Nous avons le plaisir de vous proposer 3 textes autour du 14 juillet, dont nous vous conseillons la lecture dans cet ordre :* Un 14 juillet, bleu, blanc, sexe (Patrick Paris)* Un 14 juillet, bleu, blanc, sexe (Amarcord)* Un 14 juillet, bleu, blanc, sexe (Samir Erwan)Les auteurs.La France se nomme diversitéFernand BraudelJ’ai toujours aimé être derrière Stéphanie et agripper ses belles petites fesses rondes. J’ai toujours aimé l’entendre gémir et m’enfoncer en elle. J’ai toujours aimé plaquer ma main sur sa nuque et voir ses cheveux blonds s’enrouler autour de mes doigts. Ses cris deviennent toujours intenses. Ce matin, je souris et me demande pourquoi je ne reviens pas chez elle plus souvent.Steph a un bel appartement peint en blanc, au deuxième étage, rue Véronèse, près de la place d’Italie. Son lit est près de la cheminée, elle y a mis un large miroir et je nous vois de profil, jouant la bête à six pattes : sa taille fine, ses seins qui se meuvent au rythme de mes mouvements, mes hanches qui claquent l’arrière de ses cuisses. Je me retire, elle s’effondre dans les draps en un rauque râle et j’asperge son cul.— Salaud, qu’elle me dit en un souffle.— Gosse de riche, que je lui réponds en me couchant à ses côtés.Nous reprenons notre respiration dans la lumière du petit matin. La musique de Paris se fait entendre : moto, camions, klaxons. Dans quelques heures, il y aura des tirs de lacrymos et de LBD, il y aura des cris et des rires, il y aura des mots contre les CRS et les élites qui nous gouvernent. Steph remarque mes yeux ouverts fixant le plafond :— Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt ?— J’étais occupé, désolé.— Tu viens spécifiquement pour la manif ?— Oui.— J’apprécie quand tu passes me voir…— J’aime passer te voir…Nous nous embrassons dans une belle étreinte que je me souviendrai toujours comme étant la dernière. J’ai toujours bien aimé Steph malgré tout. Je me lève et m’habille et tandis qu’elle est toujours nue au lit, je l’avertis une dernière fois :— Si on t’interroge, je suis parti vers 10-11 heures, OK ?— Oui, tu m’as déjà dit que j’étais ton alibi… me répond-elle en riant. Et je te rejoins vers midi.— Oui, suis les infos, mais on sera dans le septième, je crois…, lui dis-je en l’embrassant. Faut que je me sauve !— Sois prudent !— Comme toujours ! À la manière d’un héros de film.Je prends mon sac et déguerpis au plus vite. C’est toujours dans ces moments que la volonté flanche. J’aurais pu rester nu, au lit, à baiser avec Steph toute la journée. Nous serions allés chez le kebab du coin pour nous sustenter, nous aurions pris des bières, aurions pu écouter un film. Mais non, Steph étudie le journalisme et souhaite prendre de l’expérience. Elle s’encanaille avec un mec comme moi. Moi, je suis un militant qui fera la révolution. Rien de moins.*Avec des camarades, aujourd’hui est un nouveau jour de bagarres contre les CRS et autres agents infiltrés. C’est simple, on connaît qui sont les ennemis, tous ceux casqués et armés qui protègent l’État et ce gouvernement corrompu.Mais personne n’avait prévu ce qui se passerait. Nous n’avons pas eu le temps de nous organiser pour contre-attaquer. Nous n’avons même pas pu attaquer. Pourtant le plan était bon !Sur l’avenue des Gobelins, Marc et moi nous sommes retrouvés comme prévu, près du slogan graffiti « DEPSE PASO », sous un porche menant à une arrière-cour. Nous nous sommes changés et sommes ressortis cagoulés et habillés de noir, direction Place d’Italie. Déjà , la foule se dirigeait en masse vers le lieu de départ de la manif, joyeuse et pleine d’hurluberlus qui croyaient encore que les protestations pouvaient changer le cours de l’histoire. L’odeur, celle du soufre, nous est parvenue avant les cris, avant la débandade, avant la fumée. Personne du Groupe n’avait pu placer les bennes en place, personne n’avait pu ériger les barricades comme prévu : pourtant, les palettes étaient bien stockées, il ne suffisait que de quatre minutes à huit personnes pour faire le feu de joie !Mais les flics devaient avoir eu vent de l’embuscade que nous avions préparée et, comme à leur habitude, avaient bombardé les citoyens qui en avaient contre le pouvoir. Les salauds !Marc et moi avons