Une belle journée d’été, une base de loisirs autour d’un lac de montagne entouré de pins et de sommets aux neiges éternelles.Des femmes, par centaines, par milliers, toute une foule de tous âges, tournaient autour sur le chemin, marchant lentement, l’une derrière l’autre, silencieuses, dans le même sens, celui des aiguilles d’une montre, celui du temps dont elles s’épanchaient de leurs veines béantes, grandes blessées d’une guerre sans armes et sans armées. Elles venaient de tous les pays et allaient pieds nus, vêtues de longues robes noires, presque transparentes, et coiffées de rosiers tressés. Les fleurs ouvertes exhalaient de doux parfums qui se mêlaient aux fragrances féminines, mais les fronts saignaient sous les épines acérées. Les tissus fins se moiraient sous le soleil.La scène était baignée d’une lumière d’altitude, bien plus crue qu’en plaine. Les ombres étaient courtes et si épaisses que l’on aurait pu choir dedans en y marchant par mégarde. Il était environ quinze heures. Aucun vent. Tous les grillons, tous les oiseaux de l’azur, ceux qui étaient noirs et ceux qui éclataient de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel contribuaient ensemble au concert joyeux de la vie.Pourtant, la plupart des femmes pleuraient. Celles qui ne pleuraient pas se tordaient les mains de douleur, se mordaient les lèvres jusqu’au sang. Car le Créateur, afin de punir leur frivolité, les avait frappées de mélancolie. Même celles que l’existence avait épargnées de drames étaient atteintes d’une tristesse inexplicable, inguérissable. Deuils d’amours qu’elles n’avaient jamais éprouvés, chagrins d’enfants qu’elles n’avaient pas portés : rien de concret ne justifiait leur peine. Leurs yeux rougis ne supportaient plus l’exultation de la nature ni leurs oreilles le chant dissonant de l’humanité.Procession funèbre ! Elles se dirigeaient en spirale vers un plongeoir situé au centre de l’étendue d’eau, afin de s’y jeter, chargées de chaînes et lestées de lourds poids qui, chacune à leur tour, les précipitaient au fond, très profond, où la lumière renonce, où des incubes surgis de l’enfer les violaient avec la dernière sauvagerie avant de les entraîner plus bas encore, vers les entrailles brûlantes de la terre, le côlon gluant de Gaïa, digérées et déféquées pour l’éternité.Simultanément, les hommes eux aussi étaient sanctionnés pour leur orgueil futile, mais dans d’autres lieux et selon d’autres méthodes.Seul sur le bord, en retrait de la procession macabre, un garçon s’exerçait de tractions.Il avait à peine l’âge requis pour faire l’amour.Il voulait devenir fort comme un héros de la mythologie grecque, afin de séduire les filles.Rien ne pouvait le détourner de son objectif : ni fatigue ni distraction. Il ne prêtait aucune attention au drame qui se jouait autour du lac.Bras tendus, bras détendus, en rythme constant. En pronation, puis en supination, alternativement, tous les dix mouvements. Torse nu, pieds nus, ses muscles saillaient sous l’exercice, biceps et dorsaux.La sueur coulait abondamment sur son torse glabre, sur ses abdominaux apparents, le long de ses cheveux bruns.Une femme enfin le remarqua.Elle se prénommait Élodie, avait quarante-quatre ans, et comme les autres, elle s’apprêtait à mourir noyée dans le grand bain du désespoir, bien que ne se connaissant pas de faute à expier.La vue de ce jeune homme provoqua un spasme dans son ventre, court, mais intense. Elle se dit qu’elle n’avait rien ressenti de tel depuis longtemps.Curieuse, elle s’avança vers lui. Les yeux du garçon étaient de vastes soleils noirs, brillants de force vitale. Il continuait son exercice en soufflant et transpirant beaucoup, sans montrer de signe d’épuisement.Subitement, elle reçut comme une éclaboussure d’énergie joyeuse et d’innocence.Elle se tint en face de lui, hypnotisée par la grâce de l’adolescent, pendant que les autres femmes continuaient à tourner. De temps en temps, l’eau monstrueuse avalait l’une d’elles. Élodie demanda son prénom au garçon, mais il ne répondit pas. Il se contenta de lui sourire. Depuis combien de temps n’avait-elle pas reçu un authentique sourire ? Une réelle attention ?Alors, sans comprendre son geste, elle abaissa le short et le slip jusqu’aux chevilles.