— Bonjour Adrien. Je m’appelle Laure. Peut-être te souviens-tu de moi ? J’aimerais beaucoup te parler.Je regardais avec étonnement cette jolie brune, souriante, épanouie, habillée avec goût qui m’abordait de façon aussi abrupte ce dimanche après-midi, en pleine rue du centre ville. Je l’observais attentivement, cherchant dans son visage, qui se prêtait avec amusement à mon examen, le trait dont j’aurais pu me souvenir. J’étais sur le point de donner ma langue au chat, mais si je ne reconnaissais pas la personne, le prénom évoquait des souvenirs relativement anciens bien que neutres. De la maternelle à la fin du primaire, j’avais connu une fillette qui portait ce prénom, une gamine exubérante à laquelle, moi garçon timide, j’avais disputé avec acharnement la tête de notre classe.— Laure Dupuis ? Tu…— Mais oui, tu as toujours eu bonne mémoire. Évidemment j’ai changé, mais je suis heureuse que tu m’aies reconnue. Pourtant à l’époque nous étions plutôt concurrents qu’amis. Pendant des années j’ai fait des efforts pour te battre au classement et quand j’y parvenais j’étais fière. Cette émulation était formidable.— Effectivement, c’est la raison de la résonance de ton prénom. Tu as vraiment changé et je ne t’aurais pas reconnue. C’est que tu es devenue une très belle jeune femme, si je peux me permettre un compliment.— Merci. Alors accepterais-tu de me consacrer un peu de temps ?— Mais bien volontiers. Asseyons-nous à cette terrasse. Puis-je t’offrir une boisson ?Qu’avait à me dire cette attrayante créature ? Alors que j’avais suivi ma scolarité dans des établissements publics, collège puis lycée, ses parents l’avaient inscrite dans un établissement privé de bonne réputation, et depuis l’entrée en troisième je ne l’avais plus côtoyée, vue ou rencontrée en dehors des vacances. Toujours accompagnée de copines et entourée d’une cour de garçons, elle paraissait inaccessible au garçon gauche, mal à l’aise dans son corps en pleine croissance que j’étais alors. Mais à sa manière de provoquer un entretien, je retrouvais sa façon directe de s’adresser à son entourage.— Compliment pour compliment, je trouve que tu es devenu un beau jeune homme. Cet uniforme et ton képi te vont à ravir. Tu es militaire et gradé ?— Si c’est l’uniforme qui a attiré ton attention, profite vite de la vue, dans trois mois j’aurai fini mon service militaire. Pour le grade, je suis aspirant. Il s’agit fort heureusement d’une situation provisoire. Mais toi-même que deviens-tu ?Après le bac elle a préparé une licence et espère entrer dans l’enseignement au sortir de l’IUMP dans un an. Après quoi elle fondera un foyer avec le brave garçon qui voudra d’elle. Je l’ai connue plus directe en cour de récréation pour désigner le garçon qui lui plaisait. Je n’avais jamais été son petit ami. Et je n’en avais pas souffert. Elle ne connaîtra aucune difficulté à trouver un mari.— Et que feras-tu en quittant ce bel uniforme ? C’est dommage, il te va si bien.— J’ai été admis dans une école supérieure de commerce et je compte en sortir dans trois ans avec un diplôme intéressant pour entamer une carrière professionnelle. Et comme toi, j’espère rencontrer un jour la femme de ma vie pour fonder un foyer.— Parce que tu es toujours célibataire ? Alors, ne cherche plus, la femme de ta vie est devant toi. Tu es resté le bosseur, un vrai battant, mais tu as pris de l’assurance. Avec ou sans uniforme je trouve que tu feras un excellent parti. Je pose ma candidature.J’en suis très flatté. Mais elle n’est pas sérieuse. Ou elle est fêlée ! Belle et rayonnante, elle ne peut pas être célibataire ou les garçons sont devenus fous ! Elle a certainement un ami ou un fiancé, le contraire est inconcevable. Je sens le piège, je cherche du regard la caméra cachée et les complices qui vont surgir et s’esclaffer si je mords à l’hameçon.Mais ses yeux ! Ciel, quelle comédienne, elle paraît sincère, attend une réponse. Pour moi l’attaque a été si étrange, si rapide, si inattendue, si invraisemblable. J’en suis abasourdi, je reste incrédule, incapable de trouver une réponse immédiate et adéquate. La proposition ne correspond pas à mes attentes. Je ne suis pas insensible aux charmes des jeunes filles, mais mon projet de mariage n’a rien d’actuel. Dans quatre ou cinq ans, pas avant, quand j’aurai de quoi entretenir une femme, j’aurai le temps d’y penser.Si demain une belle fille me déclare qu’elle a envie de faire l’amour avec moi et que ce sera sans suite, je lui accorderai satisfaction, je saurai la caresser, exécuter selon ses désirs les figures du kamasoutra, je lécherai son minou jusqu’à l’extase, je n’oublierai aucune partie de son corps, je la masserai, je la prendrai, je lui donnerai son plaisir. Et comme convenu nous nous dirons au revoir ou adieu. Je veux bien rendre service et en tirer un plaisir réciproque. J’attends l’amatrice, mais je ne promets pas le mariage. Enfin, l’occasion ne s’est jamais présentée, il est facile de fantasmer, le passage à l’acte n’est pas évident et il