couru, avons rejoint le Groupe soudainement désorganisé : « Qu’est-ce qu’on fait ? », mais la réponse était prête : cocktails Molotov et riposte, le feu dans les bennes bien placées et les palettes bien huilées pour que tout prenne bien et hop, on envoie tout rouler contre les hordes casquées et armées. Je reconnais les gestes de mes frères et sœurs d’armes. Lucille s’applique à allumer les bombes, Antoine harangue les troupes, Nadia à la logistique des pavés, Fernand, Antoine, Killian, Fanny et Aïcha aux tirs chirurgicaux qui blessent. Ils ne nous auront pas ! J’ai dû recevoir une balle en plastique sur la cuisse, j’ai mal, mais nous continuons sous nos masques à gaz à riposter, plus de trente humains fiévreux d’en finir avec les classes : « À bas l’élite ! » Parmi le Groupe, je perçois une militante qui analyse et réfléchit avant de jeter les pavés. Je ne la reconnais pas, bien que nous combattions côté à côte. Elle me tend la main pour me relever d’une mauvaise chute : « Prends garde ! » m’avertit-elle d’une voix ferme et douce. Je remarque une mèche de cheveux rebelle qui s’est extraite de son masque : elle doit avoir une belle crinière. Je la pousse un peu plus tard pour lui faire éviter une grenade. À travers les nuages jaunes persistant à rester au sol, je l’observe de loin : petite et bien roulée, agile et rapide, un cul extraordinaire de sportive, une aura rassembleuse. Elle donne des mots d’encouragement à tout le monde. Chacun acquiesce et sourit sous son masque lorsqu’elle s’adresse à eux, la mèche rebelle virevoltante.Mais tout le monde est corrompu et les flics sont plus nombreux que nous. Nous aurions tenu la Place d’Italie si les CRS et autres criminels de ce genre, mercenaires à la solde des banquiers, n’avaient pas désamorcé notre piège dès le petit matin. Il est près de midi, nous avons perdu la bataille, Killian et Nadia sont blessés, les médics s’en occupent : « Repli ! »Nous avons d’autres surprises prévues pour la journée.Je cours rue Godefroy en saluant Zabou et les avions en papier, mais sans rien remarquer d’autres, sinon la masse de malheureux manifestants éberlués par la violence de la Loi et l’Ordre. Je continue sur Stephen Pichon en enlevant masque, cagoule et chandail noir, me fondant dans la foule comme un Parisien outré avant de tourner dans l’impasse du Petit Modèle. Cette petite ruelle calme, nichée derrière la grouillante place d’Italie évoque un village construit en bois, bien typé. Je pense, en appuyant sur la sonnette : « Quel monde de faux-culs ! » Je me tourne vers la rue, je n’ai pas été suivi, c’est bien. La porte se déverrouille avec un bruit d’abeille et j’entre dans l’immeuble de repli stratégique.*J’ai laissé mon sac noir avec tout le matériel dans le coin de la conciergerie avant de prendre l’ascenseur. Je suis habillé en étudiant en pantalon noir et chemise propre en sortant sur le palier de Françoise. La porte de son appartement s’entrouvre, son visage anguleux et ses cheveux corbeaux apparaissent : elle m’observe curieuse comme un chat-huant et émet un fin gloussement :— Je ne m’attendais plus à te voir…— Je ne suis pas revenu à Paris depuis longtemps.Un silence embarrassant tandis qu’elle cogite sur la décision à prendre. Plus grande que moi, plus âgée que moi, Françoise a été ma prof d’histoire lorsque j’étais encore à la Sorbonne. De connaissances communes à des apéros partagés, de fil en aiguille, elle m’a invité dans son repaire d’intellectuelle à réviser l’histoire des Capétiens, que je me plaisais à nommer « les Capulet ». Françoise riait, aimait l’utopie de l’espérance de ma jeunesse et c’est avec elle que j’ai appris ce qu’une bouche pouvait vraiment faire.Grande, mince, vêtue d’une robe d’intérieur laissant paraître ses tout petits seins sans soutif, elle n’attendait personne et je lui souris d’un air niais de jeunesse. Françoise ouvre la porte en me faisant un geste théâtral. J’ai gagné.On entend la pétarade des escarmouches aux coins des rues. Toutes les fenêtres sont fermées pour empêcher les gaz de pénétrer. De la gêne initiale, il ne reste plus rien. Françoise déballe le fromage et les saucissons, je coupe le pain. Elle picore ici et là des morceaux en enlevant la peau de la charcuterie, moi je m’enfile tout ce qu’il y a. Elle me sourit à me voir si rapace et la discussion est simple :— Que fais-tu ces temps-ci ?