Depuis bientôt 20 ans Sylvestre Petrucci était l’heureux père d’un marmot.Père célibataire.Cela étonnait nombre de personnes ; l’histoire se révélait pourtant simple.À la fin de ses études, Sylvestre éprouva le besoin de souffler. Normal, quand on a vingt ans.Un peu de tourisme, un peu de fêtes plus ou moins alcoolisées, et une rencontre : une superbe Suédoise répondant au doux prénom de Charlotte. Elle se faisait poursuivre par ses études d’architecture. Ils vécurent quelques mois torrides ensemble.La blonde Scandinave succomba à son charme de beau brun ténébreux. Nez busqué, yeux bleus. Comme son nom l’indiquait, il était originaire de Lorraine. Son père, Corse pur jus, alla travailler sur le continent et épousa une Normande, inspectrice des impôts à Épinal. Double tare rédhibitoire pour la famille paternelle originaire de Calvi. En deux temps trois mouvements, la Charlotte se retrouva avec un marmouset dans le moule ; situation qu’elle négligea dans un premier temps de signaler au père.Lorsque le grand moment vint, elle appela Sylvestre. Ils restaient plus ou moins en relation épistolaire et téléphonique. Elle dépota du gluant et planta le braillard dans les bras de l’heureux papa. Ses études étaient terminées ; elle reprenait la route du Nord, direction Kiruna, presque sur le cercle polaire arctique.Ses parents étaient des gens ouverts d’esprit, mais pas au point de la voir revenir avec un petit Français dans les bagages. Son père travaillait aux mines de fer, sa mère coordonnait les travaux de déplacement de la ville.Charlotte partait rejoindre maman, un travail en poche. Sylvestre ne se voyait pas la suivre dans le Grand Nord ; il ne parlait que cinq mots de suédois : « Jag älskar dig » et « Jag älskar ditt bröst » (« Je t’aime » et « J’aime tes seins ») ; difficile à placer, même pour acheter du pain. Il ne pouvait pas laisser le cadeau à la SPA ; il se démerda comme il put. Elle avait tenu à lui donner un prénom suédois : Torsten. Torsten, comme papy. Jan Torsten Petrucci. Beau mélange…C’est ainsi que Sylvestre débuta sa vie de père célibataire. Un peu Trois hommes et un couffin, à part qu’il réussissait l’exploit de faire les trois hommes et le couffin à lui seul !Il trouva un boulot sympa au muséum d’histoire naturelle, section grands mammifères canidés sauvages, autrement dit le loup. Ce travail lui permit de voyager à travers l’Europe, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Nord.Ses parents l’aidèrent à élever l’artiste.Le père et le fils s’entendaient bien ; ils n’eurent jamais de secrets l’un pour l’autre. Il emmenait son fils lors de certaines de ses expéditions. À quinze ans, le gamin avait déjà fait plus de voyages que beaucoup d’hommes adultes. Torsten connaissait ses origines. Il revit sa mère plusieurs fois, elle venait parfois passer ses vacances en France. Il apprit qu’il avait un demi-frère et une demi-sœur. Il ne se rendit en Suède que deux fois et s’y gela les noix. C’était un pur méditerranéen.Sylvestre ramenait souvent des conquêtes à la maison, parfois pour une nuit, quelquefois pour une plus longue durée qui n’excéda jamais un mois. Toujours en toute discrétion, pour ne pas troubler son fils.Il était d’un naturel bordélique ; beaucoup de femmes en furent rebutées.De se ramener aussi avec certaines bestioles vivantes en effrayaient beaucoup. Ce sont pourtant de charmants animaux. Il se souvenait d’une très jeune louve qu’il dut élever lui-même, donnant le biberon plusieurs fois le jour et la nuit, qui ne le quittait pas d’un coussinet. À six mois, elle était capable de couper un manche à balai d’un seul coup de dents, pour s’amuser. Adulte, elle alla dans un parc animalier, et elle lui faisait la fête à chacune de ses visites.Le plus embêtant, c’est quelle n’admettait pas qu’une autre femelle lui tourne autour.Femelle de n’importe quelle espèce !Devoir aider à élever un enfant rebutait aussi les prétendantes.Au début, Sylvestre cachait ses aventures, puis vint l’âge où il put expliquer les choses de la vie à son fils.Bon élève, bel enfant ; Sylvestre se voyait comme un père comblé. Beau, grand et blond comme sa mère. Doté du sens de l’humour et de l’intelligence de son père comme se plaisait à répéter J.T., son surnom. Son prénom lui valut bien quelques moqueries ; il ridiculisa les moqueurs, se fit des amis parmi les rieurs. Sa carrure refroidissait aussi les plus hardis.Il avait des amies, mais jamais rien de bien sérieux, à la connaissance de son père.Jusqu’à ce qu’il vint demander des renseignements. Il avait un peu plus de 18 ans à l’époque, mais semblait en avoir cinq tellement il semblait gêné.— Papa ? Quelles sont les caresses qui font plaisir à une femme ?Sylvestre en resta comme deux ronds de flan. Il s’attendait à tout sauf à ça !