Il y a ceux qui aiment la lumière ; nous les rencontrons sur les plages à se faire dorer comme des toasts. De ceux qui enfourchent leurs vélos dès que le printemps revient, pique-nique, balade et coucher de soleil. De ces individus solaires, il faut en retenir la joie de vivre, le plaisir de se sentir en symbiose avec les éléments. Les rayons du soleil qui viennent nous réchauffer la peau, la caresse du vent dans les cheveux.Et puis il y a ceux qui aiment la nuit, la pénombre. Fêtards qui sont comme les chauves-souris, à se réveiller quand le soir tombe, à affluer vers ces lieux de bonheur éphémère : bars, discothèques, clubs. Ils s’en iront quand le ciel pâlira, la nuit était à eux. Et puis il y a toute cette population de traînards, de gens louches et d’arnaqueurs, pour certains toujours à l’affût d’un sale coup, d’un coup de poing dans une fenêtre. Le goût du risque, de l’effraction, la nuit qui vous enveloppe et vous protège des regards des autres. Vous les retrouvez dans les quartiers malfamés, ceux de la gare ou de la place de la République, seuls ou avec leurs camarades d’ennui, piliers de bars miteux, clients de prostituées, promeneurs urbains de la nuit.Et puis il y a des lieux où la nuit règne, peu importe l’heure de la journée. Des lieux de plaisirs, de rencontres. La nuit des murs noirs et des fenêtres camouflées. Se protéger des regards des autres, cacher cette lumière trop crue pour la réalité qui s’y passe. Se retrouver animal nocturne.Une adresse en plein centre-ville. Dans une ville d’Allemagne. Un sex-shop muni d’un « cinéma » à l’étage. Il faut passer derrière l’épais rideau en faux-cuir pour entrer comme dans un autre monde. Ça sent la cigarette. Dans ces lieux de plaisir, comment pouvait-on interdire de s’en griller une ? Cet endroit n’est pas encore aseptisé, on peut jouir de la vie, jouir tout court. Comme si tous les sex-shops d’Europe s’étaient donné le mot, toujours la même musique en guise de fond sonore. Une sorte de techno-dance devant sans doute procurer un peu d’excitation au client. La pulsation cardiaque s’accordant avec le rythme des synthétiseurs.Il faut traverser la longue rangée de DVD pornos disponibles à la vente (Internet n’a pas encore tué ce business ; mais qui peut bien encore acheter du porno alors qu’il déborde sur les ordinateurs, et gratuit en plus ?) pour saluer le vendeur derrière son comptoir. Il y a de tout : pour ceux qui aiment les vieilles femmes, les jeunes, les éjaculations faciales, la sodomie, le latex, le nylon, la dentelle et aussi les Asiatiques. Les fantasmes s’étalent, toutes les jaquettes sont composées de visages souriants de femmes, à tel point que le regard n’en accroche aucune. L’industrie de masse pornographique au service d’une impossible satiété de cul et de petites chattes à pénétrer.Le vendeur est un grand dégingandé, homosexuel c’est certain. 12,50 € l’entrée simple, 10 € avec une carte d’abonnement coûtant 100 €. Gratuit pour les femmes et les transsexuels (la grammaire allemande connaît trois genres : le masculin, le féminin et le neutre). Le système est rôdé, on a pensé à tout : attirer les femmes (celles qui vont faire augmenter la fréquentation des lieux si les hommes se rendent compte qu’il y a en a à savourer), constituer un public d’habitués.C’était l’envie de sucer qui m’attirait là. Sucer sans connaître ni me faire connaître. GH. Dans la langue du sexe, ça veut dire « glory hole » : un trou circulaire dans une cloison qui permet à un homme d’y introduire son sexe. De l’autre côté, une personne pour s’amuser avec. Ces trous sont installés par les propriétaires de ces « kinos » ; ils peuvent aussi être percés sauvagement : dans les toilettes publiques, dans certains endroits parfois surprenants…Il faut un peu de courage pour introduire son sexe dans un orifice sans connaître les intentions de la personne de l’autre côté. C’est pour cela qu’il y a des règles : un petit mouvement de doigts pour inviter la personne à y insérer son membre, quelques coups contre la cloison pour indiquer que l’homme est prêt à jouir (tout le monde n’aime pas recevoir du sperme dans la bouche). Sucer, branler, se faire sodomiser… le glory hole n’est pourtant pas réservé aux homosexuels. Des femmes aussi y trouvent leur plaisir : celles qui veulent sucer ou se faire pénétrer incognito, juste pour le plaisir de savourer un chibre sans se préoccuper du