— Je me suis reconverti fermier !— Ah bon ?— Dans une ferme autogérée, oui : les légumes poussent bien !— C’est bien, c’est l’avenir, beaucoup plus que l’étude de l’histoire…Françoise est une femme mélancolique qui réfléchit trop. Elle contemple par la fenêtre les fumées jaunes des gaz qui ne se dispersent pas. Femme de gauche, défendant avec ardeur l’État Providence des belles années, elle semble regretter certaines décisions prises, qu’elles soient personnelles ou collectives.— Nous pouvons dire ce qu’on voudra, mais le dernier véritable bon gouvernant que la France a eu, c’est Macron…Je la laisse dire, je n’étais pas né lorsqu’il a terminé son dernier mandat. Elle continue :— Depuis, tout va à vau-l’eau…Silence songeur, j’avale ma bouchée de cochonnaille. Une question me taraude la tête : « Historiquement, est-ce vraiment ce Président qui a changé la constitution ou non ? », mais je me ravise. Françoise ne me voit plus comme le naïf étudiant que j’étais. Je change de tactique, je m’enflamme plutôt : c’est ce que Françoise a toujours aimé chez moi :— Françoise, tu ne crois pas qu’il serait temps de remonter le courant, et de faire tourner le vent ?Elle tourne la tête comme une duchesse, me fixe en profondeur et je continue à m’emporter. J’affirme des vérités incroyables sur le rôle que devrait jouer l’État – incroyables, car frôlant la subversion, ces temps-ci, il faut faire attention à ce que l’on dit ! – sur le rôle que doit jouer la population, sur la manière de gérer les initiatives citoyennes, sur la réorganisation de l’économie internationale, sur le capitalisme qui depuis toujours ébranle notre capacité d’agir en « collectif » peu importe le suffixe qu’on lui appose, néo ou post ou encore !Françoise m’adresse le sourire que je recherche toujours chez elle, ses fossettes se déridant, sa peau s’étirant, ses yeux scintillants. Elle me tend la main en me chuchotant : « Viens ici… » et je sais ce qui s’aboule.Elle me fait asseoir sur le sofa, je vois des livres d’histoire de l’art ouverts sur leur tranche et Françoise baisse mon pantalon. Elle murmure d’une moue des mots que je devine : « Ça fait longtemps que je ne t’ai pas vu, toi… », ou quelque chose du genre, avant de me dévorer, de m’aspirer avec les joues creuses, de me faire visiter sa gorge et tandis que mes oreilles se tendent vers des sifflets et des explosions de grenades dans les rues, Françoise m’avale en affamée comme si elle ne s’était pas sustentée depuis longtemps.Elle est belle femme, mais en effet, peut-être qu’à cinquante balais, il est plus difficile de trouver un homme qui tient la route. Je suis là pour elle. J’ai bien mangé, je suis satisfait. Je reboucle ma ceinture debout, tandis qu’elle est toujours à demi couchée entre le plancher et le sofa :— Faut que j’y aille…Elle se redresse et m’embrasse :— Fais attention à toi, petit fermier.Je lui souris puis, une fois sorti, crache dans le corridor les quelques gouttes de sperme que nous avons échangé.*Nous nous étions organisés par les réseaux sociaux. Deux personnes de mon groupe – Vic et Charlie – possédaient des téléphones « burner » qu’ils n’utilisaient qu’en cas d’évènements comme celui d’aujourd’hui. Aucun contact personnel, aucun numéro de téléphone : qu’un simple accès à un réseau social avec des surnoms selon nos groupes d’affinités. Ainsi, nous avions prévu que chaque Groupe en matinée investissait un lieu. Nous, c’était la Place d’Italie. Puis, selon les progressions de chacun des Groupes, les « référents communication » de plusieurs groupes se réunissant dans un cloud pour discuter de la suite à prendre. Vic ou Charlie nous donnaient des infos du Clan, comme nous appelions cette réunion d’une quinzaine de Groupes d’affinités. Décision a été prise, lors de notre repli Place d’Italie, de rejoindre la Bastille. Ça m’emmerdait un peu de m’y rendre, mais comme notre Groupe avait été décimé, autant s’y rendre et le reformer… Je m’étais bien restauré entre-temps.Récupérant mon sac en sortant de chez Françoise, j’estime la marche – en temps normal – à une trentaine de minutes. Mais c’est sans compter la violence dans les rues et les opportunités à casser du flic ! En effet, des groupes improvisés, des étudiants, des syndicalistes, des bénévoles associatifs, des retraités, des mères, des pères, des travailleurs de tous genres, du smicard au cadre, des SDF, des immigrés, des pauvres, des riches, des citoyens partout dans les rues, rugissant contre le haut de la pyramide, contre le gros œil espionnant nos faits et gestes.