à l’instant – que plus nous nous rapprochions, tous les deux, et plus il avait l’impression que je mettais de la distance entre nous, et moins il avait la certitude de me connaître.Se donner est une chose rare. On peut donner quelque chose de soi, mais se donner entièrement c’est l’assurance de se faire connaître entièrement ; or, ce don n’est ni évident, ni gratuit. Personne n’est prêt à faire ce sacrifice s’il y a un risque de tout perdre. On se donne toujours lorsqu’on est sûr de recevoir.Mais je n’étais plus sûre de recevoir de quiconque, après toi, alors j’ai attendu très longtemps avant de me donner une nouvelle fois…Ceci dit, il y a une grande part de mystère dans cet échange donner-recevoir. Donner implique recevoir parce que ce sont les deux côtés d’une seule et même action, les revers pile et face d’une pièce de monnaie. Mais se donner entièrement, recevoir entièrement, sont des concepts abstraits. Sommes-nous réellement capables de tout donner de soi, alors que nous sommes exclus d’une partie de ce que nous sommes, alors que nous ne comprenons pas tout ce que nous sommes ? Alors que nous tombons dans l’ignorance de nous-mêmes dès que nous nous sentons dépassés, dès que nous commettons des actes qui nous surprennent ?Peut-être est-il concrètement impossible de se donner en totalité, puisque nous ne saisissons pas ce « moi » en totalité. De la même manière que nous ne connaissons jamais à fond les personnes qui partagent notre vie, nous ne nous connaissons jamais par cœur, et surtout jamais jusqu’au fond.Le fond est lui aussi un concept, une chose abstraite qui semble absurde et inaccessible. Et pourquoi ça ? Parce qu’il y a des trous. Des béances. Des vides. Des bulles d’air. Des endroits (mouvants !) qui ne sont ni espace ni temps, où notre moi trouve refuge et que nous sommes incapables, raisonnablement, de débusquer. Là où la vie se fait pure pensée, pure humanité, pure créativité. Le secret de tout homme. Mon secret. Le décalage que je ressens, maintenant, mais que je ne peux ni expliquer, ni résoudre. Celui qui fait que je suis une inconnue pour tout le monde, y compris pour moi-même. Celui qui fait que nous sommes tous des inconnus pour tous.Je ne sais pas si je suis étrangère à moi-même, ou si je me sens étrangère à moi-même – or, la différence est énorme.Tout ce que je sais, c’est que je ne suis plus la même, et que je ne m’en étais même pas aperçue, jusqu’à ce que je fasse ce voyage à Genève.Quoi qu’il arrive, cette semaine passée avec toi sera marquée par une totale absence de continuité entre nous deux. Je pourrais presque la réduire à trois étapes, tant j’ai remarqué des sortes de ruptures dans notre relation. C’était une danse à pas sautés, que nous avons accomplie sans même nous en rendre compte. Ces pas ne sont ni mesurés ni guidés ; leur mouvement est aléatoire, voire totalement stupide, mais enfin, je commence enfin à en dégager un minimum de sens.Pendant les tout premiers jours, je me suis sentie parfaitement non-complice de toi. Mon corps participait à des étreintes qui n’étaient pas les miennes, à une intimité que je ne ressentais pas, ni dans le cœur, ni dans la tête. Puis quand j’ai fini par accepter le désir physique qui me pousse vers toi, et que j’ai gardé en moi durant trois ans, presque comme une énergie résiduelle, nos conversations ont commencé, au début sans but particulier, puis ensuite dans la même optique : communiquer. S’expliquer. Se comprendre.Mais nous n’avons pas réussi à nous rapprocher. Bien au contraire. Nous nous sommes désirés, nous nous sommes effleurés, nous nous sommes touchés, et nous nous sommes expliqués ; on aurait pu s’attendre à ce que je ressente enfin un sentiment pour toi. Mais non. Je n’éprouve rien, et même, j’éprouve de moins en moins, d’une manière générale.Sans nul doute, nos pas ressemblent fortement à la danse de « deux pas en avant, trois pas en arrière ». Ils ne nous rapprocheront pas, ne nous mèneront nulle part ensemble, et seront plus