— Ta voix te perd. Que de bruits futiles ! Cherche plutĂ´t ta voie et tais-toi, Odile !Mon cousin Louis m’a chuchotĂ© cette phrase avec mĂ©pris il y a plus de dix ans, au beau milieu d’une partie de cache-cache enfantine et campagnarde. Il ignore jusqu’à aujourd’hui l’impact qu’ont eu sur moi ces quelques mots. Ils ont Ă©tĂ© comme un coup de feu cinglant tirĂ© au cĹ“ur de mes questionnements de jeune fille. Un effondrement de mes fragiles certitudes. Je devais donc cesser de piailler, me renfermer sur moi-mĂŞme, chercher la vĂ©ritĂ©Â ? C’est ainsi qu’à douze ans je commençais Ă me taire. J’étais en quĂŞte de sincĂ©ritĂ©Â ; je me suis tournĂ©e vers l’intĂ©rieur, vers le silence. J’ai rencontrĂ© Dieu et la foi. Ma vocation.Au commencement le silence m’assourdissait. Ça bourdonnait tout le temps entre mes oreilles. Puis peu Ă peu j’ai glissĂ© vers la douceur de mon mutisme. Je parlais moins mais je mĂ©ditais plus. Je fuyais les cris de la futilitĂ© adolescente pour rechercher le sens. Je ne me suis jamais coupĂ©e du monde. J’avais juste baissĂ© le volume, amoindri les babillements inutiles. Je me suis mise Ă Ă©couter. C’est ainsi que j’ai pu entendre Dieu. Sa dĂ©couverte n’a pas Ă©tĂ© fulgurante ; elle s’est faite jour après jour dans une cohĂ©rence juste et naturelle. Presque Ă mon insu. J’étais Ă©tudiante Ă l’universitĂ©, en troisième annĂ©e. Depuis cinq ans dĂ©jĂ j’étais active dans diverses associations philanthropiques. Au lycĂ©e je n’avais fait qu’effleurer ce monde de solidaritĂ©, mais depuis que je demeurais Ă la facultĂ© j’étais de plus en plus absorbĂ©e par l’aide dĂ©sintĂ©ressĂ©e. Cet affreux bâtiment de bĂ©ton, palais du savoir et de l’érudition, trĂ´nait avec nonchalance Ă quelques mètres de citĂ©s pauvres et laides. Les Ă©tudiants bavards ignoraient cette promiscuitĂ© dĂ©rangeante. Ils Ă©taient tout entier plongĂ©s dans leur rĂ©ussite universitaire et sociale. Il leur fallait de bons rĂ©sultats, des professeurs passionnants, des poses dialectiques et du sexe. Derrière un Ă©talage de romantisme dĂ©sabusĂ© se cachait un dĂ©sir purement charnel.Pour ma part je restais silencieuse, tournĂ©e vers mes Ă©tudes de sociologie et vers les cours de soutien que je donnais aux enfants de la citĂ©. Puis peu Ă peu je rencontrais les familles de mes Ă©lèves, leurs pères chĂ´meurs, les grands-mères analphabètes, les sĹ“urs en dĂ©rive… J’entrais dans leurs logis misĂ©reux, j’aidais comme je pouvais. Je m’investissais de plus en plus dans l’association. Je n’avais pas de petit copain. J’avais plu Ă des hommes qui m’avaient Ă©cĹ“urĂ©e par leur dĂ©sir vĂ©nĂ©rien. Après avoir couchĂ© avec moi, ils m’avaient laissĂ©e comme on oublie un fruit gâtĂ© qui a perdu tout son attrait. Je ne les intĂ©ressais pas. Ils me dĂ©goutaient. Les hommes qui me plaisaient ne me voyaient pas. J’étais Ă leurs yeux un ĂŞtre asexuĂ© ou transparent. Dans la plĂ©nitude de mon silence et de l’action, je m’éloignais de toute vellĂ©itĂ© charnelle.Puis un soir de NoĂ«l, alors que j’assistais avec toute ma famille Ă la messe de minuit, j’eus la claire conviction que je devais vivre proche de Dieu. Je vivais dĂ©jĂ avec lui depuis des annĂ©es, mais il me fallut les chants et le cĂ©rĂ©monial de cette soirĂ©e magique pour me rendre Ă l’évidence. Je deviendrais sĹ“ur. Je n’eus point de brutale apparition, juste une certitude qui s’imposait Ă moi et me fit sourire de bonheur par sa justesse. VoilĂ pourquoi je me sentais Ă©trangère Ă ce monde jusqu’à prĂ©sent ; je n’avais point mis de mot sur mon dĂ©sir intense. Soudain tout se mit en place, tout avait un sens. J’allais devenir nonne. Je vivrais en harmonie. Je pourrais mĂŞler mon mutisme Ă une vie communautaire, religieuse et bienfaisante. J’écoutai le chĹ“ur, je regardai les vitraux, les tableaux et les statues de la petite chapelle du village normand de mes