« Le pays va à vau-l’eau… » m’avait confié Françoise, et c’est bien vrai. Ou au contraire ! Ce n’est plus seulement les samedis qu’il y a manifestations, c’est tous les jours qu’il y a émeute ! Ne serait-il pas temps que le pouvoir admette ses erreurs et dégage ?Je profite d’une venelle pour me rééquiper sans que personne ne puisse m’identifier. Puis, à travers vociférations et détonations, entre hurlements et rires de désaxés, je me faufile entre les milliers de manifestants qui tirent pavés contre ils ne savent plus trop quoi. Des milliers de rebelles organisés prennent d’assaut les sbires casqués en noir du pouvoir ! Je cours et j’assène des coups ici et là pour passer. Je rigole, j’ai trouvé un bâton je ne sais où – il est très efficace ! J’avance donc dans le brouhaha boulevard de l’Hôpital dans le but de traverser la Seine, m’alliant à certains punks ou à des vieux à moustaches, échangeant des blagues et des infos sur les mouvements des troupes adverses. Équipé comme je suis, je suis le complice de tout le monde : quelques fois même, au cours de mon avancée, on me demande de venir :— Il faut débloquer cette rue !Je hoche alors la tête en criant par-dessus les bombardements :On me montre quelques bouteilles de Pernod remplies d’essence, des cocktails qui coûtent un max de nos jours. Je les prends et vais faire le boulot : la masse suit en hurlant à travers le feu et la fumée. Le monde est à prendre ou à laisser.Le Jardin des Plantes est rempli de monde : il y a même un podium où des groupes de rock et de rap chantent et gueulent leur opposition au monde entier et tout le monde danse. Je passe en riant, me faufilant à gauche, à droite, puis sprinte quand j’en ai le souffle.Traverser le pont d’Austerlitz est autre chose. Bien que des passeurs en barques parcourent la Seine de long en large, des cordons de sécurité déployés par le Pouvoir en place bloquent tout passage terrestre. Les CRS tapent leur matraque sur leur bouclier et font reculer la foule en rythme. Il me reste une bouteille de Pernod des Moustachus et je repère une hippie qui pleure, assise, les genoux contre son front, les bras autour de ses jambes, un porte-voix près d’elle, abandonné. Je m’en saisis.Honnêtement, je ne sais plus ce que j’ai dit, mais j’ai tonné. J’ai révélé tout ce que je pensais, tout ce que j’espérais, je me sentais inspiré, un renversement de pouvoir, un projet de société. J’ai utilisé des mots dont je ne croyais pas comprendre le concept, mais en les jetant à la foule médusée devant moi, tout était clair, tout avait un sens. Stéphanie, la journaliste dont j’avais quitté le lit il y a quelques heures, était là , décoiffée et épatée, le souffle coupé devant ma harangue.C’est tout ce dont je me souviens de ce moment.Un collègue d’un quelconque Groupe d’affinité me tend la main :Je lui lègue le Pernod et la foule le suit ; je hurle dans le porte-voix de la hippie : « Oui pasaran ! » et, comme un seul homme, comme une seule femme, la rue prend le pont, comme une flèche enfiévrée, les flics disparaissent et nous créons ce que nous appellerons plus tard : « La Trouée » – nous renommerons le nom du pont d’ailleurs ! – je me glisse dans la brèche pour atteindre la Bastille.Rendu Rive Droite, je cours rue Crillon qui devient de l’Arsenal pour éviter la populace, mais me maudis au coin Bassompierre : on a donné mon signalement. L’Hôtel de Police du 4e est tout près et le piège est déjà posé quand j’arrive. Je tente de fuir face au régiment devant moi – je ne veux que rejoindre la Bastille ! – on me fait chuter et je suis encerclé, on me roue de coups, je ne sais plus quelles parties de mon corps protéger, les cuisses, le ventre, les côtes, le dos, les pieds ou le cou. Je me protège la tête de ces coups de pieds