aseptiques que tous les moments antérieurs passés entre nous. Nous nous sommes conduits volontairement du début à la fin au début.Si nous avions été dans un système dialectique, notre troisième étape passée ensemble nous aurait dirigés vers une unité, une synthèse, bref, elle nous aurait réunis ; mais toutes sortes de raisons nous en ont empêchés, le décalage qu’il y a en moi, ce fuseau horaire, cette bulle inconnue où mon moi nage parfois, ce vide, sera toujours entre nous. Ou du moins, nous sépare pour l’instant. La dialectique est impossible, car une équation multiple s’est glissée dans le raisonnement, un facteur inopportun aux données totalement imprévisibles.J’aurais peut-être voulu un tempo, un rythme – basé sur notre rythme cardiaque qui sait ? Mais il n’y a pas de tempo régulier dans notre relation, pas d’harmonie dans notre danse, pas de réunion dialectique dans le système ; bref, le concerto s’arrête là .Je n’ai rien à t’offrir, et toi, tu ne veux rien recevoir.Après le corps, après l’esprit, il n’y aura pas le cœur, pour l’un comme pour l’autre. Un corps ça se prête, un esprit ça se partage, mais un cœur, ça se garde.Au fin fond du fond. Dans la bulle d’air ?* * *La nuit est déjà bien avancée quand nous songeons à rentrer. En bas de ton immeuble, nous nous arrêtons pour converser, puis tu invites Lisa à monter. Elle accepte, et nous prenons un dernier verre dans ton appartement. Je tombe de sommeil.Il est presque une heure du matin lorsque Lisa prend congé. Elle me serre dans ses bras avec un sourire ému, et je lui dis adieu sans ressentir de peine.Une fois seuls, nous nous fixons droit dans les yeux un long moment, avachis dans des fauteuils qui se font face.– Tout à l’heure, tu as dit que le temps ne nous appartient pas, murmures-tu soudain. Que voulais-tu dire ?Mes yeux restent dans les tiens. Je me rends compte que je souris d’une manière assez bizarre.– Tu ne veux pas répondre ? insistes-tu.– Je ne pensais pas que je devrais expliquer ça, dis-je. C’est dommage que tu ne comprennes pas.Silence…– Tu sais, ce que nous avons vécu cette semaine… reprends-tu lentement. Je… enfin, ce n’est pas la réalité.– Ah oui ? Moi je crois que ce qu’on vit tous les deux est parfaitement réel.– Il ne faut pas que tu croies ça, je ne veux pas que tu souffres, Eva.– Tiens donc ? fais-je après une pause. Mais la vie, c’est réel, Michael. Il n’y a que dans ta tête que certaines choses n’existent pas.– Ce n’est pas ce que je voulais dire. Écoute…– Laisse-moi tranquille, je suis fatiguée, Michael. Vraiment fatiguée.Je me lève et vais me déshabiller dans la salle de bain. Plus tard, une fois couchés, tu me serres dans tes bras, mais je te repousse, doucement.– Je suis fatiguée, répété-je. Tu n’as qu’à rêver que nous faisons l’amour, puisque tout cela n’est pas réel.Et je te tourne le dos sans attendre de réponse.Un long cri me réveille, et je m’assieds brutalement, le corps couvert de sueur sous ma chemise de nuit. À ma respiration haletante, je comprends que c’est moi qui viens de crier.Une caresse sur le bras me fait sursauter, et je me tourne vers toi. Dans la lueur de l’aube s’écoulant entre les fentes du store, tu m’observes fixement, un bras derrière la tête.– Tu faisais un cauchemar, expliques-tu d’une voix basse.– Oui… c’est vrai, réponds-je, encore sonnée. Ça ne m’arrive jamais.Le pire, c’est que je m’en souviens. Tu étais en train de me poursuivre avec un couteau trempé de sang, et je fuyais, courais, criais à en perdre haleine, à travers des couloirs interminables et sombres qui se refermaient peu à peu sur moi. Quelle horrible expérience, même en rêve !J’étouffe un rire nerveux qui ne trompe personne.– C’est bête, je t’ai réveillé. Il est quelle heure ?– Bientôt six heures et demie.Je me recouche lentement, sentant ton regard sur moi. Nous restons un moment silencieux, alors que j’essaie vainement de me rendormir. Au bout de longues minutes, je tourne la tête vers toi. Tu me fixes avec une intensité troublante.