Le colonel m’expliqua ce qui m’attendait : j’allai être déposée à trente lieues* de la forteresse de l’exercice. Le milieu étant hostile, des patrouilles ennemies, jouées par nos troupes, seraient partout dans la région. Je devais bien sûr ne pas me faire prendre. Je devais entrer dans la place forte, trouver un document chiffré se trouvant dans le bureau du chef de celle-ci puis libérer une prisonnière emprisonnée avant de la ramener dans un endroit ami à trois lieues de là . La mission serait réussie à ces conditions, j’avais cinq jours pour accomplir mon travail. J’avais droit à choisir les vêtements que je voulais et deux armements seulement. On ne me fournirait pas de monture pour me déplacer ni de nourriture, mais j’avais droit à une gourde. On me donnerait une carte de la région et à une boussole. En cas de combat, nous ne devions en aucun cas nous tuer ni provoquer de blessures graves. Nous devions estimer si nous avions des chances d’avoir le dessus ou non. S’il devait y avoir échange de tirs au pistolet, le colonel considérait qu’au vu de mon habileté, je ferais mouche si je tirais la première et à moins de douze pas**. Les pistolets seraient chargés à blanc. La prisonnière devait répondre à un mot de passe : je devais dire : « La nuit est noire et pleine de terreur », ce à quoi elle répondrait « Méditez vos péchés, Capitaine ». Le colonel était vraiment un coquin.La mission démarrerait le lendemain matin, par un transport en carriole pour aller jusqu’au point de largage. J’avais la nuit et la matinée du transport pour étudier la situation.Je choisis comme tenue un pantalon sombre et un pourpoint réversible, gris d’un côté et noir de l’autre. Un bonnet masquerait mes cheveux et j’essaierai de me donner une silhouette la plus androgyne possible, enfin quelque chose qui ne fasse pas trop féminin. Cela dit, aucune femme ne se promenait en pantalon dans notre société. Côté armement, je choisis une longue dague ainsi qu’une sarbacane avec des pointes que j’enduirais de poison somnifère. L’armurier fut surpris de mon choix mais me laissa faire. Pour la nourriture, je me servirais dans la nature en ou en volant des victuailles chez des paysans sur mon parcours.Je dormis tout de même. J’avais étudié la carte, assez sommaire en fait, et devrais sûrement m’adapter en fonction de la réalité du terrain. Le voyage en carriole me permit d’affiner ma stratégie. Sauf opportunité permettant un déplacement discret de jour, je privilégierais la nuit.Je fus déposée par la carriole sur un plateau désert, nous étions en milieu d’après-midi. En marchant normalement, sans m’arrêter, il me fallait environ trente heures pour aller jusqu’à la forteresse, si bien sûr je ne m’égarais pas. La visibilité était très bonne, j’étais donc potentiellement très visible. Je décidai de me dissimuler jusqu’à la nuit. Je me mis en mode gris pour le pourpoint, trouvai un rocher au pied duquel attendre, et qui plus est à l’ombre. Nous étions fin juin et il commençait à faire chaud. Je trouvai une source en route où je pus me désaltérer. L’eau était claire et il n’y avait pas de troupeau en vue. Je devais faire route à l’est, descendre du plateau, longer une rivière sur laquelle je trouverai forcément un village ce qui me permettrait de me restaurer. Je dormis d’un œil jusqu’à la tombée de la nuit.Enfin vint l’heure de me mettre en route. Je retournai mon pourpoint pour le passer en noir. Au bout de trois heures de marche, j’atteignis le bord du plateau jusqu’à la falaise surplombant la rivière. Je trouvai un chemin de mule pour descendre vers la berge, qui semblait praticable à pied. J’étais en bas une