grands-parents. Tous semblaient acquiescer avec bĂ©nignitĂ©. Je sentais irradier en moi leur douce bĂ©nĂ©diction. Lorsque j’annonçai Ă mes parents ma dĂ©cision, je perçus un voile de tristesse sous leurs paroles comprĂ©hensives. Ils exigeaient que j’obtienne mon diplĂ´me avant d’initier quoi que ce soit. Tous les deux, bien qu’issus de familles catholiques, se considĂ©raient comme athĂ©es. Je sentais chez eux une dĂ©ception, une sorte de peur. Ils semblaient ne pas y croire.Pour ma part, j’étais comblĂ©e. Mon avenir m’apparaissait paisible et juste. Je savais quelle communautĂ© rejoindre, une de mes amies de l’universitĂ© en faisait partie. J’allais devenir novice. Ensuite je suivrais une formation apostolique puis canonique et enfin je deviendrais sĹ“ur après avoir prononcĂ© mes vĹ“ux de chastetĂ©, pauvretĂ© et obĂ©issance. J’irais de par le monde, lĂ oĂą on aurait besoin de moi. J’avais enfin trouvĂ© ma voie. Tout se passa dans l’évidence et dans l’aisance. Mon chemin semblait tracĂ©, les Ă©tapes dĂ©filaient. Je ne ressentais ni hĂ©sitation ni doute. Jusqu’à ce voyage en train oĂą j’abordai des territoires inconnus bouleversants.La mère supĂ©rieure m’avait annoncĂ© la date de la cĂ©rĂ©monie au cours de laquelle je prononcerais mes vĹ“ux. Cela se passerait en Espagne oĂą notre congrĂ©gation avait une importante communautĂ©. Des femmes du monde entier devaient s’y retrouver. Nous Ă©tions en plein Ă©tĂ©. J’avais deux semaines de vacances afin de me sĂ©parer de ma famille. La prochaine fois que je les verrais, je ne m’appellerais plus Odile. Je ne serais plus vraiment la mĂŞme, engagĂ©e par de nobles serments. Je me rĂ©galais de ces dernières vacances dans la bâtisse familiale normande. Toute la famille, y compris mon cousin Louis qui me mitrailla de questions sur ma vie future, s’y trouvait. Nous fĂ®mes de grandes randonnĂ©es et de mĂ©morables repas. Il y eut beaucoup de fous rires, de bonne humeur et de respect. Je fus troublĂ©e Ă en rougir lorsqu’un beau matin un ami de Louis dĂ©barqua Ă l’improviste.— Odile, je te prĂ©sente Damien. Un ami d’enfance. C’est possible que vous vous soyez croisĂ©s Ă la grande boum que j’avais organisĂ©e pour mes quatorze ans, vous vous rappelez ?Nous avons Ă©clatĂ© de rire tous les trois au souvenir de cette fĂŞte mĂ©morable. La maison de mon oncle et de ma tante avait Ă©tĂ© « secouĂ©e » puis ordonnĂ©e tant bien que mal Ă l’annonce de leur retour inopinĂ©. Des bouteilles de bière avaient roulĂ© sous les lits, les plantes avaient ingurgitĂ© beaucoup d’alcool, les mĂ©gots avaient volĂ© dans le jardin.— À l’époque, Damien Ă©tait beaucoup plus boutonneux, avait un appareil dentaire et de grosses lunettes. Laisse tomber, Odile, tu ne peux pas te souvenir de lui, il est mĂ©connaissable. Il est devenu beau comme ça depuis… heu, depuis une ou deux semaines !C’est vrai qu’il Ă©tait beau Ă vous couper le souffle. Grand, bronzĂ©, mince. Presque fĂ©lin dans sa façon de se dĂ©placer. Gracieux et viril Ă la fois. En lui faisant la bise je fus toute chavirĂ©e. Ma bouche frĂ´la sa peau douce, hâlĂ©e, et je me sentis rougir comme une gamine. Heureusement, tous ces sentiments confus s’évaporèrent en un instant lorsque je vis apparaĂ®tre sa compagne, la belle Line. Ce fut mon cousin Louis qui se retrouva gĂŞnĂ© comme un communiant devant la jeune blonde Ă©clatante Ă la poignĂ©e de main directe et cordiale. Ils formaient un couple splendide. Très vite, en dĂ©couvrant leurs personnalitĂ©s chaleureuses, j’oubliai leurs beautĂ©s peu communes. Nous passâmes de très bonnes soirĂ©es. Puis je partis enfin, la gorge serrĂ©e, sous les regards attendris et les mains agitĂ©es de tous mes proches. Je les avais suppliĂ©s de ne pas m’accompagner. Dans la dernière image que j’ai d’eux, ils sont tous regroupĂ©s devant la belle maison normande et ils me regardent partir en secouant les