J’étais d’accord : un week-end complet, du samedi matin 8 heures au dimanche soir 8 heures. D’ailleurs, il nous Ă©tait impossible ni de diminuer, ni d’étendre cette durĂ©e : cela aurait Ă©tĂ© ridicule ou dĂ©raisonnable ! Non… de 8 heures Ă 8 heures, 24 heures durant, c’était Ă la fois initiatique et inespĂ©rĂ©Â ! Et d’ailleurs, j’avais Ă©tĂ© le promoteur zĂ©lĂ© de ce projet, alors je ne pouvais qu’approuver…À mon arrivĂ©e, le samedi matin, Mathilde m’avait dit :— On fait le maximum, on va jusqu’au bout de nos forces, tout est possible…Et pour joindre ses gestes Ă ses paroles, Mathilde m’avait entraĂ®nĂ© aussitĂ´t dans une plongĂ©e spectaculaire, plongĂ©e qui, d’entrĂ©e de jeu, avait Ă©puisĂ© une bonne partie de mes forces. Par orgueil, j’avais trouvĂ© judicieux – dès le dĂ©but – de dĂ©ployer une quantitĂ© invraisemblable de techniques Ă©prouvĂ©es – et que je savais très efficaces – et qui d’ailleurs le furent : Mathilde Ă©tait au paradis.Ă€ peine remis de cette première Ă©preuve, alors que mes muscles Ă©taient encore marquĂ©s par l’effort, Mathilde proposa :— Tu te mets derrière, maintenant et tu suis mon rythme, on ne va pas se reposer tout de suite…La respiration encore haletante, au prix d’un terrible effort de motivation, j’ai pris position derrière elle – gagnant nĂ©anmoins quelques prĂ©cieuses secondes en prĂ©textant une gĂŞne quelconque – et je me glissai sans difficultĂ© Ă ma place, tant Mathilde Ă©tait engageante. J’ai alors commencĂ© assez lentement mon balancement. Mais Mathilde m’infligeait un rythme infernal qu’il me fallait suivre… hĂ©roĂŻquement. Plus d’une fois je me sentis dĂ©faillir, les muscles me lâchaient, ma motivation cĂ©dait, mais je parvins finalement Ă rĂ©sister Ă ma lâchetĂ©, en ondulant pĂ©niblement, un peu lamentablement, jusqu’au bout… pour le plus grand plaisir de Mathilde, qui soupirait inlassablement de contentement.La matinĂ©e avait Ă©tĂ© difficile et très objectivement, j’en Ă©tais bien plus affectĂ© que Mathilde. Non qu’elle ne fut elle aussi fatiguĂ©e par l’effort que nous avions fourni « d’entrĂ©e de jeu », mais je sentais bien que la dĂ©termination chez elle Ă©tait restĂ©e entière : quitte Ă se violenter, elle irait jusqu’au terme de l’épreuve. Ne l’avait-elle pas, elle aussi, dĂ©sirĂ©e ?Nous avions prĂ©vu de reprendre des forces rĂ©gulièrement aussi, des pauses devaient ponctuer notre marathon. Je goĂ»tais donc sans vergogne ce premier arrĂŞt, tentant de profiter pleinement de chaque seconde, espĂ©rant intĂ©rieurement ĂŞtre encore Ă la hauteur de ma tâche, au terrible moment de la reprise, me motivant pour cela en explorant du regard les formes captivantes de Mathilde.La reprise fut douce et cela ne me contraria pas ! Oh non ! J’étais sournoisement parvenu Ă faire accepter Ă Mathilde l’idĂ©e de nous engager dans des prĂ©liminaires copieux pour crĂ©er une « dynamique paroxysmique » vers le milieu de l’après-midi, voire la fin de l’après- midi. Elle se prit au jeu et dĂ©ploya une multitude d’astuces. Je dus, bien sĂ»r, Ă plusieurs reprises, la tempĂ©rer lorsqu’elle se livrait Ă des exercices que j’estimais trop Ă©prouvants pour moi. Cependant, globalement, cette reprise fut vraiment douce, mais aussi… vraiment longue, tragiquement longue… ce qui ne favorisa pas le maintien permanent de mon Ă©tat que l’exercice imposait : parfois, honteux, je trouvais une combinaison savante de positions qui m’éloignait des yeux scrutateurs de Mathilde, parfois, comprĂ©hensive et dĂ©licate, elle s’appliquait Ă me motiver, Ă modeler le gage de notre rĂ©ussite commune. Ă€ ce petit jeu, nous devions donc parvenir calmement Ă l’orĂ©e de la phase finale, puis