demi-heure plus tard. Il était environ une heure du matin quand j’atteignis un village. La marche avait creusé mon appétit. J’avisai une ferme qui ne semblait pas gardée par des chiens.Je pus y trouver un séchoir à jambon ou je pus couper un bon morceau avec ma dague. C’était salé, il faudrait que je boive pour me réhydrater, d’un autre côté j’avais dépensé des sels en marchant. Après m’être restaurée, je voulus reprendre ma route mais aperçus deux silhouettes à cheval en sortie du village. Je longeai une façade de maison dans l’ombre jusqu’à approcher à quelques mètres des deux cavaliers. Je sortis ma sarbacane, y mit une fléchette et visai le cou d’un des deux hommes. Je fis mouche et il s’écroula rapidement sur son cheval. Son camarade se mit en alerte et dégaina son épée. Il commit l’erreur de descendre de son cheval. Il ne me voyait pas. Je me glissai derrière lui puis lui fis une clef au bras en appliquant sans le blesser ma dague sur sa gorge.— Ne bouge plus, tu es mort, lui dis-je.— D’accord, vous avez gagné.Je retirai ma dague et lui libérai le bras.— Quelles sont vos consignes ? me demanda-t-il.— Tu es mort égorgé et ton camarade aussi, empoisonné par du poison mortel, voilà ce que tu diras au contrôleur. Rassure-toi, ton collègue n’est qu’endormi, il se réveillera bientôt. Je vous pique un cheval. Vous pouvez rentrer à deux ?— Oui, vous allez rire, on a prévu le coup et planqué un troisième cheval…— Vous partiez perdant ?— Votre réputation vous précède, Capitaine. Bonne chance dans votre mission.— Avant de partir, avez-vous des vivres que j’aurais pu récupérer sur vous ? Et je vous prends aussi un pistolet et une épée au passage et de l’argent si vous en avez.— Oui, prenez cette besace pleine de victuailles et cette bourse. Voici une épée et mon pistolet.— Merci. Je te le rendrai. Rentrez bien.J’avais bien aimé cette rencontre avec ces deux collègues, même si un des deux n’avait pas eu l’occasion de parler. La mission commençait bien. Il me fallait être prudente et parcourir une lieue à l’heure était risqué, même à cheval. Je ne galopai pas et ne trottai pas non plus, le pas serait suffisant. Je décidai rapidement de quitter le chemin bordant la rivière, le risque de rencontrer des patrouilles étant trop grand. Par rapport à ma route théorique idéale si tant est qu’avec la précision de ma carte je pusse en définir une, je me déportai volontairement de quelques degrés, partant nord-est alors que je devais aller vers l’est. Peu avant l’aube, j’étais à proximité d’une forêt. Je décidai de m’y cacher pour la journée, j’avais suffisamment de provisions pour tenir deux jours. Les nuits duraient environ de neuf heures en cette saison. Malgré mon détour volontaire, j’avais couvert plus d’un tiers du parcours, un cheval au pas allant plus vite qu’un homme à pied. Trois nuits devraient donc être suffisantes pour rejoindre la forteresse. Je pus également nourrir le cheval avec les pâturages qui bordaient la forêt. Tout allait bien. Je dormis dans un bosquet avec la couverture de selle du cheval en ayant pris soin d’attacher ce dernier à un arbre. Je pensai à la forteresse. Je ne la connaissais pas, n’avais pas de corde ni de grappin et ne savais pas si je pouvais l’escalader. Ayant suffisamment dormi, j’explorai un peu mon environnement forestier, peu luxuriant par rapport à l’Amazonie et moins hostile aussi. Il y avait aussi plus de monde dans nos forêts. J’espérais de ne pas avoir été vue.Avant de partir, je trouvai les restes d’un feu de charbonnier. Je pris quelques charbons qui me seraient utiles pour ma discrétion en cas de besoin. Cela dit, je ne voulais pas me noircir