est aussi possible de prévoir une prudente retraite ! Mais prendre un engagement définitif aujourd’hui !Laure est belle, troublante, mais quelle mouche l’a piquée, pourquoi se jette-t-elle à ma tête ? Si elle est sincère, si ce n’est pas une farce de mauvais goût, si elle ne s’est pas laissé influencer par le prestige de l’uniforme, pourquoi cette hâte soudaine ? A-t-elle peur d’être devancée par une autre ? Elle a toujours eu l’esprit de compétition ; mais à bien examiner les choses, nous sommes pratiquement des inconnus. Je ne sais pas grand-chose d’elle, que peut-elle savoir de moi ? Elle n’a saisi que des apparences. Sans être Apollon, je suis physiquement convenable, c’est tout ; à peine « amélioré » par la tenue. Les goûts, les valeurs, les aspirations, les caractères : que d’inconnues ! On ne s’engage pas à la légère pour une bonne bouille ou pour la cambrure d’un dos, pour l’arrondi d’une croupe ou pour des yeux bleus ou des cheveux bruns !— Ma chère Laure, peut-être es-tu la femme de ma vie, tu es magnifique, si belle, je dirais trop belle pour moi. Je n’aurais sans doute jamais osé t’adresser une demande comme celle que tu me fais. Mais pour rien au monde, je ne voudrais perdre la chance que tu m’offres. Malgré tout, c’est une surprise si soudaine, si agréable aussi, que je te demande le temps d’y réfléchir. Avant de m’engager, je veux apprendre à te connaître, je veux que tu apprennes à me connaître. Tu es adorable, mais sommes-nous compatibles ? Tu dois avoir une longueur d’avance sur moi pour vouloir déjà me choisir comme le brave garçon qui voudra de toi. Je ne m’attendais pas à provoquer un coup de foudre.— C’est exactement ça : le coup de foudre. Je t’ai aperçu hier. Tu es le bel homme que j’attendais et je me suis souvenue du bon petit garçon sérieux et appliqué de l’école, j’ai constaté que tu étais toujours aussi volontaire et secrètement ambitieux, tes projets d’avenir me plaisent : tu corresponds à mon idéal d’homme. Toute la nuit, j’ai rêvé de toi, j’ai donc décidé de me déclarer avant de te voir dans les bras d’une autre. Parfois il faut forcer le destin. Ça te fait sourire.— Es-tu prête à vivre de longues absences ? Demain je repars en Allemagne pour terminer mon temps. Aussitôt après je pars pour trois ans à plus de 300 kilomètres et je ne reviendrai dans la région que pour de courtes vacances, peut-être pour des stages en entreprise. Je suis extrêmement touché par ta «candidature» et tout disposé à donner la meilleure suite. Tu vois, j’en tremble et j’en bafouille. Ouf, pardonne-moi de ne pas sauter de joie, comme je le devrais.— Je t’ai brusqué sans doute. Je n’en suis pas mécontente si tu t’en vas demain déjà . Maintenant tu sais : au pays une fille va t’attendre, elle est amoureuse de toi. Si tu m’accordes une chance, je saurai patienter autant qu’il sera nécessaire. Mais il faut que je t’embrasse.Sitôt dit, sitôt fait. J’ai à peine eu le temps de me lever pour recevoir sur chaque joue un gros baiser chargé d’émotion.— Veux-tu te promener avec moi ?Nous déambulons sur les trottoirs. Elle a pris ma main, balance nos bras avec malice, guette la surprise dans les yeux des passants, fière d’avoir apprivoisé son beau militaire. Je suis moi-même très fier de marcher entraîné par cette magnifique « conquête ». Le photomaton de la grande surface a immortalisé ce moment exceptionnel. Nous avons posé tête contre tête, tout sourire. Au sortir de la cabine, un baiser surprise sur les lèvres m’a remercié de ce souvenir heureux à partager. Étourdi, je saisis la douceur sucrée de son rouge à lèvres tandis qu’elle évalue du coin de l’œil mon degré d’émotion.Car ce traitement de choc me bouleverse de la pointe des pieds à la racine des cheveux, comme un tremblement de terre dont l’épicentre se situe à environ quatre-vingts centimètres du sol. Cette fille va me rendre fou, tous mes sens sont en alerte, mon sang bouillonne et va gonfler mon sexe qui se dresse au garde-à -vous. Je me fais violence, on ne se conduit pas ainsi à la première rencontre, je m’arrache à ce baiser. Laure aurait bien insisté, elle cache son dépit derrière un sourire forcé qui s’éclaire lorsque ses yeux se fixent sur la bosse dans mon pantalon. Son regard se plante dans le mien pour y lire mon trouble, pour s’assurer que mon calme est apparent et que derrière le masque d’indifférence se cache un homme, un faible homme, sensible à son charme, avec des réactions prévisibles de la chair. Je suis le frêle oiseau hypnotisé par son regard. Elle a trouvé mon talon d’Achille, elle vient de me mettre le feu. Elle est contente d’avoir pris le pouvoir en découvrant mon point sensible.