— Parce que tu vois, je suis allé sur Internet, j’ai rien compris. J’ai écouté les copains, j’ai rien compris, à part le fait que ce sont des bourrins. Je suis peut être con !— Tu pourrais demander à une de tes amies.— Et paraître encore plus con !— Bon. Avec les femmes, jeunes ou moins jeunes, il y a quelques règles.— Ouais ?— Quand tu te retrouves avec une femme, sois fort, sois câlin : une femme a besoin de se sentir aimée. Par contre, si elle aime se sentir protégée, elle peut devenir protectrice : n’hésite pas à te nicher dans ses bras comme un petit louveteau. Ne brusque jamais les choses. Faire la grosse brute en intéresse certaines ; n’oublie pas que ce sont très majoritairement de grandes romantiques.— Je ne cherche qu’à connaître les points intéressants d’un corps de femme, pas un cours de philo.— Avant de caresser, il faut t’en approcher, apprivoiser, petit Padawan. Il n’y a pas de points : tout le corps d’une femme réagit aux caresses, des oreilles aux orteils. Pourquoi toutes ces questions ?— Pour rien, simple curiosité.« Curiosité, mon cul ! Il est amoureux et veut éviter de faire une connerie en jouant au blaireau. » se dit le paternel.— Comment sais-tu que tu es amoureux ?— Quand tu penses à elle tout le temps, quand tu perds tes moyens quand tu la vois, quand tu as envie de la prendre dans tes bras et de l’embrasser à tout moment, c’est que tu es amoureux.— Ne raconte pas de conneries.Il le laissa à ses dénégations. Il ne lui en reparla plus pendant plusieurs mois.Sylvestre se disait qu’un de ces quatre il allait se ramener avec une bichette.Il logeait dans un petit studio, ne revenant voir son père que certains week-ends. Lequel espérait qu’il n’allait pas suivre la même voie que lui.Sylvestre habitait une jolie maison, à la sortie d’un village. Pas très loin de la ville. Un (petit) jardin potager, un parterre de fleurs et une pelouse. Alphonse Allais disait qu’il fallait construire les villes à la campagne ; pertinente réflexion.Par une belle matinée du mois de juin, après s’être fait rôtir le dos en désherbant ses rosiers, il buvait une petite bière. Une femme – ou plutôt une furie – envahit son espace vital. Elle avait même embouti le portail avec sa Fiat 500. Le portail résista, la voiture non.— Salopard, abruti, dégénéré ! Rendez-moi ma fille !Non seulement elle l’insultait, mais elle lui tapait dessus, cette folle.Elle ne semblait pas trop âgée ; la fille en question devait être une gamine. Sylvestre ne faisait pas encore la sortie des écoles. D’ailleurs, cela faisait trois ou quatre mois qu’il n’avait pas ramené de conquête à la maison.— Arrêtez, calmez-vous !Il réussit à lui saisir les mains et à la bloquer contre lui— STOP ! Tu vas m’expliquer, oui ou merde ?Il n’avait jamais frappé une femme ; pour une fois il fit une entorse à ses principes quand elle essaya de le mordre ; il la gifla, pas très fort, mais ça claqua bien quand même. Elle se calma.— Vous pourriez m’expliquer, maintenant ?— Rendez-moi ma fille.— Je voudrais bien, mais qu’est-ce qui vous fait croire qu’une fille se cache ici ? Et qui êtes-vous ?— Je m’appelle Nathalie Astier, et ma fille Marie se cache ici !— Enchanté, mais pas de Marie Astier ici. Inconnue au bataillon. Pourquoi pensez-vous qu’elle est ici ?— Ça ! dit-elle en lui jetant un papier à la figure.Maman,Étant donné que tu ne veux pas admettre que je suis une adulte et que Torsten et moi nous nous aimons, je vais partir et vivre avec lui. Ne cherche pas à nous retrouver.Adieu.Je t’aime quand même.Jolie écriture, ronde, douce.— Torsten, c’est bien le prénom idiot de votre rejeton, non ? Un Corse affublé d’un prénom suédois, c’est pas courant. Je suis sûre qu’ils sont ici.Elle avait de la suite dans les idées, cette bonne femme. Des ongles aussi : il avait les avant-bras et les mains griffés, et même une balafre sur la joue.Il essayait de réfléchir vite et bien. Ce n’était pas évident avec cette tigresse qui lui jetait des regards noirs. Il comprenait maintenant les dernières discussions avec son fils.— Les portes sont ouvertes ; cherchez un peu partout dans la maison. Vous verrez que je suis seul.La baie vitrée était ouverte ; elle entra dans le salon comme chez elle.Dix minutes plus tard elle ressortait.— Ils ne sont pas là .— Je vous l’avais dit. Vous êtes comme Saint Thomas. Vous êtes allée voir les flics ?— Oui, ils n’en ont rien à foutre. Elle est majeure.— Vous m’annoncez une nouvelle qui ne m’enchante guère non plus. Je ne tiens pas à ce que mon fils fasse des conneries.— Je le savais, hurla-t-elle, il a enlevé ma fille !— Ho, du calme, il n’a pas dû trop forcer pour l’entraîner, votre fille chérie, vu sa lettre. Si ça se trouve, c’est elle qui est le chef de meute.— Sale individu !Sur ces fortes paroles elle se jeta de nouveau sur lui toutes griffes dehors ; il lui bloqua les bras. Elle lui flanquait des coups de pied. Elle essayait de lui zlataner ses raisons de vivre. Il crut entendre rugir une panthère.