À la traction suivante, les vêtements tombèrent au sol, prirent feu et disparurent aussitôt, comme engloutis par la terre. Il était totalement dévêtu en face d’elle, mais ne semblait pas faire grand cas de sa pudeur bafouée par une inconnue.La verge en érection se dressait vers les nuées, dégorgeant une abondante rosée du désir dont les gouttes s’écrasaient une à une, pluie luxurieuse d’un jour ensoleillé. Il bandait depuis le premier regard, comme s’il avait su d’avance qu’elle allait libérer ce sexe prêt à s’embraser. Le pubis était dépourvu de poils, mais le phallus était celui d’un faune, d’un homme complètement formé et non d’un enfant. Virilité glorieuse ! Le gland largement fendu chatoyait, splendeur incandescente d’un adonis indécent, l’œil acéré du désir mâle. La beauté juvénile se révéla en un instant dans sa plénitude divine. Élodie en fut bouleversée. Ses pleurs séchèrent aussitôt.Elle prit le membre entre ses mains, délicatement. Chaud et doux au toucher, il palpitait comme un oiseau blessé, quémandant la caresse comme nourriture vitale. Elle-même se savait une oiselle blessée.Un instant, elle se demanda si le jouvenceau n’était pas l’un de ces incubes qui se serait extrait du lac afin de dévorer les imprudentes qui l’approcheraient. Si tel était le cas, elle accepterait ce sort, et se donnerait volontiers en nourriture à un démon afin d’échapper à sa mélancolie terrestre. Cependant, le garçon ne manifestait aucune agressivité. Il observait Élodie, l’air étonné d’une telle indécence. Après une courte interruption, il continua à exécuter ses tractions, soufflant et transpirant. Il paraissait traversé d’incroyables douleurs. Parfois, son regard se tournait vers le ciel et il semblait implorer quelque chose de mystérieux.D’autres femmes vinrent se joindre à ce couple. Certaines étaient plus jeunes, d’autres plus âgées qu’Élodie. Toutes partageaient le même espoir en cette découverte inattendue. Toutes demeuraient éblouies par cet être rayonnant. Les yeux de l’inconnu devenaient des braises obscures.Elles voulurent le protéger. Instinct maternel ? Elles eurent peur qu’avec sa peau si claire et le soleil si fort, il attrape un coup de soleil. Alors, elles recouvrirent l’épiderme de crème solaire, toutes en même temps. Elles n’oublièrent aucune partie du corps. Ni les génitoires ni l’orifice anal ne furent négligés. L’une de ces dames intrépides en profita pour masser la prostate.Chatouillé, stimulé par tant de caresses impudiques, il déversa son abondante semence sur les visages féminins.L’innocent n’avait encore jamais éjaculé. Il respirait très fort. Soudain, sa tête pencha sur le côté. Au sommet de l’orgasme, les mains rivées à sa barre de traction par la seule force de sa volonté, il ressemblait à un Christ crucifié lors de son agonie finale. À l’instant de l’extase, les deux soleils noirs de son regard pénétrèrent les âmes des femmes, toutes en même temps, comme des sexes mystiques.Il cessa alors son exercice et regarda celles qui lui avaient donné ce plaisir qu’il ne connaissait pas encore. Elles eurent soudain peur de sa réaction. L’envoyé du Créateur venait pourtant de les sauver. Sur les robes obscures, le sperme formait des dessins mystiques que chacune comprenait dans sa langue maternelle.Il courut vers le lac et s’enfonça dedans, nu. Il profita de sa force nouvelle pour tuer de ses mains tous les incubes dont les cadavres rebouchèrent l’orifice de l’enfer. On ferma définitivement le plongeoir maudit. Plus aucune femme ne se noya.Comme les autres, Élodie s’empressa d’embrasser son mari et ses enfants inquiets. En dépit des recherches, personne ne revit ce bel éphèbe.Celui qui avait offert la vie.Tel fut mon rêve d’une chaude journée de juillet, allongée sur une rive du lac, tandis que des jeunes jouaient au volley près de moi.