sous les tonnes de rires que j’entends malgré le sang qui me coule des oreilles, en gémissant. Puis un soudain silence. Je suis toujours conscient. Et en forme. Qu’est-ce que l’adrénaline peut faire ! Les bâtards qui m’ont roué de coups – « Pour faire un exemple ! » hurlaient-ils ! – sont maintenant en débandade. Des pièces d’artillerie tombent sur eux en éclat, je suis au centre de tout ce bordel, je ne sais plus où je dois aller, je tente de me relever et des bras inconnus m’aident, ils me hissent debout. Je reconnais mes alliés de différents Groupes qui se parlent par signes puis qui repartent vers de nouvelles actions à accomplir après avoir dégagé les primates casqués. Une main ferme sur mon épaule me fait retourner puis une voix douce :Je la reconnaîtrai, cette voix, parmi tous les hosannas du monde. J’obtempère en tentant de courir derrière elle, je reluque son cul qu’elle a beau, mais je ne peux poursuivre, je boite. Elle revient vers moi et me soutient, bras dessus bras dessous. Aussi grande que moi, elle est forte, agile, déterminée. Une mèche de cheveux rebelle ondule en sortant des lanières de son masque. N’est-ce pas la femme que j’ai remarquée durant la matinée ? Oui, c’est bien la même, qui faisait figure de leadership malgré la déroute de notre Groupe.Je ne me situe plus dans la ville, mais lui fais confiance, nous nous cachons dans une venelle étrangement vide.Nous nous asseyons, elle ouvre son sac, tend son regard vers le mien : pour la première fois, je vois ses yeux. Bleu ? Blanc ? Rouge ? Je sais qu’il existe des lentilles pour imiter des drapeaux ou autres choses comme des yeux de dragons ou encore, mais elle, ce ne sont pas des lentilles. Son iris est bleu, mais tout l’autour est irradié de rouge, comme si des millions de veines parcouraient le blanc de ses yeux. J’en ai le souffle coupé et elle m’ordonne :— Ne tombe pas dans les pommes !Elle enlève mon masque et ma cagoule, appuie sa main chaude sur ma joue et me fait boire à sa bouteille. Puis, grand moment de ce jour-là , elle enlève à son tour sa cagoule et enfin je la vois, comme si je l’avais toujours cherché…Elle a une attitude de belle et de rebelle, combattante, armée, fougueuse, aux gestes précis, je sais qu’elle ne laissera jamais tomber Gavroche. J’aimerais seulement qu’elle laisse sa main sur ma joue, qu’elle m’embrasse tendrement, je mangerais ces lèvres roses, je caresserais son être mutin, elle s’activerait, nous serions le premier couple du Nouveau Monde…Mais nous n’avons pas le temps de faire plus ample connaissance, j’allais lui demander de m’embrasser. Ça crie plus loin et ça hurle plus près, ça tonne et ça détonne, une nouvelle attaque désorganisée « des forces de l’ordre » s’annonce. Elle me touche de nouveau la joue d’une main si douce que j’aurais léché chacun de ses doigts et, me fixant dans les yeux, me dit simplement :— Tu as été un héros sur le pont. Rendez-vous ce soir, 23 heures, à la Place CENSURÉE, je veux que tu viennes faire le Coup avec moi !Elle se lève rapidement, remet son sac à son dos, sa cagoule, son masque, me fait le signe de paix de son index et majeure tendus puis détale, me laissant à moi-même. Je mate son cul moulé en noir courir et me murmure :— Oh oui, je serai là …Je reprends mon souffle, avise où je suis, et me souviens qu’une amie, Audrey, n’habite pas trop loin. Je souris : elle est infirmière, Audrey, non ?*Ses doigts sont vertueux et sensuels. Audrey m’a massé le corps quelques minutes après que j’aie cogné à son appartement, rue du Fauconnier. Elle m’a vu amoché, m’a directement fait entrer. Avec son naturel bienveillant, son doux sourire creusant ses fossettes, elle a reculé d’un pas et dès la porte fermée, elle a dit mon nom en un souffle en me caressant le visage dont je n’avais pas vu l’état.— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?