— Tu veux une autre baffe ?Essoufflée, elle se calma.— Si nous nous conduisions en adultes, et tentions de trouver une solution ?— La solution, je n’en connais qu’une : je vais partir à leur recherche, et une fois retrouvés leur faire passer l’envie de recommencer.— Je vous accompagne.Le ton étant tellement impératif qu’elle ne tenta pas de répliquer. Il ne tenait pas non plus à ce que cette folle étripe son fils.Quelques coups de téléphone, un formulaire de demande de congés, et le tour était joué.Il fit une valise rapidement et la glissa dans la voiture.Il passa tout de même un coup de fil à ses parents. En retraite, ils coulaient des jours heureux en Corse. Et ils n’avaient pas de nouvelle du Viking.— En route ! Montez. Votre voiture est bonne pour un passage chez le carrossier, nous prenons la mienne. À vous de me dire où nous allons.Elle le regardait, et il la voyait pour la première fois hésitante.— C’est que je ne n’ai pas de valise. Je suis partie sur un coup de tête.— Vous venez d’où ?— De Paris.— Ah ouais, pas la porte à côté. À quelques kilomètres d’ici il y a une grande surface avec une galerie marchande. Nous nous y arrêterons pour vous acheter des bricoles.Sylvestre traînait un peu derrière elle, et l’air de rien l’observait.Une petite brune, yeux noisette, petits seins sous un tee-shirt moulant, jolies petites fesses serrées dans un leggins, elle tenait du modèle réduit. Ses ballerines ne la rehaussaient pas non plus. Lui qui était porté sur les grandes blondes aux yeux bleus et à forte poitrine, elle n’entrait pas dans son type de prédilection.Elle lui jetait des regards en douce. Il la vit même rougir alors qu’elle se choisissait des sous-vêtements. Il ne se sentait pas à l’aise non plus. Un mec seul se baladant dans un rayon de lingerie féminine, ça faisait tout de suite louche.— Je passerais bien par Montpellier pour vérifier si la voiture de J.T. s’y trouve, mais je suis pratiquement sûr qu’il a pris son tacot. Vous avez une idée de l’endroit où ils pourraient se planquer ? Parce que moi, j’en ai deux… des idées.Fallait qu’il arrête de faire de l’humour à deux balles, elle risquait de mal le prendre.— Oui, j’ai un gîte en Lozère, un petit logement que je loue pour les vacances. Il est possible que Marie et votre fils y soient cachés.— Dans quel coin de la Lozère exactement ?— Près du Pont de Montvert.— À peu près 300 km d’ici.Il programma son GPS et ils partirent après avoir fait le plein de carburant.Il allait bientôt revenir dans cette région, ses protégés s’étant invités dans le coin. Ils y semaient le souk. Il venait en repérage, en quelque sorte.Une chose que nul n’avait prise en compte, c’était l’incroyable état des routes lozériennes. Tant qu’ils roulaient sur l’autoroute, pas de soucis. Quand ils en sortirent, la galère commença : le GPS qui devenait fou et les perdait, des routes étroites, sinueuses, au revêtement pire qu’inconfortable qui explosaient les suspensions. Il comprit dès lors les paroles d’un ami qui lui disait qu’en Cévennes on ne calcule pas l’itinéraire en kilomètres mais en heures de route. Ces chemins ne devaient avoir guère changé depuis que la bête du Gévaudan y avait fait des siennes. Il ne s’étonnait pas non plus que les loups se soient installés ici ; ils pouvaient s’y ébattre peinards.De plus, madame Astier lui faisait la gueule, comme s’il était responsable de la fugue de leurs rejetons. Pas une parole ; elle regardait la route, l’air buté.Ils pensaient arriver en début d’après-midi. À 19 heures, ils étaient encore à 10 kilomètres. Heureusement, il faisait beau.Aussitôt arrivés ils allèrent au gîte. Il était occupé, mais pas par les fugueurs : par un couple d’Allemands.— J’avais oublié qu’il était loué. Je suis désolée.Sylvestre l’avait saumâtre, mais devant son air égaré il évita d’en rajouter une couche. Ils demandèrent aux Teutons si à leur avis le gîte avait été occupé avant leur arrivée. Réponse négative. Les deux énergumènes n’étaient pas venus ici.Ils étaient crevés, il se faisait tard. Il proposa à miss Marple de manger et passer la nuit ici, à l’hôtel.Le meilleur restau du coin étant La Truite Enchantée, ils réservèrent le repas du soir et deux chambres. Là , gros os : il ne restait qu’une chambre de libre, une chambre avec un lit pour deux personnes.Il n’avait jamais vu un visage se décomposer de cette façon. D’abord l’incompréhension, puis la stupeur, et enfin la confusion.— Je dormirai dans la voiture.Parfait gentleman, il se sacrifiait pour protéger sa pudeur.Une petite fête se déroulait dans les rues ; un genre de banda passait dans les ruelles, jouant et chantant. Obsédés par leur recherche, ils avaient oublié le 21 juin, accessoirement le jour de la fête de la musique.Tout en sirotant une bière et un jus de fruits, ils écoutaient les musiciens et regardaient les passants, attablés à la terrasse d’un bar. Le Tarn chantait joyeusement près d’eux.