— Je t’enlève, veux-tu m’accompagner au centre thermal ? Ma voiture est là  ! Nous aurons le choix, selon tes préférences, entre patinage sur glace, piscine, bowling, cinéma, bain relaxant. Je commencerais par de la natation puis nous irions voir un film ? Cela te convient-il ?Les parents sont fortunés. Laure roule en simple Peugeot 309, ma 4L d’occasion ferait pâle figure à côté. Je n’ai pas à m’inquiéter, je louerai le nécessaire à la piscine. Nous passons en coup de vent chez elle. Elle en sort accompagnée de maman et de sa sÅ“ur de dix-sept ans : je suis le spécimen rare et la famille doit savoir avec qui elle va se distraire. Quelques phrases aimables et des sourires entendus approuvent son choix : je serai toujours le bien venu etc.J’attends au bord du bassin. Qu’elle est belle dans son maillot deux pièces. Je comprends ce choix de la piscine. Dès le premier jour, elle a décidé de frapper un grand coup. Comment pourrai-je oublier ce corps parfait, ni sculptural ni maigre, ses formes marquées, ses seins prêts à s’évader des bonnets, sa taille fine destinée à mettre en évidence ses hanches affirmées ou les longs fuseaux de ses cuisses parfaites ? C’est Vénus entrant au bain en m’invitant à la rejoindre. Avec une particularité toutefois, elle a oublié de rentrer une cordelette blanche dans le bas du maillot de bain ; j’ai une sÅ“ur, je sais ce que c’est. Un mot glissé à l’oreille lui permet de rectifier la tenue. Comment résister à la tentation ? Hormis le mariage, elle peut tout exiger de moi. Je baiserai ses pieds, je frôlerai ses jambes, j’éprouverai la douceur de l’intérieur de ses cuisses, je ferai s’épanouir son sexe, j’y abreuverai ma soif, sucerai sa crête sensible, je fouillerai… Stop !… Qu’ai-je à m’emballer aujourd’hui ?Nous nageons côte à côte, elle s’amuse à frôler ma jambe de la sienne comme par inadvertance, disparaît sous l’eau, passe sous mon ventre et réapparaît de l’autre côté en m’éclaboussant dans un grand éclat de rire. Elle semble heureuse, vient contre moi, à la verticale, fait du sur place, lance ses bras autour de mon cou et bat des pieds. Ma conquête : non, je suis la sienne. Elle rit, me fixe dans les yeux pendant que son corps quasi nu entre en contact avec le mien couvert d’un simple maillot. Un de ses bras a relâché mon cou, sa main explore mes pectoraux en une caresse tendre. Heureusement, elle n’ose pas vérifier plus bas l’effet de son contact sur ma virilité. Point n’est besoin, elle sait et se contente de me voler un rapide baiser sur la bouche avant de disparaître dans une gerbe d’eau.Deux bodybuilders en démonstration devant la gent féminine de la piscine, et sans doute en quête d’une bonne fortune, l’entourent et la font dévier vers un coin du bassin. Leur intention est claire, ils vont la coincer et marchander sa liberté. Une nouvelle fois elle plonge sous l’eau et leur échappe, réapparaît en criant mon prénom pour se précipiter dans mes bras. Les deux types penauds devront changer de cible.— Alors, tu aimes ? On est bien ici. Je suis si bien avec toi. Tu vas me manquer. Quand auras-tu ta prochaine permission ? Un petit bisou ?Pourquoi demande-t-elle si elle n’attend pas la réponse ? Pourquoi dit-elle petit bisou pour dépeindre ce baiser passionné aux effets dévastateurs sous la ceinture. Ce corps magnifique, dont les jambes s’agitent contre les miennes pour demeurer tête hors de l’eau, agit sur moi comme un révélateur. Rien à voir avec des érections matinales, je ne sors pas d’un rêve érotique, j’en vis un, grandeur nature. Il y a quelques heures j’ignorais tout d’elle ; je suis en train de rattraper mon retard. Ma vue et mon toucher ont été mis à contribution et mon cÅ“ur bat à vitesse accélérée. Il faut le constater, je n’ai pas pris la fuite.— Si tu veux m’emmener au cinéma, tu devras te tenir à distance, sinon je ne pourrai pas sortir de l’eau.Elle est satisfaite, pouffe de rire et soulève une nouvelle gerbe d’eau qui se déplace en rond autour de moi.————————-Moi, le taciturne, comment suis-je capable de faire sauter de joie à mon bras cette vive jeune fille ? Elle extériorise son plaisir par des bonds de cabri et des éclats de rire entre deux baisers. Je suis débordé, heureux de me laisser faire, pas mécontent d’être mené plus que meneur, étonné quand même de l’enthousiasme communicatif de ma compagne. Je suis sa chose, sa conquête, elle m’exhibe, rit fort pour attirer l’attention et les regards. Je joue le jeu, parade comme un paon puisqu’elle y prend plaisir, ris de ses facéties et reçois avec de plus en plus de plaisir ses marques d’affection. Dans quoi me suis-je embarqué ?Petit bisou pour ci, petit bisou pour ça, halte face à face, sur place debout pour petit bisou dans le cou, sur les yeux, sur le bout du nez, sur le menton avec aboutissement invariable sur la bouche. Et toujours ce regard à la fois curieux de mes réactions et satisfait de me voir progresser dans ce jeu de séduction. Pour elle je suis l’enjeu. Mais à me laisser faire, je sens qu’elle manie une lame à double tranchant. Laure elle-même se donne autant qu’elle prend. C’est comme un piège se refermant sur nous, un piège aux mâchoires de velours. Nous le sentons et nous l’aimons. Nous sommes maintenant deux prisonniers volontaires d’un jeu de plus en plus sérieux et de plus en plus envoûtant.Laure a choisi nos places à l’écart des quelques spectateurs, au dernier rang de ce balcon. La lumière s’est éteinte.