— Le mauvais endroit au mauvais moment…Elle m’a attiré dans son appartement, tout simple, un petit studio d’étudiante en médecine, en tâtant mon corps et en me questionnant, tu as mal ici ? Et ici ? Je faisais mon fier, mais ils ne m’avaient pas loupé, les salauds. Les yeux verts d’Audrey ont cherché à me sonder, ses lèvres tout près des miennes m’ont attiré et décision prise sans que je n’aie pu bouger, elle a entrepris d’enlever mes vêtements pour m’analyser, m‘ausculter. Elle a vérifié qu’aucune partie de mon corps n’avait été foulée, brisée, broyée par ces connards du Pouvoir qui ne voulait que casser du manifestant.Elle est revenue avec le nécessaire d’infirmerie et a nettoyé mon visage et mon corps avec tendresse. Ses cheveux roux et court flamboyaient dans la lumière de la fin d’après-midi entrant par les fenêtres fermées et ses yeux verts parcouraient mon corps à la recherche de blessures, émettant de petites exclamations chaque fois qu’elle en découvrait.Je voyais une sorte d’ange en train de me requinquer, Audrey avait toujours ce don. J’étais hypnotisé par son savoir-faire et son savoir-être, surtout, son être tout court, son corps agile, sa peau blanche constellée de grains à suivre du doigt, ses seins sans soutien-gorge, tenus dans sa camisole serrée sur son corps, et son short de détente, à élastique, qui serait si simple à retirer. Elle ne m’attendait pas, Audrey, elle se terrait comme plusieurs Parisiens lorsque les émeutes éclataient, mais serait toujours au front le jour tant attendu.J’avais de fortes ecchymoses sur les bras, les cuisses, je sombrais dans le sommeil tandis qu’elle me manipulait, je me sentais bien et me suis retrouvé couché sur le ventre. Ses doigts ont sillonné puis arpenté mon cou, mes clavicules, mes épaules, ont suivi mes muscles, les décrispant.Audrey, à califourchon sur mes fesses, décomplexe mon corps, lui rend une nouvelle vigueur. Ses mains me malaxent là où il faut, descend le long de mon échine puis retirent mon slip avant de continuer travail d’apaisement sur mes fesses, mes cuisses, mes mollets. Puis, je la sens se lever, elle me dit :J’ai une érection que je ne peux cacher, elle est nue aussi, à contre-jour des fenêtres et de la fumée extérieure et elle m’enjambe. Appuie ses mains sur mon torse, positionne ma queue puis se laisse glisser sur moi. Je grogne, surpris par sa chaleur interne, elle gémit, surprise par ma rigidité revenue. Je lui tiens les hanches, lui caresse le ventre, les seins, elle se cambre, ce qu’elle est belle, et tendre, et affectueuse, et agile, souple, active. Audrey crie, je me retiens, elle me regarde tout en sautillant sur mon corps, me touche la joue, se penche vers moi :— Pourquoi n’es-tu pas revenu plus tôt ?Je ne peux lui répondre, concentré à la faire jouir, elle ferme les yeux, je sens son corps souple se crisper, elle ouvre la bouche, elle râle, elle explose. Moi aussi, je suis fourbu, je la caresse, elle est si douche, si fraîche, je m’endors… Merci Audrey. Nous, camarades, avons toujours besoin d’amies comme toi.*La Grande Nuit de Paris, enfin ! Nous l’espérons depuis ce 24 avril du deuxième tour, depuis tous les mois de mai, depuis ce 18 juin de l’appel, depuis ce 20 juin des Tuileries, depuis ce 13 juillet, depuis ce 11 septembre de la Proclamation, depuis toujours, sans chronologie, et encore, l’aspiration d’une société désirée. Je cours dans la nuit parmi les clameurs, les explosions et les bris de vitrine pour être au rendez-vous donné par une femme qui m’a sauvé, qui m’a happé dans ses rets. J’y ai rêvé, alors qu’Audrey se reposait sur mon épaule : une inconnue, avec une mèche rebelle se faufilant partout, ses yeux irisés de rouge et de détermination d’un monde plus juste, plus à notre image.Je ne nommerai pas ici le lieu du rendez-vous, il sera censuré, et nous tentons de le garder secret pour ne pas créer de légende surfaite du Coup. Quand j’y parviens, après avoir lancé une dizaine de pavés en chemin, chopé une barre à mine traînant par terre et m’être frayé un passage à travers les obstacles humains surprotégés par des équipements financés par des impôts illégitimes, deux solides gaillards me bloquent l’entrée.— On ne passe pas !— J’ai été invité !— No pasaran ! répètent-ils en rigolant.