les mains et le visage pour cette nuit-là , au cas où j’aie à me déplacer de jour, n’ayant pas le nécessaire pour me débarbouiller. Je me remis en route pour la deuxième nuit. Je ne croisai personne. Le fait d’avoir un cheval me fit de nouveau gagner du temps et je pus continuer ma stratégie de contournement de la route directe. Pas de forêt en vue alors que l’aube approchait. J’étais sur un plateau. Il y avait des troupeaux de moutons, donc certainement des bergers.Je me risquai à me cacher dans une bergerie. Par chance, je pus y faire entrer mon cheval, j’aurais dû l’abandonner sinon, ne pouvant le laisser à côté de la cabane au risque de me faire repérer. Dans la matinée, alors que je dormais d’un œil, j’entendis du bruit à l’extérieur. Je pris mon épée et bondis de ma paillasse, me collai sur le mur à proximité de la porte. Un homme entra, visiblement un berger. Il vit tout de suite mon cheval dans la bâtisse. Je passai derrière lui, appliquai la porte de mon épée dans son dos et lui dit d’une voix enrouée, pour faire plus masculin : — Pas un geste, pas un cri. Lève tes bras.— Oui, Messire. Vous devez être la personne recherchée par les soldats du roi.— Crois-tu ? Et qu’ont-ils dit ?— Qu’une personne dangereuse rôdait dans la région ! Ils offrent une récompense de 10 réals d’argent.— Je ne suis pas une personne dangereuse ni un criminel, j’ai juste troussé une femme de la famille royale.— Ça alors !— Si je te donne un ducat d’or, tiendras-tu ta langue ? (j’avais examiné le contenu de la bourse, qui contenait vingt ducats, une belle somme.)— Oui, Messire.— Tu le jures ?— Sur la Sainte Vierge et le Petit Jésus. Sur la tête de ma mère aussi.— Je te crois. Si tu trahis ton serment, mon fantôme viendra te tourmenter chaque nuit.— Sainte Mère de Dieu ! dit-il en se signant.— Je reste ici ce jour, je repartirai à la nuit.Je n’avais pas confiance, malgré le serment du berger et le ducat dépensé. Je restai à le surveiller de la fenêtre de la bergerie tant qu’il restait en vue avec son troupeau. Quand ce ne fut plus le cas et malgré le jour encore persistant, je décidai de me mettre en route à pied avec mon cheval. J’aperçus des cavaliers en fin de journée sur l’horizon et avant que j’ai pu me cacher, je les vis changer d’allure pour venir vers moi. Je mis mon cheval au galop et une poursuite s’engagea. J’avais certes un peu d’avance mais n’étais pas sûre que ce soit éternel. Ils étaient deux, il me serait dur de gagner en combat simulé à l’épée contre deux cavaliers. J’optai pour neutraliser le premier au pistolet, et je prendrai ensuite l’autre par surprise à l’épée. Alors que je pensais à mon plan en galopant, j’atteignis une zone de rochers qui pourraient faire l’affaire. Je passai derrière un groupe de rochers, descendis de cheval et me mis en position. Ni moi ni mon cheval ne pouvions être vus lorsqu’ils arriveraient. Le chemin était à moins de douze pas, idéal pour un tir réussi.Ils arrivèrent un peu moins vite que ce que j’avais estimé. Contrairement à ce que croient beaucoup de gens, un cheval ne peut pas galoper si longtemps que cela et la fatigue avait dû commencer à les toucher. Ils passèrent enfin devant moi. Je tirai un coup, me disant alors que j’aurais dû prendre deux pistolets après le premier combat. Sous le bruit de la détonation, le cheval du deuxième cavalier rua et désarçonna son cavalier. Je me ruai à pied sur lui avec mon épée. Le premier n’avait pas compris qu’il était supposé être mort et vint vers moi l’épée à la main.— Arrête, dis-je, tu es mort suite à mon coup de feu.Il se ravisa et comprit, puis descendit de cheval.— Joli coup, moins de douze pas, effectivement.Le deuxième se releva.