— Adrien, ça va, tu es bien installé ? Tu vois bien l’écran, Adrien ? Adrien, tu es content ? Tu es heureux d’être près de moi, Adrien ?De banalité en banalité, elle a pris ma main, elle a penché sa tête parfumée au sortir de l’eau chlorée, d’un parfum doux mais frais, elle a levé les yeux à la recherche des miens, a baisé ma main, a relevé ses yeux, a murmuré un timide, tout timide, tout premier « je t’aime Adrien » et s’est retrouvée assise sur mes genoux, bras enserrant ma tête et lèvres collées aux miennes. Depuis quelques minutes j’avais été sevré de petits bisous. Mais cette fois dans la pénombre, j’apprends ce qu’est un vrai baiser rythmé par la musique sirupeuse du film. Assurément elle possède un savoir faire bien supérieur au mien. Entre deux prises d’air rapides, nous restons bouches cousues l’une à l’autre. J’essaie de l’imiter afin de ne pas paraître trop inexpérimenté. Elle avait atterri en amazone sur mes jambes. Pour m’embrasser elle vrille son torse, j’ai une main dans sa permanente et l’autre dans son dos, un doigt sur le lien du soutien-gorge : je veux assurer son équilibre mais aussi lui montrer mon désir de participer au partage du plaisir. Comme une anguille, elle échappe à l’étreinte et se retrouve à califourchon sur mes cuisses, pose ses mains sur mes oreilles et reprend possession de mes lèvres avec une ardeur renouvelée, dos tourné à l’écran.Dans ma tête un ange souffle « ça ne se fait pas le premier jour » et un démon me susurre « carpe diem ». C’est trop bon, je cède au petit diable. Laure a senti tomber mes résistances, elle pousse son avantage, bloque ma tête, entrouvre ses lèvres et envoie juste entre les miennes la pointe d’une langue habile. Ça chatouille, je cède un passage, la pointe est passée, le reste suit. C’est encore une première. Langue contre langue, dans ma bouche envahie, se livre un délicieux combat. Ma langue tente de limiter l’invasion, la sienne se glisse entre dents et joues, visite l’intérieur de mes lèvres, déclenche des frissons, pousse contre la mienne, se glisse dessous, dessus, part à l’assaut de mes amygdales, en mouvement perpétuel. Je me révolte, résiste, lutte avec rage, repousse sa langue, la poursuit jusque dans sa bouche et m’y livre aux investigations apprises la minute précédente, je goûte à sa salive, m’en enivre à mon tour. Mes mains ont glissé de son dos, saisissent involontairement des chairs douces, j’englobe ses seins, les malaxe longuement, avant de me rendre compte que je suis en train de faire ce « qui ne se fait pas le premier jour ». À l’ange c’est Laure qui répond « c’est bon, n’arrête pas »Elle doit avoir décidé d’emporter la décision dès le premier jour. Avec habileté elle a fait sauter les boutons de sa blouse, dégagé ses deux seins et les a livrés à mes mains impatientes. Le baiser est interrompu pour me donner librement accès à sa poitrine. Suis-je trop lent ? Sa main saisit ma nuque, tire ma tête, guide mes lèvres sur un sein. Je suis le nourrisson, roule entre mes lèvres la pointe durcie du téton, je tète doucement. Laure étouffe un gémissement, appuie sur ma nuque. Elle a deux seins, je dois au deuxième le même hommage curieux. Cette mise en appétit me fait perdre tous mes complexes, ma succion assumée, je me rends compte du résultat de l’accumulation de découvertes et sensations : au bas de mon ventre, l’arc s’est tendu, la flèche veut s’évader.« Chéri, c’est si bon », dit la bouche brûlante à mon oreille. Laure m’apprend qu’à son grand désespoir, elle est réglée. La petite ficelle qui sortait du maillot m’avait renseigné. Mais si je permets ou si je veux, elle peut m’apporter un soulagement manuel ou oral. Je vous livre le contenu brut de périphrases prudentes destinées à suggérer plus qu’à affirmer, très bizarres en comparaison des actes auxquels nous nous livrons depuis le début du film. Je reprends goulûment la bouche et perfectionne avec conviction l’art du baiser. C’est bon et cela réduit au silence la tentatrice pleine de ressources. Il ne faut pas confondre silence et inaction, je l’apprends quand une main vient taquiner la révolution dans mon pantalon. Cette fois, elle va causer des dégâts ! Je trouve enfin une once d’énergie pour réclamer de meilleures conditions pour un acte aussi important.Pour qu’elle cède, elle doit avoir entendu non un refus, mais la promesse d’une rencontre future, en somme la réponse attendue depuis son dépôt de candidature. Battre le fer quand il est chaud, elle s’y entend. J’ai été bousculé par une tornade, j’y ai pris mon plaisir et oublié mes plans. Heureusement je suis sauvé par son indisponibilité temporaire. Elle accepte un repas du soir dans un restaurant qui va me coûter mes dernières économies, elle n’a pas besoin de le savoir. Je vais avoir au moins un mois devant moi pour remettre de l’ordre dans mes idées et renflouer mon porte-monnaie à coup de restrictions des dépenses.