finalement – au titre du schĂ©ma que j’avais imposĂ© – au terme de cette « dynamique paroxysmique ». Cependant, toujours très vaniteux – et en partie reposĂ© grâce Ă ce temps de papillonnage (que d’illusions !) – je m’appliquai Ă imprimer quelques fois une cadence respectable. Par excès de prĂ©tention – pour tenter de montrer Ă Mathilde que je gardais la maĂ®trise totale de mes forces et de ma volontĂ© – j’accĂ©lĂ©rais le mouvement soudainement, la peau me brĂ»lait, Mathilde soufflait, gĂ©missait, se pâmait dans l’effort, je ralentissais soudainement, reprenais mon souffle et infligeais Ă Mathilde une nouvelle Ă©preuve de turbulence. Mon objectif secret, je dois bien l’avouer, Ă©tait d’épuiser Mathilde… qu’elle me demandât grâce, au moins jusqu’au dimanche matin. J’espĂ©rais, Ă l’aide de cette manigance, que nous ne tiendrions pas jusqu’au dimanche soir… et qu’ainsi je conserverais dans cet Ă©chec programmĂ© un peu de mon honneur ou, plus probablement, que l’échec serait de fait partagĂ©.— Ohhh ! Eh bien ! Quelle forme ! Encore ?Erreur…Mathilde n’était pas Ă©puisĂ©e, elle Ă©tait au contraire grisĂ©e par mon numĂ©ro Ă©reintant. Je dus donc me rĂ©signer Ă poursuivre ma politique offensive et, bien que faible et lassĂ©, je rĂ©ussis ainsi à « tirer » jusqu’au soir, jusqu’à la pause, divine pause ! La pause oĂą nous devions faire le point sur cette première Ă©tape et, surtout… dormir, enfin dormir… nous reposer !— Pas terrible… pourtant… Faut rattraper ça …Je n’ai rien dit, je me suis observĂ©, petit, mou, fourbu, sans appĂ©tit. Dès la fin de la matinĂ©e, j’avais rĂŞvĂ© de cette nuit, douce, calme, tranquille et voilĂ qu’elle devenait sauvage, rude et dĂ©courageante. Ă€ demi-allongĂ©e sur le dos, Mathilde constata mon triste Ă©tat :— Reste comme ça… j’ai de la crème, du baume, des trucs que j’ai amenĂ©s exprès pour ça… tu vas voir…Elle s’appliqua Ă me badigeonner d’une crème veloutĂ©e, chaude et relaxante. Et, malgrĂ© toute ma volontĂ©, ses mains expertes finirent par redonner Ă mon corps la tension nĂ©cessaire pour continuer notre aventure.— Ahh ! Bien… Tu vois ! Je t’en remettrai… J’en ai mĂŞme une autre, bien mieux ! SpĂ©ciale ! Pas mal…Mon corps Ă©tait rĂ©veillĂ©, certes, mais ce n’était pas la grande forme, je le sentais bien : cependant c’était, malheureusement, suffisant pour repartir. Nous repartĂ®mes donc, d’abord tranquillement, Mathilde prit les choses en main. Elle s’occupait rĂ©gulièrement de faire naĂ®tre le dĂ©sir, sans quoi rien n’était possible. Parfois, elle n’en pouvait plus, c’était Ă©vident, mais elle s’évertuait Ă poursuivre et trouvait- je ne savais oĂą – de nouvelles forces. De honte, de temps en temps, je prenais le relais… Ă ma mesure. Alors elle s’abandonnait, elle exhalait de lourds soupirs, elle chavirait sous les assauts. Je la tourmentais un peu plus et elle finissait par hurler dans la nuit… une fois de plus. Je m’effondrais, les acteurs changeaient alors de rĂ´le. Elle m’enduisait de baume, me laissait sur le dos, sortait de son sac des ustensiles indescriptibles qu’elle plaçait ça et lĂ et, miraculeusement, je repartais Ă l’abordage, cognant, Ă©trillant, pilonnant, comme aux premières heures. Nous ne dormĂ®mes que quelques heures, cette nuit-lĂ . En deux temps.Au matin, nous fĂ®mes le point : nous avions rempli la première partie de notre contrat : la journĂ©e d’hier et la nuit avaient Ă©tĂ© fructueuses. Aussi nous dĂ©cidâmes de considĂ©rer comme il se doit l’état de la situation – une de mes idĂ©es, bien sĂ»r ! – et de modĂ©rer nos ardeurs. La matinĂ©e fut donc suave, sans excès, il y eut une pause vers 10 heures, après que nous eĂ»mes expĂ©rimentĂ© de nouvelles positions et, comme il se doit, Ă©tĂ© jusqu’au bout de chacune de nos nouvelles expĂ©riences. Au dĂ©but de l’après-midi, nous fĂ®mes mĂŞme une sieste, peu longue il est vrai, mais nĂ©cessaire pour aborder dans des conditions optimales l’étape finale.