— Vous m’avez bien eu aussi, je n’avais aucune chance quand vous vous êtes ruée sur moi.— Merci les gars, dis-je.Et m’adressant à celui qui était tombé :— Ça va la chute, pas de casse ?— Non, je suis entraîné.— Tant mieux, répondis-je. Vous direz aux contrôleurs que j’ai pris un de vos chevaux et un pistolet de plus. Officiellement, j’ai caché vos corps et renvoyé le cheval qui reste. Je prends aussi un de vos uniformes, désolée.— Bien Milady, je veux dire, Capitaine. En fait, nous avons de quoi vous en fournir un… Le colonel se doutait que vous le feriez. Bonne continuation de mission.— Bon retour à tous les deux.Étais-je donc si prévisible ? J’étais un peu blessée dans mon amour propre que le colonel ait anticipé cette décision. Après tout, je me dis que c’était normal, nous étions des professionnels et j’aurai sûrement fait comme lui. De plus, cela permettait à ses hommes de rentrer en restant habillés, même si là pour le coup ils n’avaient qu’un seul cheval.La nuit ne tarderait pas, je décidai de rester dans ces rochers jusque-là . Je fis le point à l’aide de ma carte. En poursuivant plein est cette nuit, je devais arriver à l’aube à proximité de la forteresse. Ma progression se passa sans encombre. Je dus toutefois faire un petit détour d’une lieue car la carte, trop imprécise, m’avait laissé penser qu’un accès à une rivière pouvait se faire facilement et il en était autrement à cause d’une falaise infranchissable. À une lieue de la forteresse, profitant d’un bosquet, je me changeai et revêtis l’uniforme donné par les soldats. Il était à ma taille, décidément, quel coquin ce colonel ! Même la cuirasse m’allait bien, le casque aussi.J’avais élaboré une stratégie pour entrer sans être remarquée dans la forteresse. La route que j’avais rejointe et que le bosquet bordait reliait la forteresse à une ville voisine assez distante. Je me dis qu’il y aurait bien des soldats qui la quitteraient dans la journée. La chance me sourit en fin de matinée : un cavalier arriva seul, en uniforme. Je sortis du bosquet, en lui faisant signe.— Holà , camarade, peux-tu m’aider lui dis-je en prenant ma voix enrouée.— Qu’y a-t-il ?— J’ai un camarade blessé, nous avons été attaqués par des bandits, il est dans le bosquet, mentis-je.— J’arrive.Il descendit de cheval et vint à ma rencontre.— Nous étions en patrouille dans le cadre de l’exercice de formation de la capitaine, dis-je. Des brigands nous sont tombés dessus en milieu de nuit.— Ah oui ? Ce n’était pas elle alors. À la forteresse, nous sommes plus que prêts à la recevoir.— Je n’en doute pas. Elle ne réussira pas, je te le parie 10 réals.Alors que nous entrions dans le bosquet, je l’immobilisai et lui appliquai ma dague sur le coup.— Tu vas me dire quel est le mot de passe pour entrer dans la forteresse, dis-je de ma vraie voix.— C’est… C’est vous, Capitaine ?— Oui, c’est bien moi. Dans la vraie vie, je te demanderais le mot de passe en te proposant en échange de t’épargner. Si tu me le donnais, je t’attacherais alors et te laisserais au milieu de ce bosquet.— D’accord, le mot de passe de ce jour est : « Bleue est la barbe du Prophète », le garde en faction doit répondre « Blanche est la tunique du Christ ».— Ils n’auraient pas pu trouver mieux ? Merci en tout cas. Dans la vraie vie, finalement, je ne suis pas sûre que je t’aurais laissé en vie. Cela dit, tu vas attendre ici quelques heures avant d’aller faire ton rapport. Je ne voudrais pas que la forteresse se doute de ma proximité.— Pas de risque, le poste de commandement de l’exercice est en fait proche de la maison où vous devez amener la prisonnière une fois libérée.