————————-Nous nous regardons, nous échangeons nos vues sur le mariage, sur la fidélité dans un couple : en tout point elle partage mes idées. Que je ne m’inquiète pas, telle Pénélope elle attendra son Ulysse, et pour commencer elle va annuler toutes les sorties prévues pour m’attendre sagement. Je m’insurge, la fidélité est une disposition du cÅ“ur, je serais malheureux de la priver de saines distractions ou de la fréquentation de ses amis. L’attente ne doit pas être un carême de quatre années. Elle devra continuer à vivre normalement, peut-être connaître des tentations et mesurer sa capacité de résistance. Je m’appliquerai la même règle si à ma prochaine permission je prends un engagement envers elle. Il est possible que l’un ou l’autre change d’avis en une période aussi longue, je m’engage dès l’instant présent à l’en informer immédiatement et lui réclame la même clarté.Je ne demande à personne de partager mes opinions. La fille qui ne sera pas d’accord passera son chemin. Je suis tombé sur la perle rare si j’en crois Laure. Nous nous quittons avec difficulté. Au départ, demain après-midi, j’irai l’embrasser une dernière fois, c’est promis. Elle monte dans ma voiture pour m’embrasser hors de la vue de sa famille, à proximité de l’autoroute. Elle me redit son amour, son impatience de se donner entièrement à moi, son désir de se fiancer officiellement le plus rapidement possible. Il lui tarde de connaître ma décision. Je propose de faire demi-tour et de la déposer en ville. Elle préfère rentrer en marchant et en rêvant de nous. Un dernier baiser persuasif pour la route et va.J’ai surpris Gérard, mon collègue aspirant, en lui racontant avec enthousiasme cette belle rencontre. Nous avons entrepris de préparer nos sections aux grandes manÅ“uvres proches. Le jeudi, je n’ai pas pu m’empêcher de lui montrer la lettre de déclaration enflammée postée le lundi matin par Laure. Spontanément, le vendredi matin, il m’a proposé d’assurer mon tour de permanence du week-end et m’a suggéré de demander une permission exceptionnelle de 48 heures. Le colonel m’a regardé avec un sourire entendu sans me demander de préciser le motif.Dégagé de toutes mes obligations, dépanné financièrement par l’ami Gérard, je prends la route avec le fol espoir de créer une heureuse surprise à Laure. Ce vif désir de la retrouver est la preuve qu’elle s’impose à moi. J’ai besoin d’elle, j’ai besoin de l’équilibre apporté par son amour. L’attente due à ma vie d’étudiant sera assez longue pour vérifier l’authenticité de nos sentiments. Je sais que je serai fidèle à mon engagement et je n’ai aucune raison de douter de sa sincérité. Ma mère est surprise de me voir arriver pour le repas de midi, se réjouit d’apprendre que je viens de rencontrer une jeune fille sérieuse. Mon père me glisse un gros billet, une larme à l’œil et me souhaite bonne chance. Merde, me dit ma sÅ“ur.Tout baigne. Je sonne. La jeune sÅ“ur, Aurélie, ouvre la porte. Elle est seule à la maison, ses parents tiennent la boucherie. Je n’ai pas de chance, Laure est partie il y a moins de cinq minutes avec son amie Émilie. Elles voulaient fêter notre rencontre, parce que Laure a claironné par monts et par vaux qu’elle venait de trouver l’homme de sa vie. Elle a emporté son maillot de bain mais doit passer au casino avant d’aller à la piscine.— Si tu veux je vais t’accompagner, ça me sortira. Dis, tu veux bien, futur beau-frère ? Pourquoi ne portes-tu pas l’uniforme et le képi aujourd’hui ? Attends un peu, je me prépare et je te guide.Elle virevolte, questionne et n’attend pas les réponses, disparaît. J’ai abandonné l’uniforme, pour savoir si je suis aussi aimable en tenue civile. Un pinson de compagnie : elle est mignonne cette Aurélie, future petite belle-sÅ“ur et autant m’en faire une alliée. J’aurai l’air moins perdu en si belle compagnie et Laure se réjouira de me savoir avec sa sÅ“ur et confidente. Laure est sortie avec des amis, c’est conforme à mes souhaits du samedi soir précédent. Elle va me tendre les bras, me sauter au cou devant tout le monde. Si nous réussissons à nous isoler, peut-être, ses règles passées, peut-être…Un coup de peigne, un peu de fard, une robe à la taille marquée, une touche de je ne sais quoi, un coup de baguette magique : Aurélie est transformée, resplendissante. Elle me tire à la modeste 4L, s’y installe et éclate de rire sans raison. En route.Un trou dans la chaussée, la porte de la boîte à gants saute.— C’est quoi cette petite boîte à ruban ? Un cadeau pour Laure ? Oh ! Une bague de fiançailles ? Dis, c’est sérieux, tu es amoureux de ma sÅ“ur ? Quelle chance elle a ! Elle était tellement impatiente de savoir. Dis, c’est ça, une bague ? Je sais qu’elle attend ta réponse. Elle va être contente !Je n’ai pas eu la possibilité de répondre.— C’est un bijou de famille, ma mère le tient de sa mère qui le tenait de sa propre mère. C’est une alliance toute simple, elle a surtout une valeur sentimentale. Si Laure n’a pas changé d’avis, elle…— Pose-toi sur ce parking. Dis, tu veux bien que je te donne le bras ? Si mes copines me voient avec toi, elles vont criser de jalousie . Juste pour du beurre, tu comprends.