— Nous sommes parvenus Ă maintenir un bon rythme, il ne faut donc ni flĂ©chir, ni mollir ! D’autant que la fin doit ĂŞtre grandiose, lĂ©gendaire… le point culminant de cette Ă©preuve…Ces propos – mais surtout la fin de l’épreuve enfin en vue – me permirent de retrouver un second souffle (le savait-elle ?) et nous partĂ®mes donc vaillamment Ă la conquĂŞte de ce dernier septième ciel. Trop tĂ´t et trop rapidement sans doute – Ă certains moments, je perdais le contrĂ´le de mes gestes – mais nous franchĂ®mes des sommets et, dans l’allĂ©gresse de l’altitude, je repartais fermement Ă l’attaque. Mathilde avait optĂ© pour un registre sonore des plus audacieux : lorsqu’elle sentait monter en elle la chaleur typique de l’euphorie de l’effort, elle se cabrait, fermait les yeux, jetait sa tĂŞte en arrière puis entrouvrait les lèvres. LĂ , elle laissait filtrer quelque gros soupirs, quelques râles, quelques gĂ©missements. Cette lĂ©gère brise se transformait soudainement en petits cris, en Ă©clats de voix, en appels. Puis arrivait le tumulte des clameurs, des hurlements, des plaintes, des prières, avant l’agonie finale. Moi, je me dĂ©lectais dans le rythme endiablĂ© – et nĂ©cessaire – que j’imprimais Ă mes gestes dĂ©sordonnĂ©s : mes muscles brĂ»laient, mon souffle bruissait, mes mains accrochaient, mes jambes se raidissaient. Je vrombissais sauvagement puis vibrais de tout mon ĂŞtre, hurlais Ă pleine gorge lors de l’apothĂ©ose.Dimanche 7 heures.Le triomphe Ă©tait Ă portĂ©e de main, mais il fallait qu’il soit monumental. Mathilde sortit de son sac de quoi théâtraliser cette parousie. Elle savait dès le dĂ©but que nous serions – que je serais – abrutis de fatigue et elle avait donc prĂ©vu de quoi nous redresser. Je revĂŞtis un nouvel habit, savamment imaginĂ© pour la circonstance et Mathilde mit une tenue merveilleusement friponne. GagnĂ©s par l’allĂ©gresse de la fin, nos regards fiĂ©vreux dĂ©cidèrent que ce dernier Ă©lan serait effectivement plus majestueux encore que ce que nous avions pu imaginer, le triomphe ultime, la consĂ©cration suprĂŞme : j’avançais sans rĂ©serve la possibilitĂ© de transgresser toutes les frontières du raisonnable. Mathilde, habile et astucieuse, jouait un jeu savoureux, en avouant sur un ton ingĂ©nu son accord philosophique Ă l’idĂ©e mais un dĂ©saccord pudique Ă la proposition. ExaltĂ© par la mise en scène, je disposai Ă©nergiquement Mathilde comme la manĹ“uvre l’exigeait – devant moi – elle rougit un peu, se courba faiblement, je m’enquis de ses bonnes dispositions, elle me rĂ©pondit dans un langage candide mais volontaire, je me positionnai doucement et esquissai le geste perpĂ©tuel. Ă€ une cadence prometteuse, nous commençâmes Ă onduler, Ă ondoyer, Ă nous balancer en rythme, Ă tanguer, Ă nous agiter, Ă valser et swinguer. Aux mouvements ordonnĂ©s se succĂ©dèrent des mouvements bien plus chaotiques, des allures plus vĂ©hĂ©mentes. L’agitation devint turbulente et fougueuse. Notre ardeur prit une tournure de bacchanale dĂ©sordonnĂ©e, effrĂ©nĂ©e et tourmentĂ©e. Mathilde hurlait, j’éructais. Elle clamait son ravissement, je rugissais mon extase. Je poussais, je tirais, encore un peu… la tempĂŞte Ă©clata. Ivresse, vertige…Nous Ă©tions parvenus Ă faire la descente de l’Ardèche en canoĂ« en moins de 24 heures. Ă€ bout de force, certes, usĂ©s, fourbus, harassĂ©s, vidĂ©s, mais heureux de cet exploit irrationnel.