bras. Je marche et je me retourne. J’intercepte des baisers que l’on me souffle au creux de la paume, de mes deux mains et de tout mon cĹ“ur j’envoie aux miens un dernier baiser, un dernier regard. Je pars remplie d’émotion et d’amour.Il me fallait me rendre Ă Valence. J’avais dĂ©cidĂ© de faire une halte de deux jours Ă Barcelone, de visiter la ville qu’on m’avait tant recommandĂ©e puis de me rendre en train jusqu’au monastère, Ă quelques kilomètres de Valence.Je pris comme prĂ©vu le train de nuit de Paris – Barcelone. Je n’avais pas rĂ©servĂ© de billet-couchette qui coĂ»tait le double. J’avais un gros sac Ă dos que je posai dans le garde-bagage. AccompagnĂ©e d’un bon livre, je pensais m’endormir rapidement, encore imbibĂ©e du souvenir chaleureux des adieux familiaux.J’étais assise, rĂŞveuse, la tĂŞte penchĂ©e contre la vitre. Elle tremblait doucement au rythme des saccades du train. Je pouvais la tourner et voir mon reflet dans la vitre ; un visage rond, sĂ©rieux que je trouvais laid. Une petite couche de boutons qui me pourchassaient depuis l’adolescence, un front très haut et bombĂ©, mes cheveux fins tirĂ©s en arrière en une queue de cheval nouĂ©e sur le bas de la nuque, des petites lunettes rondes dorĂ©es qui renforçaient mon allure austère. Les verres cachaient mes yeux marron très quelconques Ă mon goĂ»t. Je me regardai en pensant que bientĂ´t je ne verrais plus mon reflet quotidiennement dans un miroir. Encore l’une des peccadilles dont j’allais me sĂ©parer. J’avais les paumes des mains posĂ©es sur mes cuisses, sur la jupe blanche Ă fleurs que m’avaient offerte mes cousines. Tout comme le petit chemisier vert en coton, si bien assorti. Je les avais mis pour leur faire plaisir. Avant de les plier sans doute d’ici peu sur une planche de bois. Avec mes sandales spartiates, j’avais une belle allure ! J’avais formellement interdit Ă ma petite-nièce de me mettre du vernis Ă ongles rouge sur les orteils. Elle avait dĂ» se contenter d’un vernis transparent, après avoir passĂ© deux heures Ă me faire une pĂ©dicure et une manucure. Je souriais en revoyant la gamine de sept ans jouer Ă l’esthĂ©ticienne.Alors que mes pensĂ©es erraient, mon regard s’arrĂŞta sur le pied d’un homme posĂ© sur le siège face Ă moi. Je ne pouvais voir Ă qui il appartenait. Je le trouvais parfait ; excitant. On avait envie de le malaxer, de le toucher. Je m’amusai Ă imaginer l’heureux propriĂ©taire : le visage de Damien s’imposait inlassablement. Finalement je sombrai dans le sommeil et rĂŞvai de scènes d’amour torrides. Ă€ mon rĂ©veil le « beau pied » avait disparu. Tout le monde dormait autour de moi. Je me demandais pourquoi j’étais soudain saisie de telles images voluptueuses. Serait-ce Ă cause du mariage que je devais bientĂ´t cĂ©lĂ©brer ? Et si je n’étais pas prĂŞte ? Si l’on cherchait Ă m’envoyer des signes ? Je n’avais jamais goĂ»tĂ© de vĂ©ritables plaisirs sensuels et je m’apprĂŞtais Ă y renoncer Ă jamais. Était-ce la tentation du pĂ©chĂ© qui venait me titiller ? Pourtant, la sĹ“ur principale l’avait souvent rĂ©pĂ©tĂ© aux novices « mieux vaut ĂŞtre une femme aimante, une mère dĂ©vouĂ©e qu’une mauvaise sĹ“ur. Soyez sĂ»re de votre vocation. Vous ne renoncez Ă rien, vous Ă©pousez le Seigneur. Votre âme et votre corps doivent le vouloir ». Je ne savais que faire des images de mon rĂŞve. J’aurais tant aimĂ© recevoir une rĂ©ponse simple !Je dĂ©cidai de me dĂ©gourdir les jambes et de me rendre Ă la voiture-restaurant. Je me levai de mon siège. Dans le compartiment, de jeunes gens s’étaient recouverts d’une couverture, une femme d’une cinquantaine d’annĂ©es avait son livre ouvert sur ses genoux et les lunettes au bout du nez ; elle sommeillait. On n’entendait que le ronronnement du train rassurant qui berçait les passagers. Je quittai doucement le wagon puis avançai dans le long couloir. En marchant