À vingt mètres devant, un couple sort de l’arrière d’une voiture en stationnement. Ils se rejoignent sur le bord de la route et s’embrassent avec fièvre. Aurélie descend, faitElle tend l’index vers les deux amoureux, porte une main à la bouche et se tourne vers moi. Je regarde, n’en crois pas mes yeux : devant moi, à quelques pas, la fille plongée dans un baiser profond, c’est Laure. Aurélie accourt vers moi, je reste planté à hauteur de ma portière.— Excuse-moi. C’est Émilie qui est venue la chercher, elles devaient faire une sortie entre filles du même âge ! C’était juste pour m’éliminer. Que fait-elle avec ce Raymond ? Elle m’avait juré que c’était fini. Toute la semaine elle a répété Adrien ceci, Adrien cela, je l’aime, je suis folle de lui, Adrien, Adrien. Veux-tu que j’aille les séparer. Oh ! L’idiote.Pourquoi idiote ? Elle s’est ravisée et n’a pas eu le temps de m’en avertir. J’ai fait 150 kilomètres en cherchant la façon la plus élégante de lui dire que j’étais amoureux, que j’acceptais d’être son fiancé. Nous allions fixer la date de nos fiançailles officielles. Elle a changé d’idée, a choisi un autre homme, c’est son droit. Mes illusions viennent de s’envoler. Je ne suis pas fâché, mais soulagé d’avoir découvert aussi vite et aussi simplement ce qui saute aux yeux. On ne conduit pas une voiture depuis la banquette arrière, on n’embrasse pas un homme qu’on n’aime pas comme elle le fait sous mes yeux. Sans parler, nous nous sommes tout dit. Pas besoin de circonlocutions pour décrire la situation. Si j’avais quelque chose à lui reprocher, ce serait d’avoir joué à l’incendiaire sans avoir prévu l’intervention des pompiers. Elle m’a allumé, je brûle et elle va éteindre l’incendie chez ce Raymond ! Bof ! En me donnant un peu de mal, je trouverai une solution. Je devrais la remercier d’avoir mis le problème en évidence. Aurélie est plus désolée que moi. Je la retiens, j’offre mon bras comme promis pour épater ses copines.— Adrien, ça ira ? On avance ou on retourne à la maison ?Je ne sais pas. Je veux cacher ma déception. Je biaise pour gagner du temps afin de me ressaisir. Je pose une question dont je connais la réponse.— Quel âge as-tu ? Dix-huit ans ?— Oui, la semaine prochaine. J’ai deux ans et onze mois de moins que ma sÅ“ur. Et toi, je le sais tu as vingt-et-un ans comme elle. Ça ne fait pas une grande différence entre toi et moi. Allons-nous amuser. Je suis triste pour toi, mais c’est mieux ainsi ; Laure est trop instable pour toi.— Ah ! Tu crois ? Voilà un précieux renseignement. Il arrive un peu tard, mais en ta compagnie je vais profiter de ma permission. Tu veux t’amuser ? Amusons-nous.— C’est vrai, tu ne m’en veux pas ? Mon père a cinq ans de plus que ma mère et ils s’aiment toujours.Où veut-elle en venir ?Nous avançons, à l’avant le couple se désunit, Raymond conduit Laure, ils avancent, main dans la main. Chaque petit bisou les retarde, nous serons bientôt à leur hauteur. J’ai l’impression de revivre mon week-end passé, la distribution de petits bisous par ci, par là . Chaque bisou demande un arrêt, un demi-tour sur place. À aucun moment Laure, occupée à « bisouter », ne nous remarque : nous ne sommes que deux ombres vagues dans son champ de vision. Aurélie m’arrête. Elle est restée muette une minute, m’observe, esquisse un sourire gentil teinté d’un zeste de désolation.— Laissons-les prendre de l’avance. Ne sois pas triste, une de perdue, dix de trouvées. Tu sais, je connais des filles bien, de mon âge. Elles donneraient une fortune pour trouver un gentil mari comme toi. Et celles-là , elles ne feraient pas comme Laure. Ça te fait sourire. Mais c’est vrai ! Tu veux un exemple ? Regarde-moi : je pourrais te plaire ? Je ne suis pas trop moche ?— Pas trop, en effet.Je suis taquin de naissance. Ça ne me réussit pas toujours. À bien la regarder, Aurélie est une superbe plante avec un cÅ“ur compatissant. Si je devais désormais choisir entre elle et son aînée, je n’hésiterais pas.— Ah ! Bon. Donc il faut que je trouve mieux. Plus grande ? Plus mince ? Plus belle ? Mieux sapée ? Avec des yeux bleus, bruns, verts ? Allez, parle.— Tu sais, c’est mon affaire, j’ai encore des études à terminer. Merci de vouloir m’aider. Ne te crois pas obligée de réparer les dégâts. Ta sÅ“ur m’avait abordé, j’ai eu le tort de m’embraser trop vite. Ta sÅ“ur m’oublie, c’est la vie.Ma voix se casse.— Oui, mais, si par hasard, de façon tout à fait impossible, si je te disais, ce n’est qu’une supposition, bien entendu. Alors, tu m’écoutes ? Si donc je te disais que je suis amoureuse de toi, qu’est-ce que tu me dirais, hein ?Ses yeux se font pressants, elle attend, je le crains, une réaction de vengeance qui me jetterait dans ses bras. Naïve enfant, elle n’a pas encore connu l’épreuve, la déception, la trahison, la grande désillusion, la débâcle.— Tu as déjà été amoureuse ? As-tu déjà déclaré ton amour à un garçon ? Tu as certainement un petit ami ?