– Je t’ai vraiment réveillé ? demandé-je, intimidée.– Non… j’étais déjà réveillé. Je te regardais dormir…– Ah bon ? Ah… tu me regardais plutôt faire un cauchemar, alors.Ce qui expliquait peut-être que c’était toi qui me poursuivais pour me tuer dans cet affreux cauchemar ! J’ai dû sentir ton regard sur moi pendant mon sommeil. N’empêche, j’aurais pu rêver d’autre chose.Nous nous observons à nouveau. Ton visage est si proche que je peux sentir ton souffle chaud effleurer mon front. Il paraît que lorsque nous avons peur, une décharge d’adrénaline file dans nos veines ; et que cette bouffée d’adrénaline peut aisément se transformer en désir sexuel.Voilà qui expliquerait l’excitation qui m’a saisie à la vue de ton torse, nu jusqu’à la taille… Je détourne prudemment la tête, devinant le courant qui s’est échangé entre nos corps et qui commence sérieusement à nous électriser.Ta main, que je sens soudain ramper sur mon ventre, me confirme le diagnostic. Retenant ma respiration, je glisse mes yeux dans les tiens, et y lis la même envie. Et pourtant, tu ne bouges pas, te contentant de me caresser de tes doigts légers sous la couette.Je vois. Après la rebuffade de la veille, tu attends le signal de consentement. Logique.– Tu sais, chuchoté-je, il paraît que lorsque deux personnes se retrouvent après de longues années d’absence, elles reprennent automatiquement la relation qu’elles avaient avant d’être séparées.Tes yeux pétillent.– Et tu trouves que c’est mal ? demandes-tu.– Je crois qu’on ne peut rien y faire. Alors, on le fait, ce câlin ?Nos lèvres se joignent enfin, dans un long baiser.C’est sans doute la dernière fois que nous faisons l’amour. La dernière des dernières. Haletants, nous restons enlacés quelque temps, jusqu’à ce que tu me donnes un baiser sur la bouche et te sépares de moi, glissant hors des draps dans un bond souple.– Je reviens, murmures-tu avec un sourire.Je reste un instant méditative, me posant des questions sur la nature de ce sourire. On aurait dit que c’était un sourire reconnaissant. Mais pour me remercier de quoi, exactement ?Entre mes cuisses, l’absence de corps, de chaleur, devient soudain insupportable. Je referme lentement les jambes sur le vide. La texture collante de ton sperme, à l’intérieur, me fait un froid singulier. Dangereux, ce petit accident hors préservatif.Une vague d’émotion m’inonde soudain, m’obligeant à clore mes paupières pour en comprimer le vertige. Quelques secondes, je me sens remplie d’un je-ne-sais-quoi qui m’asphyxie ; et alors, plus rien, je m’écoule par le dédoublement de ma blessure convulsive et entrouverte, par les plaies respectives de mon cœur et de mon sexe, usés et meurtris ; je me vide à nouveau pour me retrouver encore plus démunie qu’avant.Et c’est là  ! précisément, c’est à ce moment-là que je sais que je me suis débarrassée de l’usurpateur.C’est comme si le jour naissant, dehors, soulignait ma seconde naissance. Tout est vierge derrière mes paupières. Je me sens perdue comme un bébé qui vient de venir au monde, sans repères, étonnée de tout ; douloureusement étonnée. Sachant qu’il y a tout à refaire, tout à recommencer.C’est à ce moment que je sais que je n’ai plus rien à faire ici.J’entrouvre doucement les yeux sur la pénombre de la chambre. Près du lit, dans le coin du mur, assise sur la chaise, ou langoureusement accoudée sur le balcon que je distingue entre les battants du store, c’est là que je me vois, là que je vous vois enfin, toutes, je vous vois défiler, glissant sur le parquet des pieds imaginaires, toutes les femmes que j’aurais pu être ; femme, maîtresse, amie ou confidente ; utilisée, asservie, manipulée ou libertine… je vois aussi une parfaite inconnue, une femme qui aurait pu être moi, et je me souviens soudain avec une implacable certitude que ma place n’est pas ici, avec toi.Elle est définitivement ailleurs, et cet ailleurs m’ouvre de nouvelles perspectives d’avenir.