j’étirais longuement les bras, j’inspirais fortement. Je voulais m’imprĂ©gner de l’endroit. Me souvenir, vivre intensĂ©ment ces moments d’éloignement. J’arrivai dans un wagon oĂą les compartiments Ă©taient fermĂ©s ; il s’agissait sans doute des chanceux, plus riches que nous, qui dormaient dans des couchettes. Je m’appuyai alors Ă la fenĂŞtre entrouverte du couloir. Le vent soufflait sur mon visage. Dans la nuit je distinguais Ă peine les arbres et les maisons qui dĂ©filaient Ă une vitesse vertigineuse. Je souriais devant ce spectacle inhabituel. Je me sentais libre, rayonnante. Seule et heureuse. En face de moi arrivèrent deux jeunes gens bruyants Ă©mĂ©chĂ©s d’alcool. Ils prenaient toute la largeur du couloir. Un homme sortit du compartiment se trouvant juste derrière moi. Il s’apprĂŞtait Ă traverser Ă son tour le couloir, mais dut se coller Ă moi pour laisser passer le couple tapageur. Je sentis un parfum masculin, ses mains sur mes hanches, son souffle sur ma nuque, sa taille contre mon bassin. Cela ne dura qu’une demi-seconde. Je rougissais. Dans la nuit je ne pus voir son visage, dĂ©jĂ il s’élançait dans le passage d’une dĂ©marche fĂ©line assurĂ©e. De dos il semblait avoir la quarantaine, ĂŞtre grand et Ă©lĂ©gant. Je le vis s’éloigner, il portait une chemise blanche seyante et un pantalon sombre.J’arrivai enfin au bar de la voiture-restaurant. Il Ă©tait fermĂ© mais plusieurs personnes assises autour des tables buvaient des boissons chaudes provenant du distributeur automatique. Ici il y avait du bruit et de la lumière contrairement au reste du train plongĂ© dans la torpeur. Beaucoup de rires, de discussions en espagnol, anglais, français et catalan. Ça respirait l’insouciance estivale. Je me pris un chocolat dans la machine. Alors que, attablĂ©e seule, je buvais le liquide chaud Ă petites gorgĂ©es, je fus entourĂ©e par quatre jeunes garçons bruyants et sympathiques. Ils devaient avoir dans les dix-huit ans, Ă peine, et rayonnaient de joie de vivre. Ils voulaient s’amuser.— Alors, mademoiselle, vous partez seule Ă Barcelone. Vous ne voulez pas vous joindre Ă nous ?— Laisse cette jeune fille tranquille, tu ne vois pas que tu la dĂ©ranges ?— Je vous dĂ©range ? Je vous trouve charmante et je fais juste un brin de conversation, c’est permis non ? Ne faites pas attention Ă lui, il est jaloux. Il n’ose pas parler aux belles filles ! Vous vous appelez comment ?— Odile.— Odile, quel nom magnifique ! C’est la première fois que vous voyagez Ă Barcelone ?— Oui.— ArrĂŞte, c’est moi qui pose les questions.Ils faisaient semblant de se battre pour me parler, pour ĂŞtre le plus près de moi. Ils se poussaient du coude, se faisaient tomber de la chaise afin de rester en face et proche de mon visage. Je trouvais leur petit jeu de sĂ©duction attendrissant.— On vous a dĂ©jĂ dit, Odile, que vous Ă©tiez très jolie ?— On vous a vue entrer de loin dans le wagon. Vous ĂŞtes vachement bien foutue, vous savez.— T’es con toi, on ne dit pas ça aux femmes !Je souriais en Ă©coutant leurs compliments maladroits. Lorsque le plus tĂ©mĂ©raire des quatre me proposa « en tout bien tout honneur » de venir passer un petit moment agrĂ©able dans leur compartiment couchettes, je lui rĂ©pondis que j’étais fiancĂ©e.— FiancĂ©e ? Ça veut dire que vous allez vous marier et tout ça ?— Oui, c’est la raison pour laquelle je me rends en Espagne.— Et votre fiancĂ© vous attend lĂ -bas ?