— Non ! Une fois, il y a deux ans, j’ai dit à un garçon que je l’aimais. Il a ri et l’a raconté à tous ses copains. Ils m’ont chahutée. Depuis, certains m’ont fait la cour. Mais je ne veux pas des aventures, je veux l’amour, avec un grand A.— C’est bien. Tu le trouveras certainement, je te le souhaite de tout cÅ“ur.— Merci, mais tu n’as pas répondu à ma question. Alors ?— Je te demanderais d’attendre, de bien réfléchir, de t’armer de patience, de voir si un autre ne te conviendrait pas mieux. J’ai dit la même chose à ta sÅ“ur et tu vois cela lui a réussi.— Je ne crois pas. Pas avec ce Raymond. Moi, je ne suis pas ma sÅ“ur. Et j’ai souhaité que Laure te laisse tomber. Pour la première fois elle paraissait pourtant mordue sérieusement. Mais chaque fois, elle finit par se lasser. De tous ses copains tu es le premier dont je sois tombée amoureuse au premier coup d’œil. Moi, je serai fidèle ; je suis vierge, tu sais…Que dit-on en pareilles circonstances ? Je me contente de la regarder. Elle est si fière de son affirmation.— Avançons, ils sont entrés au casino. Tu as déjà joué aux machines à sous ? Non ? Je n’en ai pas le droit à cause de mon âge. Tu veux essayer, je suis sûre de te porter bonheur.Me porter bonheur aujourd’hui. La pauvre. Enfin elle n’est pour rien dans ce qui m’arrive. Elle achète pour moi un minimum de jetons. Elle voit une place qui se libère, se précipite et me fait signe de venir. La machine voisine, à gauche, occupée par Laure, captive le regard de cette ex éphémère. Son accompagnateur est collé à son dos, il cherche la bonne position dans le sillon, remonte ses mains jusque sous les bras de Laure. Elle est tellement prise par son jeu qu’elle ne me regardera pas, elle ne sent pas mon regard fixé sur elle et sur les deux mains qui viennent empaumer ses deux seins. Elle a juste un léger mouvement de croupe pour mieux accueillir la barre en bas de son dos. Le type se penche et dépose un baiser suceur sur sa nuque. Deux gaillards sont postés derrière lui. Je les reconnais, ce sont les deux bodybuilders vus à la piscine il y a huit jours. Ils forment une espèce de paravent qui isole les amoureux. Que font-ils là  ? Attendent-ils leur tour, prendront-ils la place de Raymond ?— Allez, Raymond, ne sois pas impatient. Je n’en ai pas pour longtemps.Laure relève la tête, la tourne reçoit un petit bisou et retourne aux commandes. Elle ne m’a ni vu ni reconnu, là , à environ un mètre.— Tu me manques déjà , je ne pense qu’à toi, reviens vite, je t’attends ! m’a-t-elle écrit.Aurélie tire sur ma manche.— C’est dégoûtant ! Joue, tu ne peux pas rester devant une machine sans jouer.Laure n’a pas reconnu la voix de sa sÅ“ur. Dans son dos monte la petite bête qui monte, qui monte et la machine vorace avale ses jetons comme pour la livrer plus vite à ses prochaines activités. Le fameux Raymond m’a vu les observer. Il me fait un clin d’œil, et par défi ou pour montrer son talent de tombeur, le regard tourné vers moi, il lâche le sein emprisonné, laisse descendre sa main, palpe le ventre, descend encore. Il a l’air de me dire :— Tu vois comme il faut faire. Prends une leçon.Il enveloppe entièrement le corps de cette fille qui peste parce que la machine épuise sa réserve de pièces. Les doigts ont atteint le bas de la jupe. Je suis ébahi, elle laisse faire sans protester et même d’un mouvement instinctif, elle déplace son pied droit qui vient heurter mon pied. Sans détourner les yeux de son appareil, elle grogne un « pardon ». Elle lui a ouvert la voie, la main plonge. Raymond me regarde tout sourire et je devine que ses doigts ont atteint leur but. Il secoue la tête, s’accorde un satisfecit. Il ferme les yeux pour régler l’agitation de ses doigts sur la vulve. Les effets sont immédiats. Laure se met à trembler, son clitoris frotté avec vivacité lui transmet des ondes irrésistibles. Ses yeux se ferment, recueillis sur les sensations déchirantes, sa bouche s’ouvre sur un souffle court, sa main droite perd la pièce qu’elle voulait introduire dans le bandit manchot. Raymond sort sa main, suce son majeur avec des airs de gourmet et repart sous la jupe en riant. Derrière lui, un gaillard demande s’il aura bientôt fini. Le type, cynique, souffle à l’oreille de Laure, assez fort pour que je l’entende :— T’as oublié ta petite culotte dans l’auto. Tu aimes mon doigt ?Elle gémit une sorte de oui. Aurélie tire sur ma manche, furieuse, secoue mon bras, pose ma main sur le bras unique de la machine.