— Vous vivez seul avec votre fils ?— Oui. Enfin, jusqu’à ce qu’il parte à la fac. Il habite un petit meublé en ville.Il lui raconta sa vie de père célibataire, la relation de confiance établie avec son fils. Le coup de foudre avec Charlotte, son départ. Il était toujours en contact avec elle. Il lui fit part d’une de ses idées : que J.T. et Marie soient partis en Suède.Il lut l’affolement dans son regard.— Monsieur Astier ne vas pas vous aider ?— Il n’y a pas de monsieur Astier. Le père de Marie s’est carapaté en vitesse quand il a su que j’étais enceinte. J’ai élevé ma fille seule. Elle est toute ma vie. Je l’ai peut-être surprotégée, ne voulant pas qu’elle se retrouve dans la même situation que moi. — Nous avons presque le même parcours.— Vous n’avez jamais rencontré quelqu’un ?— Un père célibataire, un peu bordélique… J’ai connu quelques femmes, ça n’a jamais marché longtemps. Et vous ?— Jamais. Plus confiance aux hommes.Elle dit cela sur un ton sans appel.Madame devait avoir des toiles d’araignées dans la moniche.Lors du repas, ils discutèrent de choses et d’autres ; il apprit ainsi qu’elle avait 38 ans.— Je ne comprends pas ; mon fils poursuit ses études à Montpellier, votre fille à Paris. Comment se sont-ils rencontrés ?— Elle est venue y faire un stage ; elle a voulu rester encore un peu, pour se reposer m’a-t-elle dit. Je réalise seulement maintenant.— J’ai eu quelques discussions avec mon fils ; avec le recul, je comprends mieux certaines de ses questions.— Lesquelles ? demanda-t-elle, agressive.— Comment sait-on que l’on est amoureux.— Ah ?Il la sentit un peu rassérénée. Un amoureux pouvait faire des conneries, pas être dangereux.— Comment m’avez vous retrouvé ?— J’ai déniché un numéro de téléphone fixe. J’ai trouvé l’adresse grâce à son nom corse et son prénom farfelu ; je suis venue. J’ai presque torturé un de ses voisins et ami, qui m’a donné votre adresse. Voilà  !Bien ce qu’il disait : une véritable miss Marple.— Que faites-vous comme travail ?— Je suis illustratrice de livres pour enfants ainsi que de livres animaliers, et je peins pour le plaisir.— Des livres animaliers ? Nous avons des centres d’intérêts communs.Il lui expliqua son travail.— Les loups ? Ils n’ont pas bonne réputation.— C’est vrai ; ce sont de sales bêtes irresponsables. La pollution des nappes phréatiques en Bretagne par les nitrates, ce sont les loups ! La disparition des abeilles, ce sont les loups ! L’apparition de cancers ou anomalies génétiques à cause des pesticides, fongicides ou autres insecticides, c’est encore les loups.— Mais…— Les loups protègent leurs petits comme des damnés ; il leur arrive même d’élever des petits humains. Pouvez-vous m’assurer que votre jean ou votre chemisier n’ont pas été fabriqués par un enfant esclave au Pakistan ou au Bangladesh ?Elle avait touché une corde sensible ; elle s’en rendit compte.— C’est la même chose avec les requins. On fait un drame lorsqu’un abruti se fait bouffer en allant nager dans une zone interdite. Mais combien de requins sont tués chaque jour pour le bien-être de quelques nantis ?— Oui, mais…— Je sais, c’est aphrodisiaque… Quand il n’y aura plus de requins ou de rhinocéros, que trouvera-t-on d’autre comme aphrodisiaque ? Peut-être des couilles de Chinois séchées ? Si vous désirez sauver un requin, mangez un Chinois.Il venait de donner un cours d’écologie vite fait.Le soir commençait à tomber ; ils firent un petit tour dans le village. Le Pont de Montvert by night n’est guère animé, bien qu’aujourd’hui il restait quelques promeneurs. La fraîcheur s’installait. Nathalie mit un gilet sur ses épaules.— J’ai un peu honte ; vous allez avoir froid dans la voiture. Ça ne me dérange pas en fait de partager le même lit. En tout bien tout honneur.— J’ai déjà dormi à la dure.— Non, non, j’insiste. Je ne tiens pas à vous rendre malade. De plus, vous êtes fatigué par la route.C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent dans la chambre, tout intimidés. Il la laissa utiliser la salle de bain en premier, faire sa toilette et se changer pour la nuit. Il regardait à la fenêtre quand elle revint. Il évita de l’observer, mais alors qu’elle se glissait dans le lit il eut la vision fugace d’une jolie jambe en partie cachée par un long tee-shirt.Il se lava, passa un caleçon et revint. La chambre était sombre ; il ne savait pas si elle dormait. Il se coucha le plus doucement possible.— Où nous emmènerez-vous demain ?Elle s’était calée sur le bord du lit. Le plus loin de lui.— J’ai une petite maison familiale dans les Vosges, près de Gérardmer, à Xonrupt exactement. Je m’y rends l’été, quand il fait trop chaud chez moi. C’est un chalet. Mon fils connaît bien. Ils s’y sont peut-être cachés.— J’espère. Vous avez l’air confiant ou je me trompe ?