— Oui…— Eh ben ! Il en a de la chance ce garçon ! J’espère qu’il en vaut la peine…— Il en vaut la peine, rĂ©pondis-je les yeux Ă©tincelants d’amour.La joyeuse bande repartit comme elle avait dĂ©barquĂ©. Je leur souhaitai « bonne chance » dans leurs prochaines tentatives de drague et repris mon chocolat.C’est alors que je le vis seul Ă une table, me dĂ©vorant du regard. C’était l’homme Ă la chemise blanche qui m’avait frĂ´lĂ©e auparavant. Je pouvais Ă prĂ©sent le voir de face ; il avait les cheveux très noirs, les yeux foncĂ©s et le teint hâlĂ©. On aurait dit un bel Italien sorti tout droit d’un magazine tant sa beautĂ© Ă©tait typĂ©e. Je l’aurais bien vu vanter les bienfaits d’un parfum, d’une montre prestigieuse ou d’un cafĂ©. Il Ă©tait si beau qu’il en paraissait irrĂ©el. Lorsqu’il me sourit, je me retournai pour voir derrière moi quelle Ă©tait la crĂ©ature qui bĂ©nĂ©ficiait de son sourire charmeur. Il n’y avait personne. Il se leva et vint s’asseoir Ă ma table, en face de moi. Il se pencha tout près, pour la seconde fois je pus sentir son souffle.— Vous permettez ?— Bien sĂ»r.MalgrĂ© moi j’étais troublĂ©e. Il se rapprocha de moi et me parla presque dans un murmure— Excusez-moi, mais j’ai entendu votre conversation avec les jeunes gens. Votre beautĂ© leur a fait tourner la tĂŞte.— Je vous en prie…— Vous ĂŞtes donc fiancĂ©e ?En prononçant cette phrase, il s’empara doucement de mon annulaire gauche et le caressa du bas vers le haut Ă plusieurs reprises. J’étais tĂ©tanisĂ©e— Pourtant, je ne vois pas de bague de fiançailles…Je rĂ©pondis en chuchotant, la gorge serrĂ©e :— Je porterai une alliance dans quelques jours.Il reprit alors la parole, sĂ»r de lui :— Odile. Je peux vous ouvrir comme une fleur, vous prĂ©parer Ă votre nuit de noces. Vous arriverez Ă©close comme une rose. Il n’aura plus qu’à vous butiner…J’étais outrĂ©e et hypnotisĂ©e Ă la fois par sa voix suave et son regard perçant.— De quel droit me parlez-vous ainsi ?Toujours plus près, je sentais ses lèvres sur mon oreille, il murmura :— ConsidĂ©rez-moi comme un Casanova des temps modernes. J’aime les femmes, j’aime les faire jouir. Cela me donne tous les droits. Je vous regarde et j’ai envie de vous. Vous allez vous marier dans quelques jours, nous sommes tous les deux dans ce train de nuit et je veux vous faire hurler de plaisir.J’avais du mal Ă respirer. Je ne reconnus pas ma voix tremblante et basse lorsque je lui dis :— Pourquoi n’allez-vous pas dire vos obscĂ©nitĂ©s Ă une autre ?— Vous savez très bien que ce ne sont pas des obscĂ©nitĂ©s. Je parle le langage du corps. Je sens le vĂ´tre frĂ©missant, il est fait pour le plaisir. Depuis que je vous ai frĂ´lĂ©e dans le couloir, je vous dĂ©sire. Et je sens que vous aussi brĂ»lez d’envie de sentir mes mains sur votre peau. Vous savez qu’avant de vous marier vous devez connaĂ®tre cette nuit, libĂ©rer vos pulsions…— Vous ne savez rien du tout.— Je sais Odile que chaque femme est comme une guitare ; j’ai le don de savoir leur faire l’amour, de faire exploser leur musique intime. Les femmes crient dans mes bras. Chacune est unique et je sais les caresses qui appellent son plaisir, comme une folie.Je fus choquĂ©e de m’entendre dire « Je vais me marier, mon Ă©poux saura me donner du plaisir ».— Je n’en doute pas, mais il faudra trembler sous mes doigts afin de vous libĂ©rer. Vous le savez, Odile, ne vous mentez pas.J’avais du mal Ă soutenir son regard brillant.— Vous parlez comme si vous me connaissiez ! De quel droit ?— Je vous l’ai dĂ©jĂ dit, j’ai un don exceptionnel. Je ne vous connais pas, certes, mais je vous sens.Il me prit la main, la retourna et dĂ©posa un baiser au dĂ©but du poignet. En effleurant ma peau diaphane il planta son regard dans le mien et me dit :— Je sais comment vous rendre folle. Je serai votre guide. Je ne ferai que vous rĂ©vĂ©ler Ă vous-mĂŞme. Il y a des choses que je ne ferai pas. Je ne serai que l’écho de vos dĂ©sirs enfouis.Il se rapprocha encore et d’une voix enchanteresse murmura :— Je ne glisserai pas mon pĂ©nis gros et long, Ă la peau douce comme du velours, dans votre bouche. Il n’entrera pas entre vos lèvres. Je ne le passerai pas entre vos seins que j’aurai enduits de salive.J’étais rouge de honte, je voulais me sauver mais il me tenait toujours la main.