— Dans ces conditions, tu peux le rallier à ta guise.— Merci, Capitaine. Je retire ce que j’ai dit : je pense que vous allez réussir.— Merci.Je sortis du bosquet, montai à cheval et partis vers la forteresse en traînant le deuxième cheval par son licol. Je fus bientôt devant la porte, ayant franchi le pont-levis. J’avisai la sentinelle, en prenant ma voix enrouée.— Holà , j’ai une urgence, j’ai un camarade gravement blessé que j’ai dû laisser à quelques lieux d’ici. Son état ne lui permet pas d’être transporté, même si j’ai réussi à stabiliser ses blessures. Nous avons été attaqués par des brigands. Je dois voir immédiatement le commandant du fort pour lui en parler.— On n’entre pas sans le mot de passe, nous sommes en exercice.— Je sais, je fais partie des patrouilles de plastron. Bleue est la barbe du prophète.— Blanche est la tunique du Christ. Tu peux entrer, vas mettre tes chevaux à l’écurie. Le bureau du commandant est au dernier étage de la tour du donjon.— Merci.Et c’est ainsi que j’entrai dans la forteresse. Je mis les chevaux à l’écurie et me dirigeai ensuite vers le donjon. J’avais pris soin de cacher ma sarbacane entre la cuirasse et mon pourpoint. J’étais juste un soldat en uniforme, avec casque, cuirasse, portant les armoiries royales, une épée à ceinture et une dague. Je montai les escaliers et arrivai rapidement au dernier étage, dont la seule pièce était le bureau du commandant de la forteresse. J’espérai que le commandant serait seul. La porte entr’ouverte me confirma cet espoir et je décidai de tenter tout de suite un tir de fléchette. Alors que j’entrai, il me vit, se leva, mais avant d’avoir pu crier ou parler, ma fléchette avait atteint son cou. C’était le colonel ! Il dormait désormais d’un bon sommeil.Il me fallait trouver maintenant trouver le document chiffré. La fouille des tiroirs du bureau ne donna rien. Je trouvai finalement un coffre dans le mur derrière un tableau, très classique, somme toute. Le colonel avait les clefs sur lui et le coffre me révéla bientôt son contenu : le fameux document, que je glissai immédiatement sous mon pourpoint. Au mur du bureau se trouvait un plan des différents étages de la forteresse. La prisonnière devait se trouver dans les cachots, dans les sous-sols de la tour nord. Je mémorisai le plan, puis redescendis les marches, comme si de rien n’était, en ayant pris soin de verrouiller la porte du bureau où dormait le colonel.Je saluai les gradés que je croisai puis me rendis vers les cachots. Il n’y avait qu’un seul garde en faction pour s’occuper des prisonniers. Un tir de sarbacane le colla dans un sommeil profond et je lui pris immédiatement ses clefs. Les cellules contenaient des hommes, sauf la dernière dans laquelle je vis une jeune fille en haillons, fort belle, cela dit.— La nuit est noire et pleine de terreur, lui dis-je.— Méditez vos péchés, Capitaine.Je lui ouvris la porte de sa cellule.— Vite, lui dis-je. Venez vous changer, prenez la tenue du garde.Elle se mit nue alors que je déshabillai le garde. Elle était effectivement très belle. Elle enfila le pantalon et le pourpoint, je lui ajustai la cuirasse et le casque, roulant ses cheveux dedans. Ce n’était pas parfait vu la taille de l’uniforme du garde mais ce serait suffisant pour sortir du château. Les chevaux nous attendaient à l’écurie.— Vous savez monter comme un homme ? lui demandai-je, en réalisant que j’avais négligé ce détail.— Oui.— Parfait. Allons-y, sans nous presser en faisant comme si nous sortions simplement du château.Le garde de service à la porte était le même qu’à mon entrée.