— Dormez bien !Il n’avait pas envie de lui répondre par la négative et déclencher une nouvelle crise.__________________Il était 9 heures lorsque Sylvestre ouvrit un œil. Il n’arrivait plus à savoir où il se trouvait.Surtout que quelqu’un semblait collé à son dos : il possédait un troisième bras sur le ventre, et deux pieds étaient glissés entre ses jambes. C’était une femme. Qu’avait il bien pu faire hier soir ?Tout lui revint lorsque la personne en question se réveilla aussi.— Que faites-vous là  ? Qui êtes-vous ?— Madame Astier, bonjour. Bien dormi ?— Oh, c’est vous, lui dit-elle en se sauvant à l’autre bout du lit.— Vous aviez raison, il fait un peu frais ce matin. Merci de m’avoir réchauffé.Il lui sembla discerner un peu de confusion sur son visage.— Je vous laisse traîner un peu au lit ; je vais me débarbouiller et m’habiller.Avant de pénétrer dans la salle d’eau il eut de nouveau la joie de voir une jolie cuisse sortie de sous la couette.Il avait oublié combien une femme pouvait mettre de temps à faire sa toilette, enfiler une robe et se passer quelques traits de maquillage sur les yeux et les lèvres.À 10 heures 30 ils terminaient le petit déjeuner sur la terrasse alors que la patronne préparait les tables pour le repas de midi. Ils gênaient un peu.À 11 heures ils se mettaient en route et entamaient une dispute qui allait durer deux jours.Entrer en Lozère semblait compliqué ; en sortir relevait d’une épreuve digne des travaux d’Hercule. Quelle route choisir pour rejoindre les Vosges ? Elle proposait Clermont Ferrand et l’A75 ; lui, le Puy, Lyon et l’A6. Seul problème : sortir de Lozère. Il conduisait, il décidait. Provoquant la grande colère de sa passagère.Il était 19 heures tapantes lorsqu’ils atteignirent Mâcon. Épuisés.Il lui était déjà arrivé de voir une femme en rogne ; mais là , il côtoyait la championne toute catégories. Elle était furax. Ils étaient pressés et venaient de faire à peine 300 km en 8 heures.À sa décharge, ils avaient tout eu. Des troupeaux de vaches en goguette et une transhumance de quelques milliers de moutons, ainsi que des tracteurs chargés de foin. Puis des files de camions dans les traversées de villages et des bouchons sur l’autoroute. Et pour couronner le tout, une crevaison.Bien évidemment il n’avait pas de roue de secours, juste une roue galette.Il crut même qu’au comble de sa colère elle allait lui flanquer la manivelle sur la tête. Elle se contenta de trépigner au milieu de la route. Deux vaches Aubrac aux longues cornes la regardaient, intéressées. Alors que Sylvestre était toujours accroupi à côté de la voiture et que Nathalie terminait sa danse du scalp, elle se rua sur lui et escalada les épaules masculines en hurlant.— Qu’est-ce que vous avez encore inventé pour me pourrir la vie ?— Là  ! Là  ! rugissait-elle en montrant un truc sur la route.Sur le bitume, une grosse sauterelle se baladait et agitait ses antennes vers ces drôles de bestioles.— Elle va me sauter dessus.— Vous ne pourriez pas vous reposer un peu ? Toutes ces conneries, ça use !— Maintenant je dis des conneries, alors que j’ai failli me faire dévorer par ce monstre. Sale type !Il secoua la tête en serrant le dernier écrou.Ils n’avaient mangé qu’un sandwich maigrelet acheté à prix d’or sur une aire de repos tandis qu’il faisait réparer son pneu. Impossible de se traîner à 80 km/heure pour le restant du trajet.Alors qu’elle mâchouillait son jambon-beurre, Nathalie continuait de râler.— Même pas capable de traverser la France en une journée ! Je vous l’avais bien dit de prendre par Clermont.— La prochaine fois vous prendrez le volant, vous ferez mieux !— Il n’y aura jamais de prochaine fois ; et dire que ma fille est partie avec votre rejeton…— Les troupeaux sur la route, c’était ma faute ? Les bouchons aussi ?— OUI ! Et si votre tas de boue n’avait pas crevé…— MON tas de BOUE ? Osez dire encore une fois que ma Subaru est un tas de boue, et vous finirez la route à pince.— T@sdboûquandm^m, dit-elle entre ses dents.— Si vous ne mettiez pas autant de temps à vous peinturlurer le visage chaque matin, nous aurions pu partir plus tôt.— Vous pouvez causer, avec vos cheveux en bataille et votre barbe de trois jours, genre Indiana Jones du pauvre…— Savez ce qu’il vous dit, Indiana Jones ?— Certainement la même chose que la peinturlurée !— Je veux retrouver mon fils avant qu’il ne fasse une connerie en épousant votre fille. Si c’est une emmerdeuse de votre acabit, je le plains.— Je suis une emmerdeuse ?