— Je ne vous lècherai pas entre les fesses…Je sentais le sang battre dans mes tempes. Je le suppliais de me laisser partir— Je ne vous ferai que du bien, jeune fille.Avant de me dĂ©faire de son emprise, je m’approchai de lui et murmurai, les yeux perdus dans le vide :— Et que me ferez-vous ?Dans un chuchotement troublant, il me rĂ©pondit :— Vous ne pourrez point l’entendre, il vous faudra le vivre dans votre chair.C’est presque en courant que je regagnai mon fauteuil. J’avais les joues en feu. Je tremblais et j’étais choquĂ©e. Pour me calmer, je dĂ©cidai de lire et très vite, bercĂ©e par le roulis du train, je sombrai dans le sommeil. Je me rĂ©veillai en sueur. J’avais rĂŞvĂ© que je hurlais de plaisir sous les caresses de mon dom Juan. Il me semblait qu’on pouvait lire sur mon visage mes pensĂ©es profondes. Je craignais d’avoir vraiment criĂ© dans mon sommeil. Dès que je fermais les yeux, les mĂŞmes images revenaient me hanter. Finalement, n’y tenant plus, je dĂ©cidai de me lever et de me rendre dans le couloir. Devant sa cabine.Je posai mes bras sur les rebords de la fenĂŞtre. Je me laissais bercer par la vitesse quand j’entendis la porte de son compartiment s’ouvrir. Il en sortit et se rapprocha de moi. Il venait me chercher. Lui aussi s’accouda Ă la fenĂŞtre. Puis il me regarda, me prit simplement la main et me dit « viens ». Tel un automate, ma main emboitĂ©e dans la sienne, je le suivis. Nous fĂ®mes quelques pas puis il ouvrit la porte du compartiment qu’il referma Ă clef. Ă€ l’intĂ©rieur il y avait quatre couchettes spacieuses inoccupĂ©es. Les rayons de la lune Ă©clairaient Ă peine l’endroit. Ou bien Ă©tait-ce le nĂ©on de sĂ©curitĂ©Â ? Je me tenais debout, mon cĹ“ur battait très fort. Je ne comprenais pas ce que je faisais ici. Il s’approcha de moi et me murmura Ă l’oreille :— Merci d’être venue.Son accent Ă©tait indĂ©finissable. Sa voix Ă©tait harmonieuse. Je me sentais en confiance. Je fermais les yeux. D’une main il m’effleura le visage. D’abord le front, puis les paupières, enfin les lèvres. Au contact de ses doigts tout mon corps frĂ©mit. Il me caressa Ă nouveau le visage avec une douceur extrĂŞme. Sa main me frĂ´la une joue puis une autre. De sa main libre il prit ma paume droite et y dĂ©posa un baiser. Lentement il mit mon index dans sa bouche et le lĂ©cha. Sa langue passa entre chacun de mes doigts. Je ressentais une douceur brĂ»lante. Je dĂ©couvrais que le dĂ©sir montait en moi alors qu’il ne faisait que sucer mes doigts. Mais il le faisait avec lenteur et sensualitĂ©. Chaque pore de ma peau qu’il touchait se mettait Ă brĂ»ler. Ma respiration se fit plus forte. Ensuite ses doigts descendirent doucement vers mon menton puis mon cou. Son souffle frĂ´la mon oreille, il y pĂ©nĂ©tra sa langue dans le pavillon et en mordilla subrepticement le lobe. Sa main doucement continuait Ă descendre sur mon cou. Mes paupières toujours closes, j’étais tout entière tendue vers le contact doux et Ă©lectrisant de sa peau. Il semblait vouloir dĂ©couvrir mon corps avec une lenteur parfaite. Je me sentais frĂ©mir de plaisir Ă son toucher. En bas de mon cou, juste au-dessus des seins, il se mit Ă faire des cercles avec ses doigts magiques. Je commençais Ă gĂ©mir. Je sentais la pointe de mes seins se durcir dans ma chemise et mes deux mamelons supplier les caresses. Mais il prenait son temps.Il posa alors sa bouche sur mon cou et je sentis sa langue me caresser puis remonter peu Ă peu jusqu’à mes lèvres. Enfin, il y eut un baiser. Tout mon corps s’ouvrait Ă lui, je sentais sa langue dure et pointue contre la mienne, sa langue lĂ©cher mes dents, puis se faufiler dans le coin de mes lèvres. Sa salive se mĂŞler Ă la mienne. Alors que nos lèvres se mordillaient, que nos langues s’entrecroisaient, que nos souffles haletants recouvraient nos visages, ses mains dĂ©licatement ouvrirent le premier bouton