À peine naissante, je trouve enfin le chemin que je dois parcourir, à mon tour.Pour ces retrouvailles, je pensais être enfin seule avec toi, seulement toi et moi. Je me suis trompée. Nous ne sommes pas seuls, l’air que nous respirons est peuplé de respirations étrangères et parfois si familières. Nos corps auront beau se chercher, se croiser, se prendre et se relier, il y aura toujours ces autres bouches que nous embrasserons, ces autres mains qui nous caresseront, ces autres regards dans lesquels nous nous fondrons, tous ces autres entre nous, nous séparant de leurs souffles intangibles.Lorsque je te parle, que tu me réponds, que nous sommes étendus sur le lit à savourer la plénitude de nos sens sur un air de musique, il y a pourtant une masse de gens autour de nous, au corps absent bien sûr, mais si vivants par notre intermédiaire, dans nos pensées, dans nos chairs.Peut-être ne pouvons-nous pas les voir, mais ils sont là , ces fantômes qui nous suivent comme des ombres. Nous pouvons les sentir, parfois ; nous les sentons évoluer autour de nous, respirer, penser, nous les sentons nous toucher ; ils sont invisibles, mais possèdent néanmoins cette matière impalpable de ceux qui ont irrémédiablement marqué notre cœur d’une empreinte insaisissable. C’est du coeur qu’ils prennent forme.Pas un seul instant, je n’ai été seule avec toi. Comment peut-on se sentir si seul, alors que nous sommes environnés d’une peuplade de revenants qui nous collent aux basques ? Il y a l’autre, les autres, il y en a tellement, elles font battre ton cœur, ces présences anonymes et insupportables. Elles m’ont oppressée pendant des jours.Sans doute ressens-tu la même chose en me regardant. Il y a eu les amis que j’ai eus et que j’ai perdus, les amants qui ont croisé mon chemin, les amours qui m’ont étreinte, et il y a elles, toutes ces filles qui auraient pu ne pas te connaître ou trop bien t’apprendre, toutes celles que j’aurais pu être ou devenir, faisant en sorte que je ne sois pas là , à cette minute même, allongée et nue sur un lit trop grand pour moi, la peau rougie et les cheveux ébouriffés, avec ce vide à l’intérieur qui m’aurait fait crever à petit feu si je n’étais pas venue à Genève.Si je ne m’étais pas sentie renaître entre tes bras, ces bras mêmes où je me suis sentie disparaître, il y a trois ans. Il y a des siècles.L’autre jour, dans le tramway, comme par jeu, j’ai posé une main légère sur ta cuisse, et l’ai caressée. Mais quand j’ai levé les yeux, un sourire taquin aux lèvres, j’ai vu ton regard braqué sur ta cuisse. C’était un regard distant, réfrigérant, totalement méprisant. Ma main s’est raidie, je l’ai laissée là quelques secondes, pour que tu ne t’aperçoives pas que j’avais deviné ton avertissement, puis je l’ai enlevée.Une fois mon chagrin à peu près maîtrisé, j’ai risqué un nouveau regard vers toi. Tu m’as regardée, l’air de rien, et dans ces yeux-là , j’ai compris ma place. La case où toi tu m’avais emboîtée. Précisément, il n’y avait pas de boîte assez petite pour me caser.Il y a des regards où on se sent chez soi, où on retrouve chez l’autre, dans la manière qu’il a de vous dévisager, ce qu’on reconnaît proprement en soi ; il y a des regards amis où on se connaît, se reconnaît, où on se sent être. Mais c’est assez rare, finalement. Oui, le regard, c’est comme un lieu. On peut avoir l’impression d’être dans un grand magasin, dans un hôtel, chez soi, on peut même y retomber en enfance. Passer par là , regarder mais ne rien acheter ; partager un grand lit où on prête son corps mais où on repart les mains vides ; ou bien être soi là où on est, se sentir exactement à sa place.Mais il y a des regards anonymes, où rien de ce qu’on y décèle ne nous ressemble. Dans ces yeux-là , on se disperse, on s’interroge, on s’ignore. On s’y reflète en une multitude d’éclats, à l’infini, et on perd un peu plus de soi à chaque regard. Comme dans un miroir aux alouettes.Il y a des regards qui ne me voient que comme une étrangère. Qui m’observent sans comprendre. Qui m’effleurent sans chercher. Qui me jugent sans