physique ou du visage de son propriétaire. Mais des femmes, à vrai dire, il y en a peu. Au final, c’est plutôt un truc d’homos. Quand le plaisir a été assouvi, vite partir pour laisser la place à un autre, protéger l’anonymat des deux personnes.Depuis mon adolescence, j’ai toujours fantasmé sur les sexes masculins. Ces andouillettes plus ou moins grosses, ces veines qui les parcourent. Le gland violacé, les testicules collés au corps. Cette raideur qui pointe vers le ciel et le soyeux de la peau quand son porteur veille à enlever les poils qui empêchent de bien voir son anatomie en détail. Caresser d’une main hésitante un sexe flasque comme un ver de terre, le sentir gonfler sous l’effet du désir, la goutte qui perle au bout du gland, divin nectar au goût légèrement salé quand on le goûte du bout de la langue, annonciateur de jets chauds et blancs. Sucer ou branler grâce aux glory holes permet ainsi de satisfaire ces fantasmes autour du membre masculin, n’en apprécier que la taille et la forme, sentir cette odeur si caractéristique et tellement excitante. Ce cinéma rendait cela possible. C’était du cinéma 3D, même un peu moins cher, à volonté en ce samedi.Car on peut revenir ensuite : les tarifs sont pour la journée. Un coup de tampon avec la date du jour sera apposé sur l’avant-bras. Ils ont même pensé aux hommes mariés : le tampon a une encre invisible à l’œil, détectable par une sorte d’appareil faisant une lumière bleutée. Le vendeur indique ensuite une porte grillagée, il actionne à distance le loquet qui permet d’entrer. Un escalier se présente sur la gauche. Il faut monter doucement, habituer ses yeux au noir que les écrans de télévision projetant des pornos à la chaîne et les quelques lumières viennent juste contrebalancer pour que les clients puissent se déplacer. Les cris exagérés des actrices sont le fond sonore de ce cinéma. Ils se mélangent aux râles des acteurs jouissant, comme il se doit dans le porno moderne, sur leur visage, dans leur bouche ou sur leur cul. Les différents films se mélangent dans un bruit d’orgie, sans trop savoir si c’est excitant ou si c’est effrayant.Il n’y a pas d’horloge dans les casinos pour que les clients ne puissent prendre connaissance du temps qui passe. Il n’y a pas de lumière dans ces lieux, comme pour envelopper ces moments d’un voile pudique, dissimuler quelque peu son visage aux autres, ne pas les voir. Il faut faire un effort pour les voir justement : regards fuyants sous le poids de la honte, ou au contraire lubriques et insistants de celui plein de désir, ils se promènent parfois sans cesse là où ils peuvent déambuler, trompant ainsi leur ennui, attendant l’arrivée des personnes objets de leur convoitise : couples, transsexuels, minets, et oiseau rare : femmes seules cherchant aventure. Certains jouent d’un air las sur les quelques bandits manchots installés par le patron. Pendant cet ennui, il faut bien faire rentrer un peu d’argent. À côté, un bar propose quelques boissons. Les rares clients qui acceptent d’acheter un verre bien trop cher discutent un peu avec la serveuse. Nez percé, tatouages sur les bras et le cou, vêtue d’une minijupe à carreaux écossais, elle écoute sans trop prêter attention les propos de ces clients qui se disent que si la chair féminine n’est pas assez présente, peut-être y a-t-il une possibilité avec cette serveuse. Pour travailler ici, elle doit bien aimer ça, non ? Mais la serveuse ne sourit pas, à peine après un compliment par trop appuyé de ses clients. Elle reste derrière son petit bar, à essuyer ses verres, à ranger ça et là des objets divers.Tenter de dévisager ces personnes, c’est se confronter à la misère de ces gens, à leurs frustrations. À nos frustrations, tellement gavés de sexe que nous sommes, et si pauvres en sentiments amoureux, en tendresse. Ces pulsions sexuelles qu’ils assouvissent en cachette de leur femme ou de leur petite copine, c’est la quête avide de plaisirs que la société nous pousse à chercher : la performance, le jouissez-sans-entraves (mais pas sans frustrations). Ce regard de celui qui s’adonne à des plaisirs interdits et que j’ai souvent remarqué. Interdits par quoi, par qui ? Par la peur, l’absence de dialogue dans le couple, la honte de s’adonner à des activités jugées contre-naturelles. J’ai vécu ma sexualité librement, en en parlant. Ma femme connaît mes fantasmes ; j’ai la chance qu’elle me les