de mon chemisier. Je subissais ses gestes, la gorge nouĂ©e par les vagues de plaisir qui me gagnaient. La chaleur montait en moi, me faisait tournoyer. Lorsqu’il ouvrit le second bouton de mon chemisier, je faillis perdre l’équilibre. Doucement il posa ses mains sur ma taille et me fit asseoir sur la couchette. Il me regarda et je sentis le dĂ©sir redoubler. Tout bourdonnait autour de moi, le train filait Ă une vitesse folle, je continuais de gĂ©mir de dĂ©sir sous ses caresses brĂ»lantes. Je n’étais plus moi-mĂŞme, j’étais un jouet entre ses mains, possĂ©dĂ©e. J’en voulais encore. L’attente Ă©tait intolĂ©rable.Il ouvrit encore un bouton, puis encore un bouton. Ă€ chaque fois il effleurait ma peau blanche. Du bout des doigts il caressa le haut de mon petit sein. Il retira ma chemise et posa imperceptiblement les paumes de ses mains sur le coton blanc de mon soutien-gorge. Je sentais mes deux mamelons se durcir Ă travers la toile. Lentement il entourait le galbe de ma poitrine. Il passa son autre main sous ma jupe. Mes cuisses Ă©taient serrĂ©es et il glissa sa main en remontant vers mon sexe. Il l’effleura Ă peine puis revint vers mon buste. Il retira mon soutien-gorge. J’étais Ă demi nue sous son regard brillant. Je posai ma tĂŞte en arrière, et exprimai un soupir de soulagement lorsqu’il mit enfin mon mamelon gauche entre ses lèvres. Il mordillait le bout de mon sein, lĂ©chait l’arĂ©ole. J’avais le buste en arrière, reposant sur mes avant-bras. Il dĂ©vorait Ă tour de rĂ´le chacun mes petits fruits posĂ©s, durs et tendres Ă la fois. Chaque fois que sa langue mouillait ma poitrine des ondes de plaisir me parcouraient. J’avais les cuisses lĂ©gèrement Ă©cartĂ©es et je sentais mon sexe se mouiller, la chaleur enflammer mon bas-ventre. Un miel doux coulait entre mes jambes. Tout mon corps tremblait. Il suça encore et encore mon mamelon, l’entourant de ses lèvres humides et chaudes. La pointe de mon sein durcissait davantage. Il lĂ©cha ensuite la peau entre les deux seins. Il montait et descendait dans des gestes rĂ©guliers qui attisaient mon dĂ©sir.Ensuite il m’allongea. Mes pieds touchaient encore le sol mais mon esprit voyageait vers une sensualitĂ© inconnue. Il me lĂ©cha longuement le ventre. Je me mordis les lèvres pour ne pas hurler lorsqu’il fourra la pointe de sa langue dans mon nombril. Il m’allongea entièrement sur la couchette. Il me retira mes sandales et se mit Ă me lĂ©cher les pieds. Une nouvelle ondulation de jouissance me parcourut. Sa bouche remontait doucement vers ma jambe, puis vers ma cuisse pour atteindre enfin l’aine ; juste Ă cĂ´tĂ© du sexe. LĂ oĂą la peau est diaphane, toute fine. Longtemps il s’attarda sur ce coin de peau. Ses coups de langue me faisaient pousser des cris. Le plaisir sexuel qui m’étreignait ressemblait Ă une torture. Tout mon corps n’était que frĂ©missements. Il me lĂ©cha de l’autre cĂ´tĂ© de l’aine. Un miel chaud continuait Ă s’écouler de mon sexe.Avec ses doigts il retira ma petite culotte de coton blanc. Volontairement il ne toucha pas mes lèvres enflammĂ©es qu’il rĂ©servait Ă son sexe. Il fit descendre centimètre par centimètre la culotte le long de mes jambes. Ma peau vibrait sous ses doigts. Il me laissa ma jupe. Sur le tissu il caressa ma vulve. Puis il me prit les deux mains et je me retrouvai debout, Ă moitiĂ© nue au milieu de la pièce. Il retira sa chemise blanche. Il posa ses mains sur mes fesses et les caressa Ă travers l’étoffe de ma jupe. Je commençais Ă sentir son sexe, gros et dur, Ă travers son jean. J’étais aimantĂ©e et me rapprochais doucement de lui, me frottais en gĂ©missant. Ma bouche avide cherchait ses lèvres et sa langue.Alors que nous nous embrassions lascivement, je sentis mes doigts dĂ©faire avec agilitĂ© la ceinture de son jean. Je ne me contrĂ´lais plus. Je sentais sa verge Ă travers son pantalon. J’avais