— La politesse m’empêche de donner le terme exact ! Vous êtes pire qu’un nuage de sauterelles ! Pire que les dix plaies d’Égypte réunies ! Je comprends pourquoi vous vivez seule, pourquoi votre fille s’est cassée : faut se le farcir, votre caractère !Sur ces fortes paroles, elle éclata en sanglots. Il n’était pas fier de lui mais ne fit pas d’excuses.Il possédait lui aussi un doctorat ès tête de cochon.Ils étaient tous deux sur les nerfs.Après avoir failli emboutir un camion, il sortit à Mâcon. Il leur fallait dormir. Malheureusement il s’y déroulait ils ne savaient quel festival d’œnologie, et tous les hôtels affichaient complet. Tous sauf un. Le plus sélect. À 210 € la chambre, la dispute passa au second plan. « Le Château de la Barge : beau nom pour passer la nuit avec une hystérique ! » se dit-il.Ils allaient de nouveau dormir ensemble. Cela devenait une habitude.Un repas dans une pizzeria, et au dodo.— C’est la suite nuptiale, se rengorgea le loufiat qui les cornaquait jusqu’à la chambre.— C’est juste ce qu’il nous faut, ironisa Sylvestre.Le regard noir de sa compagne de voyage l’incita à ne pas pousser la plaisanterie.Cette fois il regardait un peu mieux cette chipie venir se coucher.— Arrêtez de me reluquer !— Je ne reluque pas : j’essaie de comprendre. Je me demandais simplement comment vous m’avez tenu chaud ce matin. Vous n’avez pas grand-chose sur les os. Des gambettes de sauterelle.— Tous les mêmes : obnubilés par les gros nibards et les grosses fesses. Obsédé !— J’aime en avoir pour mon argent.— Sale type… J’espère que votre fils ne vous ressemble pas.Réponse de la bergère au berger.Sur ces fortes paroles ils se tournèrent le dos et sombrèrent dans le sommeil sans se souhaiter une bonne nuit.__________________Le lendemain matin, une agréable sensation lui chatouillait le ventre. Il rêvait qu’il serrait contre lui une sublime créature, un bras passé par-dessus sa taille, ses doigts posés sur un sein.— Votre machin est en train de prendre ses aises entre mes cuisses. Dégagez !Sylvestre se réveilla en sursaut.Effectivement, sa grosse bébête hissait les couleurs. Elle avait faufilé la tête dans la braguette du caleçon. Après s’être retourné, il se dirigea vers la salle de bain, se déplaçant en crabe, les mains devant lui pour cacher tant que possible le machin en question.Pour la première fois il la vit sourire. À ses dépens, mais sourire tout de même.Ils reprirent la route très vite cette fois. À 10 heures 30, presque un exploit.Elle semblait incapable de se préparer sans un minimum de cérémonial.Alors que se préparait un orage redoutable, le petit chalet fut en vue en milieu d’après-midi. Malheureusement vide. Personne n’y avait habité depuis l’hiver dernier, quand Sylvestre et Torsten y étaient venus skier.— Venez, je vous emmène au restaurant.— Non, je ne veux voir personne.— Dans ce cas, je vais faire quelques courses ; vous m’accompagnez ?Ils achetèrent quelques victuailles à l’épicerie du village. Alors qu’ils revenaient, les vannes du ciel cédèrent. Les quelques mètres séparant la voiture du chalet suffirent à les tremper jusqu’aux os.Cette dernière avanie acheva la malheureuse Nathalie. Elle craqua. Pleurant, gémissant, hurlant sa peine aux cieux, s’accusant de tous les maux, se traitant de mauvaise mère.— Je suis une mère indigne ! Une Thénardier ! J’ai honte… hurlait-elle, les cheveux dégoulinants.Après, tout devint confus.__________________— Papa ?— Maman ? Qu’est que vous avez fait ?— Grble, ma tête…— Kékécé ?Une créature à ses côtés venait d’émettre un râle à côté duquel un T-Rex aurait eu la voix de Pavarotti.— Papa ! Regarde un peu le bordel que vous avez foutu ; t’es con ou quoi ?— Crie pas, mes neurones s’entrechoquent.Une femme s’époumonait depuis la cuisine :— Jan, ils ont siroté une bouteille de mirabelle à eux deux !Sylvestre ouvrit difficilement un œil. La lumière lui perforait le cerveau. Il était au pieu, à poil. Une femme lui serrait la queue. Sa main posée sur un sein, leurs jambes entremêlées.Nathalie se leva en criant et partit vers la salle de bain, enroulée dans le drap.Il plaqua un oreiller sur son service trois-pièces quand une jeune femme entra dans la chambre. La copie conforme de Nathalie, en châtain clair, et avec quelques taches de rousseur sur le nez. Et le même gabarit de poche.— Mais qu’est-ce vous avez foutu ?— N’a voulu faire des crêpes. Et on a pas tout bu, la bouteille était déjà entamée.— N’importe quoi.Quelque temps plus tard, les deux enfants faisaient du café très fort et engueulaient leurs parents. Ils avaient passé quelques vêtements. Bizarrement, ils étaient tout empégués.L’orage n’avait laissé derrière lui que des feuilles hachées par la grêle et le vent. Ils sirotaient leur café installés sur la terrasse. Le ciel sans nuages se reflétait dans le lac. — Nous nous sommes fait du souci pour vous. Quand Jan est arrivé chez lui et qu’on a vu ta voiture accidentée, maman, nous avons tout imaginé ; mais ÇA, je ne l’aurais jamais cru de toi !— Vous étiez où, VOUS ? On vous cherchait, je me suis fais un sang d’encre moi aussi. Ta lettre m’a terrifiée.Nathalie suivait les principes de Napoléon : la meilleure défense, c’est l’attaque. Mais elle tomba sur un os.