— Je pars chercher notre camarade blessé, lui dis-je. Nous serons de retour dans l’après-midi. Le colonel a fait prévenir le chirurgien.— Bonne route, Dieu vous protège des brigands.— Merci.Il ne fallut ensuite qu’une heure et demie pour rejoindre la maison « amie ». Nous discutâmes en route. L’ex-prisonnière me dit s’appeler Isabella. Elle savait qui j’étais mais ne m’en dit pas plus sur elle-même. Elle me félicita grandement pour sa libération. La maison « amie » était vide d’habitants, mais bien meublée, avec à l’intérieur une belle table pourvue de victuailles à notre attention. Il y avait aussi de quoi se laver avec un grand baquet et de quoi faire chauffer de l’eau. Après quatre jours d’aventures, j’avais une immense envie de propreté. Je puais la transpiration et le cheval. Je me demandai à Isabella si cela la dérangeait que je me lave devant elle.— Non, bien sûr que non. Je vais faire de même si vous n’y voyez pas d’inconvénient, le cachot était hélas bien réaliste et ces haillons puants ! Et puis vous m’avez déjà vue nue.Je fis chauffer de l’eau pour préparer le bain. Le baquet était assez grand pour deux et nous pûmes nous y installer quand l’eau fut assez chaude. Isabella proposa de me savonner et j’acceptai avec plaisir. Bientôt, l’astiquage de ma peau donna lieu à des baisers et à des caresses, que je lui rendis. Après ce bain fort réparateur, nous sortîmes pour nous sécher et nous installâmes sur le divan de la pièce où nous continuâmes nos amours. Nous connûmes nos bouches, nos sexes, cela faisait du bien. Nous finîmes par nous rhabiller. Le colonel avait aussi prévu des vêtements propres pour nous : une robe de cour pour Isabella et ma tenue préférée, bottes, pantalon et pourpoint. Il y avait même mon foulard de capitaine.Puis nous mangeâmes, nous étions bien.Cela faisait maintenant quatre heures que nous étions là . La nuit n’était pas encore tombée. On frappa à la porte, Isabella alla ouvrir. C’était le colonel. Elle lui fit la bise. Il entra et s’adressa à moi :— Bravo, Capitaine, le meilleur exercice d’admission que nous n’ayons jamais fait, et de loin. Vous avez été parfaite. Vous avez le document, j’imagine, puisque le coffre de la forteresse a été ouvert ?— Oui Colonel, le voici, voulez-vous que je le décode ?— Ce ne sera pas nécessaire, c’est juste un passage des Écritures, pas vraiment d’intérêt. Merci. Ah, je vois que vous avez bien profité de l’accueil de la maison, dit le colonel en voyant la table. Isabella as-tu bien remercié le meilleur agent du Royaume ?— Oui, Papa. La capitaine est exquise…— Je n’en doute pas. Capitaine, je vous présente ma fille, Isabella de la Vega.Je tombais des nues, Isabella était la fille du colonel et j’avais fait l’amour avec elle ! Vu les mots utilisés par l’un et l’autre, ce dernier point ne semblait pas leur poser de problème, voire faisait partie du plan ! — Ah, Colonel, vous, un homme plein de surprises, répondis-je. Je suis honorée de connaître votre fille. Je pense qu’elle tient beaucoup de vous !— Merci, Capitaine, en matière de surprises, je pense toutefois que vous me surpassez, dit-il en riant.— Il est bientôt l’heure de dîner, Colonel, Il reste largement de quoi manger et boire pour nous trois. Voulez-vous vous joindre à nous ?— Volontiers, Capitaine. En dehors du service et quand nous sommes entre nous, nous pouvons nous appeler par nos prénoms et nous tutoyer.— Avec plaisir, Alejandro.— Merci, Jéromine, cela vaut aussi pour toi, Isabella.— Ne t’en fais pas, Papounet, nous avons pris les devants, Jéromine et moi.La soirée se termina tard et nous allâmes nous coucher à l’étage. Alejandro prit une chambre et Isabella et moi une autre, avec un grand lit.