envie de la toucher, de la saisir, mais il m’allongea Ă nouveau. Avec grâce et noblesse. Il retira son jean puis enfin, tout en me laissant ma jupe, il s’allongea sur moi et me pĂ©nĂ©tra. Il me semble que je n’avais vĂ©cu jusqu’alors que pour connaĂ®tre ce moment. Tout mon corps Ă©tait pointĂ© vers ce plaisir, tendu et Ă la fois humide d’attente. Je fus transpercĂ©e de plaisir par son membre. Je hurlais. Il me pĂ©nĂ©tra encore et encore, entrant Ă chaque fois dans mon corps assoiffĂ© de son sexe. Alors que mes cuisses ouvertes attendaient que son membre entre en moi une nouvelle fois, il s’agenouilla et se mit Ă me lĂ©cher. Sa langue passait et repassait sur mes lèvres, son souffle brĂ»lant enflammait mon clitoris. Il passa sa main sur mon pubis. J’étais inondĂ©e de dĂ©sir. Ă€ nouveau sa langue monta le long de mon sexe, lentement. L’attente de son membre dru en moi devenait une souffrance.Il s’allongea sur le dos. Je m’agenouillai et l’admirai ; il avait un corps fin et musclĂ© Ă la fois. Son buste large Ă©tait recouvert de poils noirs frisĂ©s, les muscles des bras saillaient sous sa peau brune, ses longues jambes Ă©taient Ă©tendues sur le sol. Mais je ne voyais que son sexe. Tel un mât, dressĂ© et vigoureux, tendu vers le haut, il m’appelait. Il m’effrayait et m’attirait Ă la fois. L’homme leva ses deux bras et me prit les mains. Je me mis debout, une jambe de chaque cĂ´tĂ© de son bassin. Je sentais ses hanches contre mes pieds. Doucement il me fit m’asseoir. Mes jambes s’ouvrirent et mon sexe engouffra son membre. Je geignais de plaisir. Il me caressait les seins, les fesses, le dos. Puis il posa ses mains sur mes hanches pour dicter le rythme de mes mouvements. Je sentais son pĂ©nis en moi, telle une Ă©pĂ©e dans son fourreau. Il continuait Ă me pĂ©nĂ©trer, puis il s’assit, les jambes en demi-cercle posĂ©es autour de moi. Je lui entourais le torse de mes jambes blanches et longues. Nous nous balancions, emboitĂ©s l’un dans l’autre, Ă la cadence de ses coups de reins. Je haletais, les ondes de jouissance s’élevaient, emportant tout sur leur passage. L’orgasme monta en moi et explosa en un cri inconnu. Ce fut un feu d’artifice dans ma tĂŞte, dans mes membres, dans mon sexe. Un dĂ©chirement, une extase et une douleur. Un raz de marĂ©e au rythme de ses mouvements dans les profondeurs de mon corps. Lorsque l’orgasme atteignit son paroxysme, je crus devenir folle. Je hurlais comme jamais de ma vie je n’avais criĂ©. Une lumière blanche m’inonda le cerveau. Comme une illumination divine. Je hurlais, je râlais. Le train continuait de rouler.Peu Ă peu le calme me regagna. Ma respiration se fit plus lente. Je m’allongeai, extĂ©nuĂ©e, auprès de l’homme. Des larmes coulaient de mes yeux, puis je fus prise d’une vĂ©ritable crise de sanglots. Tout mon ĂŞtre tremblait encore de cette expĂ©rience violente.Je sentais mes paupières se fermer malgrĂ© elles.Avant de plonger dans le sommeil, je l’entendis me murmurer Ă l’oreille— Maintenant, tu peux te marier.Lorsque j’ouvris les yeux j’étais toujours allongĂ©e par terre. Ă€ ma grande surprise, j’étais habillĂ©e et il m’avait recouverte d’une couverture fine. Je m’étendis comme une chatte, souriante, plus vivante que jamais. J’avais une faim de loup. Je me levai pour me rendre vers la voiture-restaurant. Mes cheveux Ă©taient lâchĂ©s sur mes Ă©paules, ma dĂ©marche plus souple qu’à l’accoutumĂ©e. Sur mon passage je vis plusieurs hommes se retourner et observer mon bassin sous ma jupe blanche fleurie. Je ne me sentais pas souillĂ©e par ces regards. PlutĂ´t flattĂ©e.Je ne cherchai pas Ă retrouver mon sĂ©ducteur. Je le savais parti vers d’autres femmes. Moi j’avais d’autres choses Ă faire. Un mariage important m’attendait. Une alliance que j’étais plus dĂ©terminĂ©e que jamais Ă entreprendre. Il avait raison, je me sentais prĂŞte pour mon Ă©poux.