connaître. Sans reconnaître. Dans ces yeux-là , je sais que je n’y ai pas d’identité. Que je peux tout être, sauf moi. Ce que j’y vois, c’est la brillance de l’inconnu. J’ai l’impression d’être à part, d’être exclue, d’être exactement ce que suis pour cette personne : une étrangère.J’aime tes yeux, Michael. C’est fou comme je peux aimer les yeux d’une personne, et détester le regard qu’elle a sur moi. Dans tes yeux, Michael, il n’y a pas d’harmonie entre ce que je suis, la manière dont tu me vois, et ce que je suis pour toi. Tu me regardes de haut, parce que je suis à un échelon trop bas pour toi.C’est ce qu’on mérite, à force de vivre au milieu, entre le ciel et les bas-fonds de l’humanité. Si tu chutes, des gens comme moi te rattrapent ; si je chute, je tombe directement là où personne ne peut me rattraper sans me voler ce que je suis.Voilà pourquoi j’ai tellement changé, depuis trois ans. J’ai bâti une Eva différente pour pouvoir enfin, un jour, entrer dans tes yeux par la grande porte. Sortir de l’hôtel. Me sentir chez moi.Mais comment se sentir chez soi quand on ne sait même plus qui on est ?Nous nous sommes rendormis jusqu’à dix heures. Ensuite, comme nous sommes dimanche, nous avons traîné en pyjama toute la matinée, et j’en ai profité pour boucler ma valise.Nous sommes allés déjeuner dans un petit restaurant, pour rendre moins pénible mon départ, sans doute.Nous finissons l’après-midi sous les néons du soixante-treizième salon international de l’automobile. Je mitraille tout et n’importe quoi, impressionnée par ces superbes voitures rutilantes, qui parfois, ne ressemblent plus du tout à des voitures.Tout cela a beau ne pas être réel selon toi, je capte dans ton regard le reflet de ta peur, de ton cœur qui se serre.Le danger est là , n’est-ce pas, Mike, je sais que tu le sais. Une fois qu’on s’est habitué à la présence de quelqu’un, c’est difficile de revenir à sa solitude. Mais il y a là un paradoxe existentiel, puisque notre solitude est évidente, mais dérangée. Nous ne sommes pas vraiment seuls, nous dormons avec notre passé. Tu le comprendras un jour, toi qui ne désires que le présent, toi qui quittes tout et tout le monde pour te sentir libre.Tu comprendras un jour que tu es enchaîné à tous ceux à qui tu as dit adieu. Le temps fait de nous des êtres subtils que nous n’aurions pas voulu devenir. Tu voulais être loin et libre. Officiellement, tu l’es. Mais ces gens à qui tu as fait mal te gardent dans leur mémoire, d’ailleurs tu sais que tu y es; c’est ce qui rend la liberté à peine supportable, lorsque l’on est conscient des menottes qui nous lient depuis le moment où nous avons voulu nous en libérer.Faire comme si, faire semblant. On a la vie devant nous, on a le temps ; mais au final, on n’a rien, le sais-tu ?Le temps ne nous appartient pas. On finit toujours pas le comprendre, un jour ou l’autre.Tu m’as emmenée à la gare, nous avons plaisanté sur le chemin. Nous y sommes allés à pied, pour profiter ensemble, une dernière fois, du crépuscule qui inonde Genève d’une couverture de nuit et de lumières. À la gare, j’ai appelé ma tante pour la prévenir de mon départ.Puis nous avons pris place dans la file d’attente devant la douane. Nous avons attendu ensemble. Nous n’avons plus parlé, cette fois. Puis à un moment donné, la queue s’évanouissant dans le couloir jaune hideux, tu m’as serrée dans tes bras, vite et avec une certaine maladresse, avant de m’embrasser sur le coin de la bouche. Ton regard a évité de croiser le mien.Ce baiser ne se situait ni sur la joue, ni sur la bouche, mais quelque part entre les deux. À la commissure des lèvres.C’est ainsi que ce baiser résume bien la nature de notre relation. Balbutiante et imprécise. Une histoire sans tambours ni trompettes, pas vraiment une romance, pas vraiment une amitié. Quelque chose entre les deux, que nous avons apprécié à la fois avec plaisir, mais aussi avec gêne. Sommes-nous amants, amis ? Quelle importance ? Il n’y en a plus. Peut-être ne te reverrai-je