— En effet. Je vois, oui ! Tu semblais terrifiée ce matin ! On est allé chez tatie Patricia ; si tu l’avais appelée, tu nous aurais trouvés.— Pas pensé à cette vieille chipie. Je suis allée voir tout de suite son père, pour l’engueuler.— Si c’est comme ça que tu engueules les gens maintenant, tu as changé… Restez ici, nous allons nettoyer vos conneries. Après, on s’expliquera.Ils se faisaient l’effet deux gamins qui prenaient une remontrance de papa et maman. Le monde à l’envers.— Tu te souviens de quelque chose ? demanda Nathalie.— Pff, vaguement. Nous sommes allés à l’épicerie du coin acheter deux ou trois bidules. On voulait faire des crêpes.— Les crêpes !— En revenant, nous nous sommes pris l’orage. Tu pleurais, tu disais que tu étais une mauvaise mère.— Je me souviens. Puis les plombs ont sauté ; tu as dégotté des bougies. J’avais peur et je pleurais.— Alors je t’ai prise dans mes bras pour te consoler et te rassurer. On a bu de la mirabelle pour se remonter le moral.— C’est quoi ce truc ?— Mirabelle artisanale. On s’en sert comme combustible pour la fusée Ariane.— Je te crois : ça m’a arraché les cordes vocales.— Je t’ai embrassée. Au début on était habillés, et je ne sais pas pourquoi, on s’est retrouvés tout nus.— Tu me mettais de la farine partout. Tu ne voulais pas me salir.— Après, je ne sais plus trop. Enfin si, je me rappelle, mais je ne pense pas qu’on ait pu faire tout ça !— Je crois bien que si… Pour me réconforter, j’ai voulu un sucre d’orge ; il me faut des sucreries quand je déprime. Tu m’en as fabriqué un. Tu as mis du miel sur ton… et je l’ai sucé.— C’est pour ça qu’il est tout collant !— Oui, puis après tu m’as assise sur le bord de la table de la cuisine et tu m’as prise, le cul dans la farine. Tu hurlais que tu m’aimais et que tu voulais me fariner les miches.Marie confirma la chose. Il y avait bien la trace des fesses de sa mère dans la farine !— J’ai d’ailleurs apprécié la taille de ton engin, mais surtout la façon que tu as de t’en servir : tu es très doux et très compétent.Les hommes ont toujours été sensibles à ce genre de compliment, contents de savoir leur sucre d’orge de taille respectable mais aussi que les femmes sont satisfaites de leur façon de l’utiliser.— Merci, lui dit-il tout guilleret, et après ?— Je t’ai dit « Retourne-moi comme une crêpe » ; j’ai voulu que tu me…— … ?— Je n’ose pas le dire. Je voulais que tu me prennes par derrière, dans le postérieur.— La vache !— Je n’avais jamais demandé ça. Je ne sais pas ce qui m’a pris.— Désolé. J’espère que tu n’as pas eu mal.— Je n’ai pas eu mal du tout : tu n’as pas pu.— Ah bon.Il était un peu déçu quand même. Elle remarqua son dépit.— Tu étais encore bien en forme ; d’ailleurs, je n’ai jamais vu ça : je n’ai pas compté le nombre de fois que nous avons fait l’amour. Et que nous avons… joui.Elle dit ce dernier mot tout bas.Dans la cuisine, ils entendaient les enfants râler et discuter.— Entendre sa mère raconter ses frasques sexuelles, c’est le pompon !— Tu n’as pas pu parce que ça n’a pas pu entrer. Et comme tu ne voulais pas me faire du mal, tu n’as pas forcé. Tu ne voulais pas me démonter le pot catalytique, disais-tu.— Je m’en souviens, maintenant.— Je t’ai crié alors que tu ne m’aimais pas et me suis remise à pleurer. Je n’arrêtais pas de crier ou de pleurer.— Ça me revient : pour te prouver le contraire je t’ai enduite de Nutella et t’ai léchée partout.— Tu en avais mis sur mes seins, ma minette. Tu disais que tu n’avais jamais goûté de Nathalie au Nutella.À ce moment sa fille passa la tête par la fenêtre et cria :— D’ailleurs, Sylvestre, tu as encore du chocolat sur les lèvres et le bout du nez !— Mon père fourre son nez partout, c’est bien connu.— Je dois dire que quand tu as léché le chocolat, surtout sur le bout de mes seins et… plus bas, mon cœur s’est mis à battre comme jamais. C’était la première fois que quelqu’un me faisait ça.Sylvestre avait la bouche de plus en plus sèche.— Mon Dieu, que c’était bon ! J’avais oublié qu’il y avait des points aussi sensibles sur mon corps. Quand tu as posé tes lèvres sur mon sexe, j’ai cru exploser ; mon ventre s’est liquéfié.Il hocha la tête, affirmatif.— J’ai eu honte aussi.— Pourquoi ?— Tu as dû le remarquer, je suis assez… touffue. Je ne m’épile pas, je ne suis pas comme certaines femmes toutes lisses.— La seule chose qui m’ait marqué, c’est que c’est tout doux. Comme une jolie petite bête, un alpaga.— De l’alpaga ?— C’est un animal que j’adore.Dans la cuisine, Jan murmurait :— C’est la plus étrange déclaration d’amour que j’ai jamais entendue.— Ils sont si mignons…— J’espère simplement qu’il ne va pas lui dire que son alpaga lui a craché au visage.— Impossible d’être sérieux trente seconde avec toi, ronchonna Marie en lui flanquant une tape sur les fesses.Heureusement, les deux parents n’entendirent rien de cet aparté.