— Vous vous trompez les gars !Je crispe ma main sur la barre, la gauche s’est toujours entre-déchirée et ça ne changera pas cette nuit, bien décidé à pénétrer dans l’enceinte derrière les gaillards. Mais j’entends sa voix, elle rappelle ses chiens, elle surgit et fait reculer les deux hommes qui ronchonnent. Elle est à visage découvert, comme elle s’est dévoilée dans la venelle étrangement vide après le passage à tabac. Elle a les cheveux noirs, longs et détachés, et arbore fièrement un bonnet. De forts sourcils, un nez pointu, des lèvres finement dessinées, un menton plein de résolution, elle renvoie les deux hommes tenir la garde plus loin, les mains sur les hanches qu’elle a puissantes. Je suis subjugué, soudainement muet, ne veux plus me battre, ne veux plus combattre, frapper, contre-attaquer, je ne souhaite que me jeter sur elle, blottir mon nez dans son cou, une jambe entre les siennes, ma langue sur ses lèvres, ma main sur un sein… Mais elle me prend par la main, tout va trop vite, elle me chuchote un : « viens ! » et nous nous précipitons dans des escaliers humides, dans des souterrains vétustes et à la lueur des torches accrochées aux murs de pierres suintantes, mes yeux ne se détachent pas de ce dos arqué, de ce cul bombé et musclé, de ces longues jambes fougueuses.*La suite me semble un trip de drogue où les souvenirs ne sont que des images furtives : des rires, des embrassades, des visages amochés vestiges de la journée. Je retrouve Killian, Fanny et Aïcha qui me racontent leurs faits d’armes, leurs réussites et leurs échecs, je passe sous silence mes visites chez Françoise et Audrey, mais raconte mon tabassage.— Mais on dit que c’est toi qui as fait la trouée du pont ?J’acquiesce sans en rajouter, elle n’est pas loin de notre rassemblement, je sens qu’elle m’observe et je ne veux créer aucun impair, au contraire.La suite est donc une assemblée au maquis. Plus de 100 « affinitaires » réunis, de différents Groupes aux tactiques différents, mais à la stratégie semblable : recréer un monde. Certaines personnes vont sur une tribune et nous haranguent, j’aime plus ou moins ces propos teintés de politique des monstres de la République, d’autres nous invitent à nous réunir en petit comité pour composer un programme d’actions de la Suite des Choses, comment le voyons-nous ce monde, merde !Je me retrouve avec Fanny à dessiner des plans, des flèches et des idées sur des nappes en papier, disposées sur des tables à tréteau, je tente d’imager ce que j’ai raconté au pont de la Trouée, comment ce monde pourrait aller mieux. Fanny renchérit, Mickael aussi, trois autres inconnus, mais sympathiques aussi, nous six formons un nouveau groupe d’Idéal que nous présentons ensuite en plénière. En tout, douze Groupes annoncent leur plan, un animateur chevronné reprend les thématiques de chacun et les maille. La fille à la mèche rebelle est à ses côtés et lui indique comment analyser les idées et les grands thèmes. Je ne fixe que ses hanches, ses cheveux, son cul, ses yeux bleus, blancs, sexe, ses gestes de grand oracle : c’est elle qui est derrière tout ça !L’organisateur communautaire nous regarde, après avoir dessiné de belles patates sur un grand tableau blanc et clame en souriant :— Vous rendez-vous compte que le projet de société que nous souhaitons tous est ici (il pointe nos restitutions) là  ! (il pointe sa tête puis les nôtres) puis là  ? (il pointe son cœur puis les nôtres)Il y a des « Viva ! » dans l’assistance et bien que je sois d’accord avec ce qui a été dit, je n’irai pas beugler suite à un discours de tribun.*Pause cuisine collective et restauration, je vais fumer des clopes avec les copains. Il doit être quatre heures du matin. Toujours ce trip de drogue aux souvenirs fugaces. Mais je le jure, je n’ai ni fumé, ni bu, ni sniffé, ni avalé quelconque cachet !Juste… juste… le temps était trop intense. Tout se jouait.Je la cherche, j’explore le refuge de la Révolution, furète les souterrains, visite les différents Groupes qui forment un Clan nouveau, je la convoite et la désire : c’est elle qui est la grande instigatrice de ce Coup ! La démocratie est donc une femme et elle m’a sauvé la vie ! Traversant des pièces en enfilade, illuminées aux torches, où divers individus ne désirant que bouleverser l’état du monde chuchotent leurs propres conspirations, je la vois enfin, à la croisée de chemins, m’attendant peut-être…Enfin, je peux tout lui dire, m’avouer, m’épancher, m’amouracher. Elle me sourit, une main sur la hanche, fière et vêtue de noir. Je lui