autorise. Alors je prends goût à sucer de belles queues. Je les aime comme elles sont, même si la présence d’un gros chibre ne peut que me satisfaire. Pour autant, j’ai remarqué que les sexes dans la moyenne nationale bandaient plus dur que les grosses bananes. « Mieux vaut une petite travailleuse… etc. »En haut des escaliers, le bar est la première chose visible. Derrière, comme un véritable cinéma, des fauteuils sont disposés face à une toile de projection. Elle est à quatre pattes pendant qu’un homme en dessous la pénètre dans son vagin. Un second lascar, au-dessus, lui pénètre l’anus. Des cris. Les deux acteurs sont montés comme des ânes. La caméra filme de très près. C’est qu’une double pénétration est bien rémunérée pour les actrices. Le public aime ça, même s’il est, dans ce cinéma, plutôt occupé à scruter les arrivées. Des fois qu’une femme se présente. Il faudra alors se lever et ne jamais être trop loin de ses mouvements. Les plus timides resteront derrière comme des zombies poursuivant leur proie. C’est drôle parfois, ridicule souvent. Glauque en fait. Certains oseront entamer la conversation. Un court dialogue. Pour des raisons qui sont les leurs, un ou des chanceux iront s’isoler avec cette femme ou ce couple dans une pièce. Ou pas. Candidat au coït éliminé, regards satisfaits des autres se disant qu’ils ont alors encore leur chance. Je ne prenais pas part à ces compétitions pour remporter les femelles. Non pas qu’elles ne m’intéressaient pas, mais je savais que le plaisir qui était le mien était aussi celui de nombreuses personnes ici : être soulagés de leur bandaison. Et quand ils s’apercevaient qu’encore une fois, ils n’allaient pas goûter aux plaisirs avec une femme, alors ils n’hésitaient pas à passer leur queue à travers un glory hole. Et de l’autre côté, je serai gourmand à les soulager. Peut-être s’imaginent-ils à ce moment qu’une magnifique femme est en train de les sucer ? Non, je pense qu’ils savent que se trouve un homme de l’autre côté de la cloison. Ils doivent aimer ça. En tout cas, je trouvais dans ce lieu toujours de quoi assouvir mon fantasme.Des flyers traînaient encore sur le zinc du bar. Il y avait eu une soirée « bukkake » il y a deux jours. Une douche de foutre, si vous préférez : un homme ou une femme qui se fait éjaculer sur le visage par des hommes à tour de rôle. Quand je vois le nombre de vidéos sur ce thème dans les sites pornos, je comprends qu’il y ait de la demande en la matière.En dessous de la toile de projection et face aux sièges, il y a une sorte de grand lit XXL recouvert de simili-cuir (c’est plus facile à nettoyer : un petit coup d’éponge et on termine avec un pulvérisateur de produit désinfectant. « Laissez agir quelques secondes puis essuyez avec un chiffon propre. Tenir éloigné des enfants et des animaux domestiques. Irritant. »). Je me dis alors que, parfois, il doit y avoir du théâtre ici. J’imaginais alors la soirée « bukkake » avec une femme assise au bord de ce lit et des hommes en file indienne attendant patiemment leur tour, s’astiquant un peu pour ne pas débander, pas trop pour ne pas jouir avant d’avoir pu approcher son gland des joues de la gourmande (évitez les yeux, ça pique).De cette salle de cinéma, trois couloirs menant à différentes pièces. Là encore, le propriétaire des lieux a pensé à toutes les envies : de grandes pièces pour deux ou trois couples voulant se donner ensemble du plaisir, des cabines dans les endroits les plus sombres pour s’isoler face à un film porno (poubelles vidées régulièrement, papier hygiénique disponible), pourvues ou non de glory holes, de plus grandes cabines munies d’une petite fenêtre pour être observé durant sa masturbation ou sa partie de jambes en l’air (il faut bien faire savoir aux autres qu’on prend son pied, et qu’eux n’ont pour l’instant que la possibilité de s’astiquer), une « dark room », une pièce pour les plaisirs sadomasos et même une autre pour jouer au docteur.Trouver une cabine libre avec glory hole. S’installer tranquillement. Disposer du papier hygiénique à côté de soi sur le fauteuil en simili-cuir pour recueillir les dons de sperme et essuyer mes mains. Laisser une petite bouteille de lubrifiant ouverte pour éventuellement arroser avec ma main libre la queue que je serai en train d’astiquer avec gourmandise. Un clapet permet d’ouvrir ou de fermer le trou circulaire. Tout le monde ne cherche