— En tout cas j’ai apprécié, répondit Nathalie.Rougissante, elle semblait presque regretter de l’avoir avoué.Sylvestre avait la voix enrouée lorsqu’il lui dit : « Tout le plaisir était pour moi. »Pour libérer un peu la tension, il tenta de reprendre la conversation :— On en tenait une bonne !— Ce n’est pas fini : tu m’as mordue, dit-elle en montrant son épaule.Il pouvait voir des traces de dents.— J’étais à genoux sur le canapé ; tu étais derrière moi, tu me tenais par les hanches et tu me bourriquais. Tu disais que tu étais mon grand loup, ma Bête des Vosges, et tu poussais de grands « Ahoouu ! »— Oh non, c’est pas vrai ! La Bête des Vosges…— Je dois t’avouer quelque chose : je n’avais plus jamais fait l’amour depuis la naissance de Marie.— Ah bon ? dit-il d’une petite voix.Il repensa aux toiles d’araignées.— Je ne regrette pas de t’avoir rencontré. J’ai vraiment aimé ce que nous avons fait. Je n’étais pas aussi saoule que ça.Elle semblait tout intimidée en le confessant.— Moi non plus. Je me souviens même de te voir assise sur moi, te secouant en tous sens en criant « Encore, encore ! »— Toi, tu répétais en boucle « Nathalioui, Nathalioui… »— Marie ? Il faut vraiment qu’on les surveille. De véritables ados.— Ils commencent à me courir sur le haricot, nos deux petits morpions, là .— Tu m’as dit que tu collais comme un papier tue-mouche ; voudrais-tu venir prendre une douche avec moi ? minauda Nathalie.— Euh, pourquoi pas ?À ce moment-là , Marie sourit en les voyant partir vers la salle d’eau et secoua la tête.— Qu’est-ce qu’on va faire de vous ?— Ils sont pénibles, mais ils tiennent encore la forme pour leur âge !Il lui sembla percevoir de l’admiration dans la voix de son fils.Avant d’entrer dans la salle d’eau, il lança à Jan :— Tu seras un homme comblé mon fils, et j’espère que je serai bientôt un jeune papy heureux.— Tu ne crois pas si bien dire… lui répondit Marie.Il oublia vite ces propos sibyllins alors que Nathalie l’enduisait de savon.Dans son idée, la douche n’était qu’un prétexte. Avec le gel douche, elle entendait bien continuer ce qu’elle avait entrepris la veille.♥♥♥♥En cette Saint Valentin, Torsten et Sylvestre se soutiennent mutuellement et braillent une chanson paillarde : « La petite Natahalie m’avait bien promis trois poils de son… » Ils entrent dans la chambre en titubant quelque peu.— Messieurs, Messieurs, du calme ! Asseyez-vous.— On est reviendus… revedus, hic !— Ils en tiennent une bonne, tous les deux.Une infirmière bien gentille les fait asseoir de force dans des fauteuils.— C’est fréquent chez les hommes. Lorsqu’on leur demande s’ils veulent couper le cordon, soit ils tombent dans les pommes, soit ils prennent une cuite après. Les vôtres ont fait les deux.— C’est padn’ot faute, argumente le fils.— Ouais, c’est à cause de l’offi… l’offichier… l’ossifié…— L’officier d’état civil ? demande Nathalie— Vi ! Le gus de la mairie, quoi !— Tout allait bien quand Jan a déclaré la naissance de son pitit. Papa : Jan. Maman : Marie. Aucun souci.— C’est quand papa a déclaré votre enfant que ça a mal tourné.— Voui, quand je lui ai dit que notre petite était en même temps la sœur de Jan et la sœur de Marie, il s’est fâché. Il nous a dit des gros mots. Qu’on avait fait ça rien que pour l’emmerder. Qu’on était des malades, des obsédés, des tordus. Qu’il avait autre chose à faire.— Bref, pour lui spliquer le tout, on a été au bistrot ! Hic ! Tous les trois.— On a pris que de la mirabelle et de la bière. Bios ! Peut pas faire de mal !— Des mirabièrebios quoi !— Y doit encore y être, y essaie de dessiner un arbre gynécologique, hic !— Je crois qu’il est dans un état pire que nous.— J’ai déjà vu de belles cuites, mais une comme ça, c’est assez étonnant. Je ne vous dis pas l’encéphalorectomie qu’ils vont se farcir demain.— Une quoi ? demande Marie.— La tête dans le cul, précise l’infirmière.— Allez, mon grand loup, repose-toi. Tes parents rappliquent de Corse dare-dare.C’est bien beau de jouer à la Bête des Vosges qui fait « Ahoouu ! », mais il peut y avoir des conséquences.Nathalie et Sylvestre sont heureux de vous annoncer la naissance de leur petite Sandra Lou, le 14 février en la maternité de Saint-Dié des Vosges.Marie et Jan Torsten sont heureux de vous annoncer la naissance de leur petit Garou le 14 février en la maternité de Saint-Dié des Vosges.Sylvestre, contre toute attente, est devenu papy et papa le même jour.— J’ai penché à toi, ma série. J’ai acheté 10 kg de Nathella…de Nutellie… Bref, du machin au chocolat.— Tu vas grossir ; mais c’est gentil. J’en donnerai quelques pots aux enfants, il faut qu’ils apprennent à s’en servir.Sylvestre gît, avachi à côté du berceau de sa fille, tandis que Torsten ronfle déjà comme un A380 au décollage. Avant de sombrer lui aussi du côté obscur de la cuite, Sylvestre a le temps de murmurer :— Nathalie ?— Oui, mon Grand Loup ?— Si l’amour était un poil, je t’offrirais le Portugal.