ferai traverser la nuit, je lui arracherai toute l’ombre qu’elle porte sur elle pour la voir enfin nue, pour l’avoir dans mes bras, pour que mon sexe lui caresse le bas-ventre, entre en elle. Je la soulèverai de mes mains sous ses fesses jusqu’à la lune, ses jambes entourant mon corps dans une prise de boa, et le menton aux étoiles, elle glapirait tout son amour, tout le mien… mais, mais, mais je ne peux lui dire qu’une chose, une seule, aucun autre mot ne sort de ma bouche :Je me maudis encore maintenant de n’avoir su trouver les mots pour la faire tomber en pâmoison : pourtant, tout me réussit ! Avec Stéphanie, avec Françoise, avec Audrey, tout est si simple, je suis un aimant, j’aime et j’attire, je ne veux que déboutonner sa chemise, toucher ses seins, l’amadouer et la cajoler, cette alma mater de la conscience civique…Elle me sourit toujours puis s’avance vers moi, me touche la joue comme cette fois dans la calme ruelle. Ses yeux me regardent avec une telle sensualité, je sais qu’elle me veut, que, que, que. Non. Rien. Elle m’encourage simplement :— Je vois que tu t’es bien remis.Son sourire est si beau.— Tu seras prêt quand viendra le temps, au lever du jour ?J’acquiesce. Je prends une grande respiration. J’articule :— Faisons l’amour…Elle éclate de rire et disparaît dans les dédales, je suis de nouveau seul dans le noir. Je me retourne, elle n’est nulle part, je sens encore sa main sur ma joue. Je continue mon exploration du maquis, je farfouille, veux la retrouver, veux être avec elle, suis obnubilé, j’aspire, je fantasme, je souhaite la retrouver dans le clair-obscur d’une nouvelle chambre spartiate aux rideaux rouges et noirs.J’ouvrirais tranquillement la porte.Et oui, j’admirerais soudainement son corps arc-bouté, ses seins pointus, ses cheveux en cascade : tout le monde mettrait une ville à feu et à sang pour elle. Entre ses longues cuisses brunes et musclées, le visage d’une de ses complices la chatouillerait de sa langue et elle, elle, toujours elle, elle respirerait à grande goulée, la main dans les cheveux de son amie. Elle bougerait son corps, stimulerait sa partenaire par des mots si doux, si poignants, elles auraient de grands sourires et s’aimeraient en transe, en s’embrassant à pleine bouche, les cuisses entremêlées, leurs corps soudés. Je pourrais les rejoindre et leur prouver… leur prouver… leur prouver quoi d’ailleurs ?Elle est libre et fait ce qui lui chante. Je refermerais la porte.Un coq chante et le soleil irradie le ciel d’un rouge sang qui coulera dans les rues…*Tout le monde est sur le qui-vive. Nous sommes une masse unie, ensemble pour un renouveau, le plan est parfait et je la suivrai jusqu’au bout. Mes camarades Fernand, Fanny, Nadia, Vic et d’autres encore, sont aussi au rendez-vous. C’est la dernière attente avant le Grand Matin. Il ne suffit que de monter la colline et de renverser les monarques. Des rumeurs racontent que les chiens casqués utilisent désormais des balles réelles. Ça va saigner !Le calme avant la bataille. Une voix, non loin de moi, chuchote :— Quelle date sommes-nous aujourd’hui ?— Nous étions le 13, hier, donc… ?— Comme c’est ironique…Je prends une grande respiration, oui, c’est ironique, et onirique : plusieurs pièces se sont mises en place pour ce Grand Matin. La liberté donnera le signal. Déjà , elle grimpe sur le toit d’une voiture incendiée il y a quelque temps. J’admire son corps svelte, la précision de ses courbes, ses cheveux dans le vent sous son bonnet. J’admire sa conception, sa volonté et son engagement. Elle est moderne, réelle et contemporaine. Elle lève les bras et crie d’une voix ferme le signal de la Montée.Nous allons à l’assaut de la barricade. De l’autre côté, ça canarde déjà  : eux aussi sont prêts !Je ne la perds pas des yeux et soudainement j’ai conscience de toutes choses : je sais ce qui arrivera et je lui claironne un avertissement. Elle se retourne vers moi, ses yeux me transpercent et une fraction de seconde plus tard, une balle réelle lui frôle la poitrine, arrachant les boutons de sa chemise, dévoilant ses seins au monde entier. Elle me remercie d’un hochement de tête et retourne au combat, les cheveux au vent de la violence des affrontements qui suivront.