pas à sucer dans ces cabines. Certains veulent juste pouvoir se branler à l’abri des regards. Cinquante-cinq chaînes à choisir. Une sorte de joystick se trouve à ma droite pour les faire défiler : gang-bang, bukkake, porno gay, milf, teens, big boobs, preggo, femdom, raped… il faut avoir fait un peu d’anglais et s’y connaître en porno pour comprendre tout ça.Entrer dans ce cinéma, faire un petit tour du propriétaire pour prendre la température des lieux au moment où on arrive, ne pas savoir comment va se passer ce moment : c’est là le charme de ces visites. Parfois il n’y a personne, ou les rares présents ne veulent pas se faire sucer. Parfois les queues s’enchaînent. Quand un se fait sucer, plaqué contre la cloison, les autres voient bien qu’il y a alors de quoi se soulager. Ils attendent sans doute de prendre leur tour. Pour une queue soulagée, une autre se présente tout de suite après. La cloison est fine, on entend les râles de bonheur de ces hommes. Le bruit de la boucle de ceinture qu’on décroche et celui de la braguette qui descend indiquent toujours l’arrivée de mon bonheur. Elle arrive souvent légèrement molle, parfois une demi-bandaison. Quelques coups de langue, une prise en bouche. J’aime sentir la queue gonfler dans ma bouche, sentir le gland se durcir contre ma langue qui caresse le frein. Il faut s’appliquer, entre phase de succion goulue plus ou moins rapide et masturbation, c’est un moment qui dure quelques minutes, trois au maximum. Au-delà, le porteur de chibre commence à s’impatienter. C’est que ça ne vient pas (je ne considère pas que mes talents soient à remettre en cause à ce moment). Mais quand ça vient, c’est pour moi un grand bonheur. Dans la bouche, sur ma main en train de branler ou parfois sur mes vêtements quand les jets sont puissants, voir la semence sortir, blanche, épaisse et collante…Juste le temps d’essuyer un peu le sexe avec du papier (j’aime bien finir le travail proprement) qu’il disparaît dans le trou noir. Il n’y aura pas de remerciements, pas de témoignage de gratitude : il a eu son plaisir égoïste que j’ai accepté de lui donner, il peut partir soulagé. Il ne saura rien de moi, je ne saurai rien de lui. Se sentir un objet sexuel, attendre le chaland en ne proposant que ses mains et sa bouche. Parfois, certains demandent plus. Après une fellation, ils retirent leur sexe pour le faire réapparaître quelques instants après avec un préservatif. Ils veulent mon cul, les salauds ! Je les devine collés contre la paroi pour ressentir la plus grande amplitude de mouvement de mon anus dilaté passer et repasser sur les pourtours de leur verge. À moins que je colle mon petit postérieur contre la cloison pour qu’ils s’activent. Les cadences sont parfois énergiques ; il faut arriver à se tenir à quelque chose pour ne pas que son cul puisse être repoussé de la paroi.Un jour, une queue énorme est apparue, basanée, magnifiquement veinée. Le gland emplissait ma bouche, j’avais du mal à aller au-delà. Il est réapparu avec un petit parapluie de latex : il voulait ma rosette lui aussi. J’ai eu peur de ses mensurations, j’ai refusé l’étreinte.Des petits coups contre la cloison ou un rythme qui ralentit indiquent que mon étalon a joui. Le préservatif et sa donation, et déjà le sexe qui débande, comme fatigué de ces sensations fortes. Savoir que des hommes vont rentrer chez eux apaisés parce qu’ils auront trouvé grâce à moi un soulagement temporaire, c’est le plaisir que j’éprouve avec ces inconnus. Le sexe et la nourriture : des activités non délocalisables et toujours renouvelables. Tant qu’il y aura des êtres humains, il y aura besoin de manger et de trouver du plaisir sexuel. C’est beau de faire plaisir sans forcément trouver le sien ! Se sentir un peu salope, un peu soumis, et y prendre goût…Quand plusieurs queues sont passées, l’orifice est légèrement visqueux ; des gouttes de sperme sont par terre, des traînées poisseuses contre la cloison. J’aimerais bien nettoyer ces lieux à la fin de la nuit, m’imaginer ce qui a bien pu se passer dans ces cabines et dans ces salles. Effacer les dernières traces de jouissance.Vieux cochon pervers ou jeune homme athlétique, le glory hole, c’est l’égalité démocratique du plaisir. Quel beau symbole que ce sexe, arrivé du néant, se dressant face à moi pour éjaculer son liquide vital ! Un trou cyclopéen où les individus s’appellent tous « Personne ».