— Il faut jouer ou céder la place.Elle appuie sur mon bras. Les rouleaux tournent. Il faut attendre. Les yeux de Laure me fixent, vides, presque révulsés, en pleine pâmoison, elle me voit mais ne me reconnaît pas. Son visage rouge, la sueur sur le front trahissent l’excès de plaisir qui la dévaste.Tout à coup ma machine vibre, lance des éclairs de lumières multicolores, sonne l’alerte et j’entends avec stupéfaction un bruit d’avalanche. Le bourdonnement de la salle s‘arrête. Au silence succèdent des applaudissements, un attroupement se forme, je me demande ce qui se passe. Aurélie est pendue à mon cou et crie :— Tu as gagné. Le jackpot, du premier coup. Tu as gagné. Je t’ai porté bonheur.Aurélie m’embrasse sur les joues, lève les bras, trépigne sur place, jette ses bras autour de mon cou. Dans mon dos, j’entends une voix d’homme :— Une veine de cocu !Je me tourne, c’est le type de Laure. Elle me voit, sort de ses brumes, me reconnaît, change de couleur, les seins toujours prisonniers des deux mains remontées sur sa blouse.— Oui, c’est bien ça, une veine de cocu, dis-je en direction de Raymond.— A- dri-en, c’est toi ?Je suis sans parole. Je n’ai rien à lui dire. Je n’ai pas de colère. Nous avions convenu de réfléchir et de nous prononcer plus tard. Elle réalise vite et trouve plus décent de se taire, reste figée. Un bodybuilder lui tend des pièces, elle fait non de la tête. Raymond tente de l’embrasser, elle le repousse comme indignée par son audace.La suite c’est du délire. On me félicite, je suis reçu sur un podium, exhibé, preuve vivante de la possibilité de gagner une grosse somme. À côté de moi, Aurélie jubile. Photos, interviews, remise solennelle du chèque et champagne. Je suis le mouton à cinq pattes du jour. On veut me voir, on touche mes vêtements parce que je dois porter chance. Je pleure, forcément des larmes de joie après un gain pareil ? Je n’ai pas droit au chagrin !Un type se présente avec un micro, me bombarde de questions. Il faut faire mousser l’événement, pousser les mordus à la dépense.— Oui, je sais ce que je vais faire de cette somme.Mais je garde les détails pour moi. Rembourser mes dettes, (je pense à Gérard et à mes parents). Payer mon inscription annuelle à l’école supérieure de commerce, mes loyers, mes frais de bouche et de scolarité.— Êtes-vous fier de battre le record de gain du casino ?Je dis oui, mais il n’y a pas de raison d’être fier.Le speaker ne me lâche pas :Êtes-vous célibataire ? Avez-vous une fiancée, une petite amie. Attention on dit « Heureux au jeu, malheureux en amour. » Qu’en pensez-vous ?— Cocu, crie un gars plein d’esprit d’à propos. Ça fait rire.— Non, je ne suis plus fiancé, ma fiancée vient de me quitter aujourd’hui même. Oui, une chance de cocu si vous voulez, lancé-je à l’adresse du plaisantin.Laure quitte la salle, de la porte elle a un regard vers le podium et s’en va, seule.— Mesdemoiselles, y a-t-il des prétendantes pour consoler notre gagnant ? Levez la main.C’est effrayant, des mains se lèvent. Va-t-il me mettre aux enchères ? Je salue, qu’elles se débrouillent. De toute façon, accrochée à ma manche, Aurélie a pris les devants. Elle n’est pas disposée à se laisser doubler. Nous réussissons à fuir la foule excitée, les machines sont toutes occupées et des files d’attente se constituent derrière les joueurs. C’est jour de chance proclame le speaker.À l’air, je me tourne vers Aurélie. Elle pleure, à chaudes larmes.— Ne t’inquiète pas. Tu as joué pour moi. Tu auras une récompense. Je n’ai pas voulu l’annoncer en public, ça ne regarde que nous. Ne pleure plus. Allons, calme-toi. C’est l’émotion ? Qu’as-tu enfin ? Aurélie, souris-moi !— Il est trop tard. Maintenant tu as gagné et j’ai tout perdu. Si je te dis que je t’aime, tu croiras que j’en veux à ton argent !C’est dit entre deux sanglots. Elle est si belle, même lorsqu’elle pleure. J’en suis tout attendri.— Aurélie, tu me l’as dit avant, je crois : « si par hasard, de façon impossible, c’est une supposition, si je te disais que je suis amoureuse de toi… » C’était avant d’entrer au casino. Je ne te soupçonne pas de cupidité.— Tu faisais semblant de ne pas comprendre ! Mais alors je peux te le dire : Je t’aime ! Je t’aime !— Tu connais ma réponse, souviens-toi.— Tu ne me repousses pas ? Tu veux bien que je t’attende ? Je t’adore. Dis, je peux t’embrasser ?Je lui tends la joue.— Non, pas comme ça. Comme ça aussi, tiens. Mais aussi comme une vraie femme.Je plaisante :— Tu veux me faire poursuivre pour détournement de mineure ?— J’aurai dix-huit ans la semaine prochaine et tu ne seras pas là pour mon anniversaire, fais-moi une petite avance !Elle ferme les yeux, offre sa bouche tendue en cul de poule. C’est émouvant et drôle. Je pose mes lèvres sur les siennes, je compte jusqu’à cinq et je me retire. Elle est radieuse.————————-Note pour les plus curieux.Elle me conduit à la boucherie, arrête ses parents en plein travail, me présente, réclame comme unique cadeau d’anniversaire l’autorisation de sortir avec moi ce soir et demain matin, promet d’être sage.— Et ta sÅ“ur ? dit la maman.— Elle t’expliquera ou nous en parlerons plus tard.C’était il y a quatre ans. Aujourd’hui nous nous marions. Laure est le témoin d’Aurélie. Gérard est mon témoin. Ces deux-là semblent attirés. Malicieuse, Aurélie m’a remis une longue liste de ceux que Laure a aimés un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, un peu…Mauvais esprits, ne riez pas, la mariée est vierge. Non, vous ne serez pas priés de le constater.