plus jamais. Peut-être que cela me manquera.Après le baiser mi-affectueux, mi-amoureux, tu m’as offert un sourire heureux auquel ni l’un ni l’autre n’avons cru. Tu m’as souhaité un bon retour, as ajouté quelques petites choses aimables à la surface lisse et sans véritable contenu – que je n’ai pas trop écoutées.Puis tu es parti.Mes yeux ne t’ont pas regardé partir, t’éloigner de moi, disparaître de ma vue, de ma vie.Juste avant de passer la douane, je les ai peut-être eus, ces regrets aussi vastes que le monde, et je me suis retournée une dernière fois, le cœur lourd. Mais tu n’étais plus là . D’ailleurs, tu n’auras jamais été vraiment là . Tu seras resté un fantôme, toi aussi, dont je chéris et déteste le souvenir.Peut-être t’ai-je cherché des yeux, toute pleine de cette subite envie que j’avais de courir te rejoindre, te serrer dans mes bras, et t’embrasser une dernière fois ; sur les lèvres, avec tout l’amour, et tout le désir, dont je suis capable.Mais j’ai vite effacé cette pensée absurde.ÉpiloguePrendre le train. Se laisser aller au roulement régulier qui me berce. Regarder les montagnes, les pics enneigés, deviner dans l’obscurité les vaches indolentes pendues à leurs cloches dorées, l’herbe verte et lumineuse.Puis les maisons, les poteaux télégraphiques, les fabriques sales et laides. La frontière. La France.Sans doute, tu m’écriras. Tu penseras à moi quelque temps, puis tes messages se feront plus rares. Je penserai à ton anniversaire, tu oublieras le mien. Je t’enverrai des cartes postales, de longues lettres. Tu me répondras, quelques mots au début ; puis mon souvenir s’effacera dans la brise tiède de Genève.Au bout de quelques mois, je t’aurai peut-être oublié, moi aussi. Encore une fois.Sûrement la dernière.Je viens d’un point et retourne à un point. Toute chose cherche à retrouver son origine, et d’y revenir toujours se réjouit.Je reviens à moi-même.Et peu importe que le chemin soit encore long.Tout est là . Dans mon « faire comme si », il y avait ma vérité, mon univers, mes désirs assourdissants de silence, mes prières, mes questions, et mes souffrances.Comme si. Une vague qui reflue, m’inonde, m’emmène, loin.Très loin.Le train file, le paysage défile, et je retrouve le fil de mes espoirs. Qui sait ce qui m’attend, à la gare, à Paris, à la fac, quelque part ? Qui sait ce qui m’attend, au détour du miroir ?Un soupir, un regret, une ombre qui s’efface. Un, deux, trois, je ferme les yeux. Une vague qui m’inonde, me noie, revient à la charge, pour me ramener, loin.Si loin.Un, deux, trois, je saute à pieds joints.Je ferme les yeux. Je peux imaginer ta présence. Je sens ton odeur, je ressens une douleur. Ressentir. Un, deux, trois, une ombre, un éclat. Un souvenir. Déjà plus qu’un mirage. Un visage flou. Je n’y croirai plus. Sans doute, cela va me manquer.Mais mon avenir m’attend. Sans toi. Et je te remercie de me l’avoir fait comprendre.Une fois le train en gare, je ne sais pas exactement ce que je ferai, mais j’oublierai tout.Je te retrouverai enfin, Eva. Toi qui t’étais égarée il y a trois ans, dans les bras d’un homme qui n’aura jamais voulu de toi. Rien, personne, ne justifie qu’on se sacrifie soi-même.Eva. Et juste Eva.Qui peut contrôler nos vies ? Quels pantins sommes-nous, entre quelles mains ?C’est un délit et une innocence, une souffrance et un délice.Une constante renaissance, nous qui tournons dans l’hélice du temps.Where I End And You BeginCarpe diemRADIOHEADHail to the Thief2003Where I End and You Begin(the sky is falling in)There’s a gap in betweenThere’s a gap where we meetWhere I end and you beginAnd I’m sorry for usThe dinosaurs roam the EarthThe sky turns greenWhere I end and you beginI am up in the cloudsI am up in the cloudsBut I can’tI can’t come downI can watch butNot take partWhere I end and where you startWhere youYou left me aloneYou left me aloneX will the mark the placeLike parting the wavesLike a house fallingInto the seaI will eat you all aliveAnd there’ll be no more lies